Interview de M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, dans "Aviation civile" de juillet août 2008, sur la gestion du transport et du trafic aériens en fonction du développement durable.

Prononcé le 1er juillet 2008

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Texte intégral

Q - Depuis le 1er juillet 2008, la France assure la présidence de l'Union européenne. Quelles seront les grandes priorités de cette présidence dans le domaine du transport aérien ?
R - Notre premier objectif sera d'accélérer les discussions sur le « deuxième paquet Ciel unique » grâce, notamment, à l'adoption du schéma directeur du programme SESAR (Single European Sky ATM Research), qui doit développer le système européen de gestion du trafic aérien de demain. De plus, nous souhaitons également progresser sur la révision des règlements « Ciel unique » adoptés en 2004 ainsi que sur l'extension des compétences de l'AESA (Agence européenne de sécurité aérienne) aux aéroports et à la navigation aérienne. Ces deux chantiers permettront de réduire considérablement les émissions de CO2 liées au transport aérien. Par exemple, la mise en oeuvre de SESAR se traduira à l'horizon 2020 par une baisse de 10 % des émissions de gaz à effet de serre.
Q - À ce propos, au moment du vote sur le projet de loi issu du Grenelle de l'Environnement, comptez-vous profiter de la présidence française pour donner une dimension européenne aux orientations du Grenelle ?
R - J'y compte bien ! D'abord, tous les pays européens font face aux mêmes urgences comme la raréfaction des ressources naturelles et le dé règlement climatique. Nous avons donc tous intérêt à poser les bases d'une croissance durable, économe en énergie et sobre en carbone. De plus, l'objectif du Grenelle Environnement est justement de démontrer aux autres pays que le développement durable est non seulement possible mais également source de bien-être, de qualité de vie, de compétitivité et d'emplois. Sous l'impulsion du président de la République, la France entend se placer aux avant-postes du combat pour la planète.
Q - Cela vaut-il aussi pour le transport aérien ?
R - Bien sûr ! Nous avons signé, le 28 janvier 2008, une convention historique avec l'ensemble des acteurs du secteur aérien qui se sont engagés sur des objectifs précis : réduction de 50 % de la consommation de carburant, de 50 % du bruit perçu et de 80 % des émissions d'oxydes d'azote (NOx). J'ajoute que tous les thèmes abordés dans cette convention comme la recherche, l'évolution du système de gestion du trafic aérien, les échanges de permis d'émissions, seront placés au coeur des discussions lors du Sommet européen de l'Aviation civile qui se tiendra à Bordeaux au mois de novembre prochain. Il s'agit d'un prolongement européen, parmi d'autres, de la dynamique du Grenelle Environnement.
Q - Quels sont les enjeux de ces trois grands thèmes pour le transport aérien ?
R - Nous allons actionner tous les leviers pour concilier la croissance du trafic aérien avec le respect de l'environnement. Le premier d'entre eux, c'est la recherche qui prépare les grandes ruptures technologiques de demain. Par exemple, le projet européen d'avion « ultra-vert » vise à réduire de 40 % les émissions d'oxyde d'azote, de 20 % à 40 % les émissions de CO2 et de 30 % à 50 % celles du bruit perçu. Cela représente près de la moitié des objectifs fixés par ACARE, le Conseil consultatif pour la recherche aéronautique. La France a d'ailleurs décidé de doubler le montant de ses aides à la recherche aéronautique.
Mais on peut également considérablement réduire la consommation de carburant, et donc les émissions de CO2, grâce à une meilleure gestion du trafic. De plus, les nouvelles procédures d'atterrissage, comme celles mises en oeuvre par la DGAC en région parisienne, limiteront les nuisances sonores autour des aéroports. Enfin, en ce moment même nous travaillons très étroitement avec nos homologues européens pour adopter la directive visant à intégrer le transport aérien dans le système d'échanges de crédits ETS (Emissions Trading Scheme). Je suis convaincu que cette solution serait beaucoup plus efficace qu'une taxation systématique de tous les vols.
Q - Pourquoi soutenir le projet d'intégration de l'aviation dans le système ETS, alors que le transport aérien ne représente que 2 % des émissions dans le monde ?
R - Nous ne voulons négliger aucun outil ni aucune piste. Toutes les études montrent que les progrès technologiques ne permettront pas de compenser totalement la hausse des émissions de CO2 liée à la croissance du trafic. Or, les Français sont particulièrement sensibles à cette question. L'enquête publiée par la DGAC cette année montre que le CO2 émis par le transport aérien est aujourd'hui la nuisance la plus évoquée par les Français, devant le bruit. Cela prouve, au passage, que tous les efforts consentis par le gouvernement en matière d'insonorisation commencent à porter leurs fruits. J'en profite également pour saluer l'initiative de la DGAC qui vient de publier son premier rapport sur l'environnement.
Q - Cette lutte contre les émissions de gaz à effet de serre ne risque-t-elle pas d'accroître la concurrence entre l'avion et le TGV ?
R - La question ne se pose pas en ces termes. Il ne s'agit pas d'interdire ou de contraindre. Nous souhaitons simplement développer au maximum les complémentarités entre tous les maillons de la chaîne des transports. L'objectif est ainsi d'offrir à chacun, individu comme entreprise, pour chaque déplacement, une alternative crédible, durable et compétitive. J'ajoute que les prévisions de croissance du trafic aérien international restent encore optimistes.
Q - Est-ce qu'il est réellement possible, aujourd'hui, de concilier développement durable et développement économique ?
R - J'en suis absolument convaincu. Notre modèle de croissance actuel, fondé sur l'illusion de ressources illimitées, n'est pas viable sur le long terme. Nous ne pouvons pas continuer à prélever plus que la planète ne peut supporter. Notre avenir passe nécessairement par un autre chemin de croissance fondé sur l'efficacité énergétique, sur l'innovation, sur de nouvelles technologies comme la capture ou le stockage du carbone. Le développement durable n'est pas une mode passagère, encore moins un argument marketing, mais le fondement même de la compétitivité de demain. Ainsi, au moment où la Chine se lance dans la construction d'un avion de 150 places, l'industrie aéronautique française doit impérativement consolider son avance technologique grâce à la mise au point de nouveaux moteurs ou de matériaux innovants. C'est une bataille largement à notre portée.
Propos recueillis par Henri Cormier
source http://www.dgac.fr, le 23 septembre 2008