Déclaration de M. François Sauvadet, président du groupe parlementaire Le Nouveau Centre, lors du vote sur la prolongation de l'intervention militaire française en Afghanistan, à l'Assemblée nationale le 22 septembre 2008.

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Circonstance : Débat à l'Assemblée nationale sur l'Afghanistan, le 22 septembre 2008

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Premier ministre,
Mesdames et messieurs les ministres,
Mes chers collègues,
Nous vivons aujourd'hui un moment important, et c'est avec une certaine gravité qu'au Nouveau Centre nous abordons ce débat, car nous allons avoir à débattre, et pour la première fois décider tous ensemble et avec mandat des Français, de l'opportunité et de la nécessité de poursuivre une opération extérieure, celle menée actuellement en Afghanistan. Cette réforme constitutionnelle voulue par le Président de la République nous donne une responsabilité nouvelle et nous devons l'aborder avec un grand sens de responsabilité.
C'est de la paix qu'il s'agit, de la sécurité, de la place de la France dans le monde. Il s'agit aussi du destin d'hommes et de femmes, qui livrent un combat difficile au nom de la France, dans le cadre d'un mandat international.
Désormais, c'est au Parlement, représentant la nation française, que se prendront les grandes décisions concernant notre pays.
Et puis c'est un moment à la fois solennel et émouvant, parce que c'est un drame qui nous réunit. Celui qui a frappé notre nation, nos soldats. Et le premier message, je voudrais l'adresser aux familles qui sont dans la douleur ; leur témoigner notre soutien ; et leur dire que pour nous ces soldats ne sont pas morts pour rien : ils sont morts pour défendre des valeurs, ils sont morts pour la paix. J'ai été frappé par la dignité des familles et l'esprit de solidarité qui s'est exprimé.
Etre militaire est un choix courageux et noble, c'est un choix que l'on fait en prenant le risque de perdre la vie, de se mettre en danger.
Je tiens tout particulièrement à associer à cet hommage mon ami Philippe Folliot, député du Tarn, d'où sont originaires des soldats du 8ème RPIMA. Elu de Castres, Il a été profondément touché par ce drame qu'il a vécu au contact direct des familles et je tenais à l'associer publiquement à ce message.
Aujourd'hui, nous devons tous faire front uni derrière nos soldats.
L'unité nationale est nécessaire au moral de nos soldats. Nous devons d'abord penser à ceux dans ce débat qui vivent le risque au quotidien. Ils doivent pouvoir compter sur notre détermination et notre soutien.
Cette unité nationale et cette détermination doivent être une réponse claire et sans équivoque aux Talibans qui cherchent à déstabiliser nos démocraties.
Chacun le sait, la dégradation de la situation militaire en Afghanistan était perceptible depuis plusieurs mois dans le Sud et l'Est du pays. Elle s'est traduite, le 18 août, par la perte de 10 de nos soldats dans cette vallée d'Uzbeen, à quelques dizaines de kilomètres seulement de Kaboul. Le président de la République a eu au nom de la France des mots forts et justes pour exprimer ce que la Nation a ressenti.
Beaucoup de nos concitoyens, émus par le drame du mois d'août s'interrogent désormais y compris sur les raisons de notre engagement en Afghanistan et sur la nécessité d'y conserver des troupes. Et je le comprends.
Nombre d'entre nous ont brutalement pris conscience du prix que pouvaient coûter les responsabilités que nous assumons en Afghanistan dans le cadre d'un mandat international.
Et depuis presque 7 ans, quand Jacques Chirac et Lionel Jospin ont, ensemble, choisi d'assumer cette présence en Afghanistan.
Et au moment où nous sommes appeler à nous prononcer sur la prolongation de notre présence, nous devons rappeler et réaffirmer le sens de cette présence auprès du peuple afghan ainsi que celle de nos alliés qui ont connu eux aussi dans leur pays les mêmes interrogations, je pense en particulier au Canada.
C'est vrai que nous sommes engagés en Afghanistan dans une mission difficile, périlleuse dans son volet militaire et complexe dans son volet civil.
Sur le plan militaire, les hommes de la force internationale d'assistance à la sécurité, à mesure qu'ils étendent leur contrôle sur de nouvelles régions d'Afghanistan, se voient opposer de la part des insurgés une résistance sans commune mesure avec celle de 2001.
En avançant dans des zones considérées comme des bastions talibans, les soldats de la Force internationale et ceux de l'Armée nationale afghane sont confrontés, sur ce terrain difficile et défavorable, à des insurgés qu'on ne peut plus résumer à des bandes de fondamentalistes religieux. Certains sont des vétérans qui ont déjà l'expérience du combat contre les troupes américaines en Irak voire de ceux livrés à l'Armée soviétique.
Rompus aux tactiques de la guérilla ils disposent du soutien de réseaux terroristes établis non seulement au Pakistan mais également dans une vaste partie de l'Asie centrale et du monde arabe.
A ceux-ci se joignent à présent des seigneurs de la guerre et narcotrafiquants, qui grâce à la rente de l'opium peuvent s'attacher les services de paysans qui prennent les armes pour de simples raisons économiques et financières puis s'en retournent à leur activités traditionnelles une fois la bataille achevée en ayant, en quelques jours, gagné autant qu'en plusieurs semaines de travail.
On le voit bien, la situation a changé et elle ne cesse de se complexifier. L'ennemi est devenu difficile à identifier et à isoler, s'ajoutant aux difficultés rencontrées par les soldats sur un terrain particulièrement hostile. Et la question qui se pose c'est celle de l'adéquation et des moyens dont disposent nos soldats pour mener à bien leurs missions avec nos alliés.
Ces moyens sont-ils à la hauteur des enjeux ? On entend depuis quelques jours des témoignages qui méritent des éclaircissements. Nos hommes sont ils équipés pour leur mission ?
Ce débat doit permettre d'obtenir des éléments concrets nécessaires pour éclairer les Français.
Mais notre présence en Afghanistan n'a pas qu'une dimension militaire. C'est un véritable défi que la communauté internationale se doit de relever, dans un pays qui a basculé en 1979 dans le chaos. Il s'agit de construire et solidifier, sur les bases les plus démocratiques, un Etat moderne à même d'assurer lui-même la protection de ses citoyens. Mais ce processus, comme le ministre des Affaires étrangères l'a souligné devant nos commissions, est lent et complexe. A l'échelon national comme dans chacune des provinces, il nous revient d'aider l'Afghanistan à se doter d'une administration fiable, à lutter contre le spectre de la corruption qui menace de faire chanceler tout l'édifice. C'est d'ailleurs parce qu'elles sont elles mêmes conscientes de l'importance de cette menace que les autorités afghanes ont adopté une loi réprimant plus durement la corruption et mettent tout en oeuvre pour que les déclarations soient suivies d'actes.
Pour autant, quel que soit le bilan que l'on puisse faire aujourd'hui de l'intervention en Afghanistan, et malgré la difficulté de la mission, sans doute l'une des plus complexes que la France ait eu à remplir depuis des années, il faut rappeler que cette mission était, dès son engagement, justifiée par la nécessité de répondre aux terribles attaques du 11 septembre.
A partir de ces attentats, nous ne pouvions pas laisser à Al-Qaïda continuer de bénéficier des moyens d'un Etat, lui-même criminel, moyens que les terroristes auraient pu alors utiliser pour porter de nouvelles attaques contre nos populations civiles. L'intervention était, chacun le sait, nécessaire.
Il était nécessaire pour la communauté internationale de mettre hors d'état de nuire un régime entretenant un foyer de déstabilisation majeur, à la frontière d'un Pakistan figurant parmi les Etats dotés de l'arme nucléaire, et constituant à ce titre un risque majeur à l'échelle régionale.
Mais au-delà de cette échelle régionale, ce r??gime avait également offert une véritable base arrière aux terrorismes dont l'histoire récente a malheureusement prouvé la capacité à frapper tout point de la planète, de New York à Bali en passant par Madrid, Londres et Casablanca.
Et cette intervention en Afghanistan n'est pas une réponse exclusivement américaine aux attaques dont les États-Unis ont été la cible, les Etats-membres de l'Union européenne fournissant la moitié des soldats déployés en Afghanistan.
Ce n'est pas même la réponse des seuls Etats membres de l'OTAN, certains pays n'appartenant pas à l'Alliance atlantique conformément à leur tradition de neutralité, notamment la Suède et la Finlande, qui ont eux aussi choisi de déployer des troupes en Afghanistan. Il s'agit donc d'une réponse de la communauté internationale et sous mandat international.
Il s'agit donc pour la France d'assumer, vis-à-vis de la communauté internationale, les responsabilités accrues que lui confère sa qualité de membre permanent du Conseil de sécurité en figurant parmi les premiers pays contributeurs.
Et oui rappelons le, cette intervention était également nécessaire pour combattre l'obscurantisme du régime instauré par les talibans, pour reprendre cette expression de Lionel Jospin. Il s'agissait de mettre un terme à la tyrannie à laquelle le peuple afghan avait été condamné, aux scènes de lapidation publique dont les maîtres de Kaboul avaient fait un spectacle et aux mutilations dont ils avaient fait l'expression de leur justice.
Nous avons fondé notre République sur des valeurs universelles sur lesquelles tous ici nous nous retrouvons et nous en avons fait le sens de notre engagement en Afghanistan. Ce sont ces valeurs de liberté, de justice et d'égalité de respect mutuel, de démocratie que nous souhaitons pour le monde et pour lesquelles sont tombés nos soldats.
Et ce sont ces valeurs qui font de nous la cible des terroristes.
Si nous renonçons à les défendre en Afghanistan, c'est sur notre sol qu'il faudra le faire. Les souvenirs ne sont d'ailleurs pas si lointains d'un temps où le terrorisme parvenait à frapper au coeur de Paris.
Ce qui se joue à plusieurs milliers de kilomètres de nos frontières, c'est aussi la sécurité de la France, de l'Europe et celle de nos concitoyens.
C'était vrai lors de l'envoi de nos troupes en 2001, ça l'est toujours aujourd'hui. D'ailleurs, le choix que nous avions fait d'assumer pleinement le désaccord que nous avions avec nos alliés américains sur la question irakienne ne nous a pas prémunis de toute éventualité d'attaque terroriste majeure.
L'abandon du peuple afghan ainsi que de nos alliés ne constituerait en aucun cas une garantie de sécurité pour nos compatriotes, bien au contraire.
Je le rappelle mes chers collègues à la gauche.
En 2001, le consensus primait dans l'ensemble de la classe politique
Il devrait primer sur cette question de prolonger ou non l'intervention des forces armées françaises en Afghanistan.
Nous devrions avoir la même position unanime aujourd'hui bien sur, notre vote ne doit pas être dissocié de la nature de la responsabilité que nous devons assumer.
Et s'il y a dégradation de la situation militaire, elle ne doit pas occulter l'étendue des réalisations permises par l'engagement de la communauté internationale auprès du peuple afghan. Le bilan de développement est positif et cet objectif doit être réaffirmé ; il doit nous amener à bien repréciser les objectifs à atteindre avant d'envisager tout retrait de nos forces.
Les bases d'un Etat moderne ont également été jetées en Afghanistan : le gouvernement est ainsi issu d'élections législatives et présidentielles.
Des bases ont été jetées, nous y avons contribué. Elles doivent être consolidées, par les Afghans eux-mêmes. Car notre objectif n'est évidemment pas la victoire militaire mais bien de permettre aux Afghans de vivre en sécurité dans leur pays et de contribuer ainsi a la sécurité du monde.
Et il y a trois objectifs à atteindre :
- organiser l'Afghanistan de l'opération. Pour y parvenir, nous devons poursuivre les transferts d'autorité en direction du gouvernement afghan, continuer l'entreprise de formation des forces de sécurité afghanes qui étaient inexistantes en 2002 et qui comptent aujourd'hui 50 000 hommes. C'est en effet en donnant aux Afghans les moyens d'assurer eux-mêmes leur propre sécurité que nous pourrons nous désengager et envisager un véritable plan de sortie du pays.
- lutter contre la drogue, véritable fléau qui gangrène le pays. La quantité d'opium produite a explosé ces dernières années (8200 tonnes en 2007) et ce marché sert essentiellement à financer les terroristes, le pouvoir des seigneurs de la guerre locaux, la corruption des agents de l'Etat afghan. Et il faut également parler des conséquences liées à la consommation, tant pour les populations locales que pour les marchés d'exportations.
- Et enfin stabiliser la région, notamment en permettant au Pakistan, puissance régionale instable, et faire respecter son intégrité territoriale. Aujourd'hui, non seulement l'Armée rencontre les plus grandes difficultés à intervenir dans les zones tribales mais le Gouvernement hésite entre affrontements directs et négociation de compromis.
Il y a donc encore beaucoup de défis à relever, pour la France et pour la communauté internationale en Afghanistan. Et je souhaite que la représentation nationale soit très régulièrement informée sur les conditions du déroulement de notre intervention.
Pour nous, Monsieur le premier ministre, au groupe Nouveau Centre, la décision de 2001 d'intervenir en Afghanistan ne peut pas et ne doit pas être remise en cause.
Et cette position doit être réaffirmée avec beaucoup d'engagement et de clarté. Elle doit être un signal fort donné à nos troupes, et un message clair adressé aux talibans, que nous ne renoncerons pas au combat contre le terrorisme pour la liberté.

source http://www.le-nouveaucentre.org, le 23 septembre 2008