Déclaration de M. Alain Joyandet, secrétaire d'Etat à la coopération et à la francophonie, sur l'aide au développement, à Tokyo le 5 avril 2008.

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Intervenant(s) : 
  • Alain Joyandet - Secrétaire d'Etat à la coopération et à la francophonie

Circonstance : Réunion des ministres de la coopération du G8, à Tokyo le 5 avril 2008

Texte intégral

Mesdames et Messieurs, Chers Collègues.

C'est un plaisir pour moi d'être parmi vous aujourd'hui, et un privilège de m'adresser à vous alors même que je suis probablement le dernier arrivé au sein de ce groupe. Je m'efforcerai donc d'utiliser la fraîcheur de mon regard de "nouvel arrivant" pour vous parler en toute franchise de la façon dont j'entrevois notre métier, et les défis qui s'y appliquent.
Mesdames et Messieurs, Chers Collègues,
L'histoire s'est accélérée au lieu de s'arrêter, contrairement aux pronostics de certains penseurs.
La planète subit de profonds bouleversements, qui affectent aussi bien le monde des donateurs de l'aide au développement que celui de ses bénéficiaires. Je voudrais proposer à votre réflexion quelques constats et quelques implications de ces changements.

Permettez-moi d'abord de brosser rapidement le fond du tableau :

  • Les poids relatifs du Nord, du Sud et de l'Est dans la population et l'économie mondiale changent : l'ancien monde développé représente une fraction décroissante de l'ensemble, et cette tendance - qui, au regard de l'histoire longue, n'est finalement qu'un retour à la normale - est appelée à se poursuivre. Cette redistribution des cartes ne nous inquiète pas en tant que telle. Je rappellerai cependant que la croissance de la population est un défi, tout particulièrement dans les milieux fragiles que l'on rencontre beaucoup en Afrique.
  • Les pays du sud ont changé à des rythmes différents. Le concept de tiers monde, imaginé par le Français Alfred Sauvy, et l'apparente unité de situation qu'il sous-tendait, appartient largement au passé. Des pays les plus pauvres aux plus riches, il existe un continuum de situations qui rend peu pertinent le classement des Etats en groupes figes, au rôle défini pour longtemps : la volonté d'ouverture du G8 que nous partageons, et le dialogue renforcé de l'OCDE sont là pour en témoigner.
  • Les lignes de fracture sont de moins en moins entre Etats et de plus en plus au sein de chaque Etat. Le creusement des inégalités et la prévention des fractures sociales doivent interpeller tous les gouvernements de la planète.
  • Les données même de la souveraineté, par ailleurs, changent. Les Etats s'insèrent dans un ensemble encore hétéroclite d'institutions mondiales et régionales auxquelles ils délèguent des pans entiers de leur souveraineté. La gouvernance de ce dispositif mondial est encore en chantier. C'est une priorité collective que de construire une régulation du capitalisme mondial, capitalisme qui ne doit écraser ni les peuples ni les individus. Je dis bien collective, car isolés, les Etats ont de moins en moins de poids face aux forces économiques. La crise financière mondiale qui frappe à nos portes en témoigne, hélas. En matière d'action collective, vous me permettrez de rendre grâce aux pères fondateurs de l'Europe, qui ont été jadis à ce sujet des visionnaires, dont le combat peut nous inspirer aujourd'hui.

Quelles conséquences pour ce qui nous réunit à Tokyo, l'aide au développement, et tout particulièrement l'aide au développement de l'Afrique, dont je ne saurais trop souligner qu'elle est au coeur des préoccupations de tous. Je salue à cet égard l'organisation prochaine par nos hôtes et amis japonais de la TICAD, à laquelle nous participerons activement.

  • Plaçons-nous en premier lieu du côté des financeurs.

L'origine des flux de capitaux vers les pays en développement s'est beaucoup diversifiée.
Cette diversification concerne d'abord l'origine géographique des flux de capitaux. Il est bien connu que les pays émergents sont des investisseurs majeurs au sud, et occupent une place croissante en matière d'aide au développement.
La diversification concerne également le statut des apporteurs de capitaux : Etats, collectivités locales, entreprises, fondations privées, ONG et migrants.
Dans ce domaine moins connu de l'opinion publique, vous m'autoriserez à citer trois chiffres très révélateurs : en comparaison des 100 milliards de l'aide au développement, les transferts des organisations de la société civile sont estimés à 40 milliards, tandis que les transferts des migrants sont pour leur part estimés à 300 milliards de dollars.

  • Plaçons-nous maintenant du côté des bénéficiaires :

Les pays bénéficiaires qui ont besoin d'apports de toute nature sont extraordinairement différenciés, allant des pays en crise humanitaire aux pays émergents à croissance enviable.
En matière d'investissement privé international, les flux sont très inégaux selon les régions, et bénéficient insuffisamment à l'Afrique malgré une forte croissance d'investissements encore trop concentrés sur l'exploitation des matières premières.
En matière d'aide publique au développement, les montants sont également très différenciés, puisque 33 pays en développement reçoivent les 2/3 de l'aide programmable, tandis que 122 pays se partagent le dernier tiers et constituent ce qu'on appelle les "orphelins de l'aide".
Pourtant, dans ce monde qui bouge à une vitesse croissante, l'aide au développement évolue encore trop lentement, malgré une prise de conscience majeure dont témoigne la conférence de Paris sur l'efficacité de l'aide.

Quelles pistes d'action ?
La diversité des apporteurs d'aide est une chance ; elle ne doit toutefois pas déboucher sur une concurrence mal comprise, dont les pays pauvres seraient les premières victimes. Ce ne serait pas rendre service aux jeunes africains que de surendetter leur pays pour des projets peu respectueux de leur société et de leur environnement. Ce sont eux qui en paieraient le prix, et ceci très rapidement.
Nous disposons de plusieurs mécanismes pour discuter de l'aide et du financement du développement, notamment au CAD de l'OCDE et aux Nations unies. Il est important que tous les acteurs, et notamment les pays émergents participent de ces mécanismes, quitte à discuter les règles qui ne sont pas immuables. A cet égard, la France a proposé que des pays émergents, dans le cadre du processus de Heiligendam, participent au Forum pour le Partenariat avec l'Afrique, enceinte d'esprit informel dans laquelle les représentants personnels des chefs d'Etat ou de gouvernement des pays du G8 se réunissent avec les représentants pays ou d'institutions africaines pour faire avancer les dossiers de l'aide.
Sur le fond, nous invitons les pays émergents à se rapprocher des bonnes pratiques internationales en matière de déclaration et de déliement de l'aide, comme en matière de respect des normes sociales et environnementales. Nous les invitons également à inscrire leur action dans le respect du cadre de soutenabilité de la dette élaborée par la Banque mondiale et le FMI, deux institutions au sein desquelles ils bénéficient de prérogatives et donc de responsabilités croissantes.
Seconde piste, apprenons aux organismes publics d'aide, aux fondations privées, aux entreprises et aux institutions financières à travailler ensemble. L'initiative pour la croissance en Afrique annoncée par le président Sarkozy au Cap, répond à cette préoccupation majeure : un organisme public, Agence française de Développement, a élaboré ou renforcé des outils qui doivent inciter les banques à financer les entreprises africaines, notamment les PME, et qui doivent inciter les investisseurs de toutes origines à prendre des participations en Afrique.
Chers Collègues, soyons modestes : l'aide publique ne peut pas tout à elle seule. Elle peut en revanche servir d'aiguillon, de levier, ou d'apporteur de savoir-faire pour les nouveaux acteurs qui en sont demandeurs.
Troisième piste enfin, faire en sorte que la "boîte à outils" de nos instruments de développement nous permette de r??pondre avec souplesse aux besoins spécifiques de chaque pays. Il n'existe pas une réponse universelle aux besoins du développement et nos outils sont trop peu variés pour nous adapter avec flexibilité aux besoins de nos partenaires. Adaptons nos outils, notamment à la situation des Etats fragiles qui doivent retenir toute notre attention. Enfin, évitons les modes qui ont trop souvent affecté le monde de l'aide au développement, et par exemple ne passons pas du "tout aide projet" au "tout aide budgétaire". La déclaration de Paris, il n'est pas inutile de le rappeler, inaugure un processus d'évolution vers l'aide budgétaire gradué selon la situation des pays et, en cela, répond bien au souci de flexibilité qui doit être le nôtre.
Je vous remercie de votre attention et soumet bien volontiers mes propositions au débat, et tout particulièrement à l'appréciation des pays émergents invités, en conformité avec la volonté d'implication de ces pays dans la construction de la gouvernance mondiale ; cette volonté est, vous le savez, un axe fondamental de la politique étrangère du président Sarkozy.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 avril 2008