Interview de M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, à France-Inter le 10 septembre 2008, sur le climat social et les conflits sociaux chez Renault, la SNCF et La Poste.

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Média : France Inter

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N. Demorand.- Bonjour B. Thibault, et bienvenue dans notre studio. Actualité sociale chargée. On va commencer par le mot d'ordre de grève que lance la CGT de chez Renault le 11 septembre, demain donc. Grève pour protester contre la suppression de 4.000 emplois chez Renault. 4.000 emplois, comment prenez-vous ce chiffre et cette perspective ?
 
4.000 emplois directs mais naturellement, dans l'industrie automobile comme dans d'autres activités, dès lors qu'une maison mère - et Renault fait partie des grandes maisons mères, et il y a aussi la cascade d'emplois qui dépendent de ces activités en sous-traitance, donc là, on évoque...
 
C'est estimé à combien ?
 
Cela dépend des secteurs. On peut au moins parler du double lorsqu'on évoque les emplois induits à une activité principale, voire même du triple suivant la nature de ces activités qui sont supprimées ou délocalisées...
 
Donc, 4.000 égalent 8.000 ou 12.000 emplois fragilisés, voire...
 
...Voire disparus. Là, on me parle que des annonces, encore une fois émanant de Renault. Mais il y a toutes les activités qui dépendent de ce que Renault décide de développer ou non. C'est à la fois la stupeur, le mécontentement et les seules voix à s'exprimer, dans la mesure où la communication est trop simpliste sur la réalité de cette entreprise - Renault est une entreprise qui dégage des marges financières par véhicule produit et ces restructurations sont justifiées non pas par une situation catastrophique au plan financier, mais par le besoin de dégager des marges plus importantes par véhicule produit. D'où cette approche qui consiste à aller fabriquer dans des zones aux coûts salariaux moindres, à délocaliser. Et moi, j'attire dans cette rentrée l'attention des directions d'entreprise sur un début de jurisprudence qui commence à s'installer du fait des recours juridiques que nous avons entamés dans un certain nombre de secteurs. Je pense le dernier en date qui est été évoqué c'est...
 
Aréna...
 
...c'est Aréna.
 
L'équipementier.
 
Il y a d'autres cas où nous obtenons heureusement réparations vis-à-vis des préjudices subis par les salariés, dont l'emploi a été supprimé, dont les tribunaux considèrent aujourd'hui qu'ils ont été supprimés non pas avec des motifs économiques justifiables, mais du fait de la recherche d'une rentabilité financière excessive, alors.
 
Vous allez passer à l'attaque sur Renault, sur ce point-là très précis, aller en justice éventuellement pour contester le licenciement ?
 
Pour l'instant, l'action se concentre à essayer de faire revenir la direction de l'entreprise sur sa stratégie industrielle et de préserver autant que possible l'emploi dans notre pays, voire en Europe. C'est cela la 1ère bataille. Là, je parle de procédures juridiques qui ont nécessité plusieurs années. Malheureusement, cela ne nous a pas permis de sauver les emplois. Cela nous a permis d'obtenir réparations auprès des salariés qui avaient été injustement licenciés.
 
Vous avez dit, B. Thibault, que la réalité économique de l'entreprise Renault ne nécessitait pas ces licenciements. C'est donc une approche comptable, si je vous suis bien ?
 
Une approche financière. Renault qui dégage des marges par véhicule produit souhaite dégager plus de profits sur chacun des véhicules produits.
 
Est-ce qu'on sait que les voitures Renault ne se vendent pas très bien en ce moment ? Est-ce que vous pensez qu'il y a une erreur stratégique aussi de la part du patron de Renault, C. Ghosn, dont les employés payent l'addition ?
 
Les représentants du personnel sont les premiers à considérer ou à souhaiter que la direction réfléchisse sur les créneaux qu'elle occupe et sa philosophie commerciale. Il est un fait que le pouvoir d'achat pèse, pour quelle raison - c'est une question d'actualité - pèse sur les produits fabriqués et la capacité de consommation. Cela confirme bien qu'il y a un problème de pouvoir d'achat. Mais dès lors qu'il y a cette situation-là, il faut aussi accepter l'idée que la vente de véhicules doit être quelque chose de plus accessible et donc les gammes, les tarifs qui sont pratiqués, les prix de vente de ces véhicules doivent être sans doute revus. La CGT de tout temps a essayé de promouvoir une marque Renault accessible au plus grand nombre. On semble s'éloigner de cela.
 
Autre entreprise.... Entreprise, oui, La Poste. Elle est inéluctablement promise à la privatisation B. Thibault ?
 
Non et c'est ce que j'ai essayé de développer devant la ministre de l'Economie qui recevait la CGT, avec la responsable de notre fédération des activités postales. Il n'est pas, selon nous, inéluctable, comme le suggère le PDG de La Poste auprès du Gouvernement aujourd'hui de changer le statut de cette entreprise et de porter préjudice au service public. On nous explique qu'il y aurait un besoin de financement des activités de La Poste.
 
C'est l'argument avancé par La Poste.
 
Discutons-en. Mais cela ne justifie pas à nos yeux un changement de statut qui ouvre la voix à la privatisation. De manière classique, on nous dit que l'ouverture du capital d'une entreprise publique ne signifie pas à terme sa privatisation. Je voudrais simplement rappeler, rafraîchir la mémoire, que nous avions exactement le même engagement de la part d'un responsable à l'économie qui s'appelait à l'époque N. Sarkozy, à propos du changement de statut de GDF. Et quelques années après, vous le savez, une majorité gouvernementale a décidé de privatiser en procédant à la fusion GDF-SUEZ.
 
Vous dites donc qu'il n'y a pas de nécessité économique à un changement de statut de La Poste.
 
Regardons le service public postal dont nous avons besoin dans notre pays. Il y a une insatisfaction déjà aujourd'hui. Nous ne sommes pas pour la défense du statu quo. Il y a aujourd'hui un repli du réseau postal dans notre pays qui est très critiqué par la population, qui en est victime, et dans les zones les plus éloignées, les moins occupées par la population cela crée aussi de l'émotion chez les élus locaux. C'est comme dès lors que l'on annonce la fermeture ou la menace sur un hôpital, sur une école. Le réseau de distribution postale participe à la cohésion nationale. C'est un service public qui doit être accessible et au service de tous. Discutons de ce besoin de renforcer cette perspective-là. Qu'il faille réfléchir aussi aux besoins de financement pour y parvenir, c'est un sujet stratégique, mais en aucun cas partons de l'a priori tel qu'on nous le présente : il faut changer le statut de cette entreprise.
 
Cela c'est idéologique cela ?
 
C'est une approche purement idéologique et dogmatique.
 
Autre entreprise, autre service public également : la SNCF qui lance également aujourd'hui une vaste inspection générale, B. Thibault, sur l'état des fameuses caténaires qui ont été à l'origine de pagailles monstres, que ce soit au mois d'août ou il y a quelques jours à la gare Montparnasse. Cette inspection elle était urgente ?
 
Oui mais en même temps - alors là, c'est un peu le technicien qui vous parle, puisqu'il se trouve que professionnellement, je connais bien le secteur, j'ai travaillé sur cette partie -il se trouve qu'on n'inspecte qu'une partie du problème technique. Je ne veux pas faire de la technique ferroviaire ce matin mais il y a deux éléments indispensables pour que le courant passe entre une caténaire et une locomotive : c'est d'une part l'état de la caténaire, ce dont on dit qui va être inspectée au plan national, c'est la conséquence de retards sur les entretiens courants qui doivent être faits. On ne peut pas à la fois réduire les effectifs et les moyens et considérer qu'on va maintenir un réseau impeccable du point de vue de sa technique. Mais l'autre partie, c'est les locomotives, c'est les pantographes c'est-à-dire cet appareil qui sert à capter le courant sur les caténaires.
 
Et ça ce n'est pas inspecté ?
 
Et à ma connaissance, à ma connaissance, il n'y a pas, semble-t-il, de plan concernant l'inspection de ces locomotives, en tout cas de cet appareil indispensable. Donc, il faut effectivement réviser l'ensemble si l'on veut accroître la qualité de l'ensemble du réseau sur sa partie électrique.
 
Ces préoccupations ont été mises de côté, d'après vous, B. Thibault, au nom de la recherche de la bonne santé de l'entreprise SNCF ?
 
On ne peut pas réduire les effectifs, on ne peut pas réduire la périodicité des inspections. Les réseaux de transports nécessitent un degré de qualité parfait, si on ne veut pas, comme cela se produit, que le moindre incident en cascade prenne des proportions que personne ne comprend.
 
Il y a des risques pour la sécurité des passagers, d'après vous ?
 
On demeure, il faut quand même le reconnaître, on demeure avec réseau ferroviaire parmi les plus performant au monde. Il y a bien des réseaux ferroviaires qui ont des degrés de fiabilité bien moindres que le réseau ferroviaire français. Mais ça et là, il faut qu'on fasse attention. On peut approcher à des zones sensibles. Dès lors que par exemple nous sommes contraints de réduire la vitesse des trains parce que la qualité de la voie ne permet plus de rouler à vitesse normale, c'est déjà un clignotant qui nous indique qu'il faut rapidement se pencher sur l'état des voies et faire les opérations qui conviennent.
 
Question rapide : vous avez le profil idéal pour être dans le fichier EDVIGE, B. Thibault. Il va être encadré, visiblement, peut-être par une loi. Votre sentiment sur ce dossier ?
 
Le fait que je sois dans un fichier, j'aurais aimé être dans plusieurs fichiers. A mon avis, cela ce n'est pas le sujet.
 
En tout cas, vous, vous n'y échappez pas. Multi critères pour vous.
 
Ce n'est pas le sujet. La CGT fait partie de ces organisations qui ont décidé de faire un recours au conseil d'Etat parce que nous sommes très opposés à cette décision qui a été prise unilatéralement. Voilà un Gouvernement qui produit un décret début juillet et qui s'étonne à la rentrée de l'émotion suscitée par la finalité d'un décret dont personne n'a plus discuté jusqu'à présent. Et nous sommes en tant qu'organisation syndicale tout à fait opposés à la mise en fiches de l'ensemble - parce que cela revient à cela - de nos concitoyens pour des finalités qui ne sont pas clairement établies et notamment le fait que, dès lors que quelqu'un appartient à un syndicat, il puisse être répertorié au motif qu'il serait susceptible de porter atteinte à l'ordre public. L'engagement syndical est un droit constitutionnel.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 10 septembre 2008