Déclaration de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, sur la situation au Tchad, en République centrafricaine et dans la sous-région et l'urgence de sécuriser la zone en assurant la relève de l'EUFOR et le déploiement de la MINURCAT, New York le 24 septembre 2008.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Intervention de Bernard Kouchner au Conseil de sécurité de l'ONU à New York le 24 septembre 2008

Texte intégral

Merci Monsieur le Président.
Merci à tous. Je salue mes collègues autour de la table, et je salue tout particulièrement mon ancien collègue ministre des Affaires étrangères, l'ambassadeur du Tchad auprès des Nations unies, car rien ne se serait fait, et le haut représentant de l'Union européenne vient de le dire, sans la participation des Africains. Rien n'aurait été fait sans la participation et l'accord du Tchad bien entendu, mais aussi de toute l'Union africaine, et cela n'a pas été facile de faire comprendre que les populations de l'Est du Tchad exigeaient cette sécurité.
Je remercie donc Javier Solana, et je suis très heureux que l'action de l'EUFOR soit illustrée ici car il s'agit de la plus grande opération militaire autonome jamais déployée par l'Europe. L'EUFOR, au Tchad et en Centrafrique, symbolise, à mes yeux et avant tout la contribution de l'Union européenne à l'action des Nations unies.
Je sais que ce n'est pas la première fois que les Européens s'engagent aux côtés des Nations unies en Afrique : déjà en 2003 et en 2006, l'Union européenne intervenait, dans le cadre de la politique étrangère de sécurité et de défense, en République démocratique du Congo. Ce fut, rappelons-nous, très positif.
En prenant l'initiative, l'an dernier, de la résolution 1778, nous avons voulu apporter une réponse à la dimension régionale de la crise du Darfour. Cette action est bien sûr complémentaire aux efforts des Nations unies et de l'Union africaine, au Darfour même et de l'autre côté de la frontière. Cette opération EUFOR marche bien, merci à M. Solana de l'avoir souligné, mais ne marche pas aussi bien que nous l'avions prévu, car nous pensions que de l'autre côté de la frontière, au Soudan, serait déployée une force hybride - une force de l'Union africaine et des Nations unies - qui ferait pendant à l'EUFOR et aurait sécurisé complètement les populations.
Plus d'un million de personnes réfugiées, déplacées, populations tchadiennes au Tchad, à l'Est du Tchad, au Nord-Est de la Centrafrique, ont besoin à la fois de protection et d'aide humanitaire. Mais elles ne l'auront jamais complètement si, de l'autre côté de la frontière, il n'y a pas une force semblable pour contenir la rébellion qui passe d'un côté à l'autre.
Grâce à l'engagement de nombreux pays qui ont fourni des capacités à cette opération, l'EUFOR remplit son rôle avec efficacité et a sécurisé la zone ; c'était nécessaire. Je vous rappelle les derniers incidents qui ont fait des morts. Les organisations non-gouvernementales et les agences des Nations unies, je crois, se félicitent - demandons-leur - de la présence des forces européennes.
Nous avons pu jouer notre rôle en déployant rapidement plus de 3000 hommes. D'ailleurs, l'opération vient d'être saluée par la grande ONG anglaise Oxfam qui vient de dire que l'EUFOR a permis, je cite, "à de nombreux réfugiés et déplacés de se sentir plus en sécurité" et qu'elle avait pu agir de manière impartiale, ce qui n'est pas facile.
Mais l'insécurité demeure, malgré ce petit succès de l'EUFOR, alimentée par l'absence de solution politique durable et par les difficultés rencontrées pour le déploiement d'une force de police opérationnelle.
Pardonnez-moi d'insister là dessus : il devait y avoir une force de police opérationnelle, en particulier pour sécuriser les camps et les alentours des camps des réfugiés. Je vous ai parlé de personnes déplacées au Tchad, il y aussi des réfugiés qui bénéficient évidemment de l'appui du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, mais qui ne sont pas sécurisés.
L'action sur le terrain de la MINURCAT et celle du détachement intégré de sécurité tchadien qui s'appelle le DIS, prévues par la résolution 1778, sont indispensables pour améliorer la sécurité des populations civiles.
Monsieur le Président, j'insiste, s'il n'y a pas cela, nous ne serons jamais satisfaits et, surtout, les populations locales seront toujours dans une situation d'insécurité. Si vous avez visité ces camps, vous savez que les femmes ne pouvaient pas quitter les camps sans se faire attaquer à quelques centaines de mètres. Pour aller chercher de l'eau, c'était toute une aventure qu'elles accomplissaient au péril de leur vie. Cela a cessé d'un certain côté mais n'est pas suffisant.
Comme l'a souligné M. Angelo, au Conseil, la semaine dernière, l'accélération du déploiement de la MINURCAT et du Détachement intégré de sécurité est cruciale - urgente et cruciale. Je sais que j'insiste beaucoup mais je vous assure que c'est nécessaire.
L'adoption, aujourd'hui, dès la fin de cette séance, de la résolution renouvelant le mandat de la MINURCAT, représente bien sûr une décision importante et nécessaire que mon pays appuie pleinement.
La communauté internationale doit rester engagée, notamment pour accompagner dans les meilleures conditions le retour, M. Javier Solana l'a souligné, sur une base volontaire bien entendu, des personnes déplacées. Je comprends qu'un premier mouvement, encore timide, s'est amorcé : quelques milliers de personnes ont commencé à revenir dans les zones qu'elles avaient dû quitter du fait de la violence. Au demeurant, notre opération EUFOR ne se comprend que s'il y a un effort de développement et si les ONG sont suffisamment sécurisées pour que la reconstruction des villages ait lieu. C'est cela l'essentiel et ce mouvement s'est amorcé. Il faudra, dès la saison des pluies achevée, que les efforts de reconstruction et d'assistance aux populations civiles s'accélèrent - notamment grâce aux financements, nous l'avons évoqué, dégagés par la Commission européenne, ce que M. Solana a souligné - et que nous maintenions dans les zones de retour un niveau de sécurité suffisant.
Conformément aux orientations données par la résolution 1778, les Européens sont favorables à la reprise d'EUFOR, en mars prochain, par une force des Nations unies. Nous remercions le Secrétariat général des Nations unies pour son rapport, qui examine précisément les options possibles pour cette reprise. Comme M. Solana l'a indiqué, nous devons tout faire pour éviter un vide sécuritaire dans la zone. Le transfert d'autorité entre l'EUFOR et la force des Nations unies doit être mené à bien dans de bonnes conditions et intervenir dès l'expiration du mandat de la force européenne, sinon tout recommencera.
Toute option qui conduirait à retarder cette échéance mettrait en danger les populations que nous avons voulu protéger et que nous avons réussi à protéger.
Nous nous félicitons donc de l'accord des membres du Conseil de sécurité pour exprimer, dans une résolution renouvelant le mandat de la MINURCAT, leur intention de déployer une force des Nations unies en relève d'EUFOR, dont le mandat serait décidé le 15 décembre.
Le Secrétaire général, pour terminer, doit pouvoir commencer, dès maintenant, la planification de cette force, qui à nos yeux :
- doit être déployée au Tchad et en Centrafrique, selon des modalités et avec des volumes des différentes composantes qu'il convient d'évaluer soigneusement ;
- doit être capable de répondre aux défis que pose au quotidien, tous les jours, c'est un pléonasme nécessaire, la criminalité.
En réalité, ce que nous mettons en oeuvre au Tchad et en République centrafricaine, s'inscrit dans l'esprit de la responsabilité de protéger, vieille notion un peu oubliée que vous connaissez parfaitement. Face à des situations où les populations civiles sont menacées, exposées aux violences, nous nous engageons pour appuyer chez eux, et à leur demande, les Etats qui conservent évidemment la responsabilité première de protéger leurs populations.
Je vous remercie Monsieur le Président.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 septembre 2008