Interview de M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'Etat aux anciens combattants, à LCI le 24 avril 2008, notamment sur les réformes engagées, l'ouverture politique, les relations franco-africaines, la politique de défense et sur la question des régularisations d'immigrés sans-papiers.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : La Chaîne Info

Texte intégral

C. Barbier.- N. Sarkozy parle ce soir à la télévision. F. Fillon attend du Président une feuille de route pour les réformes. Qu'est-ce que cela signifie ?
 
R.- Ça signifie que les réformes sont engagées, on n'en a jamais fait autant d'ailleurs sous un septennat, en une année...
 
Q.- En quinquennat, cette fois-ci.
 
R.- Oui, absolument, un mandant. Et donc, c'est la poursuite de cette démarche de réformes qui doit être affirmée ; poursuite sereine, tranquille, rythmée.
 
Q.- "Tranquille !". On a l'impression que "feuille de route", ça veut dire qu'entre l'Elysée et Matignon, le courant ne passe pas toujours très bien, il faut clarifier les choses ?
 
R.- Oui, c'est ce que je lis parfois dans la presse, mais franchement au Conseil des ministres, encore hier matin, on voit bien les ondes qui passent, le climat. Le climat est bon, le climat est serein, le climat est complice, j'ai l'impression qu'on se fait un peu un film là-dessus.
 
Q.- Quand même, nombre de réformes ont été engagées, vous le disiez...
 
R.- Un film, je veux dire, il y a une bonne entente, manifeste.
 
Q.- Tout de même, la conjoncture internationale économique, elle, est mauvaise. Même avec des réformes engagées, on a l'impression que ça ne suffit pas, ça suffit plus. Ne faut-il passer le cran supérieur, notamment en termes de rigueur ?
 
R.- Engager des réformes, ça veut dire que, pendant deux ans, c'est forcément difficile, il n'y a pas les effets immédiats. Ces efforts vont nous permettre également d'engranger la croissance. Je me souviens d'une époque, sous L. Jospin, on a eu à la fin des années 1990 un moment extraordinaire de croissance, et j'ai le sentiment qu'on n'en pas tiré les profits pour développer le pays, pour solidifier l'économie. Là, on fait le contraire, on réforme à un moment où la conjoncture n'est pas des plus simples, mais franchement, ça nous préparera...le bon redémarrage le moment venu. Et on sait que ce moment viendra dans un an ou deux.
 
Q.- Les couacs ont-ils changé l'ambiance au Gouvernement dans la suite des municipales perdues. Est-ce qu'il y a plus d'autoritarisme de la part du Président ?
 
R.- Franchement, j'étais présent lors du Conseil où il y a eu ce recadrage en fin de Conseil. Et je pense qu'il fallait que ce soit dit, il fallait un peu donner là une impulsion. Et aujourd'hui, on a le sentiment, vraiment j'ai le sentiment, que chacun, ministres, secrétaires d'Etat, personnes apparemment antagonistes, font l'effort, parce que tout le monde se rend compte aussi que c'est un des éléments de notre réussite et de notre crédibilité. Donc, le climat est bon, là.
 
Q.- En tant que ministre d'ouverture, vous attendez un message spécifique ce soir ?
 
R.- Non, simplement, j'ai eu confirmation par le Président à plusieurs reprises que, même s'il y avait une sorte de pause, même s'il y avait un certain nombre de priorités en ce moment, mais l'ouverture reste d'actualité, l'ouverture reste un élément stratégique de la réforme, la réforme juste, la réforme dans la cohésion sociale, c'est cela que symbolisait l'ouverture. Moi-même, je poursuis et je relance "Gauche moderne", le parti politique que j'ai créé à l'automne, pour accompagner, à ma manière - d'autres ministres d'ouverture le font également à leur manière - cette démarche d'ouverture à laquelle nous croyons profondément.
 
Q.- Et tous ces ministres d'ouverture vont se rassembler ? A quand Gauche moderne, les troupes d'E. Besson et Nouveau Centre réunis ?
 
R.- Je pense qu'il est bon de faire vivre sa diversité, d'autant plus qu'il y a, et avec l'UMP et avec les centristes, ce comité de liaison de la majorité qui a été créé, qui n'est pas une confédération trop contraignante...
 
Q.- Et son se parle ?
 
R.-...mais qui est une démarche souple, et on se parle, et on va se parler de manière organisée, structurée.
 
Q.- Alors, vous avez quitté il y a un mois le secrétariat d'Etat à la Coopération pour aller à la Défense. Les conditions sont restées étranges. Avez-vous été sacrifié, déplacé, à la demande d'O. Bongo, le Président du Gabon ?
 
R.- Je ne me situe pas dans le commentaire, je considère que...
 
Q.- C'est un fait ça. Est-ce qu'il y a eu un coup de téléphone... ?
 
Je ne me situe pas dans le commentaire, j'étais très heureux d'avoir été à la Coopération et à la Francophonie. Tout ce que j'ai dit, ce que j'ai pu dire, ce que j'ai pu faire, je l'assume. Je pense que j'ai contribué pendant cette période à faire évoluer les esprits, il n'y a qu'à voir le discours du Cap du président de la République, sur notre relation à l'Afrique, j'en ai été très satisfait. Aujourd'hui, je suis à la Défense, je suis très heureux d'être à la Défense auprès d'H. Morin, et aux Anciens Combattants. Le devoir de mémoire d'ailleurs que j'évoquerai cet après-midi, à Notre-Dame-de-Lorette. Donc, pour moi, si vous voulez, c'est une page qui est tournée, et ...
 
Q.- Et vous laissez dire, par exemple l'avocat R. Bourgi, qui dit dans la presse que c'est lui qui a fait passer le message et qui a eu votre tête ?
 
R.- Je laisse absolument tout dire, je ne suis pas dans le commentaire. Si j'avais voulu m'appesantir sur cette affaire, si j'avais voulu ne pas poursuivre le travail, ç'aurait été un choix. Et à ce moment-là, j'aurais été dans l'explication. A partir du moment où je décide de continuer, eh bien, je ne me tourne pas vers le passé, et...
 
Q.- Et que pensez-vous de...quand vous voyez C. Guéant et votre successeur, A. Joyandet aller voir O. Bongo tout de suite ?
 
R.- Ecoutez, il est tout à fait normal que des contacts se multiplient avec les amis de la France. Moi-même, j'étais d'ailleurs dans cet état d'esprit. Donc, sur le fond, je n'ai pas de difficulté. Je me sens tout à fait en phase avec l'action gouvernementale dans sa globalité. J'ai moi-même assumé ce que j'avais à faire, ce qu'avait à dire, je suis très heureux d'être à la Défense où il y a de sacrés défis à relever, avec H. Morin.
 
Q.- Mais il y a encore du travail pour rompre avec la France-Afrique ?
 
R.- Bien sûr, c'est une oeuvre de longue haleine. J'y ai apporté ma petite pierre.
 
Q.- Sur les dossiers défense, hier, polémique entre P. Lellouche, député UMP et H. Morin. Lellouche dit que Morin a annoncé avec trop de légèreté l'abandon du second porte-avions. Le président, en Conseil des ministres, selon le Figaro aurait répondu que la légèreté était du côté de Lellouche. Qu'en est-il ? Est-ce qu'on va abandonner ce second porte-avions ?
 
R.- Oui, la légèreté est du côté non pas de la personne de Lellouche pour qui j'ai estime et sympathie, mais pour la déclaration qu'il a faite et qui a été particulièrement légère. Ce sont des dossiers extrêmement complexes. Ce sont des dossiers de longue haleine. Rien n'a été décidé, rien n'a été tranché. Ce qu'a dit H. Morin, c'est très précisément la réalité de la situation. C'est une manière de dire que de toute façon, par rapport à ces investissements, rien ne sera facile, rien ne sera simple, rien ne sera immédiat.
 
Q.- Quand décidera-t-on pour le second porte-avions ?
 
R.- On décidera le jour où le Président précisera clairement les choses. Vous imaginez, comme l'a d'ailleurs dit le ministre, que ce type de décision ou tout simplement d'orientation en terme de méthodologie, elle relève du plus haut niveau, bien entendu.
 
Q.- On attend le Livre blanc sur la défense ? C'est lui qui va faire le net, le clair sur le porte-avions.
 
R.- Le Livre blanc va exprimer un point de vue sur toute une série de sujets y compris sur celui-là. Le Livre blanc -je rencontrais encore une partie de ses responsables hier après-midi - évidemment inspire la démarche de préparation du nouveau format des armées. Mais ce sont tout de même deux démarches distinctes. Aujourd'hui, nous mettons avec H. Morin toute notre énergie dans la préparation de l'annonce après la mi-juin, le 19 juin, de ce que sera précisément ce nouveau format des armées et ce sera d'abord une démarche stratégique, puisque je vous le rappelle, contrairement à d'autres réformes dans d'autres administrations, nous agirons même avec la réduction du format à budget constant, c'est-à-dire que les économies qui seront faites sur plusieurs années serviront non pas à revenir vers le budget général mais serviront à mieux investir, serviront également à soutenir davantage la réserve, qui devient de plus en plus stratégique. Bref, ce n'est pas un recul de notre engagement dans la défense, mais c'est une démarche stratégique pour que notre défense soit adaptée au monde moderne - le monde a changé - aux nouvelles missions, mais cela passera aussi par une réduction du format de nos armées. Tout le monde le sait, on s'y prépare on y travaille.
 
Q.- La réforme de la carte militaire suscite beaucoup d'angoisse, notamment dans l'Est de la France dont vous êtes élu, où beaucoup de garnisons vont peut-être fermer boutique. Etes-vous sûr que Matignon prendra les mesures d'accompagnement social pour amortir le choc ?
 
R.- Vous avez raison d'évoquer Matignon, parce qu'il y aura forcément - nous travaillons aussi beaucoup en dialogue avec les parlementaires un peu partout en France - il y aura forcement, notamment d'ailleurs dans certaines régions où il y a peu d'activités économiques, il faut qu'il y ait une vision consolidée, globale de l'ensemble des activités, y compris le service public, une vision également de tous les soutiens, de toutes les aides qui peuvent être apportées. Moi j'ai vécu une période de départ de l'armée, de reconversion de caserne, à la fois dans une grande ville chez moi, mais également dans un bourg centre de 6.000 habitants à quelques kilomètres de chez moi, en pleine campagne. Donc, je peux vous dire que c'est possible de surmonter ces moments-là. Mais on n'y arrive pas tout seul. Il faut qu'il y ait un soutien. Et Matignon sera garant, avec notamment également H. Falco, le secrétaire d'Etat à l'Aménagement du territoire.
 
Q.- On dit 42.000 emplois en jeu, quand même. C'est vrai ? 42.000 emplois supprimés ?
 
R.- Les chiffres seront annoncés le moment venu.
 
Q.- Mais on est dans cet ordre de grandeur ? C'est beaucoup quand même !
 
R.- C'est l'ordre de grandeur.
 
Q.- Aujourd'hui, vous lirez un message de N. Sarkozy à Notre-Dame-de-Lorette où 148 tombes de soldats musulmans ont été profanées au début du mois. Que dit en substance ce message ?
 
R.- D'abord, je me suis rendu sur place au moment de la profanation. Là, j'ai exprimé à la fois l'indignation et l'émotion. Mais là, aujourd'hui, c'est aussi le 90ème anniversaire de l'Armistice - donc, c'est une cérémonie beaucoup plus large. Mais je commencerai par le carré musulman, d'abord pour montrer, en présence de toutes les associations, que nous avons remis ce site en état, c'était la moindre des choses, mais également au nom du Président dans mon discours, dans son discours, exprimer non seulement le rejet du racisme, cela fait aussi partie de devoir de mémoire, mais également cibler, en l'occurrence, particulièrement, l'islamophobie. Car il y a eu insultes racistes, bêtises, mais il y a eu également très précisément et de manière infâme islamophobie. Et ça, nous ne l'acceptons pas. Nous n'acceptons pas l'antisémitisme, nous n'acceptons pas le racisme, nous n'acceptons pas les profanations, nous n'acceptons pas non plus l'islamophobie. C'est cela aussi la République française.
 
Q.- Pas de régularisation massive des sans-papiers dotés d'un emploi, a tranché B. Hortefeux. Le regrettez-vous ? Auriez-vous aimé un traitement global ?
 
R.- J'ai toujours été hostile aux régularisations massives. Je suis maire de Mulhouse, ville d'immigration. Je pense que la France est un pays d'immigration et le restera.
 
Q.- Au cas par cas.
 
R.- Mais nous réussirons... Pas seulement au cas par cas. Il faut d'abord qu'il y ait une règle du jeu ; on est en train de la mettre en place au niveau français et au niveau européen, parce que la plupart des pays européens aujourd'hui nous suivent dans cette démarche. Ceux qui étaient favorables, comme l'Espagne à une certaine époque, à des régulations massives, reconnaissent que ce n'est pas la bonne méthode. Donc, nous avons, chaque fois qu'on change, qu'on passe d'un système où c'était n'importe quoi à une démarche organisée... il y a des moments difficiles, il y a des situations humaines parfois nombreuses. B. Hortefeux est un être humain attentif à ces questions. Donc, nous allons améliorer encore l'examen au cas par cas mais nous ne commettrons pas l'erreur de la régularisation massive, qui crée immédiatement un flux et qui crée immédiatement des situations qui ne sont bonnes pour personne, y compris d'ailleurs pour les immigrés qui arrivent dans de mauvaises conditions de logement, de travail irrégulier. Il faut une règle du jeu mais il faut également, c'est le cas, une démarche humaine.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 24 avril 2008