Interview de M. Hervé Morin, ministre de la défense, à RMC le 15 avril 2008, notamment sur le plan de restructuration des armées.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

 
J.-J. Bourdin.- H. Morin, bonjour !
 
R.- Bonjour !
 
Q.- Merci d'être avec nous ce matin, bravo d'abord aux Forces spéciales françaises qui ont réussi leur coup, si je puis dire avec le "Ponant".
 
R.- Oui, je leur ai envoyé un message hier soir et je leur ai dit que les Français étaient très fiers d'eux. Moi c'est vraiment ce que j'ai entendu, partout, ce week-end. Mes amis, les gens que j'ai rencontrés dans la rue, me disant : c'est bien ce qu'a fait l'armée française, c'est formidable. Parce que vous voyez, on a eu en permanence cette double idée : la première bien entendu, la sécurité des otages, faire en sorte que l'on récupère saine et sauve la totalité de l'équipage ; et, deuxième élément, faire, en sorte que cela ne soit pas impuni. Et la volonté du président de la République a été celle-ci : d'abord et avant tout on fait attention et on fait en sorte qu'on prenne toutes les précautions pour que les otages reviennent sains et saufs en France. Mais en même temps, on va essayer de faire en sorte que les pirates puissent rendre des comptes à la justice et cela a été le cas.
 
Q.- Six d'entre eux sont aux mains de la Marine française. Qu'est-ce qu'on va en faire ?
 
R.- L'idée c'est de les faire juger par la justice française, dans le cadre d'une procédure judiciaire.
 
Q.- Oui, on va tout faire pour ça ?
 
R.- Bien sûr !
 
Q.- Bien, est-ce que certains pirates ont été tués dans l'opération ?
 
R.- Absolument pas, tout ça ce sont des histoires...
 
Q.- Et la rançon versée, est-ce qu'on en a récupéré une partie ?
 
R.- En effet, on a retrouvé une partie d'argent. Pour tout vous dire, il y avait de l'argent de toutes monnaies, donc, il doit y avoir d'anciens comptes aussi, j'ai l'impression. Mais c'est à la procédure judiciaire de nous en dire un peu plus.
 
Q.- Vous avez récupéré pour combien d'argent ?
 
R.- Je ne sais pas !
 
Q.- Vous avez récupéré un peu d'argent quand même de la rançon, je crois que c'est 2 millions qui ont été versés, mais enfin, peu importe !
 
R.- On a récupéré de l'argent de monnaies différentes et donc, on ne sait pas trop d'où tout cela vient, mais enfin ce n'est pas très grave ?
 
Q.- Bien, autre chose, on va parler évidemment, évidemment du sujet essentiel, c'est la Défense et des réductions de postes, je pense. Mais je voudrais dire un mot des gendarmes. Hier matin, nous avons plusieurs gendarmes qui ont témoigné sur RMC, ils le font régulièrement pour se plaindre de leurs conditions de travail. Et ils ont lancé un site, vous le savez, ils demandent la création d'une association, ils ont créé une association « Liberté d'expression ». Qu'est-ce que vous leur dites ce matin ?
 
R.- Je leur dis deux choses : la première c'est que les gendarmes souhaitent conserver le statut militaire ; nous souhaitons que les gendarmes soient des militaires. Nous pensons que nous avons besoin de deux forces de sécurité dans le pays, une civile, une militaire. L'objectif de la réforme que nous mettons en place c'est en effet de transférer la totalité du budget de la gendarmerie au ministère de l'Intérieur, pour qu'il y ait une vraie synergie entre la police et la gendarmerie. Puisque vous savez que depuis 2003, les gendarmes sont sous l'autorité fonctionnelle du ministère de l'Intérieur. Je leur dis, cependant, quand on a le statut militaire, on est tenu aux obligations du statut militaire et donc à l'obligation de réserve.
 
Q.- Donc taisez vous !
 
R.- Il y a des moyens de concertation, il y a des moyens d'expression, mais, notamment l'idée, éventuellement d'organisation collective, équivalente à celle de syndicat, est quelque chose qui n'est pas concevable avec le statut militaire.
 
Q.- Mais ils demandent quand même une liberté d'expression. Dans notre monde, franchement, leur accorder une liberté d'expression plus large, n'est-ce pas une ouverture ? Puisque l'on parle beaucoup d'ouverture, H. Morin ?
 
R.- Oui, mais il y a des instance de concertation au sein du ministère de la Défense, il y a notamment ce qu'on appelle le Conseil supérieur de la fonction militaire. Ce Conseil supérieur est démembré en Conseil de la fonction militaire, armée par armée et la gendarmerie a la sienne. Nous sommes en train de modifier les conditions de la concertation, puisqu'il y a en effet des choses à améliorer. Mais je vous rappelle qu'il y a une règle de base, c'est que le statut militaire et les syndicats, cela ne va pas ensemble.
 
Q.- Mais il ne s'agit pas de créer un syndicat, il s'agit de créer une plus grande liberté d'expression. Est-ce que vous allez sanctionner d'ailleurs les gendarmes qui sont à l'origine de cette association ? Une enquête va être conduite ?
 
R.- Non, pour l'instant les statuts de l'association ne sont pas déposés. Donc nous allons voir tout ça.
 
Q.- Et s'ils sont déposés, vous les sanctionnerez ?
 
R.- Non, on va voir ce qu'il y a dans l'association, quel est l'objet ?
 
Q.- Bien, le plan de restructuration des armées : 42 000 emplois supprimés en sept ans, c'est ça, 6 000 par an.
 
R.- 6 000 par an, c'est ce que je ne cesse de dire depuis des semaines et des semaines. Nous avons, au ministère de la Défense, la même obligation que l'ensemble des administrations d'Etat, ni plus, ni moins. Cette obligation, c'est une obligation gouvernementale, c'est le non remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. Pour nous, cela représente 6.000 personnes par an, mais il n'y a ni quota, ni objectif chiffré. Mon objectif, il est simple, c'est de faire en sorte que nous ayons un système plus efficace, plus mutualisé, plus "inter armisé" pour faire en sorte que l'on supprime les doublons et les duplications de service dans toute l'administration générale et le soutien - et de faire en sorte que ce système nous dégage des marges de manoeuvre dont nous avons besoin pour deux choses : l'équipement des forces et l'amélioration de la condition du personnel. Nous avons, la Défense a fait une réforme colossale qui a été la professionnalisation. Cette professionnalisation nous a amenés à nous préoccuper des forces opérationnelles, des régiments opérationnels. Mais nous n'avons pas repensé notre organisation, qui pour l'essentiel date du 19ème siècle. Et donc, ce que nous faisons maintenant, c'est tirer les conséquences de la professionnalisation pour avoir un système d'administration générale et de soutien qui marche mieux, qui soit plus efficace. Et nous devons le faire pour deux raisons : une raison citoyenne, c'est celle de faire en sorte que même si nous n'avions pas besoin de financer nos équipements, eh bien de faire en sorte que chaque euro soit bien dépensé. Cela me semble, j'allais dire dans la nature des choses et la deuxième chose, c'est que nous sommes en train de renouveler tous nos équipements militaires. Les frégates, les sous-marins, nous continuons à moderniser nos dissuasions, le Rafale, l'A400M, le NH90, le Tigre, les blindés, le VBCI. Bref, nous avons tous nos équipements en cours de renouvellement et nous avons besoin de deux à trois milliards d'euros supplémentaires en équipement. Donc, en maintenant notre effort de défense, comme nous le maintenons aujourd'hui, cela ne suffit pas pour financer les équipements. Et nous devons trouvez en nous-même des marges de manoeuvre sur l'administration générale et le soutien. J'allais vous dire une dernière chose, si vous me le permettez.
 
Q.- Allez-y !
 
R.- Une défense doit en permanence s'adapter. Nous avons connu dans l'histoire, lourdement - la Nation l'a payé en 1940 ; quand le général de Gaulle écrivait en 1932 « Le fil de l'épée », nous on était encore en train de faire la Ligne Maginot. Le général de Gaulle disait : ce sont des guerres de mouvement qui vont maintenant exister et nous on faisait la Ligne Maginot. On l'a payé avec l'effondrement que nous avons connu en 1940. En permanence, un outil de défense doit s'adapter aux risques et aux menaces. Et on ne peut pas traiter les risques et les menaces, ...
 
Q.- Cela veut dire qu'aujourd'hui, on est sous les risques et sous la menace H. Morin. C'est dramatique !
 
R.- On ne peut pas traiter de la même façon le risque de la prolifération nucléaire, dont on voit bien que c'est un risque à moyen terme. On ne peut pas traiter de la même façon les risques liés au terrorisme à grande échelle, que ce que nous avons fait il y a vingt ou vingt cinq ans.
 
Q.- Alors H. Morin, soyons concrets, puisque vous parlez de 3 milliards d'euros, il faut faire 3 milliards d'euros d'économies, j'ai bien compris...
 
R.- 2 milliards, entre 2 et 3.
 
Q.- Bon, trois milliards, c'est le coût d'un porte-avions, eh oui, attendez, c'est le coût d'un porte-avions trois milliards !
 
R.- Oui, un peu plus même, c'est plutôt 3,7 milliards, 3,8 milliards.
 
Q.- Cela veut dire qu'on l'oublie le porte-avions.
 
R.- Ecoutez, le président de la République n'a pas arbitré cette question. Laissez-lui encore quelques semaines et vous m'inviterez - parce que j'ai remarqué qu'à chaque fois que je viens ici, vous me posez la question. Et donc je vous promets une chose, c'est que le jour où le président de la République l'aura arbitré et que nous serons en mesure de pouvoir vous l'annoncer, eh bien je viendrai devant vous pour pouvoir vous en parler !
 
Q.- Eh bien moi je prends les paris, tiens, aujourd'hui, qu'on ne construira pas le troisième porte-avions ?
 
R.- Non, ce n'est que le deuxième là !
 
Q.- Le deuxième porte-avions, on prend les paris ?
 
R.- Eh bien écoutez, vous verrez !
 
Q.- On verra, bon on verra qui l'emporte. H. Morin, j'ai d'autres questions. C'est vrai que l'armée française, vous avez raison, elle est peut-être mal organisée, à vous entendre, elle n'est pas forcément efficace. Vous savez ce qu'elle a ?
 
R.- Non, non, elle est efficace, elle a des forces opérationnelles extraordinaires. Et il lui faut...
 
Q.- Et le reste, le reste, ce n'est pas terrible quoi !
 
R.- Non, on a une structure qui est une structure héritée d'un système que nous devons adapter à la professionnalisation.
 
Q.- Mais elle a trop de galons, vous le savez bien, il y a trop de cadres. Qui vous dit ça ? Mais les enquêtes, tout le monde le sait que l'armée française est l'armée du monde où il y a le plus de galons.
 
R.- Eh bien, non, j'ai fait vérifier cela, et alors si vous prenez les généraux.
 
Q.- Oui, je ne parle pas que des généraux, moi.
 
R.- Oui, mais les généraux, ils ont été colonels avant etc. Sur les généraux, nous sommes au même ratio que les Britanniques et nous sommes en effet un peu plus élevés que les Allemands. Mais nous sommes au même niveau que les Britanniques et l'armée,
 
Q.- Oui, mais si on descend dans la hiérarchie, H. Morin ?
 
R.- Non, parce que tout ça est assez... il y a une espèce de fil de l'eau.
 
Q.- Non, franchement, il n'y a pas trop de galons dans cette armée, enfin. Donc, qui va partir, qui va partir, des civils, des militaires ? Quels sont les postes qui ne seront pas remplacés ?
 
R.- Ecoutez les postes... Comme je vous l'ai dit, nous sommes en train de réfléchir à l'organisation de l'administration générale et du soutien. Je vais prendre un exemple pour faire simple. Balard : nous allons faire un Pentagone à la française, nous allons faire en sorte que dans notre ministère, tout le monde travaille ensemble. Que nous ayons une organisation collective, collégiale, autour du ministre, le ministre déménagera aussi à Balard, nous serons donc à côté de chez vous.
 
Q.-  Nous serons voisins, c'est très bien !
 
R.- Et donc notre idée c'est de faire en sorte qu'au lieu d'avoir des services qui existent dans chaque état major. Parce que chacun veut pouvoir, en quelque sorte avoir ses propres services, nous allons faire en sorte d'avoir un système mutualisé avec des services communs qui nous permettent de travailler ensemble.
 
Q.- Ça c'est bien.
 
R.- Cela va nous permettre sur l'administration centrale de faire à peu près 25 à 30 % d'économie de postes. Nous n'allons pas dégrader le service, mais nous allons faire en sorte que l'on travaille ensemble et collectivement avec une idée simple : nous appartenons à la même communauté, nous sommes passionnés par la même institution et nous voulons travailler ensemble.
 
Q.- Bien, H. Morin, j'ai encore deux ou trois questions sur ces suppressions de postes et notamment sur l'éventuelle fermeture de casernes, nous en parlons dans deux minutes, après la pub.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 15 avril 2008