Interview de M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, dans "Le Journal du Dimanche" du 29 juin 2008, sur la volonté française de rendre l'économie européenne "sobre en énergie et en carbone".

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Média : Le Journal du Dimanche

Texte intégral

Q - Quelle est pour vous la priorité de cette Présidence française ?
R - Il faut absolument que l'on arrive à un accord sur le paquet "climat énergie" qui vise à faire de l'Europe une économie sobre en énergie et en carbone. L'objectif européen est de réduire de 20%, - voire 30% - nos émissions de CO2, de réduire de 20% nos besoins en énergie, et d'augmenter de 20% nos énergies renouvelables. Plusieurs mécanismes sont prévus et notamment la mise en place d'un marché des émissions de tonnes de CO2, cotés en bourse. Si nous arrivons à un accord, toute émission de CO2 dans l'atmosphère par les grands opérateurs devra être payée par l'achat de quotas en bourse. Ceci a pour objectif d'inciter les opérateurs à investir pour limiter leurs rejets. Et les revenus de ce marché seront investis pour accompagner la transition énergétique. Cela pose quelques questions puisque les différents pays européens n'ont pas tous des industries et des énergies équivalentes. Par exemple, des pays fonctionnent essentiellement au charbon et émettent donc beaucoup de CO2. Ils seront aidés pour financer les mutations technologiques indispensables de leurs énergies et de leurs industries. On bâtit quelque chose de difficile qui change le fondement économique et industriel des pays.
Q - Y a t-il accord sur cet objectif de réduction de 20% des émissions de CO2 ?
R - La question est surtout de savoir comment y parvenir. Pays par pays, quelles règles fixe-t-on sur les énergies renouvelables, sur les échanges de quotas d'émissions, sur le niveau de CO2 des voitures, etc. Quand on discute sujet par sujet avec chacun des Etats, cela devient plus complexe. C'est une vraie révolution économique que nous engageons ensemble ! Le jour où les émissions de CO2 seront mises aux enchères, cela pourrait représenter un investissement de 23 milliards d'euros pour l'industrie et l'énergie en France qui a déjà commencé sa mutation, et de 55 milliards pour la Pologne. A terme, cela permettra à terme de réduire considérablement nos factures énergétiques. En attendant, il faut trouver des mécanismes de solidarité entre les pays européens. Il faut aussi un système pour éviter la concurrence déloyale des pays qui n'ont pas pris de tels engagements et ne font pas d'efforts pour l'environnement.
Q - Comment éviter de mettre par terre des pans entiers de secteurs industriels ?
R - L'idée est bien d'inciter les entreprises européennes à réduire leurs besoins énergétiques et leurs émissions de CO2. Certes, les investissements sont lourds, mais l'industrie européenne a ainsi l'occasion de prendre une longueur d'avance. La compétitivité et les emplois de demain en dépendent. L'objectif est de prévoir des mécanismes financiers pour accompagner les industriels dans cette mutation.
Q - Mais toutes ces dépenses risquent d'augmenter encore le prix de l'énergie...
R - Il faut agir car le prix du pétrole a encore atteint des records. Tout en aidant actuellement les plus fragiles, nous devons absolument réussir cette mutation. Le but, c'est l'amélioration de la performance énergétique et cela ne coûte pas plus cher. Avec des programmes sur des ampoules qui consomment moins, on gagne de l'argent à terme. Quand on met en place des tramways, ce n'est pas forcément beaucoup plus cher. L'idée, est de modifier la nature des investissements pour aller vers des choix plus sobres en énergie et en carbone.
Q - Y a t-il une chance de régler ce dossier "environnement" pendant les six mois de la Présidence française ?
R - Nous devons obtenir une position européenne commune au cours de ces prochains mois car fin 2008 il y a la négociation internationale de Poznan sur le climat puis la convention de Copenhague en décembre 2009 pour préparer l'après Kyoto. Tous ces chantiers sont examinés à l'heure de la transition énergétique de la planète, avec la montée des prix de l'énergie et des matières premières. On parle du pétrole, mais on oublie de dire que le prix du charbon a augmenté de 150% au cours de la même période. Nous sommes face à un changement profond avec des mouvements spéculatifs très forts sur les matières premières. Nous devons réussir car le défi climatique est le plus grand enjeu énergétique de ce siècle. La vérité, c'est qu'on n'a pas le droit d'échouer.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 1er juillet 2008