Texte intégral
Il est très important pour moi d'ouvrir les travaux de cette conférence des Echos sur la dépendance. Ce sujet représente à mes yeux l'un des principaux défis du XXIe siècle : Parce que le grand âge touchera une population de plus en plus nombreuse en France : le nombre de personnes âgées de plus de 85 ans devrait passer de 1,3 millions aujourd'hui à plus de 2 millions en 2015. Et 2015, c'est demain.
Parce que la conséquence de cette tendance démographique, c'est qu'un nombre croissant de familles vont devoir relever le défi de la dépendance. La perte d'autonomie d'un proche touche en effet la famille tout entière. Actifs ou retraités, tous sont amenés quand il le faut à s'organiser, d'abord pour parer au plus urgent, puis pour trouver des solutions durables. La dépendance, c'est aussi et avant tout la question des aidants familiaux. Depuis 30 ans, gauche et droite confondus, nous n'avons pas suffisamment pris la mesure de ce phénomène.
Aussi le Président de la République a-t-il décidé que la prise en charge de la dépendance serait un axe fort de son action et de celle du Gouvernement.
I. Et de fait, à nouvelle démographie, nouveaux besoins
Nous devons d'abord, bien sûr, anticiper la croissance du nombre de personnes âgées dépendantes : pour l'APA notamment, les bénéficiaires étaient 1 million début 2007, ils devraient être entre 150 000 et 300 000 de plus en 2012. Cela veut dire que nous devrons mobiliser davantage de financements ne serait-ce que pour conserver notre niveau de couverture actuel. Nous devons aussi prendre en compte la volonté de nos concitoyens de rester à domicile le plus longtemps possible. Le libre choix entre domicile et établissement, le Gouvernement en fait une priorité, c'est une question de dignité. Cela passe par un développement des formules de répit (accueils de jour, hébergement temporaire) mais aussi par une réforme des prestations de compensation. Et pour ceux qui ne veulent plus ou ne peuvent plus rester à domicile, il nous faut inventer la maison de retraite de demain. Cette maison de retraite, on devrait pouvoir la trouver près de chez soi, dans des délais raisonnables. Elle devra aussi être suffisamment médicalisée. Mon objectif est que les taux d'encadrement de personnels au chevet de la personne soient alignés sur les meilleurs standards internationaux, de façon à éviter ainsi toutes les situations de maltraitance. Surtout, les sommes laissées à la charge des familles devront être maintenues à un niveau raisonnable. Pour répondre à ces objectifs, le Gouvernement souhaite lancer une réforme de grande envergure, celle du cinquième risque de la protection sociale en faveur de l'autonomie, qu'il s'agisse de la perte d'autonomie liée à l'âge ou au handicap.
II. Pourquoi mettre en place un « cinquième risque » de la protection sociale ?
Permettez-moi d'abord de vous préciser le périmètre de ce que j'entends par « cinquième risque ». Aujourd'hui, l'action en faveur de l'autonomie dans ses différentes dimensions - grand âge, handicap - mobilise autour de 19 milliards d'euros par an. Cet effort n'emprunte pas un canal unique, mais c'est un « panier » de prestations et de services que se voient proposer les personnes en situation de perte d'autonomie, fournis par des acteurs divers.
Il s'agit d'abord des prestations de santé, financées essentiellement par l'assurance maladie, qui jouent un rôle essentiel dans la prise en charge des personnes dans les établissements et services médico-sociaux. Les médecins-coordonateurs dans les maisons de retraites, les aides soignantes, les services de soins infirmiers à domicile, les soins dispensés dans les établissements et services dédiés au handicap, toutes ces interventions marquent la proximité du champ de la dépendance, du cinquième risque, avec celui de la santé. Notre effort en ce domaine est allé croissant ces dernières années. La loi de financement de la Sécurité sociale pour 2008, que j'ai soutenue au Parlement, accélère la tendance : les crédits consacrés au grand âge progressent de 11% cette année, ce qui nous permet notamment de créer davantage de places de maisons de retraites que nous n'en avions prévu (7 500 au lieu de 5 000) ainsi que de mieux prendre en compte la maladie d'Alzheimer.
Il s'agit ensuite des prestations de compensation de la perte d'autonomie, c'est-à-dire l'APA pour la dépendance liée à l'âge. Ainsi, le périmètre du cinquième risque a deux dimensions dans notre esprit : d'une part le soin, d'autre part les prestations en faveur de l'autonomie - APA pour le grand âge, PCH pour le handicap -. Pourquoi cette formule « cinquième risque » et la nécessité d'une réforme ? Parce qu'il s'agit bien d'un risque social nouveau : notre système de Sécurité sociale mis en place en 1945, et les quatre risques qui le constituent - maladie, accidents du travail, famille, vieillesse - n'apportent pas aujourd'hui de réponse adaptée au défi social de la perte d'autonomie ;
entre les prestations liées à l'état de santé (assurance maladie ou accidents du travail) et celles liées à une perte de revenu (retraites, chômage, invalidité, minima sociaux), il y a bien la place pour un nouveau champ de la protection sociale dont le but est de compenser les restrictions dans la réalisation des activités de la vie quotidienne et de la vie sociale. Ce projet de réforme, vous comprendrez que je ne puisse vous en préciser ce matin tous les détails. La réflexion du Gouvernement doit encore s'enrichir de la concertation qui s'ouvrira bientôt avec l'ensemble des acteurs concernés. Il m'importe néanmoins de vous présenter ce que je considère, avec Xavier Bertrand, comme les principales questions à résoudre - questions qui rejoignent de nombreuses thématiques qui sont abordées lors des ateliers de travail de cette conférence :
A) En ce qui concerne, en premier lieu, les prestations de compensation de la perte d'autonomie, nous devons nous interroger sur le périmètre des services pris en charge, sur le « panier de biens et services ». A domicile, l'APA ne pourrait-elle pas mieux prendre en charge l'aménagement du logement ainsi que certaines aides techniques, dans la lignée du Plan Alzheimer ? Je note avec intérêt que vous avez débattu ce matin de ce sujet avec le Président JUVIN, fin connaisseur de ces questions. En maison de retraite, les prestations prises en charge pourraient de la même façon être revues : on peut se poser la question de savoir pourquoi les aides-soignantes y sont financées à hauteur de 70% seulement par l'assurance maladie, contrairement à l'ensemble des autres établissements et services où elles interviennent ? Libérées du financement des personnels soignants, les aides à la dépendance pourraient être redéployées vers d'autres prestations liées à la dépendance, pour soulager le reste à charge des familles.
B) Deuxièmement, en matière de financement, nous ne pouvons faire l'économie d'une réflexion sur les places respectives de la prévoyance individuelle et collective, de la responsabilité individuelle et de la solidarité nationale.
La journée de solidarité instaurée en 2004 a permis de mobiliser d'importants financements en faveur de l'autonomie. Elle doit être aujourd'hui confortée dans ses modalités d'applications - c'est pourquoi Xavier Bertrand défendra cet après-midi à l'Assemblée nationale la proposition de loi Leonetti visant à en assouplir la mise en oeuvre. Mais il nous faut aller plus loin.
Le Président de la République a appelé à prendre en compte de manière plus juste les capacités contributives des personnes, notamment leur patrimoine. Peut-on prendre en compte le fait que les générations qui seront dépendantes dans les 20 prochaines années seront globalement mieux dotées en patrimoine que les générations qui les ont précédé ou qui vont leur succéder ?
Surtout, il faut aborder sans tabou la question de la prévoyance individuelle et collective. Le risque de perte d'autonomie liée à l'âge présente en effet certaines caractéristiques dont nous devons tenir compte : par définition, c'est un risque qui intervient tard dans la vie ; c'est également un risque qui peut être anticipé individuellement. Les Français en ont de plus en plus conscience, ce qui va favoriser les comportements d'épargne et de prévoyance. Les organismes de prévoyance - assurances, mutuelles, institutions de prévoyance - ont d'ores et déjà développé une offre en matière de dépendance. Il faut la développer si nous voulons véritablement répondre aux enjeux, et je suis sûr que le débat que vous aurez tout à l'heure avec les représentants de la FFSA [Gérard de LA MARTINIERE], de la Mutualité Française ou des institutions de prévoyance [Guillaume SARKOZY] permettront de dégager des pistes intéressantes.
C) En troisième lieu, il nous faut repenser la gouvernance du système. Le cinquième risque doit-il reproduire les schémas d'organisation des autres risques de sécurité sociale ? Je ne le crois pas. A risque nouveau, gouvernance nouvelle.
La gouvernance du cinquième risque doit reposer sur, le modèle original d'une gestion décentralisée et d'une agence nationale. Les conseils généraux, d'une part, apportent leur expertise et leur proximité. L'agence nationale, dont la CNSA constituerait la préfiguration, serait chargée de la péréquation, de l'animation et de l'information. Ce modèle émerge progressivement depuis 2004, je veux lui donner sa pleine légitimité. Par ailleurs, la mise en place des futures agences régionales de santé (ARS) doit être l'occasion de mener une démarche réellement cloisonnée entre l'hôpital, la médecine de ville et le médico-social. Avec Roselyne BACHELOT, je veillerai particulièrement à ce que cette réforme de structure s'accompagne d'une ambitieuse politique de recomposition de l'offre de soins sur le territoire.
L'organisation locale doit également être adaptée pour replacer la personne en perte d'autonomie au centre des dispositifs publics, et davantage coordonner les interventions diverses. C'est l'une des ambitions principales du Plan Alzheimer que de favoriser l'émergence de lieux de coordination et de gestionnaires uniques de patients atteints de la maladie d'Alzheimer.
D) Enfin, il nous faut mettre en oeuvre des mesures d'accompagnement en direction des personnels qui seront la cheville ouvrière du cinquième risque. C'est l'objet du plan métiers que je pilote, et je note que cette problématique sera au coeur de vos réflexions cet après-midi. III. Je voudrais conclure en vous indiquant la méthode que j'envisage pour la réforme du cinquième risque : Nous avons écrit avec Xavier Bertrand aux membres du conseil de la CNSA (partenaires sociaux, conseils généraux, associations) pour leur proposer de lancer la concertation dans les semaines qui viennent. Je sais que ces derniers ont déjà beaucoup réfléchi à la question, comme le reflète le rapport du Conseil de la CNSA qui nous a été remis en novembre dernier, et qui fournira une base très utile pour nos discussions.
Le directeur de la CNSA, Denis PIVETEAU, a dû vous en rappeler tout l'heure les principaux axes.
Cette concertation devrait permettre au Gouvernement d'élaborer un projet de loi qui devrait être présenté au Parlement dans les mois qui viennent afin d'entrer en vigueur en 2009, comme en a décidé le Président de la République lors de l'élaboration de l'agenda social 2008 avec les partenaires sociaux.
Je veux également réaffirmer ici notre conviction : nous voulons mettre en place le cinquième risque car nous croyons à la solidarité nationale. Aujourd'hui, avec la mise en place du 5e risque, nous nous proposons rien moins que d'adapter aux nouveaux besoins de la France du XXIe siècle les idéaux qui ont présidé à la naissance du modèle social français. C'est donc bien à une refondation de la France solidaire que vous êtes appelés à réfléchir aujourd'hui.
Je vous remercie.Source http://www.travail-solidarite.gouv.fr, le 10 avril 2008