Interview de M. François Bayrou, président du Mouvement démocrate (MoDem), à RMC le 22 avril 2008, sur sa position par rapport à la politique menée depuis l'élection présidentielle de 2007.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

J.-J. Bourdin.- Notre invité ce matin, F. Bayrou, président du MoDem. Bonjour. Alors, quelques questions d'actualité pour commencer...
 
R.- Mouvement démocrate, c'est mieux de le dire en entier...
 
Q.- Oui, Mouvement démocrate, maintenant. Vous préférez ?
 
R.- Oui, je préfère, je trouve que c'est bien de le dire en entier...
 
Q.- Pourquoi, c'est mieux ?
 
R.- Eh bien, c'est un sigle d'un côté et un nom complet de l'autre.
 
Q.- Bon, d'accord. Alors quelques questions d'actualité...
 
R.- On ne dit pas JJB pour Jean-Jacques Bourdin, on dit Jean-Jacques Bourdin.
 
Q.- Quelques questions d'actualité, quota dans les entreprises pour les plus de 55 ans, bonne idée ou pas ?
 
R.- Moi, je trouve que plus on met de contraintes sur les entreprises, et moins ça marche, il y a une vraie question de l'emploi des plus âgés parmi les salariés, c'est même en France un des points faibles de la société française, moi, je suis pour des mesures incitatives. Je pense que...
 
Q.- Le bonus/malus, c'est une bonne idée ?
 
R.- En tout cas, je pense qu'on pourrait aider les entreprises ou soutenir les entreprises lorsqu'elles emploient des salariés un peu plus âgés, par exemple en diminuant les charges des salariés plus âgés, vous voyez qu'il y a, là, une incitation et pas une contrainte.
 
Q.- Donc plutôt une incitation qu'une contrainte, F. Bayrou. Bien, deuxième sujet d'actualité : les comptes de la Sécu. Le déficit de la Sécu, remarquez, il y a un lien, le déficit de la Sécu s'est creusé encore un peu plus en 2007 par rapport à 2006, je ne sais pas si vous avez vu les chiffres...
 
R.- Tous les déficits se creusent...
 
Q.- Tous les déficits se creusent. Alors, on fait quoi ?
 
R.- On est dans un pays, peut-être, on peut prendre...
 
Q.- Oui, allez-y...
 
R.-...Un plan d'ensemble, on est dans un pays à qui on a fait croire, il y a exactement un an, au moment de l'élection présidentielle...
 
Q.- On va faire les bilans après...
 
R.-...Que c'était facile, qu'il suffirait de dépenser de l'argent, et que cet argent, comme on disait, injecté dans l'économie allait faire tout repartir et que, du coup, les déficits disparaîtraient. Evidemment, c'était une fable, c'était une illusion. Et aujourd'hui, on a la preuve sous les yeux que c'était une stratégie qui racontait des histoires, que c'était malheureusement prendre les électeurs ou les citoyens pour des gogos. Hélas, aujourd'hui, la situation est inquiétante sur tous les fronts. Elle est inquiétante sur le déficit budgétaire... Voyez, le déficit budgétaire, ça fait des années et des années et des années qu'on donne des chiffres qui ne sont pas les vrais chiffres. Par exemple, on dit : 3% de déficit ou 2,7% de déficit. Evidemment ceci est un chiffre qui ne permet pas de prendre la mesure des choses. Le vrai déficit est celui que je vais vous dire. La France et son Etat dépensent tous les jours depuis longtemps, tous les jours, 20% de plus que ce qui rentre dans les caisses. 80 rentrent dans les caisses, et on dépense 100. Alors évidemment, le déficit se creuse tous les jours au point qu'il devient abyssal et impossible à rattraper. Et pour la Sécu, c'est la même chose...
 
Q.- C'est la même chose, mais alors, on fait quoi ? On fait quoi lorsque l'Etat décide, lorsque le président de la République décide de ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux, c'est légitime alors, si je vous comprends bien, compte tenu du déficit public ?
 
R.- Non, non, ce qui n'est pas légitime, c'est d'avoir fait croire le contraire...
 
Q.- C'est-à-dire ?
 
R.- C'est-à-dire d'avoir, pendant la campagne présidentielle, soutenu l'idée que tout est possible, disait-on, vous vous souvenez, tout devient possible, eh bien, on a fait croire ça, et la première mesure que le gouvernement avait mis en place en arrivant, le fameux paquet fiscal, ces 15 milliards, dont au moins la moitié a été dirigée vers ceux qui avaient le plus de moyens...
 
Q.- On parle de 6 milliards.
 
R.- Oui, 7, 8 milliards au moins qui ont été donnés à ceux qui avaient le plus de moyens, donnés à une clientèle électorale, comme a dit le ministre...
 
Q.- Il faut arrêter ça, il faut arrêter ça...
 
R.- En tout cas, ça a égaré la France, ça a poussé la France dans une direction qui est une direction catastrophique, et donc il faut comprendre ça. Selon moi, j'espère me tromper, mais je suis sûr que je ne me trompe pas, on va dans le mur. Vous entendez ?
 
Q.- On va dans le mur ?
 
R.- On va dans le mur.
 
Q.- Ça veut dire quoi "aller dans le mur", F. Bayrou ?
 
R.- Ça veut dire se trouver avec un pays qui tout d'un coup va être devant...
 
Q.- En faillite ?
 
R.- En tout cas...
 
Q.- Est-ce qu'on peut dire que la faillite menace la France ?
 
R.- Eh bien, vous savez, le Premier ministre l'avait dit. Ce qui menace la France en tout cas, c'est une situation insupportable, c'est une situation qui va faire que chacun d'entre nous - et les plus jeunes d'abord - va être placé dans une situation dans laquelle, pour essayer de rétablir un équilibre désespérément compromis, on va prendre sur le travail de chacun pour essayer de boucher le trou perpétuellement aggravé. Et cette situation-là, on l'a niée pendant la campagne présidentielle. Je veux rappeler que j'en avais fait le thème principal de ma campagne présidentielle, la dette, et cette situation-là, elle se trouve aujourd'hui devant le pays comme une épée de Damoclès, au-dessus de la tête du pays comme une épée de Damoclès.
 
Q.- Mais que peut-il arriver alors ? Que peut-il se passer, F. Bayrou ? Quelles sont les conséquences pour nous, Français, pour nous, citoyens...
 
R.- Il y a des livres cataclysmiques... Eh bien, je vous l'ai dit... Tiens, aujourd'hui, on adresse aux Français leur déclaration d'impôts sur le revenu. Eh bien, les trois quarts aujourd'hui, les trois quarts de l'impôt sur le revenu qu'ils vont payer, ils partent dans les intérêts de la dette. Vous vous rendez compte ! 3 euros sur 4 payés par les Français, par l'impôt sur le revenu...
 
Q.- Mais alors, vous seriez président de la République, vous faites quoi ?
 
R.- J'aurais fait le contraire au départ, parce que vous dites : vous faites quoi ? C'est comme quelqu'un qui a creusé un trou dans la coque du bateau, et on lui dit : comment allez-vous naviguer...
 
Q.- Oui, vous auriez fait le contraire au départ, c'est-à-dire ?
 
R.- J'aurais fait le contraire...
 
Q.- Vous êtes élu président de la République...
 
R.- Je n'aurais pas baissé les impôts, je n'aurais pas fait le paquet fiscal, j'aurais fait trois choses principales : j'aurais multiplié l'emploi par les deux emplois sans charges par entreprise ; j'aurais donné la priorité à l'Education, et j'aurais lutté sur le front de la dépense publique en posant la question de : qu'est-ce que l'Etat doit faire et qu'est-ce qu'il ne doit pas faire. Autrement dit, j'aurais pris le problème à l'envers, comme on l'a pris dans un certain nombre de pays.
 
Q.- Est-ce qu'il faudrait un audit des comptes de l'Etat ? Est-ce qu'il faudrait aujourd'hui, je ne sais pas, qu'on sache encore mieux quels sont les comptes de l'Etat...
 
R.- Mais on le sait...
 
Q.- On sait, oui, on sait, et on n'est pas bon...
 
R.- On est en train de faire ce qu'on appelle la RGPP, parce que c'est un pays qui adore les sigles auxquels personne ne comprend rien...
 
Q.- Oui, c'est pour ça que je vous parle de ça, la RGPP...
 
R.- On fait la révision générale des politiques publiques, c'est technocratique, c'est extrêmement interne, bon, ça va peut-être dans le bon sens, mais vous voyez bien qu'on est très, très loin...
 
Q.- Il dit qu'on va économiser 10 milliards d'ici 2012, c'est ce que dit le président de la République...
 
R.- Non, non, ce n'est pas ça.
 
Q.- Bon, ce n'est pas ça, bon.
 
R.- Prenons les chiffres et mettons-les devant nous. Le déficit de l'Etat cette année, aggravé de 10 milliards par rapport à l'an dernier, on a creusé un trou, depuis que le nouveau gouvernement est arrivé, on a creusé un trou. Le déficit de l'Etat est cette année de 52 milliards. Or, avec toutes les mesures qu'on nous annonce, on espère économiser 5 milliards d'ici 2011. Et donc, alors qu'on a pris l'engagement de revenir à l'équilibre en 2012, on se trouve en réalité avec, de l'aveu même de l'Etat, un déficit qui restera du même ordre, 45 ou 50 milliards, que celui qu'on a aujourd'hui...
 
Q.- Mais alors F. Bayrou, si je vous écoute, la charge est terrible de votre part, alors quoi, est-ce que nous avons affaire à la tête de l'Etat à des incompétents, est-ce que nous avons affaire... je ne sais pas... à des dogmatiques, est-ce que nous avons affaire à... à qui avons-nous affaire, F. Bayrou ?
 
R.- Eh bien, les Français le disent aujourd'hui dans les sondages avec beaucoup de précision.
 
Q.- Alors, à qui ?
 
R.- La désillusion est à la mesure des illusions.
 
Q.- Oui, non, mais d'abord, à qui, à des menteurs...
 
R.- La campagne présidentielle...
 
Q.- A des... je ne sais pas, moi... dites-moi...
 
R.- N. Sarkozy a fait la campagne présidentielle, en réalité, avec une vieille recette connue depuis très longtemps, et que C. Pasqua avait formulée de la manière la plus explicite qui soit : les promesses n'engagent que ceux qui les reçoivent. Et c'est avec ça, avec l'idée qu'on allait... qu'importaient les promesses, on verrait bien après, une fois qu'on y serait. Et c'est comme ça que depuis vingt ans, on creuse le drame du pays, on creuse le trou qui fait le drame du pays. Et ceci, évidemment, ça va appeler à une heure de vérité un jour, alors je ne sais pas si c'est dans six mois ou dans trois ans...
 
Q.- L'heure de vérité, ça peut être quoi ?
 
R.- Ah, ben, l'heure de vérité, c'est l'aveu au vu et au su de tous les Français qu'on est obligé de faire face à des échéances auxquelles on ne pourra pas faire face. Il suffirait que ces fameuses agences de notations internationales dégradent quelque peu la note financière de la France pour qu'on se trouve devant une situation explosive. Et ce qui est terrible et inquiétant pour le pays, c'est qu'on ne le dit pas parce que le Parti socialiste, lui, laisse entendre qu'en réalité, on est devant une rigueur - comme si le mot était un mot effrayant et injurieux, on est devant une rigueur - et que ce qu'il faudrait, c'est au contraire se remettre à dépenser de l'argent et le donner à tout le monde. Et vous voyez cette double erreur : l'erreur du gouvernement qui, quand il est arrivé, a donné de l'argent à ceux qui étaient les plus favorisés, et de l'autre côté, l'erreur du Parti socialiste, qui dit : mais il faut dépenser plus pour être juste ; ceci, ça met le pays devant une terrible impasse et double impasse.
 
Q.- Bien. F. Bayrou dresse le bilan donc d'un an de présidence Sarkozy. On va lui demander de dresser le bilan d'un an de présidence du MoDem - du Mouvement des démocrates - dans un instant.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 22 avril 2008