Interview de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'Etat chargée de l'écologie, à Canal Plus le 22 septembre 2008, sur le bonus-malus écologique et la "fiscalité verte" ou fiscalité écologique.

Prononcé le

Média : Canal Plus

Texte intégral

M. Biraben et C. Roux.- C. Roux : La secrétaire d'Etat à l'Ecologie se souviendra de son rendez-vous à l'Elysée de vendredi et du rappel à l'ordre du Président. N. Sarkozy a réaffirmé son attachement au Grenelle et service minimum, alors qu'il venait de désavouer ses deux ministres écolos et de calmer les ardeurs des adeptes de la fiscalité verte.
 
M. Biraben : N. Kosciusko-Morizet, bonjour.
 
Bonjour.
 
M. Biraben : Soyez la bienvenue. La secrétaire d'Etat chargée de l'Ecologie que vous êtes a-t-elle rayé le mot "taxe" de son vocabulaire ?
 
Moi, je n'ai jamais beaucoup privilégié le mot taxe, c'est pour ça qu'on a beaucoup insisté par exemple sur ce concept de bonus-malus qui emporte plus de sens. L'idée qu'à côté du prix économique, on essaie de mettre un prix écologique et que ça amène à donner un petit coup de pouce sur certains produits ou certains types de comportement, et puis à faire peser un petit désavantage sur d'autres types de produits...
 
M. Biraben : Ça, on avait bien compris mais après, vous avez parlé de taxe "pique-nique"...
 
Non, c'est le problème, c'est que nous, on n'a jamais parlé de taxe pique-nique. On a vu sortir dans la presse un terme que délibérément, on avait écarté, qui est ce terme belge... "Taxe pique-nique", en fait, c'est un truc qui a été lancé chez les Belges et qui, à mon avis, est incompréhensible parce que les gens ont l'impression qu'on va taxer les pique-niques, ce qui évidemment est absurde. Ce qui a été envisagé dans le cadre du Grenelle de façon très ouverte il y a un an, à l'occasion des groupes du Grenelle, c'est de fiscaliser plus les produits très jetables. Donc, en effet, il y a les couverts, toutes ces choses qui à peine produites sont déjà destinées à être dans la poubelle. Parce qu'on a un énorme problème tout simplement qui traverse le pays : 360 kilos de déchets par personne et par an, plus personne qui veut avoir un incinérateur ou une décharge à côté de chez soi, et on fait quoi ? On va finir comme Naples.
 
C. Roux : Mais vos adversaires ont insisté justement sur le mot "taxe" pour pénaliser...
 
Oui, il y a de mauvais esprits qui ont lancé par exemple le terme « taxe pique-nique » que nous, on avait récusé, dans la presse et qui ont...
 
C. Roux : Bien joué, c'est ça ? C'était une leçon politique que vous avez reçue ?
 
Je ne pense pas qu'on joue bien quand on joue contre un mouvement comme le Grenelle de l'environnement, qui est un mouvement fort et qui illustre en fait la volonté des Français ou en tout cas le sentir qu'ils ont, la nécessité d'aller vers plus de développement durable.
 
C. Roux : Alors qui au fond a instrumentalisé ces taxes ?
 
Je n'en sais rien, je ne joue pas au jeu des responsabilités parce qu'après on devient chèvre, parce que vous savez, on devient vite parano en politique. Moi, je refuse de devenir parano...
 
C. Roux : On vous a connue plus virulente quand vous dénonciez "le concours de lâcheté"...
 
Oui mais en l'occurrence... enfin moi, là, je ne sais pas, je ne sais pas forcément, c'est plus compliqué que ça. Je vois, je lis les journaux, je ne veux pas rentrer là-dedans, je vous dis c'est quelque chose dans lequel vous devenez parano...
 
C. Roux : B. Accoyer qui dit de vous... il dit « c'est un concours »... La taxe de... "Concours Lépine des taxes", pardon...
 
Je crois qu'il est à sa manière victime de cette espèce d'intox médiatique dans laquelle en effet, tous les jours on voyait sortir un projet taxe mais qui n'était pas nous. Par exemple, on a vu un truc absolument fou, je m'arrête là-dessus, c'était Le Parisien qui a sorti un projet de taxe sur la facture d'électricité, quelque chose qui techniquement était idiot parce que le bonus-malus sur la facture d'électricité, il existe, ça s'appelle « le tarif » : suivant l'heure à laquelle vous consommez votre kilowattheure, heure de pointe ou heure creuse, vous ne payez pas du même prix. Ça c'est un genre de bonus-malus sur l'électricité, c'est très intelligent d'ailleurs parce qu'en heure creuse, c'est le nucléaire qui le produit donc il n'y a pas de CO² et en heure de pointe, ça peut être un moyen de production thermique donc il y a du CO². C'est intelligent, c'est un bonus-malus qui existe, il est déjà intégré, pourquoi en aurait-on fait un nouveau ? Et là, c'est sorti comme ça dans Le Parisien, on ne sait pas d'où.
 
C. Roux : Qu'est-ce qui va se passer maintenant ? On a le sentiment que c'est un peu un enterrement de première classe...
 
Non, justement...
 
C. Roux : On dit qu'il y a une commission qui va réfléchir, vous n'aviez pas réfléchi avant ?
 
Non, mais ce n'est pas un enterrement en première classe et il ne faudrait pas que ce le soit. Moi, je crois que la fiscalité est parmi tous les outils qu'on a envisagés lors du Grenelle de l'environnement, parce que c'est un seul parmi tous les outils qu'on a envisagés mais reste un outil intéressant. En revanche, la fiscalité verte, elle est faite pour orienter les comportements. Ce n'est pas juste un petit effet prix, une modulation économique, c'est beaucoup plus que ça, c'est un signe qu'on envoie aux consommateurs. On l'a vu sur le bonus-malus automobile, si ça avait été juste un petit effet économique, on aurait déplacé 6 à 7 % du marché, on a déplacé 50 % du marché, ça marche le bonus-malus automobile, on est allé vers les modèles les plus vertueux. Mais on l'a fait parce que c'est ainsi que le consommateur est prêt à accepter parce qu'il veut faire quelque chose pour l'environnement et donc, en quelque sorte, on lui donne un moyen d'aller vers plus d'action...
 
C. Roux : Ce n'est pas l'avis du Premier ministre ni du président de la République !
 
Si !
 
C. Roux : Ah bon ?
 
Le bonus malus automobile, vous rigolez ! Il a été validé par cette réunion...
 
C. Roux : Le fait de l'étendre, de le généraliser à d'autres produits ?
 
Le bonus-malus automobile, il a été explicitement validé par cette réunion qui s'est tenue vendredi à l'Elysée. Le communiqué de la présidence de la République commence comme ça en disant : "le bonus-malus en général est un bel instrument" et le bonus-malus l'a illustré. Simplement, et je finis, pour que le signe soit accepté, il faut qu'il soit reçu, il faut que le consommateur à ce moment-là le comprenne, en comprenne le sens, en voie la visibilité. Là, on était arrivé à un tel niveau de confusion avec ces trucs qui sortaient dans tous les journaux, dont certains étaient des vraies fuites, d'autres étaient carrément des choses mensongères, qu'on a l'impression que le consommateur était plus prêt à entendre ce signe. Ça partait dans tous les sens et il ne comprenait plus le sens de la visibilité de ce qu'on fait.
 
C. Roux : Donc de la méthode, c'est ça que vous allez changer simplement ? Vous allez vous mettre d'accord avec vos petits camarades de Bercy ?...
 
On va réinjecter...
 
C. Roux : Comment ça va se passer ?
 
On va réinjecter de la sérénité et de la lisibilité dans quelque chose qui en avait eu au moment du bonus-malus automobile et qui en avait perdu ces dernières semaines à la suite d'informations presse qui partaient dans tous les sens. On veut redonner du sens à la fiscalité environnementale, mais pas renoncer à l'outil, c'est un bel outil.
 
C. Roux : Vous avez dit : on n'est pas à deux mois près dans l'extension du bonus malus, c'est dans une interview du JDD. Qu'est-ce qui aura changé dans la majorité dans deux mois ? Est-ce que vous pensez que deux mois, ça suffit pour convaincre tous ceux dans votre camp qui sont réticents à l'idée de taxer encore une fois le consommateur pour qu'il change de comportement ?
 
Je pense que ça peut nous permettre de redonner du sens. Encore une fois, au moment du bonus-malus automobile, les Français ont compris et d'ailleurs tout de suite, ils ont embrayé dans la direction qu'on souhaitait leur indiquer...
 
C. Roux : Parce qu'il y avait le bonus.
 
Mais un certain nombre des bonus-malus dont on parlait... Enfin oui, bonus-malus, il y a le bonus toujours, ce n'est pas différent...
 
C. Roux : Pourquoi le bonus, pourquoi on ne fait pas du malus-malus ? Pourquoi est-ce qu'on ne fait pas changer les comportements en taxant, en faisant rentrer d'ailleurs de l'argent dans les caisses de Bercy ?
 
On peut faire aussi de la fiscalité pure en quelque sorte, mais l'intérêt dans le bonus-malus, c'est justement qu'on envoie un signe, le signe c'est : attention ! L'Etat n'est pas là pour se faire de l'argent sur le produit, l'Etat n'est pas en train de chercher à remplir ses caisses, on est juste en train de chercher à vous accompagner dans votre choix en faveur de l'écologie. Donc, on vous donne un signe, on n'a pas d'idée cachée, on n'est pas là en train de se faire des sous sur votre dos. D'ailleurs, le bonus-malus automobile - et c'est un problème -, il a glissé parce qu'il a tellement bien marché qu'il y a eu une dérive et que finalement, cette année, ça coûte de l'argent à l'Etat, mais c'est bien l'illustration de ça. On n'est pas à faire de l'argent pour l'Etat sur un bonus malus, on est là pour orienter en direction d'un comportement qu'on croit meilleur.
 
M. Biraben : Mais est-ce que ce n'est pas de là que viennent tous vos problèmes, parce que si l'Etat ne cherche pas à remplir ses caisses, il ne cherche pas non plus à les vider...
 
Le bonus-malus automobile, nous considérons... Nous vivons comme un problème qu'il ait été déséquilibré, mais c'est parce qu'il a été victime de son succès. Encore une fois, si ça avait été juste un petit signal prix, on aurait déplacé 6 à 7 % du marché et il aurait été équilibré. Là, les Français ont saisi l'instrument au bond et ont déplacé 50 % de leurs achats. Evidemment, sur le moment, c'est un problème pour les finances de l'Etat et il faut qu'on le rectifie et on peut le rectifier, mais c'est surtout une chance parce que ça prouve qu'on a trouvé un instrument qui est fort.
 
C. Roux : N. Hulot a donné une interview dans Libération ce week-end. Il dit : il y a des résistances au sein même de l'exécutif ; il y avait du côté du Premier ministre des réticences sur la loi OGM, elles se reproduisent. Est-ce que c'est un allié F. Fillon sur le Grenelle ?
 
F. Fillon, comme Premier ministre, tout ce processus du Grenelle de l'environnement qui était interministériel. Donc je ne comprends pas comment on peut remettre ça en cause parce que, par définition, si vous voulez, le processus du Grenelle de l'environnement était très interministériel et il était porté notamment par le Premier ministre. Alors ça ne veut pas dire que sur tel ou tel sujet et dans les arbitrages, il n'y a pas des débats, bien sûr qu'il y a des débats, tout le monde le sait. De toute façon, avec tout ce qui finit dans la presse en ce moment...
 
C. Roux : Vous avez l'air de le déplorer, ça vous a déçu...
 
Non, je trouve ça normal, alors je vais vous dire, je trouve ça complètement normal...
 
M. Biraben : Vous avez l'air touchée, vous avez l'air atteinte, vous avez l'air...
 
Je vais vous dire, avec J.-L. Borloo, on s'est beaucoup investis sur ce Grenelle de l'environnement, c'est vrai qu'on a beaucoup travaillé autour de ce concept de fiscalité verte, pas seulement de fiscalité verte, le reste du Grenelle de l'environnement. On ne voudrait pas aujourd'hui d'abord qu'on oublie tout le Grenelle de l'environnement à cause de ces problèmes de communication, de compréhension qu'il y a eu sur la fiscalité verte. On ne voudrait pas non plus qu'on oublie ce qu'il y a de fort dans la fiscalité verte à cause de ces quelques fuites et confusions. Donc oui, "touchée" d'une certaine manière, parce que moi je tiens beaucoup à ce qu'on fait, je pense que c'est juste. Je pense qu'on a besoin quelque part d'en faire plutôt encore plus parce que pour moi, l'écologie c'est le grand enjeu du XXIème siècle. Simplement, on ne réussira que si on réussit à entraîner tout le monde avec nous. C'est pour ça que d'une certaine manière... Moi, un journaliste me demandait "est-ce que vous regrettez", je ne peux pas dire que je regrette, il y a eu un moment, ça se passait et je ne reviens pas sur les responsabilités. C'était devenu tellement confus qu'on ne réussissait plus à entraîner les Français avec nous, on a besoin que les Français soient avec nous, c'est tout. On va revenir un peu en arrière pour aller les reprendre par la main, les chercher et voilà....
 
C. Roux : On sait que vous avez du tempérament, on sait que vous êtes à fond sur ces dossiers-là...
 
Parfois vous aussi.
 
C. Roux : Depuis longtemps, est-ce que vous avez songé à démissionner ? M. Biraben : Ce n'est pas faux... C. Roux : À un moment ou à un autre, quand vous avez entendu F. Fillon, par exemple, qui donnait le sentiment de balayer tout ça d'un revers de la main ?
 
Non. Moi, le jour où j'aurais l'impression que je ne sers absolument plus à rien, que tout le monde se moque de ce que je peux raconter et que je fais des Don Quichotte... mais même Don Quichotte servait à quelque chose, vous savez...
 
M. Biraben : Vendredi, c'est J.-F. Copé qui était assis à votre siège, nous lui avons demandé de poser une question au suivant qui est vous, la suivante, voilà sa question. C. Roux : Ma chère Nathalie, une fois accomplie ta tâche au ministère de l'Ecologie, quel sera le ministère de tes rêves ?
 
Eh ben ! Jean-François alors là, tu vois, depuis quelques jours, je suis tellement dans le ministère de l'Ecologie, le Grenelle...
 
C. Roux : Les finances ?
 
...La fiscalité verte que je ne rêve plus ou alors, il paraît qu'on rêve toujours même quand on dort peu mais franchement, je n'arrive pas à me mobiliser beaucoup sur autre chose.
 
C. Roux : Concentrez-vous sur les finances...
 
Je promets dans un mois, une fois que la loi Grenelle sera passée à l'Assemblée et Jean-François, avec ton aide comme président du groupe majoritaire, sera bien passée, je promets de repenser à ta question.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 22 septembre 2008