Interview de M. Christian Poncelet, président du Sénat, à La Chaîne info le 5 avril 2001, sur la réunion d'Alternance 2002 (devenue l'"Union en mouvement") pour l'union de l'opposition, la convocation de Jacques Chirac comme témoin et la crise de l'agriculture.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

La convocation de Jacques Chirac comme témoin : une opération de déstabilisation ?
"Le monde agricole se sent exclu des bénéfices de la croissance"

Anita HAUSSER
Bonjour Monsieur PONCELET.
Christian PONCELET
Bonjour Anita HAUSSER.
Anita HAUSSER
Vous n'étiez pas à la réunion d'Alternance 2002 devenue " l'Union en mouvement ", oui, çà a changé de nom hier. Pourquoi, parce que vous dites : c'est de la tarte à la crème de l'union, ce sont des mots ou çà ne va pas révolutionner la politique ?
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Christian PONCELET
Non, pas du tout, j'ai même regretté de ne pas pouvoir assister à cette manifestation, que j'ai suivie bien évidemment, et je dirais qu'elle a été précédée d'autres actions dont j'avais pris, au Sénat, l'initiative. Mais j'étais dans le Nord où je présidais une assemblée des Maires avec les Sénateurs du Nord, en particulier Monsieur Jacques LEGENDRE, c'est une manifestation qui était prévue depuis très longtemps avec l'inauguration de deux implantations d'activités qui participent bien sûr à la réduction du chômage qui est encore important dans cette région de France.
Anita HAUSSER
Çà veut dire que vous étiez de tout coeur avec ceux qui organisaient cette journée ?
Christian PONCELET
Oui. Pour moi, tout ce qui concourt à rassembler l'opposition, à conforter celle-ci, ne peut être qu'encouragé. Et je vous le rappelais, il y a un instant, au lendemain de mon élection à la présidence du Sénat, j'ai pris l'initiative de réunir régulièrement les présidents des groupes parlementaires de l'opposition de l'Assemblée et du Sénat. Et nous travaillons précisément sur la recherche en commun de solutions à proposer dans le domaine des retraites, dans le domaine de l'insécurité, dans le domaine de la réforme fiscale.
Anita HAUSSER
Mais, pour motiver vos électeurs, il ne faut pas donner un signal plus fort ?
Christian PONCELET
Je crois que la démarche d'hier est conforme à ce que nous avions déjà arrêté, à savoir qu'il faut aller progressivement, il ne faut pas précipiter les choses. Par conséquent, après la réunion des groupes parlementaires dont je vous parlais il y a un instant, le but maintenant est de faire monter ce qu'on appelle aujourd'hui " la République d'en bas ", c'est-à-dire nos concitoyens.
Anita HAUSSER
Et on la fait monter comment ? Si, par exemple, les troupes parlementaires ne donnent pas l'exemple, ils font juste un intergroupe, les présidents se voient, enfin c'est comme avant, finalement.
Christian PONCELET
Ah non, avant il y avait les présidents des groupes parlementaires qui se réunissaient, nous avons fait une étape supplémentaire à savoir que maintenant ce sont tous les membres des groupes parlementaires qui se réunissent...
Anita HAUSSER
Çà les électeurs n'y comprennent pas grand-chose quand même.
Christian PONCELET
Je crois qu'il faut se garder de fiançailles, trop rapides, qui conduiraient à un mariage qui ne serait pas solide. Je pense que la démarche qui a été engagée maintenant va s'amplifier. Elle est le résultat aussi du signal très fort donné dans le cadre de ces élections municipales. On l'a bien compris, nos électeurs veulent...
Anita HAUSSER
Et justement, c'est pour çà que je vous repose la question.
Christian PONCELET
Nos électeurs veulent l'union mais encore une fois, il faut être pragmatique et, par conséquent, il faut aller progressivement parce qu'il y a encore ici ou là quelques réticences qu'il faut surmonter, qu'il faut convaincre et non pas vaincre en la circonstance.
Anita HAUSSER
Il va y avoir une fracture, là, puisque les amis de François BAYROU ne veulent pas en entendre parler.
Christian PONCELET
C'est la raison pour laquelle il faut aller progressivement, n'est-ce pas, et alors nous réussirons à déterminer un programme pour les élections devant lesquelles nous nous trouvons placés, élections législatives, élections présidentielles. Il faut déterminer un code de bonne conduite.
Anita HAUSSER
Çà va plutôt être l'inverse parce que bon, le Sénat s'est beaucoup battu contre l'inversion mais là, la partie semble perdue quand même.
Christian PONCELET
Oui, j'ai noté au passage que le Premier ministre, lui, avait changé d'avis, il y a trois ou quatre mois, mais je ne sais pas si çà a été relevé, il avait dit : oh non, non, non, il n'est pas question de modifier la règle du jeu, ce serait politicien..
Anita HAUSSER
Il a changé.
Christian PONCELET
Il a changé, je le relève, parce qu'on sait relever les changements dans l'opposition, on ne les relève peut-être pas suffisamment dans la majorité dite plurielle... Je crois que l'inversion du calendrier électoral est une mauvaise démarche. C'est une mauvaise démarche, changer de règle du jeu, à la veille d'une élection, çà ne sera pas bien interprété par la population parce que çà fait, autorisez-moi l'expression, un peu " magouille ".
Anita HAUSSER
Alors, Jacques CHIRAC a de nouveau été mis en cause hier dans les colonnes du Monde, par un ancien dirigeant de l'Office HLM de Paris. Bon, est-ce que vous pensez que bien qu'il dise qu'il ne peut pas s'expliquer, qu'il ne doive pas aller devant un juge parce qu'il y a eu l'arrêt du Conseil constitutionnel, est-ce qu'il ne devrait pas faire une explication écrite ou faire un témoignage pour mettre fin à tout çà ?
Christian PONCELET
Mais non ! Mais la responsabilité pénale du Chef de l'Etat dans l'exercice de ses fonctions relève d'une juridiction particulière : la Haute Cour de Justice. Cette Cour a son fonctionnement, a sa propre procédure. En ce qui concerne la séparation des pouvoirs et la continuité du pouvoir, si le président de la République répondait à cette décision, il serait complice d'une atteinte à la Constitution.
Anita HAUSSER
Et c'est çà qu'il ne doit pas faire.
Christian PONCELET
Et il ne doit pas le faire.
Anita HAUSSER
Et il ne devrait pas faire un témoignage écrit ou...
Christian PONCELET
Je ne suis pas contre, je suis convaincu qu'au fond de lui-même, mais çà c'est un avis personnel, il souhaiterait pouvoir répondre, pouvoir s'expliquer, mais il ne peut pas, dans la circonstance se montrer complice d'une atteinte à la Constitution. On sait très bien que le président de la République ne peut pas répondre. Alors, de quoi s'agit-il ? S'agit-il d'une opération médiatique, s'agit-il de vouloir déstabiliser, n'est-ce pas, le Chef de l'Etat au lendemain d'une victoire de l'opposition dans le cadre de ces élections municipales ? Je rappelle que plus de 40 villes de plus de 15 000 habitants ont été reprises à la gauche, donc par conséquent il y a là une opération qui m'interpelle comme on dit dans le langage journalistique.
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Anita HAUSSER
Et quand vous posez la question, vous répondez oui ?
Christian PONCELET
Le sens de la question ?
Anita HAUSSER
Vous dites : s'agit-il d'une opération, d'une manipulation...
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Christian PONCELET
J'en ai le sentiment. J'ai pensé que c'était une erreur de la part...
Anita HAUSSER
Ce serait mené par qui ?
Christian PONCELET
Ah çà, il faut mener votre enquête pour çà.
Anita HAUSSER
Eh bien écoutez, vous aussi.
Christian PONCELET
C'est ce que je vais faire.
Anita HAUSSER
Alors, vous allez aujourd'hui au congrès de la FNSEA, qui n'a pas reçu la visite du ministre de l'Agriculture mais Lionel JOSPIN, lui, va recevoir toutes les organisations agricoles. Ce désarroi du monde agricole a été sous-estimé ?
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Christian PONCELET
Ecoutez, le monde agricole est actuellement dans une très grave crise morale d'identité. Le monde agricole se sent exclu des bénéfices de la croissance, le monde agricole a le sentiment qu'il est le mal-aimé de ceux qui nous dirigent. On ne porte pas suffisamment intérêt à cette préoccupation, il faut savoir que ce monde agricole est aujourd'hui, à la suite de crises successives, l'ESB, la vache folle, la fièvre aphteuse..., dans une situation de désespérance. Certaines exploitations sont en rupture de trésorerie, les agriculteurs ne peuvent plus faire face financièrement à l'essentiel des besoins de la vie. Alors il est urgent qu'en ce qui concerne les abattages systématiques qui ont été organisés, on puisse très rapidement indemniser et convenablement le monde agricole, qu'on puisse lui redonner l'espoir. Savez-vous que le revenu des agriculteurs, leur pouvoir d'achat a baissé de 10 % par an sur les trois dernières années. C'est la seule catégorie en France qui a subi une telle perte de pouvoir d'achat. Savez-vous que l'on s'interroge sur l'avenir du monde agricole puisque sur les trois dernières années il y a eu 35 % d'agriculteurs en moins qui se sont installés.
Anita HAUSSER
Et çà c'est une question à laquelle vous souhaiteriez répondre ?
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Christian PONCELET
Et surtout marquer ma solidarité à l'égard de ce monde agricole.
Anita HAUSSER
Christian PONCELET merci..
(Source http://www.senat.fr, le 12 avril 2001)