Texte intégral
Mesdames et Messieurs,
C'est avec beaucoup de plaisir que j'interviens aujourd'hui devant vous au terme de la première journée de la conférence : « Gérer les transitions ; l'orientation tout au long de la vie dans l'espace européen ».
S'orienter, au sens propre du terme, c'est trouver son chemin, ce qui constitue le terme naturel de toute éducation. Orienter, c'est aider à trouver un chemin, ce qui constitue un objectif majeur de toute système éducatif. La question de l'orientation est donc fondamentale, tant pour nos jeunes concitoyens que pour les responsables éducatifs que nous sommes et c'est pour cette raison que j'attendais avec impatience de vous rencontrer dans le cadre de cette conférence européenne.
Elle est à mes yeux triplement importante :
- Cette conférence est d'abord importante car elle marque le lancement du volet institutionnel de la Présidence française de l'Union européenne en matière d'éducation. Elle inaugure ainsi le cycle de cinq conférences sur l'éducation et précède donc celles qui seront consacrées à l'enseignement des sciences, à la prise en compte du handicap, à la gouvernance et la performance des établissements scolaires en Europe et enfin à la comparaison des systèmes éducatifs européens.
- Cette conférence est également importante car elle est consacrée à une question cruciale : l'orientation tout au long de la vie dans l'espace européen, que nous avons d'ailleurs choisi de retenir comme axe de réflexion majeur pour la Présidence française de l'Union européenne en matière d'éducation.
- Enfin, cette conférence est importante car elle s'inscrit dans un long processus de réflexion et de maturation ouvert avec la définition, en mars 2000, de la stratégie dite de Lisbonne. En effet, construire l'Europe de la connaissance pour donner un nouveau souffle à la compétitivité de nos économies, dynamiser l'emploi et assurer la cohésion sociale passe par une redéfinition des systèmes d'orientation et d'information professionnels. C'est d'ailleurs ce que souligne la Résolution du Conseil du 18 mai 2004, fruit des travaux communautaires depuis 2003 et relative au « renforcement des politiques, des systèmes et des pratiques dans le domaine de l'orientation tout au long de la vie ».
Vous le savez, mesdames et messieurs, c'est cette résolution qui a incité à penser désormais l'orientation scolaire et universitaire dans le contexte plus global de l'orientation tout au long de la vie. Pourquoi ce changement de perspective ? Et surtout, pourquoi la question de l'orientation tout au long de la vie se pose-t-elle de façon cruciale de nos jours dans tous les pays de l'Union européenne ?
C'est à cette interrogation fondamentale que je souhaite aujourd'hui réfléchir devant vous pour tenter, avec vous, d'y apporter des éléments de réponse.
I - Pourquoi le thème de l'orientation est-il crucial aujourd'hui ? Quatre constats rendent la question de l'orientation absolument centrale aujourd'hui.
C'est d'abord le besoin croissant de qualification qui rend la question de l'orientation absolument cruciale. Autrefois, l'enfant qui quittait le système éducatif à l'âge de 14 ans pouvait trouver un emploi et se formait principalement dans l'entreprise. Aujourd'hui, la situation a profondément changé et la maîtrise de savoirs académiques et de connaissances professionnelles est devenue le préalable incontournable de toute insertion professionnelle. Ainsi, en France, pour parler de la situation que je connais le mieux, l'obtention d'un diplôme est indéniablement un facteur d'insertion professionnelle et les possibilités d'insertion sont d'autant plus importantes que le diplôme est élevé. Par exemple, un jeune détenteur d'un CAP ou d'un BEP, soit le niveau 5 de qualification, a 43 % de chance de décrocher un emploi dans les sept mois qui suivent l'obtention de son diplôme. Avec un baccalauréat professionnel, soit le niveau 4 de formation, ses chances atteignent 61 %.
Il faut donc travailler sur les choix d'orientation pour permettre à chacun de décrocher le diplôme le plus élevé possible.
Et pourtant, chaque année, en France, 150 000 jeunes sortent du système scolaire sans avoir eu la reconnaissance officielle de leur niveau de qualification. C'est sans doute ce qui explique que le chômage des jeunes est aujourd'hui une réalité très préoccupante en France où il demeure largement supérieur au taux de chômage moyen. Cette situation est d'autant plus paradoxale que dans de nombreux secteurs économiques, les entreprises hexagonales peinent encore à trouver les collaborateurs dont ils ont besoin pour développer leur activité. Là encore, il nous faut donc travailler en profondeur sur les choix d'orientation afin de mieux faire coïncider les aspirations de la jeunesse et les opportunités professionnelles qui leurs sont offertes.
En outre, dans le cadre d'une économie de plus en plus tournée vers le savoir, la recherche et l'innovation, nous avons un besoin croissant de jeunes diplômés de haut niveau capables de faire de l'Europe un pôle d'attractivité. Or, vous le savez, la France est encore loin de l'objectif de 50% d'une classe d'âge titulaire d'un diplôme de l'enseignement supérieur, fixé par la loi d'orientation pour l'avenir de l'école de 2005.
Plusieurs raisons à cela : d'une part des taux d'échec extrêmement élevés en 1er cycle universitaire et d'autre part, c'est d'ailleurs lié, un lycée qui ne prépare plus efficacement à la poursuite d'études dans l'enseignement supérieur, en particulier en raison de la hiérarchisation excessives des voies de formation et des filières du lycée. Les choix d'orientation des lycéens sont aujourd'hui brouillés et il importe de leur redonner du sens.
Enfin, il est bien évident que la question de l'orientation ne se limite plus à la seule sphère scolaire, notamment en raison de la mobilité professionnelle croissante. Alors qu'il était autrefois fréquent d'exercer le même métier tout au long de sa carrière professionnelle, c'est devenu aujourd'hui beaucoup plus rare. Désormais, les capacités d'adaptation sont devenues primordiales pour face aux aléas de la vie professionnelle et les réorientations en cours de carrière incitent à réfléchir sur la question de l'orientation tout au long de la vie, ce qui ouvre notamment le champ immense de la formation professionnelle et continue.
II. L'orientation en Europe
Si les systèmes d'orientation sont très différents dans les pays européens, je crois que les constats qui viennent d'être ébauchés sont globalement partagés et que nous autres Européens avons quatre défis communs à relever.
- Le premier défi, c'est de limiter les sorties sans qualification et sans diplôme, et de lutter contre les déterminants sociaux de l'échec scolaire ;
- Le second défi, c'est de limiter les échecs dans l'enseignement supérieur ;
- Le troisième défi, c'est d'adapter la formation à l'emploi ;
- Le quatrième défi, enfin, c'est de mieux gérer les transitions entre deux emplois et donc de donner tout son sens à la notion d'orientation tout au long de la vie.
Améliorer les systèmes d'orientation, c'est donc s'efforcer de sécuriser les parcours scolaires et professionnels. C'est aussi s'efforcer d'aider nos jeunes à forger des projets d'avenir et à les réaliser sans pour autant leur masquer les difficultés et la réalité des débouchés. C'est enfin repenser l'articulation entre le temps de la formation et le temps de l'activité professionnelle, qui ne sont plus séparés mais au contraire de plus en plus entremêlés tout au long de la vie.
Je sais, d'ailleurs que nombre de nos partenaires européens posent dès à présent un regard nouveau sur l'orientation et ont déjà engagé des réformes importantes de leurs dispositifs. Certaines d'entre elles vous ont été présentées et je me bornerai pour ma part à évoquer deux exemples :
- Ainsi, le Royaume Uni, et plus précisément l'Angleterre, a créé en 2001 les connexion services, en étendant la compétence des services d'information et d'orientation scolaire à la famille, la santé, la maternité, le logement.
Parallèlement, après avoir dressé le préoccupant constat que 50% des élèves n'obtiennent pas de qualification acceptable à la fin de leurs études obligatoires et qu'un élève sur vingt quitte l'école à 16 ans sans aucune qualification, le gouvernement britannique réfléchit depuis 2003 à une réforme de sa structure éducative qui permettrait de spécialiser davantage ses écoles.
En outre, un service d'orientation professionnel à distance baptisé Learndirect vient de fêter son dixième anniversaire. Ce service, qui propose des informations par contact téléphonique ou par l'Internet, connaît un succès qui ne se dément pas puisqu'il a reçu, en dix ans, près de 10 millions d'appels.
- Le Danemark a adopté en 2003 une nouvelle loi sur l'orientation qui repose notamment sur un système d'assurance-qualité destiné à rendre le conseil en orientation le plus bénéfique possible pour l'usager. Parmi les critères d'évaluation retenus figurent, pour chaque établissement scolaire, les taux d'obtention de diplôme mais aussi d'abandon en cours de cursus. L'objectif est bien de contribuer à atteindre l'objectif du gouvernement danois de qualifier 95% d'une génération, dont 50% au niveau de l'enseignement supérieur.
Pour ma part, conformément aux engagements pris par le Président de la République, j'ai engagé une refonte de nos dispositifs d'orientation avec pour objectif de passer de l'ère de l'orientation subie à celle de l'orientation choisie.
Le premier axe de travail, c'est de faciliter la découverte des métiers dès le collège, soit à partir de 12 ans, afin d'aider nos jeunes élèves à imaginer leur avenir et à faire à terme les choix d'orientation qui y correspondent. C'est pour cette raison que des parcours de découverte des métiers et de formation sont instaurés depuis cette rentrée à partir de la classe de cinquième (12-13 ans). C'est aussi pour cette raison que j'ai tenu à ce que les élèves de la classe de troisième (15-16 ans) puissent se voir proposer une option de découverte professionnelle de trois heures par semaine.
Au total, je suis convaincu que c'est donnant aux jeunes la possibilité de découvrir très en amont la réalité des métiers que l'on peut leur transmettre le goût de la réussite et les aider à devenir des acteurs de leur orientation.
Le second axe de travail, c'est la rénovation de la voie professionnelle qui ne jouit pas encore en France de la même considération que dans les pays d'Europe rhénane ou d'Europe du Nord. Mon but est donc d'assurer à tous ceux qui choisissent la voie
professionnelle une qualification de niveau 5 (CAP-BEP) et d'amener davantage de jeunes jusqu'au baccalauréat professionnel afin de valoriser l'apprentissage des métiers dans le système scolaire.
Le troisième axe de travail, c'est la préparation des jeunes à l'enseignement supérieur. En effet, il me semble absolument nécessaire que les élèves soient parfaitement informés des débouchés et des caractéristiques des formations auxquelles ils se destinent et c'est la raison pour laquelle j'ai créé, avec Madame Valérie Pécresse, ministre de l'Enseignement supérieur et de la recherche des dispositifs d'orientation active. Ils permettent en particulier aux lycéens de se rendre dans les établissements d'enseignement supérieur qu'ils souhaitent intégrer et d'y bénéficier des conseils des équipes universitaires.
Ce travail de préparation à l'enseignement supérieur se prolonge actuellement dans le cadre de la réforme du lycée général et technologique. Je souhaite en particulier créer une vraie seconde de détermination avec des modules d'exploration qui permettront de préparer les choix d'orientation du cycle terminal. En outre, je veux éviter l'actuel cloisonnement des filières et surtout donner à nos élèves un droit à l'erreur qui n'existe pas aujourd'hui.
Les trois axes de travail que j'ai évoqués s'accompagnent d'un souci de renforcer le rôle des enseignants dans les processus d'orientation. En effet, ceux sont eux qui connaissent les talents et les possibilités de leurs élèves et peuvent donc les aider à faire des choix pertinents. Cela suppose bien entendu qu'ils aient une connaissance précise des filières de l'enseignement supérieur et de la réalité du monde du travail. Cela suppose aussi de mieux reconnaître leur rôle de conseil et de suivi et c'est ce que j'ai commencé à faire en augmentant l'indemnité d'orientation accordée aux professeurs principaux des classes de bac pro 3 ans.
Mais il y a encore un quatrième axe de travail qu'il ne faut surtout pas oublier : développer la coordination entre l'ensemble des acteurs pour que l'orientation tout au long de la vie soit demain une réalité.
C'est précisément pour y parvenir que le Président de la République vient de nommer un nouveau délégué interministériel à l'orientation. Chargé de faciliter la coordination des services de l'Etat, et notamment à faire le lien entre les différents départements ministériels, le délégué interministériel à l'orientation témoigne de la volonté gouvernementale de lier davantage la question de l'orientation scolaire à la question de la formation tout au long de la vie. Dans ce cadre, les relations entre le service public de l'orientation et le service public des l'emploi doivent pouvoir se développer. Cette question est particulièrement cruciale pour les jeunes sortis sans qualification ainsi que pour les demandeurs d'emploi.
Mesdames et messieurs,
Vous le voyez, en France comme ailleurs en Europe, la question de l'orientation est au coeur de la réflexion sur l'avenir de l'école. Mais le chemin est encore long pour que l'orientation tout au long de la vie soit un vecteur de sécurisation des parcours professionnels.
Cependant, nous l'avons vu, tous les pays européens font face à des problématiques communes en matière d'orientation. Il nous faut donc saisir l'occasion de partager nos expériences et de réfléchir ensemble pour trouver des solutions qui permettront à nos concitoyens jeunes et moins jeunes de réussir leur orientation tout au long de la vie.
Je souhaite que cette réflexion commune sur l'orientation soit également l'occasion de renforcer la dimension européenne des parcours scolaires et professionnels et donc la mobilité de nos concitoyens au sein de l'espace européen.
Comme vous le savez, la présidence française de l'Union européenne sera l'occasion de finaliser un nouveau projet de résolution sur la question de l'orientation, mais je veux également vous dire que j'entends m'inspirer de vos échanges pour tracer de nouvelles perspectives concernant l'organisation des services d'orientation scolaire.
Je sais que les discussions d'aujourd'hui ont été fructueuses. Je souhaite donc qu'il en soit de même demain afin qu'elles puissent servir de référence pour dessiner l'orientation de l'avenir.
Je vous remercie !
source http://www.education.gouv.fr, le 18 septembre 2008