Conférence de presse de M. Alain Juppé, Premier ministre, sur les propositions de la commission Fauroux pour l'enseignement, notamment sur l'organisation des rythmes scolaires, la formation professionnelle et la réforme des premiers cycles, Paris le 20 juin 1996.

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Circonstance : Remise du rapport de la Commission Fauroux, Paris le 20 juin 1996

Texte intégral

J'ai souhaité vous reparler un peu des questions d'éducation dont on a beaucoup parlé depuis quinze jours, d'abord pour vous rappeler que les choses se sont bien enchaînées depuis le 13 juin où nous avons tenu, avec les partenaires sociaux, le sommet sur l'insertion des jeunes dont l'une des principales conclusions a été que tous allaient se mobiliser pour développer l'ensemble des formes d'alternance : l'apprentissage, les stages, tout ce qui peut favoriser l'insertion des jeunes par l'alternance Éducation/Entreprise. Nous en attendons les résultats dans les semaines et les mois qui viennent, puisque nous avons pris un nouveau rendez-vous- avec les partenaires sociaux pour la fin de l'année.
La deuxième étape de ce processus de réflexion sur l'éducation a été la réunion de la Sorbonne le 18 juin, au cours de laquelle François Bayrou a présenté les conclusions qu'il tirait des états généraux de l'enseignement supérieur - je n'y reviens pas, vous y étiez, vous avez en tête les dix grands chapitres qu'il a définis - et, aujourd'hui, pour clore provisoirement ce processus de mise au point de la réforme de l'éducation, j'ai donc reçu la commission Fauroux au grand complet qui m'a présenté son rapport.
Je crois d'abord que cette commission, qui était composée de manière très diverse, avec des universitaires, des hommes d'entreprises et plusieurs autres catégories de membres, a beaucoup travaillé au fil des mois. Elle s'est rendue très souvent sur le terrain, elle a procédé à beaucoup d'auditions. Ces membres m'ont paru très motivés - ils me l'ont dit ce matin - mais l'immense majorité m'a dit quel intérêt ils avaient pris à ce travail de réflexion.
La commission a abouti à rappeler quelques principes directeurs qui me paraissent excellents tout d'abord quelque chose qui semble aller de soi - que François Bayrou rappelait également à la Sorbonne il y a 48 heures - à savoir que toute réforme doit être conçue autour de l'enfant ou de l'adolescent. C'est l'intérêt de l'enfant qui doit primer sur toute autre considération, qu'elle soit professionnelle ou catégorielle.
Le deuxième principe que rappelle la commission, c'est que tout dépend à l'école de l'acte pédagogique lui-même qui conditionne le succès ou l'échec.
Enfin, la commission utilise pour définir les relations de l'école et du monde extérieur - école au sens large du terme - une belle formule : elle est à la fois sanctuaire et portique. Sanctuaire, c'est-à-dire qu'elle doit être protégée des violences extérieures - c'est ce que nous avons essayé de faire il y a quelques semaines en prenant un certain nombre de mesures à la suite des actes de violence qui s'étaient répétés, mais aussi portique, c'est-à-dire ouverte et non pas repliée sur elle-même.
Au-delà de ces principes généraux, la commission fait un certain nombre de propositions concrètes : 21 chapitres, plus d'une centaine de propositions - comme je vous l'ai dit, nous ne les avons pas encore toutes analysées - et je rappelle que ce rapport, qui va être publié, n'engage, au stade actuel, que ses auteurs.
Mais après en avoir parlé aujourd'hui même avec le ministre de l'Éducation Nationale, de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche, je crois pouvoir dire qu'un certain nombre des pistes ou des orientations tracées rejoignent notre propre réflexion et, en particulier, ce qui avait été annoncé le 18 juin sur la réforme de l'enseignement supérieur. Je voudrais les citer D'abord la nécessité d'une organisation nouvelle des rythmes scolaires, c'était une des commandes que j'avais passées.
Ensuite, l'affirmation qu'il faut revaloriser la formation professionnelle et, en troisième lieu, la réforme des premiers cycles. Voilà trois points sur lesquels il y a des réponses aux questions posées dans le mandat que j'avais adressé à la commission. Mais la commission est allée au-delà, et je voudrais maintenant citer plus précisément les points sur lesquels la réaction que nous avons est aujourd'hui tout à fait positive.
- D'abord, l'idée de poursuivre la redéfinition de programme, claire, palier par palier, comme nous avons commencé à le faire dans l'enseignement primaire et en sixième, avec pour objectif la simplification de ces programmes.
- Deuxième objectif qui nous convient: l'aménagement des horaires et de la semaine scolaire.
- Troisième objectif : l'importance accordée à l'éducation au choix, à l'orientation, à la meilleure continuité entre le secondaire et le supérieur.
- Quatrième objectif : la recherche d'un lien étroit entre la formation et l'entreprise, pour mieux préparer au métier et à l'insertion,
- Cinquième orientation : une réflexion sur la charge de travail des élèves, en classe comme à la maison.
- Sixième orientation : des propositions pour une gestion plus souple du système éducatif.
Voilà des points sur lesquels - sans entrer dans le détail des propositions faites - nous sommes en phase. Tout ne mérite pas la même appréciation et François Bayrou et moi-même considérons, notamment, que, compte tenu des traditions scolaires et universitaires qui sont les nôtres, il faut aborder avec circonspection un certain nombre de propositions - peut-être un peu excessives - sur le recours à la déconcentration ou à la déréglementation systématiques et sur ce point, au stade actuel de la réflexion, nous gardons un certain recul par rapport aux propositions qui ont été faites. L'unité nationale est garante de la justice et de l'égalité entre nos enfants.
Il faut évidemment passer de la théorie à la pratique. Nous avons maintenant, avec ce qui a été fait dans le cadre des états généraux de l'enseignement supérieur et avec les travaux de la Commission Fauroux, un corps de doctrine précis et des objectifs qui sont également précis. Il faut les transformer en propositions concrètes et en actions. C'est, ce que nous allons faire et j'ai donc demandé à François Bayrou de se saisir maintenant de ce rapport de la commission Fauroux, de l'exploiter en détail et de poursuivre la concertation avec les partenaires de l'école - et selon un calendrier qui va se dérouler au cours des prochains mois - de faire les propositions qui conviennent pour traduire en actes ce qui nous paraît devoir l'être.
Je terminerai en disant que l'esprit de la réforme maintenant est prêt à souffler. Je répète que conditionner toute réforme de l'éducation Nationale à l'éternel préalable des moyens, selon le discours " langue de bois " qu'on entend parfois ici ou là, n'est pas la bonne démarche. Il faudra bien sûr des moyens. Le ministre de l'éducation Nationale a eu la sagesse de ne pas s'engager dans une vaste loi de programmation, dans ces lois cathédrales que nous aimons et que nous appliquons rarement d'ailleurs - l'expérience le prouve-. C'est donc année après année, dans le cadre d'une programmation concertée avec l'élaboration des lois de finances que les moyens nécessaires seront dégagés. Ces moyens devront surtout - je le répète encore, comme je l'ai dit le 18 juin - s'accompagner de remises en question. Il n'y a pas de réformes sans remises en question. L'organisation de l'année universitaire en deux semestres est une remise en question qui doit nous permettre de beaucoup mieux utiliser les équipements scolaires. Certaines réformes également dans les cursus ou les carrières des enseignants doivent apporter des marges de manuvre.
Bref, tout ceci maintenant mérite des ajustements auxquels nous allons procéder, mais, je le répète, le cap est bien fixé et l'architecture de ce que devrait être notre système éducatif à échéance de plusieurs années - puisque c'est bien cela qu'il faudra pour concrétiser cette réforme- est maintenant disponible et je me réjouis que l'un des buts que je m'étais fixé l'an dernier soit maintenant en passe d'être atteint.
JOURNALISTE - Qu'en est-il du projet, évoqué l'an dernier, de référendum ?
ALAIN JUPPÉ- Je ne sais pas si vous avez sous les yeux la déclaration de politique générale de l'année dernière où j'avais dit : si, au terme de ce processus il apparaît qu'une question relevant de la procédure référendaire et permettant une expression consensuelle de l'opinion publique française pouvait être posée, alors pourquoi pas ! Et je n'ai pas beaucoup plus à dire aujourd'hui que ce que je disais il y a un an sur ce sujet.
JOURNALISTE- Le rapport Fauroux retient l'idée de co-éducation avec l'entreprise. Est-ce que c'est une idée que vous partagez ?
ALAIN JUPPÉ - Je ne veux pas utiliser cette formule de co-éducation mais tout ce que j'ai dit sur la nécessité d'un lien étroit entre l'école et l'entreprise, sur le nécessaire développement de l'alternance, sur la promotion de l'apprentissage, l'apprentissage dans son sens le plus large, y compris dans l'enseignement supérieur, correspond, je crois bien à cette idée de co-éducation La formule est peut-être un peu forte, un petit peu audacieuse, je n'en sais rien, mais l'idée est tout à fait dans ce que nous avons fait le 13 juin avec les partenaires sociaux, dans ce qui a été dit le 18 juin, notamment sur la nécessité de développer les stages dans l'enseignement supérieur pour en faire un des éléments importants du cursus universitaire, sur l'idée aussi du temps de professionnalisation ou du module de professionnalisation dans toutes les filières de l'enseignement supérieur, qu'elles soient littéraire, scientifique, juridique ou technologique. Donc l'idée nous plaît.
JOURNALISTE - Le rapport Fauroux souligne dans son bilan qu'un quart des enfants maîtrisent mal la lecture et le calcul à la fin de l'école élémentaire. Est-ce que ce fait vous parait suffisamment grave pour que ce soit un objectif de remédier à cette situation ?
ALAIN JUPPÉ - Oui bien sûr, on ne peut pas se résigner à cette situation et c'est la raison pour laquelle nous avons retenu l'idée, mais elle est déjà avancée en ce qui concerne l'enseignement primaire, d'une redéfinition des programmes, de l'allègement de ces programmes, d'un aménagement des rythmes scolaires, toutes conditions qui permettront de se centrer sur l'essentiel et la bonne maîtrise de la langue, de l'orthographe sont à coup sûr des enjeux essentiels. Mais j'ai été frappé par ce que disait ce matin Monsieur Fauroux et qui était l'anti-catastrophisme habituel sur l'Éducation Nationale. Chaque fois qu'on parle de l'Éducation Nationale on dit que c'est abominable, qu'elle ne fonctionne pas, qu'elle est incapable de jouer son rôle, que les enfants ne savent pas lire et écrire, qu'elle ne sait pas préparer les jeunes à leur futur métier.
Ce que nous a dit Roger Fauroux, approuvé par l'ensemble de son équipe ce matin, c'est qu'ils ont rencontré des gens formidables partout où ils sont passés, des professeurs de qualité, des équipes éducatives motivées, et que contrairement d'ailleurs à une idée reçue l'Éducation Nationale n'est pas napoléonienne, mais un terrain d'initiatives et d'expériences très nombreuses. Tout ne va pas bien, sans cela on n'aurait pas créé la Commission Fauroux, mais tout n'est pas noir pour autant et notre système éducatif est loin d'être un des plus mauvais d'Europe, je serais même tenté de dire qu'il figure parmi les meilleurs. Alors améliorons ce qui doit l'être et ne laissons pas croire à nos familles que notre école est mauvaise, d'ailleurs ils ne le pensent pas dans leur immense majorité.
JOURNALISTE - Vous nous avez parlé des propositions que vous avez reprises, qui étaient déjà en germe ou complètement dans ce que François Bayrou a proposé le 18. Jacques Chirac hier vous encourageait à nous trouver de nouvelles pistes de réflexions dans le rapport Fauroux alors qu'est-ce que vous avez trouvé de nouveau par rapport à ce que François Bayrou a déjà proposé ?
ALAIN JUPPÉ - Ce que nous avons proposé le 18 juin a été préparé en étroite coordination avec la Commission Fauroux : ce n'est donc pas par hasard que nous nous retrouvons sur les mêmes pistes pour ce qui concerne l'enseignement supérieur. Je ne vais pas les rappeler. La Commission Fauroux s'est intéressée à l'ensemble de l'architecture de notre système éducatif et donc nous complétons ce qui a été dit le 18 par un certain nombre d'autres pistes : la redéfinition de programmes clairs dans le secondaire, palier par palier, avec pour objectif la simplification. Je n'aime pas beaucoup le concept de minimum culturel, je ne crois pas d'ailleurs qu'il ait été repris par la version définitive du rapport Fauroux mais l'idée est bien de s'orienter vers une meilleure définition des programmes Les rythmes scolaires et l'aménagement des horaires c'est un point également très important ainsi que la réflexion sur la charge de travail des élèves et pour tout ce qui concerne la gestion du système éducatif. J'ai marqué ma distance vis à vis de la pratique excessive d'une déconcentration tous azimuts ou d'une déréglementation également tous azimuts, mais ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas des choses à prendre de ce côté là. Il y aura dans la gestion des établissements bien sûr des progrès à faire donc il y a beaucoup de choses qui viennent compléter la réflexion du ministre et des états généraux. Je suis également très séduit, mais nous allons affiner tout cela, par l'une des propositions de la Commission Fauroux qui consiste à créer un Haut Conseil de l'école, qui serait indépendant de l'administration de l'Éducation Nationale, qui pourrait être composé de personnalités ayant davantage de recul et qui pourrait émettre des avis sur les programmes par exemple, rendre chaque année au Président de la République une sorte d'état du système éducatif, faire le bilan des réformes entreprises, bref une autorité un peu indépendante qui aurait ce rôle d'évaluation et de conseil sur l'évolution de notre système éducatif. C'est une des propositions Fauroux qui me parait intéressante que j'ai demandé à François Bayrou d'affiner et le cas échéant de concrétiser.
JOURNALISTE - Peut-on réformer sans dépenser plus?
ALAIN JUPPÉ - Pour le financement (...) c'est très clair, la première étape sera la Loi de Finances pour 1997 puis ensuite les Lois de Finances qui se succéderont, vous voyez que là le calendrier est relativement proche. Le ministre de l'Éducation Nationale disait le 18 juin qu'une partie importante des mesures concernant l'enseignement supérieur devrait entrer en application à la rentrée 1997-1998, que la filière technologique c'était évidemment un travail de plusieurs années, il a dit une dizaine. C'est l'ordre de grandeur. Et puis j'espère qu'il y aura aussi des mesures d'application dès 1997, c'est-à-dire 1996. Nous réfléchissons notamment à la façon de lancer dès cette année le tutorat dans le premier cycle de l'enseignement supérieur qui est quelque chose qui peut être relativement facile à mettre en uvre, et qui correspond, je crois à une attente assez forte des étudiants, à la fois de ceux qui sont déjà en deuxième cycle, à qui ça pourrait permettre d'affirmer leur rôle dans les Universités et de ceux qui y entrent, qui se sentent un peu perdus. Je voulais rappeler au passage d'ailleurs, je crois que ça fait l'objet d'une dépêche que vous venez d'avoir, que la Conférence des Présidents d'Universités a donné aujourd'hui même son accord à l'ensemble des propositions Bayrou.
JOURNALISTE - Vous avez évoqué plusieurs questions, l'une porte sur les enseignants, vous avez souligné combien ils étaient remarquables, le rapport Fauroux insiste sur le fait qu'il faudrait prendre en compte les innovations et les valoriser. Qu'envisagez-vous pour le faire ?
La deuxième question porte sur la crainte d'une rencontre de deux logiques différentes entre les conférences disciplinaires prônées par M. Bayrou et l'attention aux parcours individuels prônée par Roger Fauroux. J'ai l'impression qu'entre la logique disciplinaire et la logique de l'attention aux individus il risque d'y avoir contradiction et ma troisième question porte sur la Commission de Virville dont on entend peu parler et dont je me demande comment ses travaux sur la formation continue s'articule avec les travaux actuels sur la formation initiale.
ALAIN JUPPÉ - Bien cher Monsieur vous êtes beaucoup trop savant pour moi, il faut au moins un ministre de l'Éducation Nationale pour répondre en détail à ces questions. En ce qui concerne les enseignants, je voudrais simplement dire que c'est un domaine où la déconcentration doit être manipulée avec prudence et sagesse, qu'il s'agisse de la formation, qu'il s'agisse des nominations, qu'il s'agisse de la gestion des corps. Donc là certaines propositions du rapport Fauroux méritent d'être prises, je le répète, avec une certaine prudence. Quant à la logique entre les commissions disciplinaires et les parcours individuels, nous allons affiner les choses et je fais toute confiance à François Bayrou pour éviter les conflits. En tous cas le travail de Monsieur de Virville se poursuit, il avait été prévu que ce rapport soit disponible à l'automne, septembre, donc le calendrier est tenu et ceci s'intégrera dans la poursuite des négociations que nous avons avec les partenaires sociaux à l'issue du sommet du 13 juin et en perspective de celui de la fin de l'année.
Je ne vois pas a priori dans les orientations générales de contradiction possible. Je crois quand même qu'il y a un point très important qui mérite d'être souligné, une sorte de consensus national aujourd'hui sur ce que l'on a appelé, je reprends sans la faire mienne cette formule la "co-éducation"; en tous cas les liens étroits entre l'école au sens large du terme et puis l'entreprise c'est une révolution telle qu'elle est faite dans tous les esprits maintenant, ça c'est un point très positif.
JOURNALISTE - Pour en revenir sur la question (...) des échéances je veux vous demander si à force de présenter aux Français des réformes étalées dans le temps, or toutes les réformes de l'éducation sont étalées dans le temps, vous ne craignez pas de susciter pas mal d'impatience parce qu'au bout du compte pour les prochaines rentrées il n'y a pas grand chose de neuf.
ALAIN JUPPÉ - Je n'en suis pas sûr, on verra, il est trop tôt pour le dire, puis de toute façon de ce point de vue là je suis un peu vacciné parce que quand j'ai fait la réforme de la Sécurité sociale, l'année dernière, on m'a dit c'est tout, tout de suite, trop vite. Là on fait les choses progressivement, on me dit que cela suscite l'impatience. Non je crois qu'il y a beaucoup à faire, je crois que beaucoup de ces questions méritent d'être encore approfondies en concertation avec les étudiants, avec la communauté scolaire, avec la communauté universitaire et ce n'est pas une façon de tirer à la ligne ou de déléguer, ça viendra avec une première étape dès 1997 et des étapes qui se succéderont au fil des années. Donc nous sommes tout à fait déterminés à avancer, avancer aussi vite que possible.
JOURNALISTE - Mais est-ce que vous pouvez dire si vous vous êtes fixé une échéance en ce qui concerne par exemple la réorganisation des rythmes scolaires ?
ALAIN JUPPÉ - C'est une réforme qui a commencé, donc l'échéance est déjà engagée. Plusieurs initiatives ont déjà été prises en ce sens, le ministre de l'Éducation Nationale, le ministre de la Jeunesse et des Sports vont passer maintenant à des phases d'expérimentation, département par département, je crois qu'il y a deux départements qui vont être concernés dès la prochaine rentrée et donc là aussi la montée en puissance se fera au fil des années mais c'est commencé. Je ne peux pas vous donner de date sur la généralisation de l'aménagement des rythmes scolaires, je sais bien que tout le monde l'attend mais ça viendra étape par étape. De même que comme je le disais tout à l'heure on a, à l'amont de cette réflexion; déjà travaillé, le contrat pour l'école ça existe, la mise en place des nouveaux cycles dans le primaire et les nouveaux programmes se font. François Bayrou me disait ce matin que 60 % à peu près des établissements du primaire sont passés à l'organisation du cycle primaire en fonction des nouveaux cycles tels qu'ils ont été déterminés, il en reste 40 % qui n'y sont pas encore donc c'est encore du travail pour plusieurs années.
JOURNALISTE - Est-ce que vous considérez que l'ensemble des dispositions qui ont été présentées ces derniers jours constituent le cadre général de la réforme que le Président de la République appelait de ses vux et dont il demandait l'urgence d'une application ?
ALAIN JUPPÉ - Oui je crois que nous avons aujourd'hui avec ce qui a été dit à ces différentes étapes, sous réserve des précisions qui pourront être apportées dans les semaines qui viennent, nous avons ce que j'ai appelé le corps de doctrine, l'ensemble des objectifs que nous nous fixons pour la rénovation, notamment de l'enseignement supérieur, pour l'articulation entre le lycée et l'enseignement supérieur, mais oui je considère qu'aujourd'hui l'architecture est tracée et le plan, pour filer la métaphore, le plan d'architecte est prêt il faut maintenant prendre des briques et monter les murs les uns après les autres. Mais c'est très important d'avoir le plan et c'est peut-être ce qui avait fait défaut au cours des années passées.
JOURNALISTE - Nous avons bien compris que vous preniez un peu de distance vis à vis de la déconcentration mais j'aimerais que vous précisiez ce que vous entendez par gestion plus souple du système éducatif.
ALAIN JUPPÉ - C'est d'abord plus d'autonomie pour les Universités. Quand j'ai pris ma distance avec une déconcentration excessive je n'ai pas dit qu'il ne fallait pas progresser dans la voie de l'autonomie et dans les propositions qui ont été faites, il y a 3 jours, il y en a qui sont très fortes. La possibilité de remettre aux Universités qui le souhaiteront la propriété de leurs immeubles c'est un point important. De même la possibilité (là je rentre dans la technique, j'espère ne pas être inexact) pour les Universités de cotiser directement aux Assedic pour certaines catégories de personnel, c'est une petite révolution dans la gestion de leur personnel et dans l'autonomie qu'elles auront pour recruter certaines catégories de personnel, donc voilà des réformes qui vont tout à fait dans le sens sinon de la déconcentration puisque l'on est dans l'enseignement supérieur mais de l'autonomie, de même en ce qui concerne l'enseignement secondaire, nous ne sommes pas du tout hostiles à ce que certaines des propositions faites pour renforcer le rôle des établissements ou celui également sur le plan administratif des recteurs soient étudiées de façon plus précise. Mais je le répète l'idée de vider de sa substance la rue de Grenelle pour tout déconcentrer au niveau des rectorats ou des académies- je caricature un peu le rapport car ce n'est pas ça qu'il dit, n'est pas celle que nous retenons.
JOURNALISTE - Est-ce qu'il est possible de faire bouger l'éducation sans un effort budgétaire même dans un contexte...
ALAIN JUPPÉ - Je l'ai dit avant hier, je crois que la France consacre 7,3 % de son produit intérieur brut à l'enseignement. Dans le cas du Japon, que l'on cite toujours en exemple, je crois que c'est 4,8 mais beaucoup de pays européens sont en dessous de 6. Donc nous consacrons beaucoup d'argent à l'éducation, 360 milliards et je crois que ce chiffre n'inclut pas ce que les collectivités territoriales font de leur côté pour les bâtiments scolaires, qu'il s'agisse des écoles, des collèges ou de l'enseignement supérieur.
Il faut continuer bien sûr mais j'ai gardé en tête une phrase d'un universitaire bordelais, apostrophant des étudiants en leur disant : à force de poser systématiquement le problème de l'évolution de l'enseignement supérieur, en termes de moyens, et jamais en termes de réforme structurelle, je le cite, vous creusez votre tombe avec vos dents. Je n'irai pas jusque là parce que n'étant pas universitaire je ne peux pas me permettre de dire ça aux étudiants, mais il y a là matière à une vraie réflexion : est-ce que c'est toujours en empilant des moyens supplémentaires sans rien toucher aux structures qu'on arrivera à des solutions. J'ai utilisé une formule qui vaut ce qu'elle vaut en disant que la sédimentation asphyxie. Alors il faut faire preuve d'imagination, redistribuer un peu les cartes. L'exemple le plus flagrant et le plus simple : nous avons aujourd'hui des bâtiments universitaires qui sont utilisés cinq mois dans l'année. Il y a deux façons d'aborder le problème, ou bien on dit il faut construire X dizaines de milliers de m2 supplémentaires en continuant à les occuper 5 mois dans l'année. Ça a un coût. Ou bien on dit comme tous les autres pays européens et développés, on va essayer de l'utiliser le plus possible pendant par exemple 10 mois. C'est déjà une marge de manuvre considérable qui nous permet d'avoir quelque chose comme 30 % d'oxygène par rapport aux locaux existants. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut plus construire de locaux, ça ne veut pas dire qu'il ne faut plus faire d'effort naturellement, ça veut dire qu'il faut mélanger l'imagination sur les structures et l'augmentation des moyens.
JOURNALISTE - Et le BAC ?
ALAIN JUPPÉ - Le BAC, si on veut continuer à en faire ce qu'il est et ça nous avons été très clair là-dessus, c'est-à-dire véritablement le passeport d'entrée dans l'enseignement supérieur, doit rester un examen.