Texte intégral
Madame la Ministre,
Mesdames, Messieurs, chers amis,
Je souhaite dabord remercier très amicalement Pierre-Alain Muet ainsi que Sir Michael Jay davoir pris cette initiative, qui nallait pas de soi, dorganiser ce premier séminaire franco-britannique sur leuro.
Je voudrais les remercier aussi de mavoir demandé douvrir vos travaux, qui doivent se poursuivre jusquen fin de journée, pour se conclure autour de vous, chère Joyce, à la résidence de lambassadeur, où vous nous avez convié à dîner. Malheureusement, je ne pourrai pas être des vôtres ce soir, étant retenu à la même heure chez le Premier ministre pour un dîner de travail. Je men excuse auprès de vous par avance. Mais je tiens à vous dire aussi que je ne manquerai pas de minformer précisément de vos débats par dautres voies, peut-être par une publication du Conseil danalyse économique.
Jen viens sans tarder au vif de mon propos, qui sera centré sur la relation qui est en train de sétablir entre le Royaume-Uni et lUnion économique et monétaire, en évoquant aussi, peut-être plus sous forme de questions ou de voeux, les évolutions que cette relation sera appelée à connaître dans les années qui viennent.
Depuis le 4 janvier dernier, onze pays dEurope ont changé de monnaie pour adopter leuro. La France en fait partie, ainsi que lAllemagne, lItalie et lEspagne. Le Royaume-Uni, la Suède et le Danemark ont choisi volontairement de conserver leur monnaie pour lheure. Il en résulte naturellement que le paysage monétaire européen est considérablement simplifié aujourdhui, en se structurant principalement autour de trois grandes monnaies :
· leuro, création monétaire toute neuve et inédite, qui va devoir trouver dans les semaines qui viennent son ancrage sur les marchés, mais dont la crédibilité ne fait de doute pour personne, compte tenu de son adossement à une vaste zone économique de production, déchange et de consommation, et compte tenu aussi de la crédibilité reçue en héritage des principales monnaies du Système monétaire européen.
· la livre sterling, dont nous connaissons tous lhistoire brillante, et dont nous connaissons aussi les spécificités : une monnaie utilisée abondamment pour les transactions financières internationales, et qui bénéficie à plein du centre dexcellence financier que constitue la City.
· et puis, enfin, le franc suisse, dont la place et la vocation dans le système monétaire international sont un peu plus spécifiques, sans être totalement négligeables.
A lévidence, leuro va constituer la monnaie dominante de cet ensemble. Ma conviction demeure quil va exercer une attraction très forte sur les autres monnaies, et en tout premier lieu sur la livre sterling.
Pour autant, je me garderai bien de formuler un quelconque pronostic sur lentrée de la livre sterling dans leuro :
Dabord, parce quelle relève de la décision souveraine du peuple britannique.
Ensuite, parce quil y a légitimement la place pour un vrai débat outre-Manche, mais aussi sur le continent, sur le bilan coûts/avantages dune entrée rapide de la livre sterling dans leuro.
1- Les termes de ce débat sont maintenant assez bien établis outre-Manche.
Le mérite en revient largement à Tony Blair lui-même, qui a fortement contribué, à mon sens, à « désidéologiser » le débat dès la fin de lannée 1997, en élaborant une sorte de théorie de la conditionnalité : oui à lentrée dans leuro à condition que la convergence économique entre le Royaume-Uni et le continent soit soutenable dans la durée et que les bénéfices économiques soient clairs et sans ambiguïté, pour résumer à grands traits le message général délivré depuis plus dun an par le chef du gouvernement britannique.
Les principaux éléments qui permettraient de fonder une décision rationnelle sont placés de plus en plus au premier plan du débat :
· lUEM devra avoir prouvé quelle est un succès, et un succès durable ;
· les perspectives économiques de la zone euro devront apparaître comme meilleures que celles du Royaume-Uni en termes de croissance et demploi ;
· les effets favorables, en termes de baisse des taux dintérêt, devront être substantiels pour justifier le partage de la souveraineté monétaire.
Cette philosophie du « wait and see » a sa pertinence économique. Mais elle a aussi sa pertinence politique incontestablement, car elle seule peut permettre de convaincre le plus grand nombre en Grande-Bretagne quune décision dintégration à leuro ne sera proposée que pour autant que les bénéfices attendus de cette intégration monétaire pour le Royaume-Uni sont certains.
Pour autant, cette approche nest peut-être pas tout à fait suffisante. En effet, pour les Britanniques demain, comme pour les Allemands ou les Français hier, le passage à leuro sera aussi un acte de foi dans lEurope, fondé sur la conviction que lintégration européenne, notamment économique et monétaire, apportera toujours un supplément de croissance et de prospérité aux différentes nations qui la composent. Par nature, les bénéfices de lUnion économique et monétaire seront toujours constatés ex-post, comme disent les économistes.
Cette éthique de conviction est au coeur de la démarche complémentaire amorcée depuis quelques mois par le gouvernement britannique autour du slogan « prepare and decide ».
Le chancelier de léchiquier, Gordon Brown, va présenter très prochainement le plan national de transition du Royaume-Uni détaillant les mesures concrètes pour préparer un éventuel passage à leuro, qui sinspire notamment des programmes que nous avons pu élaborer dans dautres pays de lUnion, en France notamment.
Cette démarche permettra dacclimater de nombreux acteurs économiques à leuro. Elle sensibilisera le grand public également aux enjeux concrets de leuro. Dores et déjà, les grandes entreprises britanniques, tournées vers lexportation, sont mobilisées et utiliseront naturellement leuro comme moyen de règlement et de facturation. Dune manière générale, le dynamisme exceptionnel de la City devrait conduire aussi à installer plus solidement leuro par un phénomène de « porosité » partant de Londres et se diffusant progressivement dans lensemble du tissu économique.
Lengagement en faveur de leuro est fort et sans équivoque à tous les niveaux. Personnellement, je me réjouis de cette volonté affirmée avec constance par le gouvernement britannique de mobiliser le pays sur cette question essentielle pour lavenir économique du royaume. Cette volonté politique aura un impact décisif pour faire évoluer positivement lopinion. A terme, il me semble évident que le Royaume-Uni aura sa place dans leuro, à lheure que les Anglais auront choisie.
2- Les termes du débat sur lentrée de la livre sterling dans leuro sont aussi assez bien cernés sur le continent, et tout particulièrement en France.
Le gouvernement de Lionel Jospin a déterminé ses orientations sur lUnion économique et monétaire également à partir de sa propre théorie de la conditionnalité, comme vous le savez.
En particulier, nous avons plaidé inlassablement en faveur dun « pôle » économique qui vienne équilibrer le nouveau pouvoir de la Banque centrale européenne. Nous avons mis en place le Conseil de leuro à Luxembourg en décembre 1997 et, à cette occasion, les chefs dEtat et de gouvernement ont défini les bases dun accord sur larticulation des compétences du Conseil ECOFIN et du Conseil de leuro.
Grâce à laction vigoureuse de Dominique Strauss-Kahn, et aussi depuis quelques semaines de Oskar Lafontaine, qui assure la présidence de ces deux Conseils, nous avons aujourdhui une vision claire de ce pôle économique.
Au-delà de la réussite technique de leuro, que nous avons saluée lors de ce long week-end du nouvel an, il nous faut à présent impérativement montrer que nous sommes capables de faire de leuro un instrument au service de lemploi et de la croissance.
Dans la mise en place de leuro, nous disposons actuellement de trois dispositifs daccompagnement:
· Le pacte de stabilité et de croissance, qui doit permettre aux pays « in » de revenir progressivement vers une situation déquilibre de leurs finances publiques ou, en tout cas, un niveau de déficit qui permette de faire retour à des niveaux dendettement public raisonnables, en libérant des capacités dépargne pour financer linvestissement des entreprises. La France a transmis tout récemment son programme pluriannuel de finances publiques à ses partenaires, avec lengagement de revenir à un niveau de déficits publics compris entre 0,8 % et 1,2 % en 2002.
· Le deuxième dispositif daccompagnement, cest le processus de réforme économique que nous avons formalisé dans les conclusions du Conseil européen de Cardiff en juin 1998. Nous y sommes très attachés, car le bon fonctionnement du marché unique, la création dun marché paneuropéen des capitaux à la fois plus profond et plus liquide, sont des conditions nécessaires pour bénéficier à plein des dividendes de leuro que nous sommes en droit dattendre pour la croissance et pour lemploi. Pour assurer à ce marché sa fluidité, il faut aussi développer la coordination en matière fiscale et sociale pour éviter le dumping.
· Le troisième dispositif daccompagnement, cest le Pacte européen pour lemploi qui se situe lui-même dans le prolongement de laction commune que nous avons entreprise lors du Conseil européen extraordinaire de Luxembourg en novembre 1997. Notre objectif na pas varié. Nous souhaitons développer la logique des objectifs quantifiés - le « benchmarking » - que nous avons initiée à Luxembourg sur lemploi et sur les politiques de lemploi. Nous souhaitons aussi accroître le contrôle communautaire des performances des Etats membres dans le domaine de la lutte pour lemploi. Ces chantiers sont absolument prioritaires de notre point de vue, car le processus dunification monétaire doit dabord servir lemploi.
Jy ajouterai deux autres voies de réforme européenne essentielles à mes yeux :
· La plus grande synergie entre les lignes directrices pour lemploi et les grandes orientations de politique économique : cest, en effet, sans doute, la meilleure manière dirriguer en profondeur la coordination des politiques économiques par des préoccupations liées à lemploi et à la défense de notre modèle social européen.
· Lémergence de formes institutionnelles pour le dialogue social européen, qui permettent aux acteurs sociaux de saffirmer comme une force de proposition au niveau européen dans le domaine de la lutte pour lemploi et de la législation sociale européenne.
3- Jen terminerai enfin par des considérations plus larges sur lavenir de lUnion européenne.
Leuro, à lévidence, constitue un choc fédérateur. Aucune banque centrale nexiste dans le vide politique et la notion même dindépendance na de sens que dans un cadre institutionnel, politique et démocratique, au sein duquel elle puisse sexercer. Nous avons donc un devoir de concevoir une forme dintégration renforcée entre les pays qui ont leuro en partage, afin de mettre en place une véritable coordination des politiques économiques.
Par ailleurs, la perspective prochaine de lélargissement à lEst va confronter lUnion à un défi considérable. Ma conviction personnelle est que lUnion ne résistera pas, dans sa forme actuelle, à la dynamique de réunification du continent européen, que nous allons donc bâtir une autre Europe. Je crois que, sur ce diagnostic, les positions françaises et britanniques sont assez comparables.
Je crois quil faut accepter lidée, qui nest peut-être pas très séduisante pour lesprit - surtout pas pour une certaine forme de cartésianisme très français - et qui nous donne aussi limpression que nous sommes infidèles au projet des « Pères fondateurs », que lEurope à Trente ne pourra pas avoir les mêmes formes, les mêmes pratiques, le même projet, que lEurope à Quinze.
Je dis cela, pour ma part, sans éprouver le moindre sentiment de culpabilité ou damertume. Je suis trop respectueux de la nation, et du destin de chacune dentre elles en Europe, pour penser que tous les peuples pourraient concevoir, ensemble et au même moment les mêmes ambitions. Il est très clair pour chacun que lEurope ne se fera pas contre les nations, mais avec elles.
Comment, forts de ce constat, pouvons-nous articuler une vision européenne, sans pour autant accréditer la notion dEurope à la carte, lEurope « self-service » que, paradoxalement, nous mettrions en avant au moment même où nous demandons aux pays dEurope centrale et orientale qui aspirent à nous rejoindre de reprendre la totalité de notre acquis communautaire ?
Je nai, bien entendu, pas de réponse toute faite à la question de larchitecture future de lUnion européenne. Mais il me semble inévitable que, dans lEurope de demain, les « coopérations privilégiées » se développeront sur le modèle de ce que nous faisons actuellement à 11 avec leuro, à 10 avec lUEO, et à 9 avec Schengen. Le Traité dAmsterdam consacre la notion de « coopérations renforcées », qui pourrait alors devenir la règle dans le cadre dune Europe à Trente. Chacun pourra rejoindre les coopérations renforcées de son choix, à condition dassumer ses responsabilités et de manifester clairement sa volonté de mettre lEurope en mouvement dans les domaines où il estime être en capacité de le faire.
A cet égard, la réflexion que nous avons produite sur le « pôle » économique est essentielle à plus dun titre car elle préfigure largement ce qui risque bien dêtre la problématique centrale de lEurope élargie de demain.
Je vous remercie de votre attention./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, février 1999)
Mesdames, Messieurs, chers amis,
Je souhaite dabord remercier très amicalement Pierre-Alain Muet ainsi que Sir Michael Jay davoir pris cette initiative, qui nallait pas de soi, dorganiser ce premier séminaire franco-britannique sur leuro.
Je voudrais les remercier aussi de mavoir demandé douvrir vos travaux, qui doivent se poursuivre jusquen fin de journée, pour se conclure autour de vous, chère Joyce, à la résidence de lambassadeur, où vous nous avez convié à dîner. Malheureusement, je ne pourrai pas être des vôtres ce soir, étant retenu à la même heure chez le Premier ministre pour un dîner de travail. Je men excuse auprès de vous par avance. Mais je tiens à vous dire aussi que je ne manquerai pas de minformer précisément de vos débats par dautres voies, peut-être par une publication du Conseil danalyse économique.
Jen viens sans tarder au vif de mon propos, qui sera centré sur la relation qui est en train de sétablir entre le Royaume-Uni et lUnion économique et monétaire, en évoquant aussi, peut-être plus sous forme de questions ou de voeux, les évolutions que cette relation sera appelée à connaître dans les années qui viennent.
Depuis le 4 janvier dernier, onze pays dEurope ont changé de monnaie pour adopter leuro. La France en fait partie, ainsi que lAllemagne, lItalie et lEspagne. Le Royaume-Uni, la Suède et le Danemark ont choisi volontairement de conserver leur monnaie pour lheure. Il en résulte naturellement que le paysage monétaire européen est considérablement simplifié aujourdhui, en se structurant principalement autour de trois grandes monnaies :
· leuro, création monétaire toute neuve et inédite, qui va devoir trouver dans les semaines qui viennent son ancrage sur les marchés, mais dont la crédibilité ne fait de doute pour personne, compte tenu de son adossement à une vaste zone économique de production, déchange et de consommation, et compte tenu aussi de la crédibilité reçue en héritage des principales monnaies du Système monétaire européen.
· la livre sterling, dont nous connaissons tous lhistoire brillante, et dont nous connaissons aussi les spécificités : une monnaie utilisée abondamment pour les transactions financières internationales, et qui bénéficie à plein du centre dexcellence financier que constitue la City.
· et puis, enfin, le franc suisse, dont la place et la vocation dans le système monétaire international sont un peu plus spécifiques, sans être totalement négligeables.
A lévidence, leuro va constituer la monnaie dominante de cet ensemble. Ma conviction demeure quil va exercer une attraction très forte sur les autres monnaies, et en tout premier lieu sur la livre sterling.
Pour autant, je me garderai bien de formuler un quelconque pronostic sur lentrée de la livre sterling dans leuro :
Dabord, parce quelle relève de la décision souveraine du peuple britannique.
Ensuite, parce quil y a légitimement la place pour un vrai débat outre-Manche, mais aussi sur le continent, sur le bilan coûts/avantages dune entrée rapide de la livre sterling dans leuro.
1- Les termes de ce débat sont maintenant assez bien établis outre-Manche.
Le mérite en revient largement à Tony Blair lui-même, qui a fortement contribué, à mon sens, à « désidéologiser » le débat dès la fin de lannée 1997, en élaborant une sorte de théorie de la conditionnalité : oui à lentrée dans leuro à condition que la convergence économique entre le Royaume-Uni et le continent soit soutenable dans la durée et que les bénéfices économiques soient clairs et sans ambiguïté, pour résumer à grands traits le message général délivré depuis plus dun an par le chef du gouvernement britannique.
Les principaux éléments qui permettraient de fonder une décision rationnelle sont placés de plus en plus au premier plan du débat :
· lUEM devra avoir prouvé quelle est un succès, et un succès durable ;
· les perspectives économiques de la zone euro devront apparaître comme meilleures que celles du Royaume-Uni en termes de croissance et demploi ;
· les effets favorables, en termes de baisse des taux dintérêt, devront être substantiels pour justifier le partage de la souveraineté monétaire.
Cette philosophie du « wait and see » a sa pertinence économique. Mais elle a aussi sa pertinence politique incontestablement, car elle seule peut permettre de convaincre le plus grand nombre en Grande-Bretagne quune décision dintégration à leuro ne sera proposée que pour autant que les bénéfices attendus de cette intégration monétaire pour le Royaume-Uni sont certains.
Pour autant, cette approche nest peut-être pas tout à fait suffisante. En effet, pour les Britanniques demain, comme pour les Allemands ou les Français hier, le passage à leuro sera aussi un acte de foi dans lEurope, fondé sur la conviction que lintégration européenne, notamment économique et monétaire, apportera toujours un supplément de croissance et de prospérité aux différentes nations qui la composent. Par nature, les bénéfices de lUnion économique et monétaire seront toujours constatés ex-post, comme disent les économistes.
Cette éthique de conviction est au coeur de la démarche complémentaire amorcée depuis quelques mois par le gouvernement britannique autour du slogan « prepare and decide ».
Le chancelier de léchiquier, Gordon Brown, va présenter très prochainement le plan national de transition du Royaume-Uni détaillant les mesures concrètes pour préparer un éventuel passage à leuro, qui sinspire notamment des programmes que nous avons pu élaborer dans dautres pays de lUnion, en France notamment.
Cette démarche permettra dacclimater de nombreux acteurs économiques à leuro. Elle sensibilisera le grand public également aux enjeux concrets de leuro. Dores et déjà, les grandes entreprises britanniques, tournées vers lexportation, sont mobilisées et utiliseront naturellement leuro comme moyen de règlement et de facturation. Dune manière générale, le dynamisme exceptionnel de la City devrait conduire aussi à installer plus solidement leuro par un phénomène de « porosité » partant de Londres et se diffusant progressivement dans lensemble du tissu économique.
Lengagement en faveur de leuro est fort et sans équivoque à tous les niveaux. Personnellement, je me réjouis de cette volonté affirmée avec constance par le gouvernement britannique de mobiliser le pays sur cette question essentielle pour lavenir économique du royaume. Cette volonté politique aura un impact décisif pour faire évoluer positivement lopinion. A terme, il me semble évident que le Royaume-Uni aura sa place dans leuro, à lheure que les Anglais auront choisie.
2- Les termes du débat sur lentrée de la livre sterling dans leuro sont aussi assez bien cernés sur le continent, et tout particulièrement en France.
Le gouvernement de Lionel Jospin a déterminé ses orientations sur lUnion économique et monétaire également à partir de sa propre théorie de la conditionnalité, comme vous le savez.
En particulier, nous avons plaidé inlassablement en faveur dun « pôle » économique qui vienne équilibrer le nouveau pouvoir de la Banque centrale européenne. Nous avons mis en place le Conseil de leuro à Luxembourg en décembre 1997 et, à cette occasion, les chefs dEtat et de gouvernement ont défini les bases dun accord sur larticulation des compétences du Conseil ECOFIN et du Conseil de leuro.
Grâce à laction vigoureuse de Dominique Strauss-Kahn, et aussi depuis quelques semaines de Oskar Lafontaine, qui assure la présidence de ces deux Conseils, nous avons aujourdhui une vision claire de ce pôle économique.
Au-delà de la réussite technique de leuro, que nous avons saluée lors de ce long week-end du nouvel an, il nous faut à présent impérativement montrer que nous sommes capables de faire de leuro un instrument au service de lemploi et de la croissance.
Dans la mise en place de leuro, nous disposons actuellement de trois dispositifs daccompagnement:
· Le pacte de stabilité et de croissance, qui doit permettre aux pays « in » de revenir progressivement vers une situation déquilibre de leurs finances publiques ou, en tout cas, un niveau de déficit qui permette de faire retour à des niveaux dendettement public raisonnables, en libérant des capacités dépargne pour financer linvestissement des entreprises. La France a transmis tout récemment son programme pluriannuel de finances publiques à ses partenaires, avec lengagement de revenir à un niveau de déficits publics compris entre 0,8 % et 1,2 % en 2002.
· Le deuxième dispositif daccompagnement, cest le processus de réforme économique que nous avons formalisé dans les conclusions du Conseil européen de Cardiff en juin 1998. Nous y sommes très attachés, car le bon fonctionnement du marché unique, la création dun marché paneuropéen des capitaux à la fois plus profond et plus liquide, sont des conditions nécessaires pour bénéficier à plein des dividendes de leuro que nous sommes en droit dattendre pour la croissance et pour lemploi. Pour assurer à ce marché sa fluidité, il faut aussi développer la coordination en matière fiscale et sociale pour éviter le dumping.
· Le troisième dispositif daccompagnement, cest le Pacte européen pour lemploi qui se situe lui-même dans le prolongement de laction commune que nous avons entreprise lors du Conseil européen extraordinaire de Luxembourg en novembre 1997. Notre objectif na pas varié. Nous souhaitons développer la logique des objectifs quantifiés - le « benchmarking » - que nous avons initiée à Luxembourg sur lemploi et sur les politiques de lemploi. Nous souhaitons aussi accroître le contrôle communautaire des performances des Etats membres dans le domaine de la lutte pour lemploi. Ces chantiers sont absolument prioritaires de notre point de vue, car le processus dunification monétaire doit dabord servir lemploi.
Jy ajouterai deux autres voies de réforme européenne essentielles à mes yeux :
· La plus grande synergie entre les lignes directrices pour lemploi et les grandes orientations de politique économique : cest, en effet, sans doute, la meilleure manière dirriguer en profondeur la coordination des politiques économiques par des préoccupations liées à lemploi et à la défense de notre modèle social européen.
· Lémergence de formes institutionnelles pour le dialogue social européen, qui permettent aux acteurs sociaux de saffirmer comme une force de proposition au niveau européen dans le domaine de la lutte pour lemploi et de la législation sociale européenne.
3- Jen terminerai enfin par des considérations plus larges sur lavenir de lUnion européenne.
Leuro, à lévidence, constitue un choc fédérateur. Aucune banque centrale nexiste dans le vide politique et la notion même dindépendance na de sens que dans un cadre institutionnel, politique et démocratique, au sein duquel elle puisse sexercer. Nous avons donc un devoir de concevoir une forme dintégration renforcée entre les pays qui ont leuro en partage, afin de mettre en place une véritable coordination des politiques économiques.
Par ailleurs, la perspective prochaine de lélargissement à lEst va confronter lUnion à un défi considérable. Ma conviction personnelle est que lUnion ne résistera pas, dans sa forme actuelle, à la dynamique de réunification du continent européen, que nous allons donc bâtir une autre Europe. Je crois que, sur ce diagnostic, les positions françaises et britanniques sont assez comparables.
Je crois quil faut accepter lidée, qui nest peut-être pas très séduisante pour lesprit - surtout pas pour une certaine forme de cartésianisme très français - et qui nous donne aussi limpression que nous sommes infidèles au projet des « Pères fondateurs », que lEurope à Trente ne pourra pas avoir les mêmes formes, les mêmes pratiques, le même projet, que lEurope à Quinze.
Je dis cela, pour ma part, sans éprouver le moindre sentiment de culpabilité ou damertume. Je suis trop respectueux de la nation, et du destin de chacune dentre elles en Europe, pour penser que tous les peuples pourraient concevoir, ensemble et au même moment les mêmes ambitions. Il est très clair pour chacun que lEurope ne se fera pas contre les nations, mais avec elles.
Comment, forts de ce constat, pouvons-nous articuler une vision européenne, sans pour autant accréditer la notion dEurope à la carte, lEurope « self-service » que, paradoxalement, nous mettrions en avant au moment même où nous demandons aux pays dEurope centrale et orientale qui aspirent à nous rejoindre de reprendre la totalité de notre acquis communautaire ?
Je nai, bien entendu, pas de réponse toute faite à la question de larchitecture future de lUnion européenne. Mais il me semble inévitable que, dans lEurope de demain, les « coopérations privilégiées » se développeront sur le modèle de ce que nous faisons actuellement à 11 avec leuro, à 10 avec lUEO, et à 9 avec Schengen. Le Traité dAmsterdam consacre la notion de « coopérations renforcées », qui pourrait alors devenir la règle dans le cadre dune Europe à Trente. Chacun pourra rejoindre les coopérations renforcées de son choix, à condition dassumer ses responsabilités et de manifester clairement sa volonté de mettre lEurope en mouvement dans les domaines où il estime être en capacité de le faire.
A cet égard, la réflexion que nous avons produite sur le « pôle » économique est essentielle à plus dun titre car elle préfigure largement ce qui risque bien dêtre la problématique centrale de lEurope élargie de demain.
Je vous remercie de votre attention./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, février 1999)