Interview de M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, à France Info le 5 septembre 2008, sur les mesures prises par le gouvernement pour favoriser les économies d'énergie.

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Média : France Info

Texte intégral

R. Duchemin.- L'avenir s'écrit-il en vert pour les Français, c'est "la Question du jour", et on la pose au Ministre de l'Ecologie et du Développement durable. L'écologie, le "Grenelle 2" que vous présentez bientôt en Conseil des ministres, ce sera le 26 septembre prochain, a un prix. Alors, avant d'entrer dans le détail, dites-moi : bonus-malus, à qui le tour maintenant ? Après les voitures, y a-t-il d'autres produits ?
 
Si vous voulez, il s'agit d'inventer un nouveau modèle économique qui fasse que les produits respectueux de la planète, peu consommateurs d'énergie, c'est-à-dire en fait bons pour le pouvoir d'achat des Français, à titre personnel, aient un vrai avantage prix, et cet avantage prix, sur ce produit, est financé par un désavantage prix sur un produit équivalent de la même famille. C'est ce qui a été fait sur le bonus-malus de l'automobile, qui a eu des résultats tout à fait spectaculaires. Vous vous rendez compte qu'en sept mois on a réduit les émissions de CO² de 8 grammes, et la consommation des voitures françaises de plus de 10 %. Eh bien cette idée, assez simple au fond, qui fait que, quand vous achetez un meuble pour vos enfants, en bois, dans un magasin, l'idée que le bois qui vient d'une forêt saccagée ou d'une forêt gérée, avec des replantations, en faisant attention à la nature - ça coûte beaucoup plus cher - il n'est pas normal que ce bois soit vendu au même prix. Et donc, que le meuble...
 
Donc, ça signifie qu'il faudra étendre le dispositif bonus-malus, qui était en vigueur pour les voitures, à d'autres produits, c'est ce que vous nous confirmez ?
 
Oui, et au fond, l'idée générale, vous avez eu en gros le prix communiste, il y a eu le prix capitaliste, eh bien on va inventer petit à petit le nouveau prix écologique. Il n'y a pas de raison que toute l'économie du monde fonctionne sur la rémunération du capital et du travail, et pas sur la rémunération du capital planète. Je veux qu'on rémunère le capital planète, d'une manière ou de l'autre. Pourquoi ? Parce que le capital humain il y en a de plus en plus, il y a de plus en plus de gens, de mieux en mieux formés ; le capital financier, il y en a de plus en plus, on le voit bien. En revanche, le capital planète c'est le capital le plus rare. Donc, nous voulons, la France, être le premier pays au monde qui invente le prix écologique.
 
Est-ce qu'il y a une liste, deux listes, plusieurs listes de produits qui sont d'ores et déjà concernés, et lesquels ?
 
Alors, on y travaille, c'est extrêmement difficile. Il faut bien se rendre compte que, si on le fait de manière systématique, il faut inventer à chaque fois le mécanisme ; il faut en plus être certain de la pertinence des normes, il faut être juste. Donc, il y a un travail d'évaluation des normes de chacun des produits. Pourquoi celui-là consomme plus d'énergie ? Est-ce qu'on le prouve, comment a-t-il été fabriqué, comment est-il transporté ? Il y a des problèmes de mise au jour. C'est pour cela qu'on a d'abord lancé l'étiquetage écologique des produits, et notamment dans les grandes surfaces et la distribution, pour avoir ces banques de données. Donc, c'est un travail très rigoureux que nous faisons, le principe général c'est on extension. On travaille aujourd'hui sur un certain nombre de produits de grande consommation, assez classiques...
 
Par exemple ?
 
Par exemple, les produits "blancs" ou "bruns", ce ne sera pas forcément la première liste, mais évidemment, qu'on travaille dessus, avec la profession, parce que ceux-là ont déjà un certain nombre de normes qui sont assez claires. Mais il faut faire en sorte que ça soit relativement simple.
 
Est-ce que, par exemple, demain, après-demain, les téléviseurs, les frigos vont être taxés en fonction donc de ce système bonus-malus ?
 
Est-ce que je... - voyez, cette phrase que vous venez de dire, que je comprends, qu'on utilise toujours - est-ce que demain ils vont être taxés ? Faisons attention. Cette idée que l'écologie est une taxe c'est une idée fausse. C'est un bonus. La taxe c'est : "ben je te taxe", point, voilà. Les pays qui ont taxé les voitures polluantes, il n'y a eu aucun effet sur le marché. Nous...
 
Parce que, N. Sarkozy avait promis qu'on aurait une écologie sans taxes, si mes souvenirs sont bons !
 
L'idée générale c'est que, sur une famille de produits, globalement, le bonus, c'est une aide massive au consommateur pour acheter ce produit-là, et financé par un malus sur le produit, lui, qui est très peu performant. Vous avez des écarts de 1 à 10, selon les produits. Donc, on laisse le libre choix aux gens, mais...Prenez l'exemple des voitures, c'est très très...
 
Alors, justement, les voitures, vous allez modifier je crois le dispositif ?
 
Non, non, non...
 
L'étendre ? Non ? Ça a un coût quand même ?
 
Est-ce que ça un coût ?
 
Je crois que vous n'êtes pas forcément toujours sur la même ligne que Bercy à propos du bonus-malus...
 
Mais c'est normal, attendez ! D'abord, vous savez, il est de bon ton de caricaturer.
 
On a entendu parler de "malus-malus", ça coûterait moins cher à l'Etat.
 
Le ministre du Budget, qui est dans son rôle, qui a un budget épouvantable à boucler, c'est tout à fait logique et normal, s'est posé la question. Mais je rappellerai que tous les pays au monde qui ont regardé ça ont fait du "malus-malus". La France c'est bonus-malus.
 
Mais c'est bien aujourd'hui de donner de l'argent aux gens qui, finalement, ont un comportement écologique ?
 
Mais évidemment ! Il faut bien...
 
Ça devrait être la logique, non ?!
 
Mais c'est exactement ce qu'on fait. Et pourquoi le fait-on ? Non seulement, c'est bien pour le consommateur, c'est-à-dire lui donner, l'aider à acheter ces produits-là, c'est plutôt intelligent. Mais c'est surtout parce qu'on adresse un signe aux constructeurs, si on prend l'exemple des voitures, en leur disant : écoutez, avec vos technologies, vous savez fabriquer des voitures à deux litres ou à un litre, voire à aucune émission de CO², vous savez faire. Ce dont ils étaient convaincus jusqu'à présent, c'est qu'il n'y avait pas le marché. Or, par le bonus-malus, en déplaçant 45 % du marché, on leur a prouvé que le marché de demain était là, que les constructeurs qui seront en vie dans cinq ans, ce sont des constructeurs qui auront construit des voitures tout aussi confortables, mais qui ne consomment quasiment pas d'essence ou des diesel, et qui n'émettent pas de CO².
 
Mais on a quand même parlé de possibilité de loi d'habilitation. Cela veut dire qu'en fait vous ne voulez pas qu'il y ait, comme cela s'est produit par exemple sur les 4x4, un rush sur les ventes avant qu'il y ait... Je sais que vous n'aimez pas le mot, mais...
 
Evidemment...
 
Une taxe ou un malus possible ?
 
Non ! Non, parce que, vous raisonnez là comme jusqu'à maintenant, comme juste avant le Grenelle, avant cette révolution écologique... [Inaudible.] Non, mais c'est normal, on utilise tous, on a des tics de langage. Le tic de langage c'est "l'écologie ça coûte cher". Non ! Ce sont des économies ! Nous allons utiliser moins d'énergie. Prenez l'exemple du chantier des logements et des bâtiments, le fait qu'on finance, qu'on aide les logements sociaux à être sobres en énergie, sobres. Donc, c'est une aide de l'Etat certes, ça relance l'économie française. Evidemment, ce sont des travaux extrêmement importants, mais pour les Français, c'est une réduction de leur facture d'éclairage et de chauffage. Là, nous voulons la croissance verte, la relance des investissements productifs, et cette fiscalité verte soutient la croissance verte, qui est la seule raisonnablement possible pour notre pays.
 
Il nous reste un peu plus d'une minute. Je sais que vous ne voulez pas parle de taxe, mais on a entendu parler là aussi de péages, de "taxes péage", de "taxes pique-nique" également. Est-ce que c'est confirmé, à confirmer, acté, à valider ?
 
Il va falloir vraiment que je fasse un travail énorme pour dire : on va mettre des justes prix !
 
Mais est-ce que c'est acté ou pas, ces "justes prix" qui sont validés ?
 
Mais, non, absolument pas actés. Mais attendez, quoi est validé ? Si l'idée c'est d'avoir, là encore, une bonus-malus lorsque vous avez du suremballage...Vous savez qu'on est en train d'avoir un septième continent sur la planète, dans le Pacifique, un septième continent, exclusivement avec les rejets de notre mode de consommation ! Donc, nous voulons réduire le suremballage. Pour réduire le suremballage, eh bien il faut qu'il y ait un bonus et un malus. "La taxe pique-nique", ça existe en Belgique, c'est une expression belge d'ailleurs. C'est simplement qu'il y a du suremballage dans certains produits, eh bien il faut le réduire. Donc, nous voulons inciter les producteurs à les réduire.
 
D'un mot, que fait-on pour la vie quotidienne, les travaux, notamment ? Un prêt à taux zéro ?
 
Enorme ! Personne n'y croyait, c'est une mesure absolument phare. Vous voulez faire des travaux chez vous, c'est bien beau de dire : voilà, si je fais des travaux, je change les vitrages, les huisseries, etc., etc., ça va me faire des économies d'énergie considérables. D'accord, mais enfin en même temps il faut le financer. Donc, il fallait qu'il y ait un prêt.
 
On va prêter combien ?
 
30.000 euros, c'est à peu près le taux moyen qui est nécessaire, de telle manière...Et c'est l'Etat qui paiera tous les intérêts. Vous voulez le faire aujourd'hui, d'abord la banque ne vous prête pas. Et puis, si elle vous prête, les taux d'intérêt au final ça fait près de 30 %, 33 % de votre remboursement. Nous voulons que le remboursement soit inférieur à l'économie que vous réalisez chaque mois, voilà. Alors, le Président et le Premier ministre ont arbitré cette mesure exceptionnelle, qui va par ailleurs relancer complètement les filières du bâtiment en France. Au total, sur 20 ans, c'est près de 400 milliards d'euros de travaux qui seront faits dans notre pays. Donc, voilà, la croissance verte est là.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 5 septembre 2008