Déclaration de M. Alain Joyandet, secrétaire d'Etat à la coopération et à la francophonie, sur les grandes lignes de la politique de coopération, à Paris le 25 août 2008.

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Circonstance : Ouverture des Journées de la coopération internationale et du développement, à Paris le 25 août 2008

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Madame la Directrice générale,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
C'est un très grand honneur, pour moi, d'ouvrir les Journées de la Coopération internationale et du Développement, ce que vous appelez, je crois, entre initiés, les "journées du réseau". Pour ce grand rassemblement annuel, Bernard Kouchner aurait souhaité être également parmi vous. Il est en ce moment même en tournée au Moyen-Orient. Il m'a chargé de vous dire combien il regrette de ne pouvoir s'adresser à vous aujourd'hui. Il viendra conclure vos travaux demain après-midi.
Pour la coopération française, comme pour l'ensemble de l'activité gouvernementale, l'année a été particulièrement dense.
A la demande du président de la République, plusieurs grands chantiers ont été ouverts. Dans la lettre de mission qu'il a adressée à Bernard Kouchner, le président Sarkozy nous a assignés collectivement un objectif particulièrement ambitieux, mais ô combien nécessaire : "donner une nouvelle impulsion à notre politique d'aide au développement".
Dans le même esprit, le président de la République nous a invités à accorder davantage d'importance au développement de notre influence culturelle à l'étranger.
Ces deux chantiers ont mobilisé au cours des derniers mois une grande partie d'entre vous, à Paris, comme à l'étranger. Beaucoup de propositions ont été faites aussi bien dans le cadre des travaux du Livre Blanc, élaboré par une Commission présidée par Alain Juppé et Louis Schweitzer, que dans le processus de révision générale des politiques publiques. Vous avez été à l'origine d'un nombre important d'entre elles. Je souhaitais ici vous en remercier.
Que retenir, au fond, des 12 recommandations du Livre Blanc et des 38 mesures préconisées par la RGPP concernant nos missions ?
Premier enseignement, qui ici ne surprendra personne, mais qu'il était bon de voir "explicité" : dans sa double composante d'aide publique au développement et d'action culturelle extérieure, la coopération française est au coeur même de la diplomatie française. Elle n'est ni un supplément d'âme une fois les crises dénouées et les conflits prévenus, ni une danseuse, un peu onéreuse, pour divertir la communauté internationale.
Comme l'ont bien relevé les auteurs du Livre Blanc, notre aide au développement constitue l'un des piliers dans l'organisation d'une mondialisation équilibrée. De même le rayonnement de notre langue, de notre culture, de nos universités constituent des composantes à part entière de notre influence extérieure. Dans les deux cas, il s'agit de l'intérêt bien compris de notre pays. Dans les deux cas, la mondialisation nous oblige, pour être efficace, à leur donner une place croissante. Pour nos métiers, cela se traduit logiquement par un nombre important de mesures : 13 sur les 38 de la RGPP, 4 sur les 12 du Livre Blanc.
Tout cela vous le saviez. Mais il était bon que les meilleurs esprits de la République s'en soient fait l'écho. Cela donne un surcroît de légitimité à nos politiques de coopération, cela ouvre de nouvelles pistes pour l'avenir.
Deuxième enseignement : pour être à la hauteur des défis, il nous faut nous adapter. Les propositions faites par la RGPP comme par le Livre Blanc convergent. Elles permettent de répondre à l'ambition assignée par le président de la République d'une diplomatie adaptée aux nouveaux défis. Pour les agents du réseau, ce changement doit être vécu comme une opportunité.
Quelles en sont les grandes lignes ?
Pour notre diplomatie d'influence, pour l'essentiel, il s'agit à la fois d'augmenter l'attractivité de notre offre éducative et universitaire et de renforcer le rayonnement de notre langue, de notre pensée, de nos images...
Cela passe, au premier chef, par une réorganisation des trois piliers de cette politique autour de trois grandes agences : l'Agence pour l'enseignement du français à l'étranger ; une nouvelle agence culturelle, construite à partir du socle que constitue CulturesFrance ; un nouvel opérateur chargé de l'attractivité et de la mobilité internationale. A terme, d'ailleurs, on peut imaginer que les deux derniers opérateurs, que je viens de citer, ne fassent plus qu'un, autour d'une grande agence, qui permettent de regrouper l'ensemble des principales missions de l'action culturelle, scientifique, technique et universitaire.
Cela passe également par le regroupement dans chaque pays de l'ensemble des services qui concourent à nos politiques de rayonnement. Et cette fusion, qui n'est qu'une rationalisation trop longtemps différée de notre dispositif, devra logiquement et symboliquement donner lieu à un label unique, conférant ainsi à nos actions davantage de visibilité.
Concernant notre politique d'aide publique au développement, là encore, les mesures préconisées devraient permettre de se rapprocher des objectifs arrêtés par le président de la République. Objectifs qui vous sont familiers : concentrer nos moyens tant sur le plan géographique que sectoriel, avec une claire priorité pour l'Afrique - j'y reviendrai - et un effort particulier en matière de santé, d'éducation, de formation, de développement durable ; tenir compte dans la définition de notre APD du respect de la démocratie et de la règle de droit ; privilégier les projets concrets, visibles sur le terrain ; contribuer efficacement aux politiques de sortie de crise ; systématiser l'évaluation de nos projets.
Qu'il s'agisse de notre diplomatie publique d'influence ou d'aide au développement, l'organisation du ministère devra être profondément remaniée, pour être à même de jouer pleinement son rôle de vigie, de tour de contrôle, d'animation et d'impulsion, ce qu'il est convenu d'appeler le pilotage stratégique. Nos politiques de solidarité et d'influence doivent être le résultat de choix, à la croisée de plusieurs critères : liens avec la France, proximité géographique, francophonie, risque migratoire, sanitaire ou environnemental, enjeux sécuritaires, perspectives pour nos entreprises...
Pour croiser ces points de vues qui aujourd'hui sont portés par différentes directions, de manière "cylindrique" et qui ne se recoupent pas toujours, il nous fallait intégrer davantage ces politiques à l'action diplomatique. C'est la raison pour laquelle nous travaillons actuellement à la refonte de l'organigramme, avec pour objectif la création d'une grande direction des affaires globales.
Bernard Kouchner a développé devant certain d'entre vous, le 30 juin dernier, les étapes qui conduiront à cette nouvelle direction d'état-major. Dans le respect des missions actuellement dévolues à la DGCID, cette nouvelle direction permettra de proposer les éléments d'une politique cohérente de réponse de la France à la mondialisation. Cette grande direction des enjeux globaux ou de la mondialisation verra le jour dès l'an prochain. Avec Bernard Kouchner, nous nous sommes engagés à suivre de très près les questions de personnels, de transferts, de formation, de réaffectation. Un cabinet conseil dresse actuellement la carte des compétences. Personne ne sera laissé au bord du chemin.
Sur le terrain, cela passe par une réorganisation de notre dispositif qui doit être resserré autour de l'ambassadeur. Le transfert de pans entiers d'activités, de projets à des opérateurs doit avoir pour contre partie l'exercice effectif du pilotage stratégique.
A Paris, il nous faudra également veiller à ce que la tutelle de l'Etat sur ses opérateurs, qui doit être confiante mais vigilante, permette une cohérence d'ensemble dans l'intérêt des politiques publiques arrêtées au plus haut niveau. Je souhaite notamment travailler à l'amélioration de la gouvernance politique de l'AFD, opérateur-pivot de la France pour son aide publique au développement. C'est un point essentiel de la réforme.
Mesdames, Messieurs,
En tant que secrétaire d'Etat à la Coopération et à la Francophonie, j'aimerais également partager avec vous quelques enseignements de terrain que je retire de ces premiers mois d'une mission passionnante. Enseignements que je vous livre d'autant plus volontiers que vous en avez été très souvent à l'origine.
Je veux vous dire tout d'abord que j'ai pu constater, à chacun de mes déplacements dans vos pays de résidence, combien votre engagement au service de notre pays était fort, parfois dans des conditions difficiles. J'ai constaté également, pour m'en réjouir, que vous n'aviez pas attendu les consignes du Département pour prendre les devants, adapter vos outils au terrain, diversifier vos sources de financement, montrer le meilleur visage de notre pays, répondre aux attentes de vos partenaires...
Je vous en suis d'autant plus reconnaissant que je sais les efforts que l'on vous demande années après années, qu'il s'agisse de vos crédits de fonctionnement ou d'intervention.
Dans mon esprit, il ne fait aucun doute que nous devons participer à l'effort collectif d'assainissement des finances publiques. Nous n'avons pas d'autre alternative. Mais je crois également qu'il est dans notre intérêt de ne pas scier la branche sur laquelle nous sommes assis. Chaque année, depuis plus de 8 ans, le budget du ministère affiche une progression régulière, mais cette progression, vous le savez mieux que personne, va en priorité aux versements de la France aux organisations internationales. Comme le relève les auteurs du Livre Blanc, nos seules contributions aux opérations de maintien de la paix ont plus que doublé sur cette période, tandis qu'en volume les moyens d'intervention et de fonctionnement du ministère baissait de 22 %.
Si l'on y ajoute nos contributions au Fonds européen de développement et l'ensemble de nos versements aux organisations internationales, la progression sur cette même période est spectaculaire, puisque l'on passe de 380 à 1 860 millions d'euros !
S'agissant de notre politique d'aide au développement, cet effet de ciseau entre nos engagements multilatéraux et nos moyens bilatéraux banalise progressivement l'action de la France, qui ne peut pas et ne doit pas, notamment en Afrique, devenir un acteur parmi d'autres.
C'est ce qui ressort de la plupart de mes missions sur le terrain. C'est ce que me disent nombre de mes interlocuteurs officiels. C'est ce qui ressort également des rapports de nos ambassadeurs et vous avez été nombreux à m'apostropher sur ce thème. Je crois qu'il est temps de stabiliser ce mouvement et d'amorcer dans les années qui viennent un rééquilibrage. A périmètre budgétaire à peu près constant, cela veut dire plus de sélectivité, plus d'efficacité, plus de contrôle, pour retrouver des marges d'action.
La baisse de notre clé de répartition pour le 10ème FED devrait nous permettre de retrouver également des marges sans doute dès 2010. Elles devront prioritairement être réinjectées dans nos actions bilatérales. Comme le soulignent également les différents audits, nous ne devons pas non plus nous interdire de procéder à un examen critique de l'ensemble de nos contributions aux organisations internationales. La RGPP nous invite ainsi à envisager un recentrage de nos contributions, tenant davantage compte de nos priorités diplomatiques.
Mesdames, Messieurs,
J'aurais l'occasion de présenter, cette semaine, à nos ambassadeurs les enseignements que je retire de mes nombreux déplacements sur le continent africain. C'est, comme vous le savez, l'une des principales missions que m'a confiée le président Sarkozy : sillonner le continent ; être à l'écoute de nos partenaires ; ne rien négliger qui puisse redonner un second souffle à une relation ancienne, mais dont je demeure persuadé qu'elle est plus que jamais d'actualité.
En dépit d'un certain afro-pessimisme, qu'apparemment ne partagent pas plusieurs de nos grands partenaires, à commencer par la Chine, l'Inde ou les Etats-Unis, je constate à chacun de mes déplacements que le continent africain bouge, qu'il est en mouvement. Inutile de nier que cette partie du monde, qui comptera à l'horizon 2040 près de 2 milliards d'individus, cumule plusieurs handicaps : retard en matière d'infrastructures, enclavement géographiques pour certains pays, agricultures insuffisamment développées, échanges internes entravés, modes de gouvernance peu performants...
Mais rien de tout cela n'est inéluctable et lorsqu'on est à l'écoute des africains eux-mêmes, acteurs de terrains, dirigeants, hommes d'affaires, artistes, intellectuels, étudiants, sociétés civiles, on comprend à quel point l'Afrique est un continent jeune, un continent d'avenir. Et les Africains nous invitent à rester dans la partie qui se joue chez eux, en ce moment même, à quelques kilomètres de l'Europe.
Pour y répondre j'ai proposé, avec l'accord du président et de Bernard Kouchner, d'ouvrir 8 chantiers. Ces chantiers sont autant d'actions concrètes pour repositionner la France sur l'échiquier africain. Je ne vous en présenterai que quatre, aujourd'hui, qui sont pour moi essentiels si l'on ne veut pas perdre le fil avec l'Afrique, si l'on ne veut pas cesser de se comprendre, si l'on souhaite encore cheminer ensemble.
Dès 2009, nous allons augmenter de 25 % nos engagements - à travers l'AFD - en direction des pays du Sud, soit un effort d'1 milliard d'euros. L'Afrique en sera la principale bénéficiaire. A notre demande, l'AFD va donc ajouter 1 milliard d'euros aux 3 milliards d'euros qu'elle engage chaque année chez nos partenaires du Sud. Avec cette somme proposée sous forme de prêts bonifiés, nous allons pouvoir soutenir davantage l'émergence du secteur privé, là où se trouvent les emplois, l'innovation, bref, la croissance durable et, à terme, le développement. Je souhaite y associer les entreprises françaises : à travers leurs investissements en Afrique, elles contribueront à former les nouvelles générations, et prendront ainsi toute leur part au formidable élan de croissance du continent.
Le deuxième grand chantier doit être la relance des agricultures africaines. L'actualité la plus récente a montré à quel point l'Afrique demeurait exposée aux variations des prix des denrées alimentaires. Tout en répondant aux besoins les plus urgents des populations, il nous faut désormais favoriser l'émergence de politiques agricoles souveraines et durables sur le continent. Chaque pays africain doit tendre vers son autonomie alimentaire. A cette fin, le président de la République a proposé de mettre à disposition des pays une "facilité financière", qui pourrait être gérée dans le cadre du FIDA.
Le 3ème chantier qui me tient particulièrement à coeur est celui du volontariat. A travers le volontariat c'est tout un courant d'échanges, de partage, de curiosité, d'écoute, de connaissance mutuelle qui se met progressivement en place. Aujourd'hui quatre organismes différents envoient des volontaires français dans le monde. Résultat : sur dix jeunes qui postulent pour une mission à l'étranger, trois seulement finissent par partir. Nous allons réorganiser ce volontariat pour qu'il soit plus efficace. Notre objectif est de tripler en quatre ans la présence des volontaires sur le continent... et d'ajouter aux jeunes enthousiastes de jeunes retraités qualifiés, dont les compétences peuvent être également précieuses.
Je tiens enfin - c'est le 4ème chantier - à ce que les engagements pris au plus haut niveau vis-à-vis de la communauté des ONG soient respectés. Nous devons cesser cette "exception française" et nous rapprocher des standards de la plupart de nos partenaires, notamment au sein de l'Union européenne. Avec moins de 1,5 % de notre APD qui transite par les ONG françaises, nous sommes loin de la norme OCDE avec 5 % en moyenne. Nous allons donc, dès 2009, augmenter cette part de notre APD via les ONG. L'objectif ambitieux que nous nous fixons est une augmentation totale de 50 % d'ici la fin du quinquennat.
Ce sont là quelques pistes d'action qui, je l'espère, contribueront à consolider notre relation avec le continent africain.
Nous aurons l'occasion d'approfondir ces différents chantiers dans les prochains mois et le calendrier international, sous présidence française de l'Union européenne, nous donnera l'occasion de mettre à l'honneur les questions de développement.
La question de l'efficacité de l'aide sera abordée dès la semaine prochaine à la Conférence d'Accra, à laquelle je me rendrai.
A New York, à partir du 22 septembre, la prochaine Assemblée générale des Nations unies nous permettra de tenir un débat au niveau des chefs d'Etat et de gouvernements sur les besoins en développement de l'Afrique. Un point d'étape sur la réalisation des OMD sera également fait à cette occasion.
A la mi-novembre, à Strasbourg, nous organiserons les assises de la coopération européennes, les "journées européennes du développement". Ce sera le temps fort de l'Europe du développement pour une meilleure explication de nos politiques européennes. Ce sera également l'occasion d'intensifier notre dialogue avec l'ensemble des acteurs du développement. Ce sera enfin une belle opportunité pour la coopération française de mettre en valeur son expertise, ses atouts, ses partenariats.
Dernier grand rendez-vous de l'année, début décembre, à Doha, la communauté internationale devra faire le point sur le financement du développement. L'Europe est le premier acteur mondial. La France n'a pas non plus à rougir de ses performances : avec 7,3 milliards d'euros en 2007, la France demeure en volume le 3ème plus important bailleur de fonds derrière les Etats-Unis et l'Allemagne. Notre difficulté, que vous connaissez tous, est de poursuivre l'effort annoncé pour parvenir à l'objectif de 0,7 % en 2015. Pour atteindre cet objectif, il nous faudrait augmenter notre APD de 1,5 milliards d'euros par an jusqu'en 2015. Comme le relève à juste titre les auteurs du Livre Blanc, l'adhésion à un tel effort budgétaire ne peut reposer que sur un consensus interne fort.
Avant de vous céder la parole, je voudrais vous redire la chance que nous avons, collectivement, et que je découvre à vos côtés, de pouvoir participer à l'une des plus belles aventures humaines : celle de l'action au service de la paix, de la justice, de la fraternité. Car, comme nous venons malheureusement, de le constater en Afghanistan, tout récemment, et au prix du sang de nos jeunes militaires, il ne saurait y avoir de paix durable sans développement. Notre mission a un sens, soyons heureux et fiers de pouvoir apporter, ensemble, notre pierre à ce bel édifice.
Je vous remercie.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 août 2008