Texte intégral
Q - Jean-Pierre Jouyet bonsoir. C'est l'hymne de l'Europe que nous entendons.
R - Bonsoir. C'est effectivement l'hymne de l'Europe, l'hymne à la joie et je vous en remercie.
Q - Et pourtant les symboles ont disparu. Et pourtant l'Europe n'a plus de symboles.
R - Oui, c'est regrettable. C'est pour cela que je souhaiterais que la Journée de l'Europe, le 9 mai, que nous avons célébrée tout à l'heure à la mairie de Paris et qui est fêtée dans toute la France et l'Europe, soit un jour férié commun à tous les Européens.
Q - Personne n'en a jamais parlé, de cette Fête de l'Europe.
R - Non, c'est exact, mais il faut bien que quelqu'un commence ! Il est vrai qu'on a trop confondu les symboles avec la supranationalité ou la souveraineté. Mais les symboles, comme dans toute activité, comme pour chaque événement - qu'il soit sportif, politique, artistique - vous en avez besoin et l'Europe en a besoin.
Q - Cela nous ferait un super pont !
R - Je vous signale qu'il s'agit simplement de mettre le droit en accord avec les faits. Parce que si vous me le permettez, nous sommes peu à Paris aujourd'hui...
Q - Et où est-ce qu'on peut trouver le "pin's" avec le drapeau européen ?
R - Vous pouvez le trouver auprès de la Représentation de la Commission à Paris, Boulevard Saint Germain. Vous pouvez le trouver également auprès de la Représentation du Parlement européen. En fait, auprès de toutes les institutions européennes.
Q - Alors secrétaire d'Etat chargé des Affaires européennes, on a parfois l'impression que cela consiste à recoller les morceaux.
R - Cela consiste à recoller les morceaux, en étant un peu généraliste. Une sorte de garagiste généraliste, si vous voulez. Quand vous avez un petit problème, quel que soit le domaine qui soit affecté...
Q - Les relations avec l'Allemagne...
R - Que ce soit la Méditerranée, des problèmes techniques ou le processus de ratification, cela consiste effectivement à réparer. Et puis, aussi, à expliquer ce que fait l'Europe.
Q - Alors il y a l'Union européenne dont la France va assurer la Présidence, à partir du 1er juillet prochain. Qu'est-ce que cela veut dire présider l'Union européenne et est-ce que c'est un avantage pour la France ?
R - C'est une très bonne question. Présider l'Union européenne, cela veut dire être au service de l'intérêt général européen, et non pas des intérêts nationaux.
Q - Tout le monde l'a bien fait jusqu'à maintenant ?
R - Les dernières présidences l'ont bien fait. La Présidence allemande, avec l'aide du président de la République, est arrivée à faire un Traité dont j'espère qu'il sera ratifié, par tous les Etats membres, d'ici à la fin de l'année. La Présidence portugaise a obtenu la signature du Traité et la Présidence slovène essaye de faire ce qu'elle peut, en particulier à l'égard des Balkans, où la situation est assez difficile. Ce que je veux dire par-là, c'est que les Présidences précédentes ont été jugées sur leurs capacités à faire avancer la cause européenne. Et c'est ce que l'on doit faire.
Q - On dit que la France est le mauvais élève de l'Europe. A la fois parce que le président de la République parle beaucoup sans nécessairement consulter le partenaire allemand sans lequel rien ne se fait, parce que quand on présente le projet Méditerranée, on le fait de manière assez cavalière. On dit également qu'on sera à l'équilibre budgétaire en 2012, parce que cela fait partie du Pacte qui nous lie avec l'euro, et cela ne sera évidemment pas possible parce que les finances publiques sont en très mauvais état et nos partenaires européens sont très inquiets.
R - Il y a une grande attente à l'égard de la Présidence française et ce n'est pas de l'arrogance que de le dire. Il se trouve que la Présidence française va intervenir avant les élections européennes, l'année suivante, au mois de juin 2009 et alors que la Commission européenne verra son mandat se terminer à l'automne 2009. Nous sommes à un point crucial pour l'Europe. Nous sommes également à un moment où les pays d'Europe ratifient un traité nouveau qui met fin à une impasse institutionnelle qui durait depuis 15 ans.
Q - Il y a beaucoup d'inquiétudes vis-à-vis de la France.
R - Non, objectivement il y a plus d'attentes que d'inquiétudes. J'ai visité les 26 partenaires de l'Union, j'ai vu tous les commissaires européens, tous les responsables de groupes au Parlement européen, je peux vous dire qu'il y a plus d'attentes et de curiosité à l'égard de la France et - parce que je vous suis - à l'égard de son président, que d'inquiétudes.
Q - Et même le Commissaire européen aux Finances, qui va vous faire bientôt une alerte en vous disant "vous dépensez trop d'argent" ?
R - Le Commissaire européen aux Finances est dans son rôle. Nous devrons être à l'équilibre budgétaire en 2012.
Q - Et vous ne le serez pas.
R - Nous le serons. Mais si nous ne respectons pas le contrat européen et si nous n'avons pas de finances publiques saines, non pas pour faire plaisir à l'Europe, mais simplement parce que c'est bon pour le pays et pour les générations futures d'avoir moins de dettes et de déficit, il est évident que nous serions dans une situation difficile. C'est comme au football, vous pouvez continuer à jouer, même quand vous avez un avertissement...
Q - Cela dépend de quel carton, parce que quand il est rouge...
R - Oui, mais là il n'est pas rouge.
Q - Donc quand on devient président de l'Union européenne, ce qui sera le cas de la France à partir du 1er juillet, est-ce qu'on a un programme, est-ce qu'on a des priorités, est-ce qu'on peut influencer la vie de l'Europe ?
R - L'important, c'est que vous devez être au service de l'intérêt général européen. Mais vous pouvez aussi faire avancer l'Europe, en faisant plus de politique en Europe. Et c'est cela qui, parfois, interpelle nos partenaires européens. Parce que Nicolas Sarkozy, quel que soit le jugement que l'on puisse avoir, a une volonté très nette, c'est de faire en sorte qu'il y ait une Europe politique. Il n'a pas l'intention d'entretenir l'Europe dans une sorte de liturgie ou de léthargie.
Il s'agit aussi de permettre que nous ayons des débats qui portent sur la place de l'Europe dans le monde. Un, la lutte contre le changement climatique et le développement durable. Ce n'est pas une cause française, c'est une cause européenne. Nous devons le faire vis-à-vis des Etats-Unis, à l'égard de la Chine, de l'Inde, de la Russie, d'autres grandes puissances et des générations futures. Deux, quand vous avez un baril à plus de 120 dollars aujourd'hui, vous devez avoir une politique énergétique qui rende l'Europe plus indépendante. Trois, vous avez également des défis démographiques. L'Europe est le continent qui vieillit le plus. L'Europe doit rester une terre d'accueil et vous devez maîtriser les flux démographiques. Quatre, il y a un défi alimentaire mondial. Il faut que l'Europe ait une position face à la crise alimentaire mondiale. Et enfin cinq, l'Europe c'est 500 millions d'habitants. C'est un espace économique. Elle doit devenir un "espace-puissance", et nous devons travailler en faveur d'une défense européenne.
Q - Il y a du boulot...
R - Il y a du travail, parce qu'il y a beaucoup de rendez-vous imposés. La lutte contre le changement climatique, on ne l'a pas choisi. Il y a des conférences l'année prochaine, il faut que l'Europe soit prête. Il y a un bilan de la politique agricole à faire, il arrive sous présidence française, là non plus ce n'est pas de l'arrogance, mais c'est faire son travail.
Q - On parle plusieurs langues quand on est secrétaire d'Etat aux Affaires européennes ou pas ?
R - On essaye, oui.
Q - On va faire un essai, après la pub...
R - L'anglais, j'arrive à le parler, j'essaye de le comprendre au maximum. Hier j'étais à Londres, je pense qu'ils m'ont compris. Tout s'est passé en anglais. L'espagnol, je l'adore...
(...)
Q - Alors quand vous parlez de l'ouverture, on dit toujours que Jean-Pierre Jouyet c'est le symbole de la réussite de l'ouverture. Enfin, on dit cela de vous.
R - Je ne sais pas, je reste fidèle à mes convictions, qu'on me laisse exprimer et je reste assez indépendant.
(...)
Q - Quel est votre rôle, Jean-Pierre Jouyet, quand il y a des couacs entre Nicolas Sarkozy et Angela Merkel ?
R - C'est d'essayer de mieux expliquer nos positions à nos partenaires et d'exposer à Paris leurs attentes et leurs craintes. Il y a un métier, lorsque vous êtes aux Affaires européennes, de "go between". Cela a été le cas, au départ, avec nos amis allemands. Je crois qu'il ne faut jamais oublier que les systèmes politiques français et allemands sont très différents. Vous en avez un très centralisé et l'autre plutôt décentralisé. Le président a l'habitude de décider vite, de parler rapidement ; en Allemagne, c'est un système de coalition, il faut beaucoup discuter, c'est un système de décision collective. Mais enfin, ce que je constate c'est qu'Angela Merkel a demandé, lorsqu'on lui a remis le prix Charlemagne à Aix-la-Chapelle, que ce soit le président de la République française qui le lui remette.
(...)
Q - Pensez-vous que Nicolas Sarkozy va remonter ?
R - Il a une côte de popularité, comme vous l'avez dit, liée aux réformes qui sont menées. Plus vous faites de réformes, plus vous prenez le risque d'être impopulaire. Ce n'est pas le plus mal placé en Europe. Je vous renvoie aux dernières élections dans un pays voisin. Enfin, il a pris la mesure de ce que c'était que le mode de fonctionnement de l'Europe. Ce qui est important, c'est que cela fonctionne bien avec nos différents amis qui représentent les différents pays européens...
Q - Vous n'avez que des amis...
R - Oui. Cela a une connotation presque négative, surtout en politique, mais en Europe c'est vrai. Vous êtes obligés de n'avoir que des amis en Europe. C'est comme cela que cela fonctionne. C'est un club.
(...)
Q - Un souhait que l'on pourrait faire, concernant la Birmanie, c'est qu'à l'avenir, l'Europe se prononce de manière commune sur l'aide. Parce que j'ai vu que la France donne quelques centaines de milliers d'euros, l'Allemagne et l'Angleterre, l'Espagne et l'Italie... Une action commune c'est possible ?
R - Trois points. Un, la position de l'Europe est une condamnation claire et nette de la junte birmane, qui est le régime le plus affreux au monde. Ce qui s'y passe est vraiment une atteinte à la conscience internationale. Deux, il y a des aides européennes qui ont été versées et en plus de ces aides vous avez des aides internationales. Trois, l'Europe doit agir dans le cadre des Nations unies. Il y a eu des déclarations d'Angela Merkel aujourd'hui qui sont tout à fait justes. La situation en Birmanie, c'est ce qu'il y a de plus choquant dans le monde aujourd'hui.
Q - Est-ce que vous considérez que Nicolas Sarkozy est mieux ou moins bien perçu à l'étranger qu'en France ?
R - Je crois, au vu de ce que j'ai entendu, qu'il y a la même fascination, curiosité et parfois inquiétude à l'étranger qu'en France. Mais globalement je crois que les réformes sont mieux comprises au niveau européen. Ce qui est difficile en France, c'est de comprendre que nous devons nous mettre au standard européen. La France reste donc bien perçue au niveau européen.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 mai 2008