Interview (extraits) de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, à "La Tribune" le 1er septembre 2008, sur ses propositions à soumettre aux partenaires européens lors du prochain Ecofin de septembre pour répondre à la crise économique et financière.

Prononcé le 1er septembre 2008

Intervenant(s) : 

Média : La Tribune

Texte intégral

- EXTRAITS -
(Paris, 1er septembre 2008)
Q - Vous présidez les 12 et 13 septembre l'Ecofin de Nice. Qu'allez-vous proposer à nos partenaires face aux risques de récession ?
R - La France et l'Europe traversent une passe économique difficile avec un fort ralentissement de la croissance. Dès l'annonce du recul de 0,3 % du PIB au deuxième trimestre, François Fillon m'a demandé de travailler, dans le cadre de la Présidence française, sur une meilleure coordination des politiques économiques européennes. J'ai donc soumis au chef de l'Etat et au Premier ministre un certain nombre de propositions, qui ne sont pas un plan de relance, mais qui, je l'espère, deviendront à Nice un plan de consensus européen pour répondre à la crise.
Le premier point, c'est de bien nous mettre d'accord pour ne pas laisser le ralentissement économique remettre en cause la poursuite des réformes structurelles engagées dans chacun de nos pays. Deuxièmement, je proposerai à nos partenaires une rénovation de la relation que nous avons avec la BCE et la Banque européenne d'investissement. Il faut, particulièrement dans la période actuelle, que l'on puisse approfondir le dialogue avec les autorités monétaires européennes. S'agissant des changes, nous devons par exemple adopter une politique plus ferme, notamment avec la Chine. Il y aura un sommet Union européenne-Chine à Lyon à la fin de l'année 2008, et il nous faudra aborder clairement, sans chantage et sans tabou, la relation entre le yuan et l'euro.
Q - Que demandez-vous à la Banque européenne d'investissement pour la croissance ?
R - Plutôt qu'un plan de relance par les grands travaux de type keynésien, dont on sait très bien qu'il aurait peu de chances de prospérer dans un délai utile, le soutien aux PME-PMI est un axe de consensus, puisque nous avons réussi enfin à faire admettre à nos partenaires que le small business act était une nécessité. Dans une période où le crédit aux entreprises risque de se resserrer, il faut engager la Banque européenne d'investissement (BEI) dans un grande programme en faveur des PME-PMI. Il faut recourir à un emprunt plus important et concentrer l'action sur celles-ci. Cela peut prendre la forme soit de financements directs, soit de cofinancements. Le cofinancement aurait l'avantage de diminuer le volume de risque supporté par les banques traditionnelles, ou Oséo, et ainsi de réduire leurs exigences en capital quand elles prêtent aux PME.
Q - En même temps, la crise financière risque de renforcer la contraction du crédit ?
R - C'est ce que j'appelle le "socle de stabilité financière". Le mal est arrivé par la finance, il faut impérativement qu'on ait, dans notre plan de consensus européen, une forte dimension financière avec des propositions visant à ramener la stabilité par une meilleure gouvernance, par une réglementation à la fois raisonnable et responsable. On doit donc accélérer la manoeuvre sur la réglementation et la supervision des compagnies d'assurances (Solvabilité 2), des banques (Bâle 2) et l'enregistrement des agences de notation. Au mois de juillet, lors du dernier Ecofin, on y a déjà bien travaillé. Quelques difficultés subsistent, notamment sur Solvabilité 2. Mais il faut délivrer un message fort aux financiers européens, pour montrer que nous sommes capables de mettre en place une réglementation favorisant la stabilité. Enfin, le principe d'un enregistrement des agences de notation auprès d'un comité européen, le CESR, commence à être admis. J'espère que cette formule sera retenue. Cela permettrait de vérifier au fur et à mesure que les critères applicables à l'enregistrement sont respectés.
Q - S'agissant du prix du pétrole, que peut faire l'Europe ?
R - C'est le quatrième volet de mon plan. Nous proposerons que nos stocks pétroliers européens soient désormais publiés sur une base hebdomadaire. Malgré l'hostilité de certains, j'ai recueilli l'unanimité des Etats membres lors de l'Ecofin de juillet. Mais il faut qu'on aille jusqu'au bout de la démarche. Ainsi, nos stocks seront connus selon la même périodicité qu'aux Etats-Unis et au Japon. Pour moi, une logique de transparence est bien meilleur qu'une politique d'obscurité.
Q - Ce plan de coordination des politiques économiques n'apporte pas beaucoup de réponses à très court terme...
R - Le problème des relances budgétaires est qu'elles sont de nature nationale. Nous avons commencé en France à faire de la relance avant les autres, avec la loi travail, emploi, pouvoir d'achat, qui a injecté 7,7 milliards d'euros en 2008...
Q - On ne peut pas dire que cela soit couronné de succès... Attendez-vous de nos partenaires qu'ils relancent à notre place ?
R - Je ne peux pas vous laisser dire cela : la loi Tépa a été un incontestable amortisseur des chocs subis par l'économie française. Chez nos voisins, l'Espagne fait une relance de 20 milliards d'euros dans une situation où elle peut se le permettre, puisqu'elle était en excédent budgétaire. Il n'y a pas beaucoup de pays qui disposent de tels excédents. Connaissant l'orthodoxie budgétaire des Allemands, je suis à peu près convaincue qu'ils n'effectueront pas de relance nationale. Quant aux Anglais, ils sont en déficit excessif, au-dessus de la barre des 3 %. Les Italiens sont à 2,5 % de déficit avec des perspectives de croissance qui ne leur donnent pas de marges de manoeuvre.
Q - La France ne s'achemine-t-elle pas elle aussi vers des déficits supérieurs à 3 % du PIB ?
R - Je réponds catégoriquement non. Nous faisons tout ce que nous pouvons pour tenir la barre de 2,5 % même si, c'est clair, la croissance actuelle n'a rien à voir avec les perspectives que nous avions il y a seulement six mois. Depuis trois mois, j'ai dit que nous serons en bas de la fourchette de 1,7 % à 2 %. Nous réviserons ce chiffre le 24 septembre en présentant le projet de loi de finances. 2009 sera aussi une année difficile parce que, mathématiquement, nous allons commencer avec moins de vitesse, même si le quatrième trimestre 2008 devrait être meilleur que le deuxième et le troisième. Toutefois, les Etats-Unis devraient repartir l'an prochain et, mi 2009-début 2010, j'espère que l'on retrouvera en Europe une tendance nettement plus favorable. En tout état de cause, je ne peux pas imaginer que le déficit de la France dépasse à nouveau la barre des 3 % du PIB.
(...)
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 septembre 2008