Déclaration de Mme Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication, sur le bilan de la présidence française de l'Union européenne, notamment en matière de politique et de coopération culturelle, Bruxelles le 8 janvier 2001.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Intervention devant le Parlement européen à Bruxelles le 8 janvier 2001

Texte intégral

Je suis particulièrement heureuse de vous retrouver au début de cette nouvelle année, et d'avoir ainsi l'occasion de vous présenter tous mes vux. Notre échange intervient au moment où la France vient de passer le relais de la Présidence de l'Union européenne à la Suède. Je me dois de vous présenter le bilan de la Présidence française en matière culturelle et audiovisuelle.
Je crois aussi savoir que vous entendez dans une heure ici même, Madame la Commissaire Viviane REDING. J'ai eu beaucoup de plaisir à travailler avec elle durant cette Présidence. J'espère que la succession de nos interventions, malgré d'inévitables répétitions, vous montrera que le Conseil et la Commission se sont efforcés de travailler ensemble et, je le crois, efficacement, durant ces six derniers mois.
Lorsque, le 12 septembre dernier, j'étais venue présenter devant vous les grandes lignes de la Présidence française, j'avais défini un axe et trois priorités que nous nous proposions de suivre. L'axe, le thème central de la Présidence française, fut la diversité culturelle. Nous l'avions décliné selon trois priorités : la société de l'information ; les politiques culturelles ; les politiques en faveur de l'audiovisuel et du cinéma. C'est ce cadre que je me propose de suivre pour faire le bilan des travaux du Conseil des Ministres de la Culture et de l'Audiovisuel. Ensuite, je présenterai rapidement les résultats du Conseil européen de Nice, pour ce qui concerne les dossiers culturels et audiovisuels, relatifs aux règles de vote au Conseil et à la codécision avec le Parlement. -------
Tout d'abord, la société de l'information. Les nouvelles technologies, Internet, sont à l'évidence un enjeu de premier plan pour nos sociétés, en particulier sous l'angle culturel. Elles offrent des facilités nouvelles en matière d'accès à la culture, et donc d'une plus grande égalité, ce qui est à mes yeux un objectif essentiel. Elles offrent aussi plus de possibilités d'expression de la diversité des cultures et des langues. Ces technologies doivent permettre à l'Union européenne de mettre en valeur son patrimoine et sa production de contenus culturels. Lors du Conseil européen de Feira en juin dernier, l'Union européenne s'est dotée du plan d'action eEUROPE. La France a estimé que la promotion des contenus culturels et éducatifs devait être l'une de ses priorités. Lorsque j'ai présenté le bilan du suivi de ce plan d'action au Conseil Culture, j'ai en particulier insisté sur la nécessité de créer un mécanisme de coordination des programmes nationaux de numérisation, ainsi que sur l'importance du programme eCONTENT qui a été adopté fin décembre, sous Présidence française, ainsi que nous le souhaitions. Doté d'un budget de 100 millions d'euros pour 4 ans, ce dernier vise en effet, comme vous le savez, à valoriser notre richesse culturelle grâce à la traduction multilingue des contenus.
Les possibilités offertes par ces nouvelles technologies ne vont bien sûr pas sans poser de questions d'ordre économique ou juridique à nos industries culturelles, comme l'ont bien montré les colloques que nous avons organisés à Lyon et à Strasbourg, ce dernier étant spécifiquement consacré à l'économie du livre dans ce nouvel environnement. Je crois d'ailleurs savoir que vos débats de cet après midi devaient entre autres porter sur la question de l'édition électronique et de l'impression à la demande. Les réflexions issues de ces débats, auxquels des parlementaires européens ont pris part, ont permis à la France de proposer et de faire adopter une résolution sur l'économie du livre. Il ne s'agit évidemment pas de viser une quelconque harmonisation des pratiques de prix fixes, qui inviterait tous les Etats membres à se doter de tels mécanismes. Ceci serait évidemment contraire au principe de subsidiarité. L'objectif poursuivi à travers ce texte est double : d'une part, garantir l'application effective des systèmes nationaux de prix fixes qui existent déjà bdans 11 des 15 Etats de l'Union européenne. D'autre part, souligner la nécessité de prendre en compte, dans ce cadre, la dimension de plus en plus transnationale du marché du livre, liée à l'existence de bassins linguistiques homogènes et accentuée par le développement du commerce électronique, qui facilite les ventes transfrontières. A cet égard, je crois pouvoir dire que les travaux du Conseil vont dans le même sens que ceux du Parlement européen, à savoir la reconnaissance du statut spécifique du livre, à la fois bien économique et culturel.
Toujours en matière de politiques culturelles, la Présidence française a également choisi de s'intéresser à l'architecture. C'est à cet effet que le Conseil a adopté, le 23 novembre dernier, une résolution sur la qualité architecturale dans l'environnement urbain et rural. Ce texte, qui s'inscrit dans la logique de l'article 151 du Traité, prend appui sur les travaux du Forum européen qui s'est réuni à Paris en juillet dernier. Il souligne l'importance d'une approche globale de l'architecture, à la fois comme prestation économique, intellectuelle, et comme acte de création culturelle. Il insiste également sur la nécessité d'encourager l'amélioration de la qualité de l'architecture et de la conservation du patrimoine. Il invite enfin à prendre en compte ces objectifs dans l'ensemble des politiques de l'Union européenne - comme le Programme Cadre de Recherche et Développement (PCRD) ou les fonds structurels -, dans le respect du principe de subsidiarité et dans un esprit de coopération et d'échange accrus entre les Etats membres.
Les politiques en faveur de l'audiovisuel et du cinéma ont également occupé une large place de nos débats.
Concernant le financement de l'audiovisuel public, je crois que nous avons enregistré des progrès significatifs sur un dossier qui n'est pas nouveau, mais qui n'en est pas moins crucial pour nos politiques culturelles à venir. Chaque Etat souhaite en effet pouvoir garantir, de manière durable, le financement qu'il juge approprié à ses chaînes publiques, dont le rôle essentiel dans un paysage audiovisuel en profonde mutation a été souvent souligné. Or, des incertitudes sont apparues ces dernières années dans les cas de financement mixte, comme en témoigne la multiplication des plaintes déposées par les opérateurs de télévision privée pour concurrence déloyale de la part des chaînes publiques, sur le marché publicitaire. L'ensemble des Etats membres a clairement indiqué à la Commission leur souhait de clarifier le cadre juridique européen défini par le protocole au Traité d'Amsterdam de 1997. Ce dernier reconnaît certes la compétence exclusive des Etats en la matière, mais sous réserve du respect du droit communautaire de la concurrence. La Commission a indiqué qu'elle avait entendu lever cette ambiguïté dans sa Communication sur les services d'intérêt général de septembre dernier. Elle pourrait en outre proposer dans les prochaines semaines un projet de lignes directrices précisant son interprétation du protocole d'Amsterdam, comme les Etats membres et la Présidence l'y ont incitée. Je dois dire que nous serons particulièrement vigilants sur l'énoncé de ces lignes.
L'articulation entre droit communautaire de la concurrence et politiques nationales en matière audiovisuelle a également fait l'objet de discussions nourries au sujet des aides nationales au cinéma. Leur examen permanent par la Commission fait en effet craindre aux Etats membres leur remise en cause à terme. Le consensus politique entre les Etats membres a été particulièrement fort, comme en atteste la résolution qui a été adoptée. Il y est affirmé que les Etats membres sont fondés à mener des politiques nationale de soutien au cinéma, dans la mesure où les aides au cinéma constituent l'un des moyens principaux d'assurer la diversité culturelle. La Présidence et les Etats membres ont d'ailleurs souligné le paradoxe qu'il y aurait, d'une part à affirmer sur la scène internationale l'importance de la diversité culturelle, et d'autre part à se priver des moyens concrets qui permettent de la promouvoir. Je dois avouer que les craintes des Etats membres sont encore loin d'être entièrement dissipées. Le Conseil restera donc extrêmement vigilant sous Présidence suédoise. Nous attendrons en particulier avec intérêt la communication de la Commission sur le cinéma, qui traitera entre autres la question des aides, et que la Commission s'est engagée à présenter au plus tard fin 2001. J'espère qu'à cette occasion, la Commission reprendra à son compte les principes que les Etats membres ont explicités dans la résolution.
Enfin, et c'est là aussi un dossier sur lequel vous aviez exprimé des attentes fortes, la Présidence française a réussi à faire adopter avec votre soutien le programme MEDIA+ avant la fin du programme MEDIA II, comme elle s'y était engagée. Certains regretteront sans doute que le budget ne soit pas allé au-delà des 400 millions d'euros. Compte-tenu des enjeux du programme, je me félicite pour ma part que l'ensemble des Etats membres de l'Union européenne, en votant une augmentation de près de 30% du budget par rapport à MEDIA II, et en prenant spécifiquement en compte les nouvelles technologies, aient donné un signal clair de l'importance qu'ils accordent à ce programme destiné notamment à améliorer la circulation des oeuvres audiovisuelles européennes. Il me revient de vous remercier très sincèrement pour l'excellente coopération qui s'est instaurée entre le Parlement européen et le Conseil, en particulier entre votre Commission, sous l'impulsion de son rapporteur Mme HIERONYMI, et la Présidence. Je veux également saluer la rapidité de vos travaux. Elle a permis au Conseil de prendre en compte la plupart de vos demandes d'amendement, ce qui a grandement contribué à l'adoption du programme dans les délais souhaités par tous. Je me félicite par ailleurs que la Banque Européenne d'Investissements ait récemment annoncé son intention de créer des mécanismes spécifiques d'appui au secteur audiovisuel : ces mesures financières viendront en complément des dispositions du programme MEDIA+, et ces 500 millions d'euros sur trois ans s'ajouteront aux 400 millions d'euros du programme MEDIA+.
Je voudrais terminer en évoquant brièvement certains aspects du Conseil européen de Nice. Les règles de vote au Conseil, et de décision avec le Parlement, ont été modifiées pour certains articles du Traité qui sont liés aux sujets culturels.
Tout d'abord, la procédure de codécision est maintenant prévue pour l'article 157, ce qui permettra d'associer encore davantage le Parlement européen aux futures négociations du successeur de MEDIA+.
Contre toute attente, je dois bien le dire, la procédure de vote pour les matières relevant de l'article 151 reste l'unanimité. Je sais pourtant qu'un changement était attendu par le Parlement, ainsi que par une majorité des Etats membres et de la Présidence française.
Quant à l'article 133 relatif à la politique commerciale extérieure, le maintien de la règle de l'unanimité pour les échanges de services culturels et audiovisuels consacre le statut spécifique de ces produits qui, nous en convenons tous, ne sont pas des marchandises comme les autres. Ce maintien de la règle de l'unanimité traduit aussi, selon moi, une réalité indéniable : une part importante des politiques culturelles menées en Europe sont conduites au niveau national, et ce domaine est loin - et pour ma part je m'en réjouis - d'être entièrement communautarisé ; il n'est donc pas surprenant que les Etats souhaitent conserver le contrôle des politiques commerciales ayant une incidence sur leurs politiques culturelles.
Pour conclure, après avoir esquissé ce bilan, je voudrais me réjouir que la Présidence suédoise ait d'ores et déjà annoncé son intention de poursuivre la réflexion sur certaines de nos priorités, qu'elle juge également importantes, comme l'architecture, le financement de l'audiovisuel public, les aides au cinéma, entre autres. La continuité entre nos deux Présidences, et la qualité des liens qui unissent nos deux pays, me paraît à cet égard le gage d'une action communautaire qui s'inscrit dans la durée.
Je voudrais vous remercier une nouvelle fois de l'accueil que vous m'avez réservé à chacune de nos rencontres, ainsi que de la qualité de nos échanges et de notre coopération tout au long des six derniers mois.
Je suis maintenant prête à répondre à vos questions.
(Source http://www.culture.gouv.fr, le 22 février 2001)