Texte intégral
Monsieur le Grand Rabbin de France,
Messieurs les Grands Rabbins et Rabbins,
Monsieur le Président du Consistoire central,
Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs,
C'est avec une émotion très profonde que je prends aujourd'hui la parole, dans cette grande synagogue de la rue de la Victoire.
Depuis près de 140 ans, la communauté juive française se rassemble ici, dans la célébration mais aussi dans l'épreuve.
Je mesure l'honneur que vous me faites, en invitant pour la première fois un Premier ministre à s'exprimer en ces lieux.
A travers moi, c'est toute la République qui répond à votre confiance.
Elle y répond dans une circonstance heureuse, puisqu'il s'agit de célébrer le bicentenaire de la création des institutions consistoriales, par les décrets du 17 mars 1808.
Ceux-ci s'inscrivent, et je crois qu'il n'est pas inutile de le rappeler, dans le processus d'émancipation des Juifs de France ; dans le droit fil de la déclaration des Droits de l'homme et du citoyen ; dans un processus qui a trouvé son aboutissement le 27 septembre 1791, lorsque la Constituante a mis fin au régime discriminatoire imposé aux Juifs depuis des siècles.
Par ce vote historique, les Juifs français devenaient des citoyens de plein droit, c'est-à-dire des Français à part entière, sans dépouiller l'immense héritage de leur spiritualité.
Cette émancipation ne s'est pas faite sans difficulté, elle n'était pas dépourvue d'ambiguïté.
Aux yeux de ses promoteurs, elle devait en effet entraîner la suppression de tout particularisme. C'était l'esprit de la Révolution que de refuser toutes les corporations, tous les corps intermédiaires. La singularité religieuse était vouée à se dissoudre dans la citoyenneté.
La laïcité n'avait pas encore le visage que nous lui connaissons ; mais un pas décisif avait été franchi. Contraints d'affronter la question de l'intégration, avec toute sa complexité, les Juifs de France entraient à travers elle dans la modernité politique.
Pour mieux définir et renforcer la relation entre nation et judaïsme, Napoléon - qui n'était pas à l'abri des préjugés de son temps - convoqua le Grand Sanhédrin en 1806, puis la réunion des grands rabbins en 1807. Nous avons fêté l'année dernière le bicentenaire de cette assemblée, dont les décisions se révélèrent décisives. Le Grand Sanhédrin affirma en effet avec force qu'il n'y avait pas d'incompatibilité entre la fidélité à la loi mosaïque et les devoirs de citoyens français.
L'année suivante, la création, par décret impérial, des Consistoires israélites de France tranche de manière définitive le noeud gordien en donnant toute sa consistance au principe de liberté religieuse affirmé en 1789.
Cette décision concilie égalité civile et liberté confessionnelle.
Elle structure les communautés.
Elle donne - et c'est peut-être là le plus important - son unité à la communauté juive sans nier sa diversité régionale.
Les communautés sont ainsi dotées d'un cadre légal, comprenant une structure centralisée et des consistoires locaux.
Certes, ce système consistorial a été profondément transformé.
Certes, il n'exerce plus les fonctions de police que lui assignaient les décrets de 1808.
Certes, la loi de 1905 a mis fin au régime concordataire des cultes reconnus.
Mais le consistoire n'en constitue pas moins, aujourd'hui, la plus vieille institution représentative juive d'Europe.
Du grand rabbin David Sintzheim, son premier président, jusqu'à Jean Kahn, à qui je veux rendre un hommage tout particulier ce soir, son efficacité ne s'est jamais démentie.
Mesdames et messieurs,
Nos consistoires ont permis l'insertion des juifs français dans le cadre politique et civil du pays sans reniement de leur foi.
Ils ont constitué la matrice de ce franco-judaïsme admiré de l'Europe entière et qu'évoque la célèbre formule des juifs d'Europe de l'Est et d'Allemagne, qu'évoquait à l'instant J. Kahn lorsqu'il disait "heureux comme Dieu en France".
Les figures de l'intégration juive sont grandes, très grandes.
Celle d'Adolphe Crémieux, ancien président du Consistoire central, qui par un décret d'octobre 1870, reconnut collectivement la nationalité française aux Juifs d'Algérie.
Celle de Léon Blum, premier président du Conseil d'origine juive, mais aussi littérateur, juriste, opposant infatigable et généreux aux injustices de son siècle.
Celles des penseurs : Durkheim, le père de la sociologie ; Bernard Lazare, le premier dreyfusard avec Zadoc Kahn, le grand rabbin de l'époque ; Edmond Fleg, l'essayiste et romancier, fondateur de l'amitié judéo-chrétienne de France, qui a donné son nom à votre centre pour les étudiants, que vous avez récemment inauguré.
Celle d'Alain de Rothschild, prisonnier de guerre, président du Consistoire de Paris puis du Consistoire central, héritier de cette grande famille qui a tant donné à la France et au judaïsme et qui continue à le faire.
Et bien entendu, la figure du grand rabbin Jacob Kaplan, deux fois croix de guerre, résistant, grand-croix de la Légion d'honneur, membre de l'académie des Sciences morales et politiques, artisan de la réconciliation entre juifs et chrétiens.
Le grand rabbin Kaplan n'est pas seulement l'emblème de la participation des juifs à la vie de l'esprit, de la société et des institutions.
Il symbolise également l'attachement indéfectible des juifs de France à notre patrie commune, à son sol et à ses valeurs.
Sous l'Ancien régime, tous les Juifs installés en France étaient présumés étrangers : Allemands à l'Est, Portugais ou Espagnols au sud. Alors même que le judaïsme était enraciné en France depuis deux mille ans !
Et pourtant, depuis des siècles, les Juifs de France se voulaient et étaient passionnément français.
Ce patriotisme s'est durement éprouvé sur les fronts de 14-18, quand tant de soldats et d'officiers juifs sont tombés pour la France. A quelques mètres de nous, ces plaques de granit gris rendent hommage au sacrifice des enfants de la communauté juive de Paris, ces enfants de France.
Le patriotisme de la communauté juive n'a jamais fléchi. Malgré certains préjugés et devant les vexations qu'une partie de la société française lui opposa en plusieurs circonstances, l'amour de la France ne s'est jamais épuisé.
Nous connaissons tous le colonel Alfred Dreyfus, victime de la fureur antisémite.
Mais peut-être connaissons-nous moins son fils Pierre, ses neveux Emile, Maurice et Charles.
Moins de dix ans après la réhabilitation de Dreyfus, ces jeunes gens étaient engagés dans l'armée française - celle-là même qui avait accablé et proscrit leur parent. Ils se montrèrent fidèles à la nation et à la République. Ils gagnèrent le front. Trois des quatre y moururent. Je rends l'hommage le plus solennel à ces hommes de courage et de foi qui n'ont jamais douté de la République.
Je vous rends hommage, à vous qui n'oubliez pas que la République a restauré les juifs dans leur pleine dignité de citoyens, et qui continuez à vous reconnaître en elle, dans la confiance et dans l'honneur, malgré les pages les plus sombres de son histoire !
Cette confiance dans la République, mesurons-la à l'aune d'un seul chiffre : en Europe, après la Seconde guerre mondiale, la communauté juive de France est la seule à avoir cru en nombre et en vigueur.
La création d'Israël, qui fête cette année ses 60 ans, a pu susciter de nouveaux attachements, de nouveaux espoirs : elle n'a pas rompu la fidélité qui attache à notre sol la communauté juive de France.
La France s'honore d'accueillir aujourd'hui, avec plus de 600 000 personnes, la première communauté juive d'Europe.
Sur cette communauté, diverse, multiple, le Consistoire central ne cesse pas de veiller. C'est sans doute un peu à lui que s'adresse le célèbre psaume "Il ne dort ni ne sommeille, le gardien d'Israël".
Le Consistoire central a su s'affirmer comme un interlocuteur stable et responsable de l'Etat, avec lequel il n'a cessé d'entretenir des relations de travail constructives. Il en va de même de chaque consistoire régional, et au premier chef de celui de Paris-Île-de- France, qui nous fait l'amitié de nous recevoir aujourd'hui en cette synagogue de la Victoire. Tout le conduit à jouer un rôle majeur dans cette laïcité positive que le président de la République appelle de ses voeux.
Mesdames et messieurs,
Deux cents ans après, la question qui nous est posée reste peu ou prou la même : comment vivre pleinement votre foi - et il s'agit à bien des égards d'une foi exigeante -, comment la vivre dans le respect des lois de la République ?
Eh bien la réponse de la République, hier comme aujourd'hui, tient dans un mot : la laïcité.
Je vous sais profondément attachés à cette laïcité dans laquelle vous reconnaissez, d'abord et avant tout, un principe protecteur.
A nos yeux, et le président de la République l'a encore affirmé avec force, rien dans cette laïcité ne s'oppose à la liberté de culte.
La loi de 1905 ne s'y est pas trompée, elle qui dispose clairement dans son premier article : "la République assure la liberté des consciences. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées dans l'intérêt de l'ordre public".
"La paix, écrivait Léon Blum, n'est pas une oeuvre de force, c'est une oeuvre de justice."
Séparation et liberté de culte se répondent.
Elles supposent le respect et l'écoute mutuelle.
Leur équilibre dessine la vision juste et apaisée de la laïcité que mon Gouvernement veut promouvoir.
Mesdames et messieurs,
Je connais bien vos préoccupations.
Je connais vos difficultés, celles que rencontrent vos étudiants, lorsqu'ils souhaitent concilier les contraintes de leurs études avec les obligations de leur foi.
Je sais que vous êtes conscients des impératifs qui pèsent sur l'organisation de l'année universitaire, et que vous ne revendiquez pas la suppression totale des examens les samedis et les jours de fêtes religieuses. Mais des solutions de bon sens doivent et peuvent être trouvées, dès lors qu'un dialogue constructif se noue avec les autorités universitaires pour examiner les solutions les plus opérationnelles.
Je sais que dans beaucoup d'établissements, dans la majorité des établissements, des compromis satisfaisants ont pu être trouvés.
Et je regrette que dans d'autres, aucune voie de dialogue ne soit ouverte et que des examens de rattrapage soient par exemple organisés le jour de Kippour.
La circulaire ministérielle publiée chaque année au bulletin officiel de l'Education nationale, et indiquant les principales fêtes juives, doit jouer tout son rôle pour éviter que des situations comme celles que je viens d'évoquer ne se reproduisent.
Nous y avons dès cette année ajouté la fête de Shavou'ot, la Pentecôte juive.
S'agissant du délicat problème de l'abattage rituel, j'ai souhaité que vous soyez étroitement associés à la réflexion qui a été confiée au ministre de l'Agriculture, Michel Barnier, au sujet de la protection animale. Je crois aujourd'hui essentiel de concilier celle-ci avec le respect de notre patrimoine culturel et religieux.
Concernant enfin les carrés confessionnels, la récente circulaire de la ministre de l'Intérieur relative à la police des sépultures sensibilise les préfets à la question.
Elle insiste très nettement sur la nécessité de combiner le principe de la neutralité des cimetières et l'indispensable prise en compte des volontés du défunt, notamment en matière religieuse. Les maires, dans ce cadre juridique désormais clarifié, doivent prendre leurs responsabilités et l'Etat s'efforcera de relayer, à travers ses préfets, vos préoccupations auprès des élus lorsque cela sera nécessaire.
Oui, des dossiers sont sensibles, parce qu'ils supposent la conciliation de principes de plusieurs ordres. "La difficulté, observait l'abbé Grégoire, il y a deux siècles, provient de ce que la religion juive englobe tous les détails de la vie par des règlements que nos constitutions politiques n'adopteront jamais ; elles voudront au contraire, disait-il, les soumettre à l'observation des lois nationales."
Le recul historique nous permet de constater que ces difficultés sont très largement aplanies et que le dialogue entre nous est fructueux.
La confiance renouvelée résulte du dialogue. Elle résulte aussi d'une baisse sensible de la violence antisémite, au cours de l'année 2007.
Ces résultats ont pu être obtenus grâce à la mobilisation des forces de police, grâce à la protection vigilante des lieux sensibles et grâce à une réponse judiciaire spécifique contre ces types d'exactions.
La convention tripartite annuelle que l'Etat signe avec les consistoires et le Fond social juif unifié depuis près de quatre ans, permet de mobiliser les fonds nécessaires.
Au-delà des chiffres, votre vigilance face à une forme de banalisation de l'antisémitisme ne faiblit pas et ne faiblira jamais.
Elle reste entière et elle reste combative !
Comme le veut le président de la République, il faut lutter contre tous les préjugés, il faut lutter contre toutes les discriminations, et ceci dès le plus jeune âge, et par tous les moyens. C'est dans cette perspective que s'inscrira la mission confiée par le ministère de l'Éducation nationale à Mme Waysbord-Loing, afin qu'à travers le destin tragique de ces 11.400 enfants morts en déportation, soit développée une pédagogie de la prévention.
Mesdames et messieurs,
En défendant le serment civique réclamé par l'Empire auprès des Juifs de France, Berr-Isaac Berr disait "qu'il ne pouvait inquiéter nos frères, même les plus orthodoxes et les plus scrupuleux".
Eh bien je veux redire que rien dans la République ne doit inquiéter la communauté juive, parce que l'avenir se décide avec elle.
Je veux redire aux Juifs de France qu'ils ont raison d'aimer la République et qu'ils ont raison de voir en elle le rempart de leurs droits.
Je veux vous dire que vous êtes l'une des forces et l'une des âmes de notre maison commune : la France.Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 17 avril 2008
Messieurs les Grands Rabbins et Rabbins,
Monsieur le Président du Consistoire central,
Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs,
C'est avec une émotion très profonde que je prends aujourd'hui la parole, dans cette grande synagogue de la rue de la Victoire.
Depuis près de 140 ans, la communauté juive française se rassemble ici, dans la célébration mais aussi dans l'épreuve.
Je mesure l'honneur que vous me faites, en invitant pour la première fois un Premier ministre à s'exprimer en ces lieux.
A travers moi, c'est toute la République qui répond à votre confiance.
Elle y répond dans une circonstance heureuse, puisqu'il s'agit de célébrer le bicentenaire de la création des institutions consistoriales, par les décrets du 17 mars 1808.
Ceux-ci s'inscrivent, et je crois qu'il n'est pas inutile de le rappeler, dans le processus d'émancipation des Juifs de France ; dans le droit fil de la déclaration des Droits de l'homme et du citoyen ; dans un processus qui a trouvé son aboutissement le 27 septembre 1791, lorsque la Constituante a mis fin au régime discriminatoire imposé aux Juifs depuis des siècles.
Par ce vote historique, les Juifs français devenaient des citoyens de plein droit, c'est-à-dire des Français à part entière, sans dépouiller l'immense héritage de leur spiritualité.
Cette émancipation ne s'est pas faite sans difficulté, elle n'était pas dépourvue d'ambiguïté.
Aux yeux de ses promoteurs, elle devait en effet entraîner la suppression de tout particularisme. C'était l'esprit de la Révolution que de refuser toutes les corporations, tous les corps intermédiaires. La singularité religieuse était vouée à se dissoudre dans la citoyenneté.
La laïcité n'avait pas encore le visage que nous lui connaissons ; mais un pas décisif avait été franchi. Contraints d'affronter la question de l'intégration, avec toute sa complexité, les Juifs de France entraient à travers elle dans la modernité politique.
Pour mieux définir et renforcer la relation entre nation et judaïsme, Napoléon - qui n'était pas à l'abri des préjugés de son temps - convoqua le Grand Sanhédrin en 1806, puis la réunion des grands rabbins en 1807. Nous avons fêté l'année dernière le bicentenaire de cette assemblée, dont les décisions se révélèrent décisives. Le Grand Sanhédrin affirma en effet avec force qu'il n'y avait pas d'incompatibilité entre la fidélité à la loi mosaïque et les devoirs de citoyens français.
L'année suivante, la création, par décret impérial, des Consistoires israélites de France tranche de manière définitive le noeud gordien en donnant toute sa consistance au principe de liberté religieuse affirmé en 1789.
Cette décision concilie égalité civile et liberté confessionnelle.
Elle structure les communautés.
Elle donne - et c'est peut-être là le plus important - son unité à la communauté juive sans nier sa diversité régionale.
Les communautés sont ainsi dotées d'un cadre légal, comprenant une structure centralisée et des consistoires locaux.
Certes, ce système consistorial a été profondément transformé.
Certes, il n'exerce plus les fonctions de police que lui assignaient les décrets de 1808.
Certes, la loi de 1905 a mis fin au régime concordataire des cultes reconnus.
Mais le consistoire n'en constitue pas moins, aujourd'hui, la plus vieille institution représentative juive d'Europe.
Du grand rabbin David Sintzheim, son premier président, jusqu'à Jean Kahn, à qui je veux rendre un hommage tout particulier ce soir, son efficacité ne s'est jamais démentie.
Mesdames et messieurs,
Nos consistoires ont permis l'insertion des juifs français dans le cadre politique et civil du pays sans reniement de leur foi.
Ils ont constitué la matrice de ce franco-judaïsme admiré de l'Europe entière et qu'évoque la célèbre formule des juifs d'Europe de l'Est et d'Allemagne, qu'évoquait à l'instant J. Kahn lorsqu'il disait "heureux comme Dieu en France".
Les figures de l'intégration juive sont grandes, très grandes.
Celle d'Adolphe Crémieux, ancien président du Consistoire central, qui par un décret d'octobre 1870, reconnut collectivement la nationalité française aux Juifs d'Algérie.
Celle de Léon Blum, premier président du Conseil d'origine juive, mais aussi littérateur, juriste, opposant infatigable et généreux aux injustices de son siècle.
Celles des penseurs : Durkheim, le père de la sociologie ; Bernard Lazare, le premier dreyfusard avec Zadoc Kahn, le grand rabbin de l'époque ; Edmond Fleg, l'essayiste et romancier, fondateur de l'amitié judéo-chrétienne de France, qui a donné son nom à votre centre pour les étudiants, que vous avez récemment inauguré.
Celle d'Alain de Rothschild, prisonnier de guerre, président du Consistoire de Paris puis du Consistoire central, héritier de cette grande famille qui a tant donné à la France et au judaïsme et qui continue à le faire.
Et bien entendu, la figure du grand rabbin Jacob Kaplan, deux fois croix de guerre, résistant, grand-croix de la Légion d'honneur, membre de l'académie des Sciences morales et politiques, artisan de la réconciliation entre juifs et chrétiens.
Le grand rabbin Kaplan n'est pas seulement l'emblème de la participation des juifs à la vie de l'esprit, de la société et des institutions.
Il symbolise également l'attachement indéfectible des juifs de France à notre patrie commune, à son sol et à ses valeurs.
Sous l'Ancien régime, tous les Juifs installés en France étaient présumés étrangers : Allemands à l'Est, Portugais ou Espagnols au sud. Alors même que le judaïsme était enraciné en France depuis deux mille ans !
Et pourtant, depuis des siècles, les Juifs de France se voulaient et étaient passionnément français.
Ce patriotisme s'est durement éprouvé sur les fronts de 14-18, quand tant de soldats et d'officiers juifs sont tombés pour la France. A quelques mètres de nous, ces plaques de granit gris rendent hommage au sacrifice des enfants de la communauté juive de Paris, ces enfants de France.
Le patriotisme de la communauté juive n'a jamais fléchi. Malgré certains préjugés et devant les vexations qu'une partie de la société française lui opposa en plusieurs circonstances, l'amour de la France ne s'est jamais épuisé.
Nous connaissons tous le colonel Alfred Dreyfus, victime de la fureur antisémite.
Mais peut-être connaissons-nous moins son fils Pierre, ses neveux Emile, Maurice et Charles.
Moins de dix ans après la réhabilitation de Dreyfus, ces jeunes gens étaient engagés dans l'armée française - celle-là même qui avait accablé et proscrit leur parent. Ils se montrèrent fidèles à la nation et à la République. Ils gagnèrent le front. Trois des quatre y moururent. Je rends l'hommage le plus solennel à ces hommes de courage et de foi qui n'ont jamais douté de la République.
Je vous rends hommage, à vous qui n'oubliez pas que la République a restauré les juifs dans leur pleine dignité de citoyens, et qui continuez à vous reconnaître en elle, dans la confiance et dans l'honneur, malgré les pages les plus sombres de son histoire !
Cette confiance dans la République, mesurons-la à l'aune d'un seul chiffre : en Europe, après la Seconde guerre mondiale, la communauté juive de France est la seule à avoir cru en nombre et en vigueur.
La création d'Israël, qui fête cette année ses 60 ans, a pu susciter de nouveaux attachements, de nouveaux espoirs : elle n'a pas rompu la fidélité qui attache à notre sol la communauté juive de France.
La France s'honore d'accueillir aujourd'hui, avec plus de 600 000 personnes, la première communauté juive d'Europe.
Sur cette communauté, diverse, multiple, le Consistoire central ne cesse pas de veiller. C'est sans doute un peu à lui que s'adresse le célèbre psaume "Il ne dort ni ne sommeille, le gardien d'Israël".
Le Consistoire central a su s'affirmer comme un interlocuteur stable et responsable de l'Etat, avec lequel il n'a cessé d'entretenir des relations de travail constructives. Il en va de même de chaque consistoire régional, et au premier chef de celui de Paris-Île-de- France, qui nous fait l'amitié de nous recevoir aujourd'hui en cette synagogue de la Victoire. Tout le conduit à jouer un rôle majeur dans cette laïcité positive que le président de la République appelle de ses voeux.
Mesdames et messieurs,
Deux cents ans après, la question qui nous est posée reste peu ou prou la même : comment vivre pleinement votre foi - et il s'agit à bien des égards d'une foi exigeante -, comment la vivre dans le respect des lois de la République ?
Eh bien la réponse de la République, hier comme aujourd'hui, tient dans un mot : la laïcité.
Je vous sais profondément attachés à cette laïcité dans laquelle vous reconnaissez, d'abord et avant tout, un principe protecteur.
A nos yeux, et le président de la République l'a encore affirmé avec force, rien dans cette laïcité ne s'oppose à la liberté de culte.
La loi de 1905 ne s'y est pas trompée, elle qui dispose clairement dans son premier article : "la République assure la liberté des consciences. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées dans l'intérêt de l'ordre public".
"La paix, écrivait Léon Blum, n'est pas une oeuvre de force, c'est une oeuvre de justice."
Séparation et liberté de culte se répondent.
Elles supposent le respect et l'écoute mutuelle.
Leur équilibre dessine la vision juste et apaisée de la laïcité que mon Gouvernement veut promouvoir.
Mesdames et messieurs,
Je connais bien vos préoccupations.
Je connais vos difficultés, celles que rencontrent vos étudiants, lorsqu'ils souhaitent concilier les contraintes de leurs études avec les obligations de leur foi.
Je sais que vous êtes conscients des impératifs qui pèsent sur l'organisation de l'année universitaire, et que vous ne revendiquez pas la suppression totale des examens les samedis et les jours de fêtes religieuses. Mais des solutions de bon sens doivent et peuvent être trouvées, dès lors qu'un dialogue constructif se noue avec les autorités universitaires pour examiner les solutions les plus opérationnelles.
Je sais que dans beaucoup d'établissements, dans la majorité des établissements, des compromis satisfaisants ont pu être trouvés.
Et je regrette que dans d'autres, aucune voie de dialogue ne soit ouverte et que des examens de rattrapage soient par exemple organisés le jour de Kippour.
La circulaire ministérielle publiée chaque année au bulletin officiel de l'Education nationale, et indiquant les principales fêtes juives, doit jouer tout son rôle pour éviter que des situations comme celles que je viens d'évoquer ne se reproduisent.
Nous y avons dès cette année ajouté la fête de Shavou'ot, la Pentecôte juive.
S'agissant du délicat problème de l'abattage rituel, j'ai souhaité que vous soyez étroitement associés à la réflexion qui a été confiée au ministre de l'Agriculture, Michel Barnier, au sujet de la protection animale. Je crois aujourd'hui essentiel de concilier celle-ci avec le respect de notre patrimoine culturel et religieux.
Concernant enfin les carrés confessionnels, la récente circulaire de la ministre de l'Intérieur relative à la police des sépultures sensibilise les préfets à la question.
Elle insiste très nettement sur la nécessité de combiner le principe de la neutralité des cimetières et l'indispensable prise en compte des volontés du défunt, notamment en matière religieuse. Les maires, dans ce cadre juridique désormais clarifié, doivent prendre leurs responsabilités et l'Etat s'efforcera de relayer, à travers ses préfets, vos préoccupations auprès des élus lorsque cela sera nécessaire.
Oui, des dossiers sont sensibles, parce qu'ils supposent la conciliation de principes de plusieurs ordres. "La difficulté, observait l'abbé Grégoire, il y a deux siècles, provient de ce que la religion juive englobe tous les détails de la vie par des règlements que nos constitutions politiques n'adopteront jamais ; elles voudront au contraire, disait-il, les soumettre à l'observation des lois nationales."
Le recul historique nous permet de constater que ces difficultés sont très largement aplanies et que le dialogue entre nous est fructueux.
La confiance renouvelée résulte du dialogue. Elle résulte aussi d'une baisse sensible de la violence antisémite, au cours de l'année 2007.
Ces résultats ont pu être obtenus grâce à la mobilisation des forces de police, grâce à la protection vigilante des lieux sensibles et grâce à une réponse judiciaire spécifique contre ces types d'exactions.
La convention tripartite annuelle que l'Etat signe avec les consistoires et le Fond social juif unifié depuis près de quatre ans, permet de mobiliser les fonds nécessaires.
Au-delà des chiffres, votre vigilance face à une forme de banalisation de l'antisémitisme ne faiblit pas et ne faiblira jamais.
Elle reste entière et elle reste combative !
Comme le veut le président de la République, il faut lutter contre tous les préjugés, il faut lutter contre toutes les discriminations, et ceci dès le plus jeune âge, et par tous les moyens. C'est dans cette perspective que s'inscrira la mission confiée par le ministère de l'Éducation nationale à Mme Waysbord-Loing, afin qu'à travers le destin tragique de ces 11.400 enfants morts en déportation, soit développée une pédagogie de la prévention.
Mesdames et messieurs,
En défendant le serment civique réclamé par l'Empire auprès des Juifs de France, Berr-Isaac Berr disait "qu'il ne pouvait inquiéter nos frères, même les plus orthodoxes et les plus scrupuleux".
Eh bien je veux redire que rien dans la République ne doit inquiéter la communauté juive, parce que l'avenir se décide avec elle.
Je veux redire aux Juifs de France qu'ils ont raison d'aimer la République et qu'ils ont raison de voir en elle le rempart de leurs droits.
Je veux vous dire que vous êtes l'une des forces et l'une des âmes de notre maison commune : la France.Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 17 avril 2008