Texte intégral
Mesdames, Messieurs,
Vous représentez tous, à différents titres, les services engagés en première ligne dans la lutte antiterroriste.
Je ne vous apprendrai donc rien en vous disant combien nos populations sont menacées par ce fléau qu'est le terrorisme international.
Vous connaissez l'importance, la permanence, l'actualité de la menace qui pèse sur les pays européens. Madrid en mars 2004, Londres en juillet 2007, les projets d'attentats découverts depuis en Allemagne, au Danemark ou en Italie, nous rappellent la nécessité d'agir.
La lutte contre le terrorisme se joue dans les montagnes afghanes, dans les madrassas yéménites et pakistanaise, au Maghreb. Elle se joue aussi au plus près de nos concitoyens, dans nos pays.
Le recrutement ne s'effectue pas uniquement dans les pays en crise mais aussi dans nos villes. A l'heure où le communisme s'efface et avec lui une voie politique de contestation, l'intégrisme, la radicalité accueillent des personnes frustrées, mal à l'aise dans notre société, fragilisées, qu'elles soient originaires de pays musulmans voire de pays occidentaux.
Notre séminaire a pour thème la radicalisation dans les prisons.
Qu'est-ce que la radicalisation ?
La radicalisation ce n'est pas le fait d'être radical. C'est le fait de rendre radical quelqu'un qui ne l'est pas, ou de porter une théorie, fût-elle religieuse, à des extrémités radicales qui ne sont pas dans sa nature ou qui correspondent à des situations extrêmes.
Ne nous méprenons pas.
L'Islam est l'une des grandes religions de notre pays, qui est respectable et qui est respecté.
L'Islam a aujourd'hui des institutions représentatives élues. Il dispose d'aumôneries en milieu carcéral, qui concourent à la mise en oeuvre de la liberté de religion et de la lutte contre l'extrémisme.
La source de la radicalisation n'est pas l'Islam en tant que religion. C'est donc autre chose. Que se passe-t-il en effet, dans les prisons ?
Des jeunes y rentrent à la suite d'actes de délinquance punis par la loi, ils en ressortent animés par des sentiments d'hostilité violente à l'égard de la société et de ses valeurs.
Parce que les prisons sont un lieu où s'expriment les échecs et les fragilités, elles deviennent un centre de recrutement privilégié pour les islamistes radicaux.
Cela est vrai en France. Cela est vrai dans la plupart de nos pays. Le recrutement dans les réseaux transcende les frontières.
Nous avons donc le devoir d'agir ensemble, à l'échelle de l'Europe.
Notre action contre le terrorisme doit relever le défi de la radicalisation.
La menace terroriste nous oblige à toujours adapter et moderniser sur notre dispositif.
Nous possédons aujourd'hui un dispositif efficace dans la lutte contre le terrorisme.
Un dispositif centralisé, autour de la police nationale, d'un parquet spécialisé et de juges dédiés à ce type d'enquêtes.
Un dispositif coordonné, grâce à l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT), qui assure la coopération entre services spécialisés.
Un dispositif encadré par la loi, qui permet l'articulation entre le pénal et l'administratif, qui prévoit l'incrimination d'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste.
Mais il est vital de garder un temps d'avance sur le terrorisme international, d'anticiper sur ses évolutions géographiques, sociologiques, techniques.
C'est dans ce cadre que j'ai défini une stratégie de modernisation de la lutte antiterroriste.
Trois priorités guident mon action :
- Mieux déjouer, en amont, les projets d'actions terroristes. Le regroupement des services de renseignement au sein de la nouvelle Direction Centrale du Renseignement Intérieur permet de gagner encore en efficacité.
- Anticiper l'évolution des menaces. C'est pourquoi j'ai créé au sein du Ministère de l'Intérieur une délégation à la prospective et à la stratégie, chargée d'améliorer notre analyse des enjeux et d'assurer la diffusion d'informations ciblées, en lien direct avec les besoins opérationnels.
- Développer la coopération internationale en renforçant notre offre de formation, d'échange, d'exercices communs.
La radicalisation islamiste doit faire l'objet d'une action spécifique.
Il s'agit d'un ensemble de comportements qui peuvent être traités.
Je m'adresse au premier titre aux personnels pénitentiaires, directeurs, personnels d'insertion et de probation, personnels de surveillance, médecins, psychologues, éducateurs qui y font face. Je veux les encourager à regarder les choses en face et suivre un certain nombre de règles.
Nous devons maintenir un équilibre entre la nécessaire protection de la liberté du culte, y compris en prison, et l'action préventive de l'Etat contre ceux qui cherchent à détourner la religion de ses fins.
Il faut se mettre en mesure de déconstruire le discours politico-religieux extrémistes des meneurs djihadistes.
Pour cela, il est souhaitable qu'une information de base soit dispensée dans le cadre pénitentiaire et des services de police concernés. Nous avons pour cela d'excellents spécialistes.
C'est dans ce contexte que s'inscrit notre action contre le prosélytisme et la radicalisation en prison.
Dans les établissements pénitentiaires français, on dénombre aujourd'hui plusieurs centaines d'individus engagés dans ce processus.
C'est dire tout l'enjeu de l'action entreprise pour endiguer le développement du prosélytisme.
Je tiens à saluer les initiatives conduites par la Direction de l'Administration Pénitentiaire, au sein du ministère de la Justice, pour :
- assurer le suivi de l'activité des terroristes dans les établissements au moyen du renseignement pénitentiaire
- établir une cartographie du phénomène de radicalisation dans les établissements
- adapter la formation des personnels de surveillance
Il faut aujourd'hui aller plus loin.
Il faut donner à la lutte contre la radicalisation en prison une dimension européenne.
J'ai fait de la lutte contre le terrorisme l'une des priorités de la Présidence Française de l'Union Européenne.
Pour être efficace, la coopération doit reposer sur des initiatives concrètes. Le manuel de bonnes pratiques qui vous sera distribué en est une illustration.
Ce manuel est le résultat de travaux communs.
Cette approche pragmatique est le fruit des observations menées par les services de sécurité. Elle nous permettra de mieux appréhender le mécanisme qui conduit au passage à l'acte.
Je veux saluer nos partenaires allemands et autrichiens, ainsi que les Etats-membres qui ont contribué à ce projet lors des séminaires précédents de Vienne et de Berlin.
Je salue également la délégation algérienne qui a bien voulu venir nous faire part de son expertise en la matière.
Mieux déceler les dérives individuelles ou collectives de radicalisation, c'est l'ambition de ce manuel.
Il permettra aux forces de sécurité de mieux comprendre le phénomène. Mieux comprendre pour mieux agir, grâce au partage des expériences et des savoir- faire.
Le manuel définit le processus complexe de la radicalisation. Il précise d'emblée qu'il peut frapper toutes les idéologies extrémistes.
Vous y trouverez également une analyse sur les prisons, zones de grandes fragilités sociales et psychologiques où le prosélytisme trouve à l'évidence un terrain favorable pour prospérer, mais où nos moyens d'actions peuvent également aboutir à des résultats visibles.
Vous y trouverez enfin une liste d'indicateurs qui, croisés et recoupés avec les observations de terrain, seront autant de moyens de détecter les étapes d'un processus de glissement vers la pratique sectaire puis la violence.
Ce manuel est tourné vers l'action. Vous y trouverez des recommandations et de perspectives de travail pour permettre aux individus abusés par le discours d'islamistes radicaux de sortir de ces processus d'enfermement et d'illusion intellectuels.
La réalisation de ce manuel s'inscrit dans une action plus globale de Présidence Française de l'Union Européenne contre le terrorisme.
La radicalisation ne se limite pas au seul milieu carcéral.
Sans chercher à la surestimer, nous devons avoir conscience que la radicalisation est à la portée de tout lieu de transmission de l'information, comme les universités et le milieu associatif.
C'est pourquoi j'ai fait de l'actualisation du "plan d'action en matière de radicalisation et de recrutement des terroristes" l'une des priorités de la présidence française de l'Union Européenne.
Des travaux sont engagés à cette fin. Ils visent à prendre en compte l'utilisation d'Internet par les terroristes, l'intensification des échanges d'information entre nos services et une association accrue des Etats tiers.
Pour lutter contre l'utilisation d'Internet à des fins terroristes, le projet Check the Web, initié sous Présidence allemande, est poursuivi. Il permettra de détecter les actions de recrutement et la diffusion d'instruction à des terroristes potentiels.
Au-delà de la lutte contre la radicalisation, d'autres projets seront mis en oeuvre.
La plateforme de signalement de contenus illicites sur internet, qui devrait être approuvé sous présidence française, participe à cet effort.
Je souhaite que les travaux sous présidence française permettent une consultation du Système d'Information Schengen avant toute délivrance de visas. Cette initiative permettra la détection précoce des personnes soupçonnées d'activités terroristes.
Mesdames, Messieurs,
Agir contre le terrorisme international, c'est agir contre des individus qui prennent en otage la religion à des fins criminelles.
C'est agir contre ceux qui tuent des victimes innocentes.
Ce combat est le vôtre. C'est aussi le mien.
Vous pourrez toujours compter sur mon soutien et sur celui de la France.
Je vous remercie.
Source http://www.interieur.gouv.fr, le 1er octobre 2008