Texte intégral
E. Martichoux.- C'est aussi pour vous l'heure de la rentrée. Hier, le chef du Gouvernement a décidé de ne rien faire de neuf pour relancer la croissance ; pas question de dépenser un sou de plus, tout va bien. Cela vous rassure ?
Non, pas du tout ! Vous savez, M. Jourdain faisait de la prose sans le savoir et M. Fillon fait de la rigueur sans le dire. Parce que, à la fois, la situation s'est fortement dégradée en un trimestre, tous les indicateurs sont au rouge : la croissance, la production, l'emploi, le pouvoir d'achat, donc il y a une nécessité d'agir. On ne peut pas dire : on va attendre, les réformes qu'on a faites vont donner leur effet. Donc il y avait des initiatives à prendre. Visiblement, c'est un coup de "com" hier, puisqu'ils n'ont rien annoncé de particulier, on dit : on va continuer ce qu'on avait prévu. Mais la situation se dégrade fortement, encore un trimestre de croissance négative et on sera officiellement en récession.
Ce que dit le Gouvernement, et c'est incontestable, c'est que les réformes, beaucoup ont été engagées, avec des effets attendus. Et F. Fillon interrogé sur ce point hier disait, qu'il comptait sur 0,3 point qui pouvait être dégagé, par exemple, de la loi TEPA, c'était une prévision du Premier ministre. D'autres disent, qu'effectivement, la loi de modernisation de économie par exemple, va permettre de mettre du charbon dans la machine, et puis ensuite, il y aura la loi sur l'intéressement, la loi sur la participation. Tout ça devrait porter ses fruits d'ailleurs, d'après certains économistes. Vous y croyez ?
Non, pas tellement, en ce sens où la loi TEPA, si on met de côté les heures supplémentaires qui ont bénéficié qu'à ceux qui en faisaient des heures supplémentaires, et qui en font encore, et qui en bénéficient un peu, pour le reste c'est une erreur. Le bouclier fiscal, ça concernait les riches : 91 % des sommes dépensées c'est sur les riches, sur l'ISF, etc. Quant à la loi de modernisation de l'économie, je ne crois pas...
...Qui devrait permettre de faire baisser les prix dans la grande distribution.
Oui, moi, je n'y crois pas. Je ne crois pas à un effet important de la concurrence dans la grande distribution. D'abord, la France n'est pas sous-équipée en matière de supermarchés et d'hypermarchés, on ne change rien au nombre des grandes centrales d'achat...
Ce n'est pas un problème de sous-équipement, c'est un problème, effectivement, de concurrence juste.
Oui, mais il fallait à ce moment-là regarder sur le nombre de centrales d'achats ; il y a toujours cinq grandes centrales d'achats dans ce pays, ça ne changera rien fondamentalement, si ce n'est qu'ils ont vouloir développer ce qu'on appelle "le hard discount", et c'est aussi, du "hard discount" pour les salariés. Donc, ce n'est pas la bonne méthode. Il faut des initiatives sur le pouvoir d'achat, c'est inévitable.
Alors justement, il y a d'autres outils, je le disais, le Gouvernement n'est pas complètement impuissant. Par exemple, il y a la prime à la cuve au fuel qui va être lancée, et également, on n'appelle plus cela "le chèque transport", qui a été un échec, mais "la contribution transport". Vous êtes d'ailleurs en pointe, vous l'aviez réclamée, on vous a demandé, à tous les partenaires sociaux, de rendre une copie au 15 septembre.
Oui, dès le mois de juin nous avions ça, nous insistons beaucoup là-dessus. Le chèque transport n'a pas marché ; le Premier ministre appelle cela "une contribution", c'est la même chose, une prime transport c'est-à-dire un élément sur la fiche de paye. Il a demandé aux interlocuteurs sociaux, patronat et syndicats, de faire des propositions pour le 15 septembre. Le problème c'est que dès le lendemain, j'ai écrit aux trois organisations patronales, j'ai une réponse positive pour ouvrir la négociation des artisans ; j'ai une réponse positive des PME, le Medef est aux abonnés absents. Visiblement, madame Parisot préfère préparer, si j'ai bien lu la presse, son parachute plutôt que de s'occuper des primes transport des salariés. Donc ça signifie que si au 15 septembre il n'y a rien, je demanderais au Gouvernement de prendre la décision concertée, de prendre la décision très rapidement, sans attendre une initiative du côté de la négociation si le patronat ne veut pas négocier.
Comme le prévoit la loi. Donc ce matin, vous demandez à L. Parisot, il reste trois semaines pour mettre en...
Oui, bien sûr, mais elle aurait pu répondre, depuis fin juin elle aurait pu répondre ! Dire, "oui, Ok, on va ouvrir une négociation". Ouvrir, ce n'est pas forcément être d'accord, ce n'est pas si compliqué que ça comme négociation. Mais non, c'est lettre morte depuis maintenant le début de l'été.
Donc, J.-C. Mailly appelle L. Parisot à répondre à sa demande sur "le chèque transport", ce matin, jusqu'au 15 septembre, le rendezvous est pris avec F. Fillon. Pouvoir d'achat et les salaires : on sait qu'il existe maintenant par la loi une obligation pour les entreprises qui bénéficient d'aides sociales d'ouvrir les négociations sur les salaires.
Oui, mais c'est insuffisant. Sur les salaires, c'est la priorité, je vais reprendre une formule du Gouvernement : "s'il faut, on va aller chercher les augmentations de salaires par les dents", parce que c'est une nécessité. L'Etat a sa responsabilité vis-à-vis de ses employés, c'est-à-dire des fonctionnaires, et là, le moins qu'on puisse dire, c'est que depuis deux ans, il est particulièrement radin, puisqu'il n'y a quasiment pas d'augmentation. Et puis, pour le secteur privé, il y a à la fois la pression sur les employeurs pour qu'il y ait des augmentations de salaire, mais il y a aussi ce que l'Etat peut faire pour susciter les négociations. Nous ; nous demandions à ce que les aides sociales, les exonérations par exemple, soient conditionnées à l'existence d'accords de salaire dans les entreprises. Là, elles vont être conditionnées au respect de l'obligation annuelle de négocier ; c'est rien !
Est-ce que cela ne risque pas de jouer contre l'emploi ?
Mais non ! On voit bien que l'emploi se dégrade ou commence à se dégrader, malheureusement, depuis peu et sans augmentation de salaire. Donc il n'y a pas de lien ou alors, c'est la logique Banque centrale européenne, il ne faut surtout pas augmenter les prix au cas où l'inflation serait encore plus forte. Non ! La France est un pays dont l'économie - c'est une des spécificités des l'économie française, qu'on soit d'accord pas - est essentiellement tiré par la consommation. A partir du moment où la consommation piétine, cela aggrave la récession. Donc il faut un soutien au salaire, c'est un élément indispensable.
Je voudrais revenir très brièvement sur l'austérité. Beaucoup de voix à gauche s'élèvent pour dire qu'il y a déjà la rigueur, que c'est une rigueur déguisée. D'autres pourraient dire que c'est une gestion rigoureuse des comptes de l'Etat. Vous, les indices de rigueur, vous les voyez où ?
La rigueur ne date pas de ces jours-ci, elle est déjà en place depuis plusieurs mois. La RGPP, par exemple, le fait que le Gouvernement se colle complètement dans les critères européens quand ils annoncent encore hier vouloir respecter les 2 % de déficit budgétaire rapidement, cela implique une politique de rigueur voire d'austérité. On le voit, les réductions drastiques des dépenses publiques, le risque de fermeture des sous-préfecture ou d'autres services publics, les emplois dans la fonction publique, ça c'est déjà de la rigueur et de l'austérité. Et là, si - c'est le cas a priori -, si la croissance n'est pas au rendez-vous, moins de recettes fiscales et le Premier ministre a bien dit hier, je l'ai bien entendu, que s'il y a moins de recettes, qu'il faudra encore réduire les dépenses, cela veut dire encore plus de rigueur.
Malgré cela, par provocation sans doute, N. Sarkozy disait le 6 juillet qu'une grève, ça ne se voyait pas en France. On a le sentiment que malgré un climat lourd dans les entreprises, vous n'êtes pas en capacité de mobiliser.
Non, il ne faut pas dire qu'on n'est pas en capacité de mobiliser. Il y a des difficultés, c'est évident. On n'est pas forcément d'accord entre nous, c'est évident, ce n'est pas la peine de se cacher derrière son petit doigt là-dessus non plus. Mais en même temps, il y a une situation très tendue depuis des mois, avec le dossier pouvoir d'achat, qui était vraiment une priorité. Vous savez, il ne faut pas grand-chose pour qu'il y ait un mouvement qui parte, on ne peut pas dire quoi, il faut le phénomène déclanchant. Il peut arriver, et ce jour-là, il y aura des banderoles dans les manifestations et "ma grève, tu la vois !", ça s'adressera au président de la République.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 19 août 2008