Déclaration de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, sur sa nomination au ministère, le rôle des agents pour le rayonnement de la France et la priorité du gouvernement pour l'emploi des jeunes, Paris le 10 juillet 1997.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Réception offerte aux agents du ministère des affaires étrangères et à leurs conjoints, à Paris le 10 juillet 1997

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
Je suis très heureux de vous accueillir ici, dans cette Maison qui est la vôtre, dans ce beau jardin et sous ce beau soleil qui nous a été chichement mesuré ces derniers temps, bien que, quand on est en permanence dans un bureau, un avion ou une voiture, l'on n'ait pas tellement l'occasion d'en profiter ou de s'en plaindre.

Je vous souhaite donc à tous et à toutes la bienvenue.
Je vous dirai que, avec Pierre Moscovici et Charles Josselin, nous sommes très heureux de rencontrer un nombre plus large d'entre vous. Nous avons déjà commencé à travailler dans cette Maison. Nous ne comptons déjà plus les réunions qui ont été menées au niveau des directeurs, des sous-directeurs, des rédacteurs même. Nous avons pris de nombreux contacts, notamment parce que l'actualité ne nous a laissé aucun temps d'installation. Nous avons pris le TGV en marche, au moment de l'année où les sommets internationaux se sont présentés tous les trois ou quatre jours, avec toutes les contraintes et les enjeux qu'ils entraînent.

Nous nous sommes retrouvés là, dans ce poste de commande de la diplomatie française, sous la double autorité du président de la République et du Premier ministre avec un très grand sentiment, - nous avons eu l'occasion de le dire à plusieurs d'entre vous déjà - un très grand sentiment de fierté. C'est une grande Maison, cela reste une très grande Maison. Le corps diplomatique est impressionnant alors que les Etats modernes sont un peu malmenés par toutes sortes de phénomènes généraux de mondialisation et de globalisation. Les Affaires étrangères en France restent vraiment quelque chose d'important. Je crois que cela est perçu sur toute la planète, dans tous les pays, dans tous les postes.

Se retrouver dans ces fonctions, avoir l'honneur et la joie en même temps, à la fois intellectuelle et humaine de diriger la manoeuvre de cette grande Maison, c'est quelque chose de très particulier. Depuis que nous sommes là, c'est l'occasion la plus conviviale, la plus chaleureuse, la plus détendue de le dire au maximum d'entre vous en fonction ici, ou qui l'ont été, aux conjoints, à toute une communauté qui a noué des liens étroits qui forment la trame d'une vie.

Ce n'est pas à vous que j'aurais la prétention d'aller expliquer que le monde actuel n'est pas simple pour nous, pour la France. Chacun d'entre vous le sait. La France s'est trouvée sur des fronts multiples et vous avez pu éprouver comme aucune autre administration, aucun autre corps, tous les jours, sur tous les terrains à quel point ce monde est compétitif, concurrentiel, à quel point la France reste chargée d'un prestige inégalé. En même temps, vous avez pu voir que l'on ne peut pas en rester là à défendre simplement nos intérêts et nos valeurs, qui constituent un tout. Nous ne pouvons pas le faire parce que nous sommes les héritiers d'une Histoire exceptionnelle, prestigieuse qui fait que le nom de la France, le nom de ses grands dirigeants, ses grands principes et ses grandes déclarations, notamment dans le domaine du droit, continuent à vibrer dans l'esprit de tous les hommes et les femmes de la planète. Cela ne suffit pas.

C'est très important. Nous y tenons comme à la prunelle de nos yeux. En même temps, la vie quotidienne est faite d'une série de négociations ininterrompues, sur des terrains variés qui réagissent les uns sur les autres. Comme, dans ce monde, il y a peu de choses qu'un Etat, même important, puisse trancher seul, nous sommes engagés dans ce qui fait l'essence même de notre métier : ce travail d'analyse du rapport de force, de négociations, et un choix à faire en permanence entre maintenir nos positions dans leur pureté et accepter des compromis, en trouvant les bons partenaires pour créer des dynamiques, des groupes moteurs, des géométries variables qui nous permettent, en nous adaptant au monde d'aujourd'hui, de progresser vers nos objectifs.

C'est vrai que ce monde global, depuis 1991 notamment, nous amène à repenser et réadapter beaucoup de méthodes, à les aiguiser, à les affiner, car la mémoire collective plonge très loin. Presque toutes les formes de talents professionnels ont été expérimentées à un moment ou à un autre. Nous avons à préserver la place de notre pays, son identité, à trouver la meilleure relation possible, la plus amicale, la plus utile et la plus franche possible avec les Etats-Unis qui est le pays prédominant. Nous avons à le faire tout en travaillant à un monde plus multipolaire, plus équilibré, d'abord en Europe naturellement, mais pas uniquement car nous n'oublions aucun continent. Nous avons à le faire en prenant en compte ce qui va se passer en Asie, en Amérique latine, en Afrique qui est tout sauf un continent oublié. L'Afrique va revenir aux premiers rangs du monde et pas uniquement à travers ses crises. Je lui prête un avenir très important. Nous avons à jouer sur tous ces terrains.

C'est dire la richesse de ce que vous représentez, de ce que vous savez et de ce que vous portez en vous. Notre intention, au nom des trois membres du gouvernement qui sont ici, est de tirer le plus grand parti de cette expérience accumulée et de ce savoir-faire. C'est une richesse incomparable.

Certes, nous pensons qu'il faut continuer à mieux nous adapter. J'ai dit quelques mots de l'adaptation diplomatique ; cela doit être vrai notamment en matière de méthodes et de moyens. Nous voulons avoir, et nous aurons, les méthodes de travail modernes et directes qui respectent le rôle de chacun, en faisant en sorte que les hiérarchies nécessaires n'empêchent pas l'épanouissement des capacités et des talents, n'entravent pas la capacité d'initiative, de réflexion et de proposition. Il faut combiner tous ces éléments dans une grande Maison qui fonctionne bien et qui doit continuer à le faire.

Il y a la question des moyens. Nous sommes engagés en ce moment même, dans une discussion budgétaire. Je peux vous dire que ce n'est pas simple, cela commence difficilement. Nous y passons déjà beaucoup de temps. Nous voulons que l'on arrête de puiser dans notre budget - nous n'avons pas de marge - comme si cela n'avait pas à chaque fois des conséquences très précises sur les programme que notre pays mène, sur sa capacité d'accueil, sur les bourses qu'il donne, sur son rayonnement.

Je peux vous dire que les sommets auxquels nous avons participé, les voyages que nous avons entrepris dès notre arrivée ne nous ont pas détourné de cet enjeu. C'est l'enjeu classique de l'été. Nous y sommes et il faut se battre, pas entre nous mais à l'intérieur de cette dialectique administrative et budgétaire toujours compliquée.

Nous voulons aller vers un ministère des Affaires étrangères moderne et efficace, et qui évolue dans le bon sens. J'ai l'intention de participer en décembre à l'ouverture des travaux du Comité technique paritaire ministériel. Nous avons l'intention de rencontrer très prochainement l'ensemble des organisations qui représentent le personnel, vous tous. Nous avons besoin de savoir comment les choses sont vues et comment les grandes orientations que l'on peut être amené à définir avec le président de la République et le Premier ministre, se traduisent concrètement et à tous les échelons. Nous voulons savoir ce qui est réaliste ou non. Dans certains cas, on s'apercevra que nous avons une vision qui se heurte à des difficultés considérables, dans d'autres, nous nous apercevrons de l'inverse.

Il y a des gisements inexploités. Comment s'en apercevoir si ce n'est en se voyant, en s'écoutant, en se parlant ? Nous avons commencé, Pierre Moscovici, Charles Josselin et moi-même, chacun dans nos domaines, à visiter les services, que ce soit ici ou rue la Pérouse, boulevard St Germain et à la Coopération. D'autre part, j'ai bien l'intention d'aller à Nantes dès que je le pourrai. Je n'ai pas de date précise car mon agenda ressemble jusque vers le 8 août, à ce qu'il a été depuis un mois. De même, je souhaiterais rencontrer, dès la rentrée, l'ensemble des lauréats des concours 1997. Ce serait intéressant de rencontrer les forces vives, ceux qui vont venir nous aider, et de comprendre pourquoi ils ont décidé de se joindre à nous. Je suis personnellement convaincu que la place de notre pays, le rayonnement de nos idées, la place de ce ministère se jouent, non pas à Paris, mais sur tous les terrains et dans tous les pays qui composent l'ONU.

Concernant les priorités de ce gouvernement à l'égard de l'emploi des jeunes, je crois que nous avons aussi un rôle à jouer. Le temps est passé où cette question était purement hexagonale. Il y a une politique de l'emploi des jeunes que nous avons les moyens de mettre en oeuvre. Nous pouvons, à travers tous les moyens dont nous disposons, à travers cette implantation territoriale planétaire inégalée, "mettre le pied à l'étrier" à beaucoup de jeunes hommes et de jeunes femmes qui démarreront leur vie avec une perception immédiate, globale, en sachant où sont les priorités d'aujourd'hui.

La politique de formation est très importante dans les domaines les plus variés. Sachez que, dans l'esprit que je viens de citer, par rapport à l'emploi des jeunes, ce sera un point très important pour les membres du gouvernement qui sont ici devant vous.

D'une façon générale, il faut que nous arrivions à faire évoluer les carrières, en introduisant, dans le déroulement normal, sans pénaliser personne et en en faisant si possible un avantage, une ouverture vers l'extérieur. Il faut pouvoir circuler d'une activité à l'autre, de l'appareil d'Etat au secteur privé, d'un secteur à l'autre de l'appareil d'Etat. Tout ceci impose une plus grande mobilité et une plus grande souplesse. Les enjeux de notre pays ne se placent pas uniquement sur le terrain administratif, étatique ou diplomatique. Ils concernent aussi les relations économiques et culturelles et l'ensemble du monde des images, des batailles de géants qui s'y mènent déjà, sans parler de celles qui se préparent et qui seront plus grandes encore. Il faut avoir une approche globale. Je sais bien qu'en disant cela, personne ne peut être en désaccord avec des orientations aussi vastes. Je sais qu'il faut penser à la traduction de cette approche. Nous allons réfléchir à tout cela.

Mesdames et Messieurs, chers amis, je ne veux pas vous accabler plus longtemps. Vous n'êtes pas venus ici pour entendre une allocution. Sachez que nous sommes très heureux d'être parmi vous, de vous voir d'un peu loin mais ensuite de circuler parmi vous, de pouvoir profiter du talent des traiteurs pour ce qui est de l'extérieur, du talent de M. Sabine pour ce qui est de l'intérieur de ce Département. Nous allons le faire de ce pas. J'espère que cette rencontre sera la première de plusieurs dans lesquelles se noueront entre vous tous, vous communauté déjà très forte et très constituée, et nous trois qui avons l'honneur d'être aujourd'hui dans ces trois postes. Nous avons l'honneur d'avoir à jouer ce rôle dans la conduite de la politique étrangère française sous l'autorité, je le répète, du président de la République et du Premier ministre, à ce moment où la France doit être très inventive, très tactique, en ne perdant pas de vue à long terme ses grands intérêts, les grandes stratégies qui doivent être les siennes et en même temps, en saisissant les idées nouvelles qui viennent, dans ce grand moment où tout se croise, les grandes options et les grands rapports de force. Laissez-moi vous redire, pour conclure, le plaisir d'être ensemble, la joie de vous voir ici rassemblés, par ce beau temps, et le plaisir que nous allons prendre aux quelques moments qui sont devant nous.

(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 novembre 2001)