Déclaration de M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité, sur le stress au travail, les conditions de travail et la pénibilité et la lutte contre les risques psycho sociaux dans l'entreprise.

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Circonstance : Remise du rapport sur la détermination, la mesure et le suivi des risques psychosociaux au travail

Texte intégral


Nous devons et nous allons lever un tabou en parlant de stress au travail.
Le travail est source d'épanouissement, d'émancipation de promotion sociale mais aussi il peut être source de difficultés, il peut être générateur de souffrance, nous devons tout avoir à l'esprit.
On a longtemps connu la seule pénibilité physique, mais aujourd'hui de nombreux salariés ressentent une pénibilité psychique.
Le stress a pendant longtemps été une question de société, il est aujourd'hui une question de santé, de santé publique et de santé au travail.
Je visite de nombreuses entreprises, les gens parlent du stress entre eux, et notre rôle est de faire un état des lieux, et de proposer des solutions à celles et ceux qui souffrent du stress au travail.
Nous devons donc et nous voulons donc mesurer le stress, informer et agir, notamment au niveau des entreprises. Nous devons bien prendre conscience que nous sommes partis d'une page totalement blanche, que ce rapport est une 1ère en France. C'est une 1ère étape qui marque a la fois une prise de conscience et une dynamique d'action.
On ressent aussi en France, peut être plus qu'ailleurs, une dureté et une pénibilité au travail. Je voudrais livrer une explication, c'est que nous avons un travail davantage concentré sur les 30-45 ans, nous avons un taux d'emploi des séniors parmi les plus faibles d'Europe. Nous avons un taux d'activité des jeunes parmi les plus faibles d'Europe, si bien que nous avons un travail qui est concentré sur les 30-55 ans.
On ne guérit bien que ce que l'on connaît bien. L'objectif est donc de prendre toute la mesure du stress, d'y apporter les solutions, et de mettre clairement d'ici 2 à 3 ans, la France au niveau des pays qui apportent les meilleures solutions contre le stress au travail. Les pays scandinaves et le Canada sont pionniers en la matière.
A la suite de ce rapport, l'approche que nous allons privilégier sera à la fois collective et individuelle.
Je souhaite que nous laissions les grands débats derrière nous.
Je me référerai a ce que dit le Bureau international du travail, car il préconise clairement une action a la fois collective et individuelle.
A la suite de mon engagement à la conférence sociale sur les conditions du travail du 4 octobre dernier, j'ai confié à M. Philippe Nasse et M. Patrick Légeron une mission sur les risques psychosociaux dans l'entreprise, en leur demandant précisément d'identifier des indicateurs pour comprendre le stress et de faire des propositions d'actions prioritaires pour lutter contre ses risques.
Vous avez messieurs beaucoup consulté : les partenaires sociaux sans qui nous ne pourrions pas avoir d'action efficace, les administrations concernées et les organismes experts. Ont également été consultées toutes les personnes susceptibles d'éclairer notre action, je pense aux entreprises, aux DRH, aux experts médicaux. Vous avez rencontré près de 80 personnes.
La réflexion sur le stress au travail a été au coeur de la conférence du 4 octobre 2007 car, j'en suis persuadé, c'était l'un des points de cette conférence, on ne travaille bien que si l'on se sent bien dans son travail, que si l'on s'épanouit dans son travail.
Nous avons bien sûr en tête des initiatives qui ont été mises en oeuvre dans plusieurs entreprises : tout ce qui a pu être mis en place dans les entreprises au niveau de la prévention est une chose, mais nous devons forcément avoir une action globale.
Car j'ai aussi le sentiment que les conditions de travail sont d'ores et déjà un élément essentiel pour l'attractivité des entreprises et qu'elles le seront davantage dans les années qui viennent, notamment dans une situation de plein emploi dans laquelle les salariés auront davantage le choix entre les entreprises Le stress au travail c'est aussi un coût social et humain. Le turn over, l'absentéisme et la baisse de la productivité sont une chose, mais le mal-être en est une autre. Mais le stress disons le clairement c'est aussi un coût économique. Selon le BIT, le coût du stress dans les pays industrialisés s'élève entre 3 et 4% du PIB dans les pays industrialisés. Pour la France, cela représenterait environ 60 milliards d'euros. Pour l'entreprise, ce sont des pertes en termes de productivité (absentéisme, arrêts de travail) et de perte de qualité. Pour la société ce sont la prise en charge des arrêts de travail, des maladies et des médicaments. Une étude de la CNAM réalisée en 2004 a montré qu'1/4 des arrêts de travail de 2 à 4 mois ont pour motif des « troubles mentaux et du comportement » en particulier chez les cadres et les professions intellectuelles.
J'ai décidé de prendre rapidement des mesures sur la base de ce qui avait été acté lors de la conférence sur les conditions de travail. J'ai demandé à ce que soit transposé le plus rapidement l'accord européen sur le stress au travail signé par les partenaires sociaux européens. Cet accord européen a réussi à identifier plus précisément le stress : c'est lorsqu'un salarié ne réussit pas à faire face aux exigences et aux attentes qu'on a envers lui. Cet accord insiste notamment sur l'exigence de prévention et sur la responsabilité de l'employeur dans la lutte contre le stress.
La France s'est engagée à transposer rapidement cet accord, ce n'est pas encore fait et je le regrette. J'ai envoyé le 17 janvier une lettre aux partenaires sociaux pour leur faire part de mon empressement et leur demander d'accélérer la transposition. Chacun doit se mobiliser pour que des mesures contre le stress au travail soient prises rapidement en France.
Je voudrais vous dire ce qui à mon avis est essentiel de retenir de ce rapport.
La première partie tente de mieux délimiter et définir les RPS : le stress est le premier des risques psychosociaux.
La deuxième partie dresse la liste des indicateurs existants et propose de construire des indicateurs sectoriels.
La troisième partie avance des pistes de préconisation pour l'action publique.
Vous faites huit propositions :
* La construction d'un indicateur global du stress car aucun indicateur global et national n'existe à l'heure actuelle. Cet indicateur prendrait la forme d'une enquête auto-administrée de périodicité annuelle. L'enquête en Grande-Bretagne n'est que bi-annuelle, l'annualité selon moi est quelque chose d'indispensable.
* Utiliser comme indicateurs les outils qui existent déjà
* Lancer des expérimentations pilotes dans la fonction publique, ce qui montre bien que le travail sur ce dossier est interministériel, il concerne Eric Woerth et André Santini ainsi que les différents ministères au titre de leur administration. Et bien évidemment Roselyne Bachelot sur tous les sujets liés à la santé au travail. Nous avons à coeur de travailler ensemble sur ce sujet. Lorsque j'étais ministre de la santé, je travaillais avec Gérard Larcher, j'ai l'intention de faire la même chose avec Roselyne Bachelot.
* La quatrième proposition vise à analyser le rôle des incitations dans le fonctionnement de la branche AT/MP. Je n'oublie pas la question de la transposition des accords pour laquelle il y a une mission de la Direction de la sécurité sociale en ce moment.
* Le cinquième point est l'« Autopsie psychologique » des suicides : recenser les suicides de salariés au travail et procéder à leur analyse psychosociale.
* Vous proposez en sixième point de lancer une campagne publique d'information et en septième point de mieux former les acteurs au sein de l'entreprise et renforcer leur rôle. Enfin, vous proposez de créer un portail Internet à diffusion des entreprises et des salariés pour diffuser des guides méthodologiques et des bonnes pratiques sur le modèle du site de l'agence de santé britannique.
Je voulais vous dire que j'ai bien l'intention de reprendre l'ensemble de ces propositions et de soumettre toutes ces propositions au mois d'avril à la nouvelle conférence sur les conditions de travail.
Je peux aussi vous dire comment les choses vont se passer maintenant. Je vous ai expliqué pourquoi ce rapport, ce qu'il y a dans ce rapport et maintenant ce qui va se passer.
Nous allons lancer l'enquête nationale permettant de mesurer globalement le stress en France. Les premiers résultats de cette enquête pourraient être connus début 2009 j'aurai souhaité plus tôt mais vous me dites que l'on ne peut aller plus vite car techniquement on risquerait d'oublier certains aspects.
La proposition sera soumise aux PS lors de la prochaine conférence sur les conditions de travail, que se réunira en avril prochain. Cette enquête permettra d'identifier les secteurs et les branches où le stress est supérieur à la moyenne nationale. Je veux mettre en débat l'idée que dans les branches où ce constat serait fait, la négociation soit rendue obligatoire concernant la détection et la prévention du stress. Bien mesurer là où il y a stress et dans ces branches là, proposer la mise en place d'une négociation obligatoire sur le stress. L'Insee serait mise à contribution pour la conception, en ce qui concerne la réalisation d'autres acteurs devront intervenir, je vais poursuivre la concertation afin de faire des propositions précises en avril.
Une veille épidémiologique des suicides au travail sera mise en place l'année prochaine et confiée à l'InVS, en liaison avec les services de santé au travail et la CNAMTS. Nous discuterons du calendrier le plus précis possible avec les partenaires sociaux.
Mettre au point et diffuser des outils de diagnostics, des guides méthodologiques et des exemples de bonnes pratiques, en particulier pour les TPE/PME.
Un portail Internet qui inclura un volet spécifique au stress où seront mis à disposition de tous, entrepreneurs, salariés, syndicats, médecins des guides méthodologiques, des référentiels et des exemples de bonnes pratiques et, une fois qu'elle sera réalisée, les résultats de l'enquête nationale mesurant le stress.
Je suis favorable à ce que les délégués du personnel et les CHSCT soient formés spécifiquement à la détection et à l'analyse des signaux révélateurs de RPS et à ce que le déclenchement des mécanismes d'alerte soient élargis à la prévention de ces risques.
Sur ces sujets, la balle est dans le camp des partenaires sociaux à qui j'ai demandé, à la suite de la conférence sur les conditions de travail, de lancer des négociations sur le renforcement et le rôle des CHSCT et sur les dispositifs d'alerte.
J'ai bien conscience qu'il nous faut renforcer le rôle des services de santé au travail, et mettre en place des outils de diagnostic pour les médecins du travail en vue de les sensibiliser sur le risque mental.
Des cellules de médiation ont déjà été mises en place par certains services de santé : de telles expérimentations doivent être encouragées et développées.
J'en ai bien conscience : nous devons agir en amont sur la formation des futurs dirigeants et gestionnaires du personnel C'est l'objet de la mission que j'ai confiée à William Dab qui rendra ses conclusions au début du mois mai : un référentiel commun de formation obligatoire à la santé physique et mentale au travail dans les écoles de commerce et d'ingénieurs et les formations de DRH. Nous allons travailler sur ce sujet avec Valérie Pécresse.
Vous connaissez tous des exemples de bonnes pratiques au travail pour comprendre et prévenir le stress au travail. Une Pme comme Steelcase spécialisée dans le matériel de bureau ou des grandes entreprises comme Areva et Renault. Mais il est important de comprendre que sur ce sujet si nous partons d'une feuille blanche, la volonté est là, nous mettrons en oeuvre des mesures pour faire reculer le stress au travail.
Pour cela il nous fallait ce rapport, un plan d'action qui sera présenté à la prochaine conférence sociale sur les conditions de travail. J'ai souhaité présenté ce rapport dès sa sortie mais nous allons proposer dès maintenant un groupe de suivi sur la politique de stress au travail. Nous voulons une politique coordonnée et structurée et cette conférence est un point de départ. Je crois sincèrement que la France peut se fixer comme objectif d'être au niveau des meilleurs pays en matière de lutte contre le stress d'ici deux trois ans.
Parole à Mr Légeron et Mr Nasse
Le ministre reprend la parole :
Je profite de la remise de ce rapport pour lancer un appel à toutes celles et ceux qui sur ce sujet, outre leur point de vue scientifique ou non, ont de propositions à faire en matière de lutte contre le stress. Il y a un cadre pour cette réflexion, c'est la conférence sur les conditions de travail, mais si même en dehors de cette conférence, il y a des acteurs qui ont des propositions précises pour mesurer, le prévenir, je suis preneur. Ce débat n'avait pas été mené, nous avons eu la volonté de le mener, vous l'avez fait messieurs de façon rigoureuse.
Cela va nous permettre de voir les autres contributions et j'y serai très attentif en matière de propositions et de pistes d'action.Source http://www.travail-solidarite.gouv.fr, le 14 mars 2008