Interview de M. Hervé Morin, ministre de la défense, à Europe 1 le 20 avril 2008, notamment sur la réforme des armées, l'envoi de militaires français supplémentaires en Afghanistan et sur la France dans l'OTAN.

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Média : Europe 1

Texte intégral


Jean-Pierre ELKABBACH - Ce soir, invité : Hervé MORIN, ministre de la Défense et président du Nouveau Centre. Bonsoir, et bienvenue.
Hervé MORIN - Bonsoir.
(...)
Jean-Pierre ELKABBACH - Donc, grâce à Aimé CESAIRE, et avant lui - on ne l'oublie pas - à Léopold SEDAR SENGHOR, la France est multiple, comme vous le dites, métissée, plus riche, plus ouverte ; demain, dans l'action politique, est-ce que vous saurez tous en tenir compte ?
Hervé MORIN - Je crois qu'il y a eu...
Jean-Pierre ELKABBACH - Et de quelle façon ?
Hervé MORIN - ...écoutez, il se trouve que depuis un certain nombre d'années - et j'ai fait partie de ceux-là... dans l'indifférence générale, j'ai expliqué, au début des années... en 2002-2003, que la France ne pourrait pas continuellement empêcher, enfin, ne pas donner un horizon à une partie de la société français. J'expliquais qu'il fallait mener des politiques d'égalité des chances, qu'il fallait retrouver la veine qui permettait à des enfants issus de milieux modestes, quels qu'ils soient, de pouvoir avoir une vraie promotion sociale, de pouvoir avoir un horizon dans la société française. Et j'expliquais, en 2003, qu'un jour ou l'autre, des parties de notre pays finiraient pas éclater, ne supportant pas cette idée qu'il y ait une incapacité à fournir un horizon à toutes et à tous. Eh bien, cette idée-là, aujourd'hui, elle chemine. Et une politique d'égalité des chances, je prends un exemple : le ministère de la Défense le fait. Nous allons contracter, ou nous sommes en train de contracter, avec un certain nombres de lycées, issus de quartiers défavorisés - qu'ils soient d'ailleurs en province ou qu'ils soient en banlieues -, pour permettre aux jeunes issus de ces milieux modestes, de pouvoir accéder aux grandes écoles militaires. Nous aurons un système de tutorat. Nous allons créer des classes relais, qui permettront, entre la terminale et les classes préparatoires, de donner à ces jeunes le bagage culturel, la capacité ensuite de pouvoir affronter les plus grands concours. Donc, l'ensemble de la société française s'est mise en marche, sur cette question.
Jean-Pierre ELKABBACH - C'est bien - on y aura mis du temps !
(...)
Jean-Pierre ELKABBACH - Vous tenez en mains, avec les militaires qui travaillent avec vous, une réforme de très grande ambition. Est-ce que vous appliquerez, par exemple, le principe de ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux partant à la retraite ?
Hervé MORIN - C'est la règle pour tout le monde. Donc, nous y sommes soumis. Mais ça n'est pas un objectif chiffré, que nous recherchons. Ce dont nous avons besoin, c'est d'adapter notre défense...
Jean-Pierre ELKABBACH - Mais ça a des conséquences chiffrées.
Hervé MORIN - ...ça a des conséquences chiffrées. Mais nous l'avons fait pour le budget 2008 ; grâce à la réduction de 6.000 emplois dans le ministère de la Défense, nous avons pu mener quasiment le budget le plus important consacré à l'amélioration de la condition du personnel. Nous avons consacré 102 millions d'euros nouveaux pour améliorer la condition du personnel. Et moi, je préfère une armée éventuellement un peu plus concentrée, mais où les militaires peuvent se voir régler un certain nombre de problématiques liées au pouvoir d'achat, ou à la condition du personnel.
Jean-Pierre ELKABBACH - Et comment on fait de la pédagogie, avec vous ?
Hervé MORIN - Et André SANTINI, qui est ici présent, a le même discours à l'égard de l'ensemble de la Fonction publique.
Jean-Pierre ELKABBACH - ...il y a 440.000 postes, civils et militaires, dans l'armée...
Hervé MORIN - 430.000.
Jean-Pierre ELKABBACH - ...430.000. Vous dites : vous en avez supprimé 6.000 - civils ou militaires ? Ou les deux ? Les deux ?
Hervé MORIN - 5.000 militaires, 1.000 civils.
Jean-Pierre ELKABBACH - Avec un rythme, comme ça, de six, sept ans ?
Hervé MORIN - Nous avons...
Jean-Pierre ELKABBACH - Et est-ce que pendant la loi de programmation militaire, il y en aura à peu près autant - civils et militaires - qui devront laisser la place ?
Hervé MORIN - ...la question n'est pas une question d'effectifs, ni de cibles, où on se dit : voilà, on doit supprimer 40.000, 50.000 ou 60.000... ce n'est pas la question ! Nous avons besoin de réorganiser notre appareil de défense. Je vais vous expliquer, en deux mots. Nous avons mené la professionnalisation. La professionnalisation, ça a été un immense effort ! Immense effort qui a été mené par les armées, et qui a été bien mené. La seule chose, c'est que nous n'avons pas tiré les conséquences de la professionnalisation sur l'administration et le soutien ; c'est-à-dire, sur la totalité de la superstructure qui sert les forces opérationnelles. Nous sommes sur un système, qui a bien entendu évolué - Michèle ALLIOT-MARIE avait commencé ce chemin -, mais sur un système qui est pour l'essentiel un système qui repose sur des lois du 19e siècle. Nous avons un système qui est trop en tuyaux d'orgue, où nous avons...
Jean-Pierre ELKABBACH - Qu'est-ce que ça veut dire, ça ?
Hervé MORIN - ...en tuyaux d'orgue, ça veut dire que chaque armée...
Jean-Pierre ELKABBACH - Pour nous, pauvres péquenauds ignorant tout ! En tuyaux d'orgue, qu'est-ce que ça veut dire ?
Hervé MORIN - ...chaque armée a ses services - l'Armée de l'Air, la Marine, l'Armée de Terre. Nous avons besoin de mutualiser, de faire en sorte qu'on supprime les doublons, qu'on fasse en sorte de travailler plus collectivement ; qu'on soit en mesure de pouvoir apporter un même service à tous les uniformes, à chaque armée, quelle que soit la couleur...
Jean-Pierre ELKABBACH - C'est-à-dire que vous ne pouvez pas continuer comme aujourd'hui ?
Hervé MORIN - ...il est clair que nous avons besoin, en plus, de dégager des marges de manoeuvre. Nous avons besoin de dégager...
Xavier LAMBRECHTS, TV5MONDE - Donc, ce sera la fonction de soutien qui va être la plus - je dirais - restructurée ?
Hervé MORIN - ...ce sont, bien entendu, les structures d'administration générale et de soutien, puisque dès lors qu'on les mutualise... Je vais prendre un exemple concret. Nous avons décidé de faire un Pentagone à la française : c'est-à-dire, de regrouper la totalité des services des états-majors de l'administration centrale du ministère...
Jean-Pierre ELKABBACH - Ils iront même dans un même bâtiment ?
Hervé MORIN - ...qui iront dans un même bâtiment, dans le 15e arrondissement...
Jean-Pierre ELKABBACH - Quand ? Quand ? Quand ?
Hervé MORIN - ...nous espérons l'inaugurer en 2013...
Jean-Pierre ELKABBACH - Le déménagement commençant en 2010-2011 ?
Hervé MORIN - ...oui, enfin, on verra bien !...
Jean-Pierre ELKABBACH - D'accord ! Ah oui, parce qu'on peut...
Hervé MORIN - ...mais l'idée, c'est que nous soyons opérationnels en 2013. Ce Pentagone à la française va nous permettre de mutualiser toute une série de services, qui parfois sont doublonnés, état-major par état-major. Bon. Et en créant des services communs, en se mettant en conditions de travailler ensemble, eh bien, on va pouvoir gagner, sur les effectifs des états-majors centraux et des administrations centrales, entre 20 et 30 %. Ça ne sera pas moins de qualité dans le service rendu ; ça sera, au contraire, un service rendu de meilleure qualité, parce qu'on va travailler ensemble, et on va pouvoir faire quelques économies.
Xavier LAMBRECHTS - Est-ce que le chiffre de 42.000 pertes d'emplois...
Jean-Pierre ELKABBACH - Sur les sept ans, sur six, sept ans.
Xavier LAMBRECHTS - ...sur les sept ans, est correcte, vous semble correcte ?
Jean-Pierre ELKABBACH - N'ayons pas peur des mots !
Hervé MORIN - Je n'ai pas d'objectifs ! La seule chose que je sais, c'est que je suis soumis à la même obligation que l'ensemble des administrations d'Etat : c'est le non remplacement d'un fonctionnaire sur deux. Et ça, c'est 6.000 personnes par an.
Jean-Pierre ELKABBACH - Monsieur MORIN, Monsieur le ministre de la Défense, dans l'idéal... dans l'idéal, combien d'hommes et de femmes il doit y avoir dans l'armée - civils et militaires ? Dans l'idéal, en 2015 ? Dans l'idéal ?
Hervé MORIN - Ce que je sais, ce que je sais, c'est qu'il y a un engagement du président de la République, qui est que toutes les économies que nous effectuons sont des économies que nous récupérons pour l'équipement des forces et l'amélioration de la condition du personnel. Le président de la République précédent, Jacques CHIRAC, a engagé le renouvellement de tous nos équipements - tous ! Le Rafale, l'A400M, le nouveau véhicule blindé...
Jean-Pierre ELKABBACH - C'était trop ? C'était trop ?
Hervé MORIN - ...le NH90, le Tigre...
Jean-Pierre ELKABBACH - Trop en même temps ?
Hervé MORIN - ...les futurs sous-marins nucléaires d'attaque, notre dissuasion. Ce qui fait que nous avons des besoins financiers, pour assurer l'ensemble de ces équipements, qu'on peut estimer à 2, à 3 milliards d'euros supplémentaires, à partir de l'année prochaine. Personne ne peut imaginer, compte tenu de la situation budgétaire du pays, compte tenu des besoins du pays, personne ne peut imaginer un seul instant qu'un gouvernement, un Premier ministre, ou un président de la République, viendrait devant le peuple français, au moment des arbitrages budgétaires pour le budget 2009, pour dire : nous avons besoin de financer le handicap, la dépendance, l'université, la recherche, l'école - bref, la totalité des grands secteurs -, et la totalité des ressources budgétaires nouvelles du pays, on va les consacrer à la Défense !....
Jean-Pierre ELKABBACH - Très bien, on a compris. Essayons d'être clairs : ça veut dire qu'il faut au moins gagner entre 3 et 5 milliards par an ?...
Hervé MORIN - ...non, nous avons besoin...
Jean-Pierre ELKABBACH - ...avec la rationalisation et la mutualisation, pour mieux les consacrer...
Hervé MORIN - A l'équipement des forces.
Jean-Pierre ELKABBACH - ...aux matériels, à la défense, et à la sécurité des Français ?
Hervé MORIN - Nous avons besoin de faire en sorte que nous consacrions l'ensemble de ces ressources à l'amélioration de la capacité opérationnelle de nos armées - c'est-à-dire, faire en sorte que notre matériel soit plus disponible, etc.
Jean-Pierre ELKABBACH - On va y venir, parce que... on va marquer la pause dans quelques instants. Mais la Défense, c'est le deuxième budget de l'Etat ?
Hervé MORIN - Troisième après la dette.
Jean-Pierre ELKABBACH - ...ah, eh bien, vous voyez ! C'est près de 37 milliards d'euros - c'est ça ? 37 milliards...
Hervé MORIN - Vos chiffres sont bons, Jean-Pierre ELKABBACH !
Jean-Pierre ELKABBACH - ...très bien ! Donc, le montant restera le même, consacré à la Défense, dans cinq à dix ans ? Mais il sera déployé autrement ?
Hervé MORIN - Les 37 milliards d'euros que nous consacrons à la Défense doivent être consacrés un peu plus à l'équipement, et un peu moins au fonctionnement, en effet. Et en même temps, parmi les économies, nous devons mettre en oeuvre ce qu'on a appelé le Plan d'amélioration de la condition militaire, qui est un engagement de Michèle ALLIOT-MARIE.
Jean-Pierre ELKABBACH - Encore un mot : est-ce que les chars, les avions, vont pouvoir continuer à procéder à des entraînements normalement, ou il faut qu'ils fassent des économies, et qu'il y ait des restrictions : moins de vols, moins de préparations - et peut-être plus de risques pour nos appareils, et nos hommes ?...
Hervé MORIN - Non. Nous avons, en effet, besoin de maintenir les conditions d'entraînement de nos pilotes - et pas seulement de nos pilotes ; de faire en sorte que la formation de nos militaires, qui sont considérés comme les meilleurs du monde, avec les Britanniques, c'est ce que disent la totalité de mes homologues...
Jean-Pierre ELKABBACH - Donc, il n'y a pas de changements ?
Hervé MORIN - ...et donc, tout ça, il faut le faire...
Jean-Pierre ELKABBACH - Ils auront les moyens ?
Hervé MORIN - ...et donc, ils auront les moyens.
Xavier LAMBRECHTS - ...vous confirmez quand même la suppression d'un des trois escadrons de la force nucléaire aéroportée ?
Hervé MORIN - Oui, ça, c'est dans le discours de Cherbourg. Le président de la République, dans le cadre de ce qu'on appelle la stricte suffisance, a décidé de réduire la composante aéroportée ; et donc, nous passerons de trois escadrons de Mirage 2000N à deux escadrons, que nous allons « rafalisés », c'est-à-dire, que nous allons dédier au Rafale. Là aussi, c'est une mesure qui va nous permettre de pouvoir, là aussi, faire des économies - non pas sur le fait... sur la décision sur la stricte suffisance, parce que ça c'est une décision stratégique, liée à une analyse ; mais...
Xavier LAMBRECHTS - On va faire autant avec deux escadrons que trois ?
Hervé MORIN - ...en le faisant avec des Rafale, vous voyez bien que la conséquence, c'est que le Rafale, c'est un avion polyvalent. Aujourd'hui, nous avions des avions, des Mirage consacrés à la dissuasion, nous avions des Mirage consacrés à l'attaque au sol, et d'autres consacrés à la défense aérienne - je schématise. Grâce au Rafale, nous avons un avion polyvalent, qui peut faire à la fois de la défense aérienne, qui peut faire de l'attaque au sol, et qui peut faire de la dissuasion. Et donc, bien entendu, si vous avez un avion polyvalent, donc, vous en avez besoin de moins ! Ça veut dire que, bien entendu, vous avez des mesures de réorganisation à mener, et des économies à tirer du fait de s'équiper d'un avion polyvalent, capable d'assurer les trois missions.
Jean-Pierre ELKABBACH - Une pause. On se retrouve, et on va voir ce que ça veut dire, « rafaliser », pour tout le reste !
(...)
Jean-Pierre ELKABBACH - L'invité est Hervé MORIN, président du Nouveau Centre, et puis surtout, et on l'interroge tout de suite à propos de ses responsabilités comme ministre de la Défense ; et nous parlons de la réforme des armées, de la réforme de la Défense, dont vous disiez que c'est une grande réforme, de grande ambition. Elle est partie, cette réforme, elle est en préparation ; elle va être débattue au Parlement, dans le pays, peut-être, avec les régions et les municipalités. Quand sera-t-elle opérationnelle ?
Hervé MORIN - J'ai présenté aux chefs de corps, aux généraux et directeurs de services, la réforme de l'organisation de la structure - ce dont j'ai parlé tout à l'heure : la mutualisation des services d'administration générale et de soutien, de la création de ce qu'on a appelé les bases de défense. Les bases de défense, qui seront ces structures qui vont assurer les fonctions ressources humaines, financières, les fonctions de reconversion, les fonctions d'alimentation, d'habillement, qui vont les assurer pour tous les régiments qui sont à 30 kilomètres autour de ces bases de défense. Et toutes ces fonctions d'administration générale...
Xavier LAMBRECHTS - ...la future carte militaire de la France ?
Hervé MORIN - ...j'y viens. C'est des fonctions d'administration générale et de soutien qui seront mutualisées, qui nous permettront de faire des économies de fonctionnement importantes, et qui vont nous permettre, en même temps, de rationaliser notre dispositif territorial...
Jean-Pierre ELKABBACH - D'accord, on l'a dit...
Hervé MORIN - ...rationaliser notre dispositif territorial...
Jean-Pierre ELKABBACH - ...la question, c'est : elle est pour quand, la réforme ?
Hervé MORIN - ...la réforme sur le dispositif territorial sera annoncée a priori le 22 juin.
Jean-Pierre ELKABBACH - Et appliquée ? A partir de... ?
Hervé MORIN - Et appliquée à partir de 2009.
Jean-Pierre ELKABBACH - Bon, alors, combien vous fermez de bases, de sites ?
Hervé MORIN - Nous...
Bruno FANUCCHI, LE PARISIEN / AUJOURD'HUI EN FRANCE - Combien de garnisons fermées, combien de bases fermées ?
Jean-Pierre ELKABBACH - Bruno FALLUCHI. Allez-y.
Hervé MORIN - ...nous sommes dans un système qui est... c'est l'héritage de l'histoire. Nous sommes implantés sur 471 communes, avec une dispersion considérable. Et cette dispersion, bien entendu, a un coût, pour nos armées. Elle impose aussi un certain nombre d'éléments...
Jean-Pierre ELKABBACH - On a compris : 471...
Hervé MORIN - ...non, non, non...
Jean-Pierre ELKABBACH - ...combien de communes en moins ?
Hervé MORIN - ...ça, pour l'instant, je suis incapable de vous le dire ! Parce que c'est lié à deux éléments. Le premier...
Jean-Pierre ELKABBACH - Mais enfin, vous avez... tout le plan est accepté et prêt !
Hervé MORIN - ...non ! Le premier est lié à la réorganisation de nos armées, et le second est lié à un certain nombre d'éléments qui sont en arbitrage sur le livre blanc. Je veux dire par là...
Xavier LAMBRECHTS - ...vous laissez la primeur au président de la République ?
Hervé MORIN - ...je veux dire par là que nous avons...
Jean-Pierre ELKABBACH - Combien ? Vous savez ! Avant de parler des menaces, etc. Combien de garnisons ? Par exemple, on dit...
Bruno FANUCCHI - Des documents de travail parlent de 53 communes concernées, 53 sites fermés, et plus d'une centaine d'allégés ?
Hervé MORIN - ...si vous me laissez terminer, je vais vous expliquer pourquoi je ne peux pas vous le dire pour l'instant. Nous avons ce travail sur l'administration générale et le soutien - je l'ai expliqué. Et il y a aussi les arbitrages sur les forces opérationnelles, qui sont destinés et liés aux arbitrages du livre blanc. Je prends un exemple. Dès lors que vous considérez que le risque d'invasion du territoire national n'est pas un risque majeur à dix ou quinze ans, et qu'a priori nous sommes à l'abri - espérons-le - d'une telle menace ; ça veut dire clairement qu'a priori nous avons besoin de moins de régiments de blindés, et moins de régiments d'artillerie. Si, en revanche, nous considérons que la menace liée à la prolifération nucléaire, liée au terrorisme, est une menace plus importante, et que nous avons besoin de mieux connaître, de mieux anticiper, de pouvoir avoir des éléments de renseignements plus fournis, cela veut dire...
Jean-Pierre ELKABBACH - Soit ! Quelle hypothèse vous choisissez, en tant que ministre de la Défense - et vous proposez au président de la République ?
Hervé MORIN - ...cela veut dire clairement que nous avons...
Jean-Pierre ELKABBACH - Il n'y a pas d'invasion, et il y a des risques terroristes - lequel des deux ?
Hervé MORIN - ...eh bien, c'est évident que nous avons besoin de faire plus dans le satellite, dans l'observation, dans le renseignement, dans la connaissance, dans l'anticipation, dans la capacité de nous projeter pour résoudre un certain nombre de crises...
Jean-Pierre ELKABBACH - Donc ? Donc ?
Hervé MORIN - ...donc, bien entendu, cela va nous amener aussi à revoir un certain nombre de nos dispositifs opérationnels. Et c'est quand nous aurons croisé ces deux éléments, que je pourrai répondre à la question de Monsieur FANUCCHI, sur : combien de communes seront concernées. Ce qui est certain, c'est que nous avons besoin d'adapter notre outil de défense. La France a payé, dans l'histoire...
Jean-Pierre ELKABBACH - On en est convaincu...
Hervé MORIN - ...non, mais je voudrais dire...
Jean-Pierre ELKABBACH - ...ça va se traduire par quoi ? Par des regroupements, etc.... ?
Hervé MORIN - ...densifications d'unités, regroupements d'unités...
Jean-Pierre ELKABBACH - On dit : il y a une quinzaine de régiments qui vont disparaître. Alors, un régiment, c'est combien ? 800 hommes ?
Hervé MORIN - 1.000 hommes, en moyenne.
Jean-Pierre ELKABBACH - 15 vont disparaître - c'est vrai ? C'est trop ?
Hervé MORIN - Eh bien, je ne peux pas vous dire ça aujourd'hui ! Parce que vous comprenez bien que, lorsque le président de la République aura arrêté le contrat opérationnel de l'Armée de Terre... nous avons par exemple un contrat opérationnel pour l'Armée de Terre de 50.000 hommes aujourd'hui. Comme l'a dit le président de la République, c'est un contrat qui est inatteignable ! Inatteignable, parce que nous n'étions pas capables de projeter ces 50.000 hommes, contrairement à ce qu'on voulait bien nous indiquer. Et deuxième élément, parce qu'il est inatteignable : si nous voulions y arriver, on aurait alors des besoins budgétaires qui seraient de 4 à 5 milliards d'euros...
Jean-Pierre ELKABBACH - On ne comprend rien, vous savez...
Hervé MORIN - ...mais si, vous comprenez très bien...
Jean-Pierre ELKABBACH - ...non, je baisse mes armes !
Hervé MORIN - ...et donc, ce contrat opérationnel...
Jean-Pierre ELKABBACH - Les bases de défense, dont vous parlez...
Hervé MORIN - ...oui ?
Jean-Pierre ELKABBACH - ...vous avez dit : des bases de défense. Est-ce qu'elles vont regrouper les trois armes ?
Hervé MORIN - Oui...
Jean-Pierre ELKABBACH - La Terre, la Mer, l'Air ?
Hervé MORIN - ...oui... oui, mais ça, ça n'a rien à voir avec le contrat opérationnel dont je vous parle...
Jean-Pierre ELKABBACH - Non, non, on essaie de comprendre...
Hervé MORIN - ...j'essaie de vous expliquer les choses. Le contrat opérationnel de l'Armée de Terre était, notamment, celui d'être en mesure de projeter sur un théâtre central 50.000 hommes. Ce contrat n'est pas atteignable - disons-le clairement. Le président de la République l'a indiqué dans son discours de Cherbourg. En fonction du contrat que nous allons fixer à l'Armée de Terre - contrat sur la capacité de se projeter, où se projeter, dans quelles parties du monde, avec quels moyens, avec quels délais -, bien entendu, nous en tirerons des conséquences sur l'organisation de nos forces. Et c'est ce croisement entre la réorganisation du ministère, et les besoins opérationnels de nos armées, qui nous amènera à présenter, fin juin, une carte, avec un certain nombre de suppressions.
Xavier LAMBRECHTS - Et d'ici là, on ne saura rien de plus précis ?
Jean-Pierre ELKABBACH - Tout cela, vous allez le découvrir dans un mois et demi, deux mois - vous êtes des génies, hein !
Hervé MORIN - Mais oui, parce qu'on y a beaucoup travaillé !
Jean-Pierre ELKABBACH - Vous avez travaillé depuis longtemps, et vous ne savez pas à quelle hypothèse vous répondez ? On ne peut pas arriver à le croire ! Parce qu'il y a des villes qui sont inquiètes, il y a des régions et des départements. Est-ce que, vous, le partisan - vous l'avez dit en début d'émission, Hervé MORIN -, partisan des réformes et de la vérité aux Français, est-ce qu'on ne peut pas le dire : oui, votre sécurité sera garantie, mais il faut réformer l'armée, avec le même budget, mais des villes qui ont des militaires, qui n'auront plus de militaires - elles auront autre chose...
Hervé MORIN - Oui...
Jean-Pierre ELKABBACH - ...est-ce qu'on ne peut pas le dire aussi simplement ?
Hervé MORIN - ...je peux vous le dire aussi simplement que cela, et c'est ce que je vous ai dit...
Jean-Pierre ELKABBACH - Eh bien, bravo !
Hervé MORIN - ...nous avions besoin de le faire. Mais que, quand vous me dites : « Combien de communes ? », je suis incapable de vous le dire, aujourd'hui, parce que...
Jean-Pierre ELKABBACH - Donc, ça va se produire ? Et est-ce que, par exemple, il y aura un accompagnement social, de la part de l'Etat, quand il y aura ces réformes-là, pour les villes, et les gens concernés ?
Hervé MORIN - ...Jean-Pierre ELKABBACH, nous allons procéder même différemment. Je commence à recevoir tous les élus qui pourraient être concernés par la fermeture d'une unité - puisque des listes sont parues dans la presse, régulièrement...
Jean-Pierre ELKABBACH - Ça fait combien d'élus, combien de... ?
Hervé MORIN - ...ça fait, disons, une trentaine ou une quarantaine de sites, si vous voulez...
Jean-Pierre ELKABBACH - Ça fait une quarantaine de sites ?
Hervé MORIN - ...bien, vous allez les avoir, vos 40 sites - bon !...
Xavier LAMBRECHTS - ...d'autant que certains disent : déjà, avec la carte judiciaire, on a perdu des tribunaux, avec la carte hospitalière, on a perdu des hôpitaux ! L'aménagement du territoire souffre, dans certaines régions !
Jean-Pierre ELKABBACH - Non mais, Monsieur MORIN nous dit que la France doit changer, et tout en gardant la même défense - eh bien, il est en train de le confirmer !
Hervé MORIN - On ne consacre pas 37 milliards d'euros à la défense pour assurer l'aménagement du territoire du pays ! Les Français nous reprocheraient qu'on consacre 37 milliards d'euros à notre défense, qui reste une des grandes défenses du monde - puisqu'il y a à peu près quatre puissances militaires globales sur la planète, et nous en faisons partie. Et cet outil-là, formidable, qui nous permet d'avoir la politique étrangère qui est la nôtre, d'avoir ce positionnement diplomatique qui est le nôtre, d'avoir cette présence qui est la nôtre ; eh bien, nous ne consacrons pas 37 milliards pour faire de l'aménagement du territoire. Que nous intégrions l'aménagement du territoire dans un certain nombre de décisions, nous le ferons. Je présenterai, au président de la République, dans un certain nombre de cas - je l'ai dit aux élus -, pour les cas les plus difficiles, en disant au président de la République : voilà, la logique opérationnelle, la logique d'organisation, voudraient que nous fermions ce régiment, c'est dans une zone où en effet le développement économique est un développement économique un peu compliqué, eh bien, on pourrait dans ce cas proposer, ou fermer telle ou telle base aérienne, ou tel ou tel régiment. Donc, nous proposerons, je proposerai au président de la République, dans un certain nombre de cas, des mesures alternatives. Mais...
Jean-Pierre ELKABBACH - Après concertation avec les élus ?
Hervé MORIN - ...après concertation avec les élus. Et nous allons avoir toute une série de mesures d'accompagnement économique et social, qui seront des mesures permettant de financer des investissements, permettant de financer des équipements. Je veux prendre un exemple concret. Il y a un maire d'une ville, la semaine dernière, qui vient me voir, et...
Jean-Pierre ELKABBACH - De quelle ville ?
Hervé MORIN - ...oui, c'est ça ! Et je lui dis : voilà, on a...
Jean-Pierre ELKABBACH - Il va falloir qu'on fasse, nous, des efforts en matière de renseignement, puisque lui, il en fait en matière de secret !
Hervé MORIN - ...vous avez un bataillon de soutien, éventuellement, qui pourrait être fermé ; est-ce que vous avez des équipements majeurs à financer, qui permettraient de pouvoir redynamiser votre ville ? Est-ce que vous avez une zone d'activités, une pépinière d'entreprises, une piscine, un centre de congrès, des équipements dédiés au tourisme ? Bref, nous examinerons toutes ces conditions, et nous financerons une partie de ces équipements...
Xavier LAMBRECHTS - « Nous », c'est-à-dire le budget de l'armée ?
Hervé MORIN - ...le budget de la République, de l'Etat, à travers toute une série de dispositifs interministériels.
Jean-Pierre ELKABBACH - Monsieur le ministre Hervé MORIN, est-ce que ça veut dire aussi que l'Etat, ou les régions, ou les maires, pourraient - le moment venu - vendre des actifs, qui étaient autrefois tenus pour eux par l'armée, pour l'armée ? Ils pourront les vendre ?
Hervé MORIN - Parmi les mesures de compensation, bien entendu, nous examinerons les conditions dans lesquelles nous pourrons céder les actifs qui appartenaient à l'armée, pour leur permettre de se re-développer, bien entendu.
Jean-Pierre ELKABBACH - Tout à l'heure vous avez dit : on va « rafaliser », etc. Vous continuez à fabriquer des Rafale ? Au rythme voulu ? Vous avez réduit le rythme de la fabrication - toujours dans le système d'économies ?
Hervé MORIN - Nous avons réduit le rythme. Et ce n'est pas moi qui l'ai fait, ça a été fait avant moi. Nous en fabriquons à peu près... à peu près 12 par an. Ce que nous espérons, c'est que, bien entendu, nous puissions avoir un certain nombre de succès à l'exportation, qui permettra à DASSAULT à la fois de pouvoir augmenter ses rythmes de cadence - en augmentant ses rythmes de cadence, le prix unitaire de nos avions se réduira ; et d'autre part, nous permettant ainsi de faire en sorte que, à travers ces grands contrats, nous puissions aider l'industrie de défense - parce que, vous le savez, quand nous vendons des grands contrats, comme ceux du Rafale, ou d'autres équipements, c'est ensuite, pendant des décennies, toute une série de commandes, de livraisons, qui permettent à l'industrie de défense de pouvoir rester...
Jean-Pierre ELKABBACH - Vous remarquez que là on va respecter le secret défense : on ne vous demande pas à qui vous allez les vendre - parce qu'il y a des promesses de ventes, et que vous devez être en négociations ! Et qu'on ne veut pas que le concurrent, hein, bloque la négociation ! Sur le porte-avion, le deuxième porte-avion, vous êtes, vous, favorable, ou pas ? Il y a des études, il y a déjà beaucoup d'argent qui a été consacré.
Xavier LAMBRECHTS - ...on dit qu'il est condamné.
Hervé MORIN - Il est évident que la situation budgétaire de l'équipement de nos forces rend difficile la construction du second porte-avion. Il s'agit d'un arbitrage que nous avons à faire, qui sera fait dans les semaines qui viennent.
Jean-Pierre ELKABBACH - Votre proposition, c'est plutôt non - étant donné le budget ?
Hervé MORIN - Ecoutez, le président de la République décidera.
Jean-Pierre ELKABBACH - Bon. Et vous avez parlé du livre blanc, qui nous parlera des menaces d'ici à 2025, à l'horizon 2025, qui va être publié à la mi-juin, c'est toute une commission qui a travaillé, etc. Où sont les menaces, pour nous ?
Bruno FANUCCHI - Les nouvelles menaces ?
Jean-Pierre ELKABBACH - Les nouvelles menaces ? Déjà ?
Bruno FANUCCHI - En Afghanistan ?
Hervé MORIN - Les risques que nous avons - plus que les menaces : nous avons la menace terroriste, bien sûr ; menace terroriste, mais à grande échelle, capable de frapper le coeur même de nos cités. Nous avons des risques liés à la sécurité de nos approvisionnements. Par exemple, nos voies maritimes ; faire en sorte que nous puissions pouvoir nous approvisionner et avoir le contrôle de nos voies d'approvisionnement. Nous avons des risques liés à la prolifération nucléaire. Ça, ce sont des risques évidents. Mais nous avons aussi des risques dont on voit bien, aujourd'hui, les premiers effets, qui sont liés au dérèglement climatique. On sait, par exemple, que la hausse du niveau des mers amènera plusieurs centaines de millions de personnes à changer d'habitat ; ce qui veut dire que, bien entendu, ça aura des conséquences géostratégiques. Le risque lié à l'eau : le fait que l'eau deviendra une ressource rare, risque d'amener un certain nombre de crises à travers le monde. Le risque alimentaire, aussi. Bref, le risque, il est plus diffus, différent ; il n'est pas de la même nature que du temps du Pacte de Varsovie - et bien entendu, ça nous impose d'avoir une réponse militaire qui n'est pas la même.
Jean-Pierre ELKABBACH - Et on garde notre force de dissuasion ?
Hervé MORIN - Eh bien, la force de dissuasion, c'est l'assurance du pays ; et ça, cette force de dissuasion, c'est l'effort d'un pays qui veut pouvoir se protéger contre les menaces les plus lourdes qui pourraient peser sur lui.
Jean-Pierre ELKABBACH - Vous avez parlé des crises alimentaires ; un mot. Les émeutes de la faim vont se multiplier - on nous a dit ça sur EUROPE, avec Jacques DIOUF, Dominique STRAUSS-KAHN, Jean ZIEGLER, et d'autres. Tous en appellent à une aide alimentaire d'urgence. Est-ce que l'armée française est prête à jouer un rôle dans l'action humanitaire - au moins pour accompagner ce qui va être livré, ou pourrait être livré, aux populations qui en ont besoin ?
Hervé MORIN - L'armée française l'a déjà fait...
Jean-Pierre ELKABBACH - Ben oui, justement.
Hervé MORIN - ...elle l'a fait, et elle le fait régulièrement, notamment en accompagnant, en escortant le Programme alimentaire mondial. Nous l'avons fait dans l'Océan Indien, durant un ou deux mois. Ce sont les...
Jean-Pierre ELKABBACH - Mais elle peut le faire ?
Hervé MORIN - ...oui, bien sûr...
Jean-Pierre ELKABBACH - Vous êtes prêts ?
Hervé MORIN - ...bien sûr, qu'elle le fait déjà. Et elle le fait régulièrement !
Jean-Pierre ELKABBACH - Xavier LAMBRECHTS ?
Xavier LAMBRECHTS - Une question sur les pirates, sur les pirates du Ponant : ils seront jugés en France, rapidement ?
Hervé MORIN - Eh bien, écoutez, oui, j'espère qu'ils seront jugés en France, rapidement, avec les procédures judiciaires qui vont bien : droit de la défense, etc., etc.
Jean-Pierre ELKABBACH - Tout ce que vous avez fait, vous l'avez fait avec l'accord de la Somalie ?
Hervé MORIN - Oui. La Somalie, les autorités somaliennes avaient donné leur accord pour que nous puissions intervenir dans leurs eaux territoriales, bien entendu.
Bruno FANUCCHI - Et est-ce que l'heureux dénouement de cette prise d'otages, de l'affaire du Ponant, n'a pas prouvé l'intérêt des forces pré-positionnées, justement, françaises, dans l'Océan Indien, en Afrique ?
Hervé MORIN - Oui, bien sûr. Le dénouement heureux du Ponant a démontré quoi ? Un, qu'on a des forces qui sont opérationnelles et capables de régler des crises ; d'autant quand on fixe comme objectif de pouvoir récupérer un certain nombre de pirates, pour pouvoir faire en sorte que cet acte-là ne soit pas impuni. Deux, cela a montré l'intérêt des forces pré-positionnées, parce que, bien entendu, lorsqu'on a des forces pré-positionnées en Afrique, c'est plus facile d'intervenir aussi loin de nos bases. Et le troisième enseignement qu'on peut aussi tirer, c'est parce que nous avons une marine de haute mer, qui croise et patrouille sur l'ensemble des mers de la planète, que nous sommes aussi en mesure de pouvoir rapidement appréhender une situation. J'observe que c'est parce que nous avions des bateaux dans l'Océan Indien, que nous avons pu rapidement mettre sous contrôle le Ponant.
Xavier LAMBRECHTS - Hervé MORIN, la France va envoyer - on le sait - des renforts en Afghanistan. Alors, la situation en Afghanistan n'est pas brillante, hein ; le pouvoir du président KARZAÏ est toujours aussi faible, une présence des Talibans toujours aussi forte, une explosion de la production de drogues. Quand vont partir ces soldats français, et à quoi vont-ils servir ? Autrement dit, est-ce que ce n'est pas perdu d'avance ?
Hervé MORIN - Mais, qu'est-ce que vous voudriez faire d'autre ? Est-ce que la solution, c'est de se retirer ? Est-ce que la solution, c'est de redonner le pouvoir aux Talibans ? Talibans dont on a oublié ce qu'était leur régime !...
Jean-Pierre ELKABBACH - Non, non, on n'a pas oublié. Ni pour les femmes, ni pour la culture, ni pour les statuts. On n'a rien oublié.
Hervé MORIN - Bon...
Jean-Pierre ELKABBACH - Mais on n'a pas oublié non plus que les Américains, les Russes, les Britanniques, ont tous échoué. Qu'est-ce qu'on va faire ?
Hervé MORIN - Bien entendu, mais...
Jean-Pierre ELKABBACH - La question qui vous est posée, c'est : qu'est-ce qu'on va faire en Afghanistan ?
Hervé MORIN - ...mais ce que nous avons à y faire...
Jean-Pierre ELKABBACH - Est-ce que ce n'est pas le début de l'enlisement ?
Hervé MORIN - ...non ! Parce que l'enlisement, ce serait de ne pas mettre le maximum de moyens, pour faire en sorte qu'on puisse en sortir. Si vous voulez... il n'y a pas 36 alternatives. La première, c'est de partir. Partir, c'est l'échec, c'est le retour du Taliban, c'est refaire de l'Afghanistan la base arrière du terrorisme ; c'est créer un risque de déstabilisation majeure, dans une zone où j'observe que, à côté, il y a le Pakistan - Pakistan lui-même détenant l'arme nucléaire. L'autre solution, c'est rester au même niveau. Ce que défend la France, c'est une nouvelle approche. C'est une approche qui, à la fois, combine des moyens militaires supplémentaires pour faire le contrôle des zones, et une approche qui permet de mettre en place le développement économiques dont l'Afghanistan a besoin, de nouvelles règles de gouvernance, de faire en sorte qu'on ait un programme de développement de l'agriculture afghane, pour éviter que l'Afghanistan soit le pays qui exporte plus de 90 % de la production d'opium dans le monde, et faire en sorte qu'on « afghanise » le système. Ça veut dire quoi, « afghaniser » ?...
Xavier LAMBRECHTS - Mais, ce n'est peut-être pas des soldats qu'il faudrait envoyer, pour faire ça ?...
Hervé MORIN - ...si, « afghaniser », ça veut dire que progressivement, en fonction des efforts que nous effectuons pour la formation de l'armée nationale afghane, la formation de la police, la formation de la justice, nous donnions à l'Afghanistan le contrôle d'un certain nombre de zones ; et que donc, progressivement, nous démontrions à la communauté internationale que, grâce aux efforts que nous effectuons, l'Afghanistan est sur le bon chemin. Et pour cela, nous avons besoin, pour faire en sorte que ce développement économique se mette en place, nous avons besoin de faire en sorte qu'on assure le contrôle des zones. Et c'est cela que vont faire les militaires.
Xavier LAMBRECHTS - Ils partent quand, les renforts ?...
Jean-Pierre ELKABBACH - ...Monsieur le ministre, les soldats français, ils partent quand ?
Hervé MORIN - Ils partiront cet été. Juillet, août.
Jean-Pierre ELKABBACH - Et ils iront, comme vous dites, se positionner... ?
Hervé MORIN - Sur l'est, ce qui permettra aux Américains de venir en renfort des Canadiens et des Hollandais sur le sud.
Bruno FANUCCHI - Mais, Monsieur le ministre, 700 hommes de plus, ça ne suffit pas pour gagner la guerre contre le Talibans ! Et cette guerre, d'ailleurs, est-elle gagnable ?
Hervé MORIN - Mais, ce que fait la France, la France n'est pas le seul, n'est pas la seule. J'observe que, lors du Sommet de Bucarest, plusieurs pays ont annoncé des renforts : les Espagnols ; les Britanniques ont annoncé qu'ils allaient probablement aussi renforcer leurs moyens ; les Allemands ont indiqué qu'ils y réfléchissaient. Beaucoup de pays d'Europe Centrale et Orientale l'ont décidé aussi...
Jean-Pierre ELKABBACH - Monsieur le ministre, il y a une action collective - on a lu tout ce qui a été dit à Bucarest ; on va voir quand ils vont envoyer les pays (sic). Vous avez dit : ce n'est pas l'enlisement. Mais si, dans deux ans, on vous dit, ou on dit à votre successeur, ou on vous dit : il en faut encore 1.000 ? Et puis, trois ans après : il en faut encore 1.000 ? Je reprends la question : est-ce qu'elle est gagnable, militairement, cette guerre ?
Hervé MORIN - La victoire...
Jean-Pierre ELKABBACH - ...en étant, en même temps, assuré qu'il ne faut pas laisser l'intégrisme gagner en Afghanistan, évidemment.
Hervé MORIN - ...la victoire n'est pas que militaire ; la victoire dépend de deux conditions. La première : assurer une stabilité. Nous sommes en train de reconquérir des vallées dans lesquelles personne n'avait mis les pieds depuis six ou sept ans ! Soutenue par ce qu'on appelle les forces de formation, les OMLT - c'est-à-dire, les Français qui forment l'armée nationale afghane -, soutenue par ces OMLT, l'armée nationale afghane est rentrée dans des vallées, et réinstaure un certain nombre d'éléments permettant à ces vallées de retrouver un espoir. Et donc, la victoire n'est pas que militaire, bien entendu ; la victoire, elle passera aussi par une politique de développement, de développement accru. J'observe, par exemple, qu'aujourd'hui 6 millions d'enfants sont scolarisés en Afghanistan, alors qu'ils n'étaient que 900.000 il y a six ans. J'observe qu'on a construit 4.000 kilomètres de routes. J'observe qu'on a... on permet à plus de 80 % des Afghans d'accéder à la santé. Donc, il y a aussi des points positifs, qu'on oublie toujours de citer.
Jean-Pierre ELKABBACH - ...le sommet politique que la France a prévu d'organiser - si je me rappelle bien, le 12 juin, ici, avec Monsieur KARZAÏ ; c'est ça ?
Hervé MORIN - Il y aura une conférence des donateurs, qui permettra notamment que la communauté internationale accentue son effort. Et si la victoire n'avait été que militaire, vous n'auriez pas eu, au sommet de Bucarest, la présence de Ban KI-MOON, le secrétaire général des Nations Unies, d'Emmanuel BARROSO, au titre de l'Union Européenne, parce que c'est l'ensemble de la communauté internationale qui essaie de faire en sorte que l'Afghanistan puisse s'en sortir.
Jean-Pierre ELKABBACH - Il nous reste sept, huit minutes ; on veut vous poser des questions sur l'Afrique, on veut vous poser des questions sur l'OTAN, et on veut vous poser des questions sur le Nouveau Centre ! Donc, il faut qu'on aille vite ! Xavier LAMBRECHTS.
Xavier LAMBRECHTS - Une question sur l'Afrique : est-ce que la France a vocation à réduire sa présence militaire en Afrique ?
Jean-Pierre ELKABBACH - Quand commence-t-elle à réduire ? Est-ce qu'on quitte la Côte d'Ivoire ?
Hervé MORIN - Le président de la République a annoncé, dans un discours, qu'il a prononcé en Afrique du Sud, qu'il voulait réviser les accords de défense, et qu'il voulait réfléchir sur le pré-positionnement de nos forces. Il faut les maintenir, mais il faut rationaliser le système, sans aucun doute.
Xavier LAMBRECHTS - Là aussi ?
Hervé MORIN - Là aussi, il faut le rationaliser. Il faut faire en sorte que nous soyons présents sur la Côte Atlantique, que nous soyons présents à l'est, et que nous soyons présents, j'allais dire, dans une zone un peu plus centrale. Il faut qu'au moins on ait deux ou trois points majeurs d'appui, qui nous permettent...
Xavier LAMBRECHTS - Vous connaissez déjà des pays que nous quitterions, éventuellement ?
Hervé MORIN - Nous discutons de cela avec nos partenaires africains - comme nous discutons des accords de défense. Nous avions des accords de défense qui dataient des années 60 !...
Jean-Pierre ELKABBACH - D'accord. Est-ce que vous avez commencé à les renégocier ?
Hervé MORIN - ...nous avons commencé à engager les discussions avec les pays africains, et...
Jean-Pierre ELKABBACH - Donc, ça se fera ?
Hervé MORIN - ...nous le faisons, non pas en disant aux Africains, aux pays africains : « Voilà les accords que nous voulons signer, il y a une espèce de formulaire, vous signez en bas » - mais au contraire, en leur disant : « Nous adaptons ces accords de défense, pays par pays, en fonction de la situation ».
Xavier LAMBRECHTS - Ça prendra du temps.
Hervé MORIN - Ça va prendre quelques mois.
Jean-Pierre ELKABBACH - Monsieur le ministre...
Hervé MORIN - Et nous allons - excusez-moi - faire en sorte que ces accords de défense soient publiés, connus du Parlement, sans clauses secrètes, et en évacuant de ces accords de défense des choses qui n'ont absolument pas raison d'être. Nous y avions...
Xavier LAMBRECHTS - ...éventuellement débattus au Parlement ?
Hervé MORIN - ...pourquoi pas ? Je veux dire, au moins que la commission de la Défense puisse être informée, ou la commission des Affaires étrangères, puisse être informée de ces accords. Mais, nous n'avons pas, par exemple, vocation...
Jean-Pierre ELKABBACH - C'est-à-dire, plus de soutien des régimes en place, avec l'aide militaire ?
Hervé MORIN - ...nous n'avons pas, par exemple, vocation à être chargés du maintien de l'ordre. Vous voyez bien que ce sont des clauses qui datent des années 60, du lendemain de la décolonisation, et nous voulons revoir cela.
Jean-Pierre ELKABBACH - Vous avez écrit, dans le journal LA CROIX, que je relisais tout à l'heure : « L'OTAN, c'est 22.000 personnes employées à plein temps, c'est 2 milliards d'euros de budget, et 320 comités » - ça veut tout dire ! Le Général De GAULLE aurait dit : c'est aussi un « machin ». On va le réformer. La France rejoindrait bientôt - peut-être en 2009 - le commandement militaire intégré de l'OTAN, que De GAULLE avait quitté il y a 42 ans. Où est l'urgence ?
Hervé MORIN - Mais, il n'y a pas d'urgence...
Jean-Pierre ELKABBACH - Pourquoi ?
Hervé MORIN - ...l'urgence, c'est de faire évoluer l'Europe de la défense. C'est l'ambition de la présidence française. Et l'ambition de la présidence française, c'est de faire en sorte que des Européens qui ont des intérêts communs, qui ont un avenir commun, qui ont un projet collectif commun, assurent eux-mêmes leur propre sécurité...
Jean-Pierre ELKABBACH - Et pour ça, il faut passer par l'OTAN ?
Hervé MORIN - ...et pour cela, nous avons adressé un message aux Européens, en leur expliquant que l'Europe de la défense ne se faisait pas contre l'OTAN. Pourquoi l'Europe de la défense n'évoluait pas ?...
Jean-Pierre ELKABBACH - ...en Amérique, qu'on a envoyé le message ?
Hervé MORIN - ...aux Américains aussi. Parce que les Américains... de la position américaine dépend aussi la position d'un certain nombre de partenaires européens, qui sont tous très attachés à l'Alliance Atlantique.
Xavier LAMBRECHTS - Ce qui veut dire qu'on ne peut pas, Hervé MORIN, on ne peut pas concevoir un pilier européen de la défense en dehors de l'OTAN ?
Hervé MORIN - On ne peut pas concevoir l'idée de faire progresser rapidement et significativement l'Europe de la défense, si notre message ne s'adresse pas non plus à des partenaires qui considèrent que l'Alliance Atlantique c'est le système de sécurité auquel ils sont attachés. Pourquoi...
Xavier LAMBRECHTS - Vous faites allusion, en particulier, aux pays d'Europe Centrale ?
Hervé MORIN - ...pas uniquement ! Aussi à nos amis Britanniques, à nos amis Allemands, qui sont tous attachés à l'Alliance Atlantique. Et c'est parce qu'ils sont attachés à l'Alliance Atlantique que l'Europe de la défense progressait peu, parce qu'ils avaient le sentiment que la France proposait l'Europe de la défense comme une alternative à l'Alliance. Et nous, nous expliquons que nous voulons participer à la rénovation de l'Alliance Atlantique ; nous voulons que les Européens aient une place prépondérante au sein de l'Alliance Atlantique, et que pour avoir une place prépondérante dans l'Alliance Atlantique, eh bien, il faut que les Européens s'organisent, et que nous participions à cette rénovation. On ne peut pas vouloir que l'Alliance soit moins américaine, et rester en dehors du système ! Voilà.
Jean-Pierre ELKABBACH - Mais vous savez que ça provoque des troubles dans votre propre majorité, au PS, dans tous les partis politiques, parce qu'il y avait unanimité autour de ce qu'avait fait le Général De GAULLE - François MITTERRAND, Jacques CHIRAC -, et qu'on vous dit : en faisant ça, vous faites perdre une partie de la souveraineté et de l'indépendance française...
Hervé MORIN - Mais, l'Alliance...
Jean-Pierre ELKABBACH - ...au-delà de ça, c'est la fin de notre indépendance !
Hervé MORIN - ...l'Alliance Atlantique d'aujourd'hui, ça n'est pas l'Alliance Atlantique d'avant la chute du Mur de Berlin !...
Jean-Pierre ELKABBACH - Donc, il faut la faire bouger... ?
Hervé MORIN - ...l'Alliance Atlantique s'est transformée. L'Alliance Atlantique n'est plus dans un système où - pour faire court, grosso modo - on indiquait à chaque pays ce qu'il devait faire, quels pays il était chargé d'attaquer, etc., etc. Tout ça n'existe plus ! On est dans un système qui... dans lequel nous sommes depuis 1949. On oublie toujours que nous sommes dans l'Alliance Atlantique...
Jean-Pierre ELKABBACH - Les menaces ont changé, elles ont évolué, donc il faut que l'Alliance change ?
Hervé MORIN - ...nous participons à toutes les opérations militaires de l'Alliance depuis 1995 ; des généraux français commandent des opérations de l'OTAN - nous en avons commandé en Afghanistan, nous commandons une opération à l'heure actuelle au Kosovo avec BOUT De MARNHAC. Donc, en quelque sorte, nous sommes déjà largement au sein de l'Alliance Atlantique, et nous voulons peser de façon plus importante dans les décisions, dans l'organisation, et dans le système.
Jean-Pierre ELKABBACH - Dans sa rénovation, puisque vous disiez : 320 comités, 22.000 personnes....
Hervé MORIN - Je me permets de vous faire observer qu'un certain nombre de membres de la majorité qui s'étonnent de notre... des discussions que nous avons au sein de l'Alliance, sont les mêmes qui discutaient avec Jacques CHIRAC de notre retour dans l'Alliance Atlantique en 1995 et en 1996 - c'est assez drôle.
(...)
Jean-Pierre ELKABBACH - Merci, Monsieur MORIN ! Et on aura l'occasion de parler de la réforme des armées, qui est en effet une des très grandes réformes qui est engagée. Merci beaucoup.
Hervé MORIN - Merci
source http://www.defense.gouv.fr, le 24 avril 2008