Texte intégral
F. Rivière.- Le président de la République a présenté ses arbitrages sur la réforme des armées. Les effectifs seront donc réduits de 54.000 postes civils et militaires dans les 6 à 7 années à venir. Un groupe d'officiers généraux et supérieurs des trois armées - terre, air, mer - commentent aujourd'hui dans les colonnes du Figaro, sous couvert d'anonymat, les choix retenus par N. Sarkozy. Je n'en retiens qu'un très bref extrait : "Le modèle d'analyse présenté par le Livre blanc, disent-ils, est à notre sens déficient et marqué par un certain amateurisme. La France, poursuivent-ils, jouera désormais dans la division de l'Italie - sur le plan militaire, bien entendu, on ne parle de football - inutile de se payer de mots".
De quoi s'agit-il ? Est-ce qu'on peut considérer que la France est en seconde division, si on veut répondre directement à la question sans essayer de relever le débat ? Est-ce que c'est mettre la France en 2ème division quand il s'agit de conserver une capacité de projection de 30.000 hommes pour l'armée de terre, de 70 avions de combat pour l'armée de l'air, sur un arc de crise qui est l'arc de crise qui est manifeste, j'allais dire pour toutes celles et tous ceux qui veulent bien regarder la situation internationale, qui est l'arc de crise qui va de l'Atlantique à l'océan Indien ? 30.000 hommes projetables en 6 mois, alors qu'avant, nous avions un contrat opérationnel de 50.000 hommes projetables en un an, notamment dans la perspective d'une crise sur le théâtre centre européen. Veut-on me dire contre qui aurions-nous aujourd'hui besoin de mettre 50.000 hommes en un an - c'est-à-dire sur une période extrêmement longue pour arriver à les projeter - sur le théâtre centre européen ? C'était un contrat opérationnel inatteignable et un contrat opérationnel que nous n'étions pas capables d'atteindre à moins d'un effort budgétaire de 4 à 5 milliards d'euros supplémentaires par an. C'est-à-dire plus que la totalité des recettes budgétaires nouvelles du pays en cas de recettes budgétaires nouvelles liées à la croissance. 30.000 hommes sur un théâtre allant de l'Atlantique à l'océan Indien, c'est plus que ce que nous n'avons jamais fait depuis 1945.
La Grande-Bretagne a envoyé 45.000 hommes au début de la guerre d'Irak, 45.000 ! Est-ce que ce n'est pas trop ?
45.000 hommes, c'est toutes armées confondues. Je vous parle du contrat de l'armée de terre. Le contrat de l'armée de terre, désormais c'est 30.000 hommes projetables sur un théâtre majeur, 5.000 hommes projetables sur un théâtre secondaire et 10.000 hommes au titre de la défense du territoire. Le jour où nous sommes amenés à projeter autant de monde, c'est que nous ne sommes pas loin d'une guerre absolument majeure. Si la problématique d'une armée de puissance, c'est simplement une problématique d'hommes, ce n'est pas cela la question. La question, c'est : est-ce que nous avons une armée agile, moderne, efficace, capable de réagir et de s'adapter à des situations différentes ? Je crois que c'est plutôt en ces termes qu'il faut se poser la question.
Est-ce que la France, E. Morin, a l'ambition de rester une grande puissance militaire conventionnelle ? C'est-à-dire est-ce que la France ne se repose pas trop sur sa position de puissance nucléaire, pour asseoir son rang, prétendu ou réel, de grande puissance militaire ?
Non, ce que la France à travers le Livre blanc indique, c'est qu'elle restera l'une des 4 puissances militaires globales de la planète. Les Etats-Unis qui a eux seuls représentent 50 % des dépenses militaires du monde, avec qui bien entendu on ne peut pas se comparer ; les Russes, les Français et les Britanniques. La question chinoise est une question différente. Nous resterons une de ces 4 puissances militaires globales, avec deux ambitions majeures, qui parlent quand on est un militaire : c'est un, être une Nation cadre, cela veut dire être une Nation capable d'organiser et de planifier une opération militaire ; et deux, continuer à conserver la capacité d'entrer en premier sur un théâtre de crise, c'est-à-dire d'avoir la totalité des capacités permettant de pouvoir lancer une opération. J'ajoute enfin que 30.000 hommes, dont je vous dis que jamais nous n'avons déployé cela depuis... on est presque arrivé au moment de Suez, en 1956, j'ajoute qu'aujourd'hui on constate que la totalité des opérations que la France mène sont des opérations en coalition ou en alliance. Nous n'intervenons jamais seuls, nous intervenons toujours sous l'égide d'une résolution des Nations unies. Donc, il faut replacer cela aussi dans le cadre d'une alliance ou d'une coalition, qui est le cadre naturel de nos opérations.
Les militaires sont sans doute prêts à vous suivre, les cadres de l'armée, pour autant que les promesses soient tenues. L'état du matériel aujourd'hui est assez préoccupant.
Cela dépend. Il y en a un certain nombre qui sont utiles au quotidien, et donc ce matériel utile au quotidien - je pense par exemple aux Transall, Je pense par exemple aux Puma, je pense aux blindés légers - il y a là en effet des matériels qui sont à bout de souffle.
Oui, c'est cela, qui sont un peu d'entretien permanent parce que très fatigués. Quelle garantie pouvez-vous donner à l'armée et quelle garantie avez-vous, vous-même que les économies qui seront réalisées par les réformes annoncées seront réellement réinvesties dans l'équipement ?
La garantie c'est l'engagement pris par le président de la République devant la Nation et devant les Français. L'engagement pris par le président de la République est double. Nous avons besoin, compte tenu de ce qu'on appelle la bosse budgétaire, c'est-à-dire de l'arrivée en livraison de toute une série de programmes qui ont à juste titre été commandés par le Président Chirac. Il nous faut environ 3 milliards d'euros pour passer cette bosse, qui aura lieu en 2009 et en 2010. Et l'autre engagement pris par le président de la République, c'est l'engagement de faire en sorte que la totalité des économies que nous effectuons sur la structure soit conservée, ce qui fait de nous une priorité nationale. Nous sommes la seule administration où 100 % des économies que nous effectuerons sur la structure seront conservées pour l'équipement des forces et pour l'amélioration de la condition du personnel. Puis-je vous donner simplement un chiffre ? Le rapport entre "Administration générale" et "Soutien" et "Forces opérationnelles" - rapport en terme de ressources humaines employés - le rapport c'est 60 % des ressources humaines consacrées à l'administration générale et au soutien, 40 % consacrées aux forces opérationnelles. Si vous prenez l'armée britannique, qui est la seule armée à laquelle on peut se comparer, puisque les autres pays européens ont abandonné l'essentiel de leur ambition militaire, les Britanniques sont au moins à 60 % pour les forces opérationnelles et 40 % pour l'administration générale et le soutien. Donc, ce que nous avons à faire c'est l'effort, j'allais dire d'après la professionnalisation. La professionnalisation cela a été un effort majeur sur des forces opérationnelles. Nous avons sur la structure un système hérité du 20ème siècle, voire pour certains textes, du 19ème siècle. Eh bien, désormais nous allons faire travailler en commun l'administration générale et le soutien, pour faire en sorte qu'on dégage ces économies qui nous permettent d'annoncer la suppression d'un certain nombre de postes, qui seront entièrement recyclées pour la défense. C'est une priorité majeure qui a été clairement indiquée par le président de la République, plus le financement de la bosse.
La France va rejoindre le commandement intégré de l'OTAN. Au-delà de l'intérêt de l'opération, il y a une question sur la démarche. Auparavant, vous disiez, et on entendait les autorités françaises dire : il faudrait d'abord faire des progrès dans l'Europe de la défense avant de rejoindre le commandement, éventuellement.
Cela n'a pas changé.
C'est-à-dire qu'aujourd'hui, vous dites on va rejoindre le commandement intégré et cela permettra de faire des progrès dans l'ordre de la défense.
Non, non. Nous n'avons absolument pas changé de position. La démarche du président de la République c'est de considérer qu'il n'y a pas opposition entre la démarche de l'Europe de la défense et la démarche de notre participation à la rénovation de l'alliance Atlantique. Ce que nous voulons c'est faire avancer l'Europe de la défense, avoir une ambition en terme d'Europe de la défense. Et cette ambition doit se traduire par un plein exercice et une place plus importante au pilier européen au sein de l'alliance Atlantique. C'est parce que nous aurons fait progresser l'Europe de la défense que nous pourrons exiger que l'alliance Atlantique soit un peu moins américaine. Vous ne pouvez pas vouloir que l'alliance Atlantique soit moins américaine et refuser de participer pleinement à l'exercice des compétences et des pouvoirs. Ce que nous voulons, c'est faire avancer cette Europe de la défense et, constituée, elle sera en mesure de plus peser au sein de l'alliance Atlantique.
D'un mot, H. Morin, vous allez annoncer en principe autour du 3 juillet la fermeture de 20 à 30 sites militaires majeurs en France. Je ne vais pas vous demandez lesquels parce que vous n'avez pas le faire. Mais est-ce qu'au moins vous pouvez nous dire si les arbitrages sont rendus aujourd'hui ?
Ils sont presque tous rendus. Ce que nous regardons, c'est encore quelques points pour voir si... En clair, moi j'ai appliqué le contrat qui est le mien, c'est-à-dire de faire en sorte que ces restructurations et ces réorganisations soient pensées en termes d'exigences opérationnelles et d'amélioration de la vie et de la condition du personnel. J'y ajoute, bien entendu, que l'ensemble de ces réorganisations sont liées à la restructuration de notre outil, c'est-à-dire la concentration et la densification des unités, pour gagner en terme de rapport entre administration générale et soutien et forces opérationnelles. Sur quelques cas, j'ai décidé de déroger à cette règle et de prendre en compte des dimensions d'aménagement du territoire, sur des territoires et des bassins de vie qui ont déjà beaucoup souffert économiquement. Mais c'est moins de cinq cas, moins des doigts d'une main. Et puis, il me reste deux ou trois cas à trancher dont je veux parler directement avec le président de la République.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 19 juin 2008