Interview de M. Xavier Darcos, ministre de l'éducation nationale, à I-Télé le 7 octobre 2008, sur le service minimum d'accueil des élèves, la réforme du lycée et la crise financière.

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Média : I-télévision

Texte intégral


 
 
 
 
 
L. Bazin.-  Saluons X. Darcos, bonjour. Merci d'être avec nous. 
 
Bonjour. 
 
Ministre de l'Education nationale. En ce jour de grève, et donc jour  que vous souhaitez jour de service minimum appliqué, on l'imagine.  Un mot d'abord de ce qui s'est passé à Massy, on vient de voir l'image.  La seule question qu'on se pose ce matin -pour le reste on ne peut pas  juger en l'état - est-ce qu'on peut laisser une femme qui revient de  dépression et qui visiblement est encore perturbée, reprendre le  travail ? Est-ce qu'il y a suffisamment de contrôles de ce point de vue ? 
 
D'abord elle le souhaitait pour autant que j'ai compris et d'autre part,  précisément, au moment de ce drame, elle se rendait auprès du psychologue  qui devait l'accompagner dans cette reprise de travail. C'est un drame privé  sur lequel je ne peux guère épiloguer, ne connaissant pas d'ailleurs les détails  des antécédents. Enfin c'est un drame privé qui évidemment traumatise la  communauté éducative, c'est une douleur pour nous tous. 
 
La grève, est-ce que vous craignez que ce soit rude, très suivi ? 
 
Ecoutez d'abord il y a pas de mouvement de grève nationale à proprement  parler puisque les syndicats ont laissé des appels de grève départementaux.  Donc il y a des disparités considérables. Il y a des endroits où nous avons très  peu de grévistes de prévu. Il y a des endroits, au contraire, où nous avons des  chiffres importants. Mais nous savons que pour détourner le service minimum  d'accueil dans certains endroits, il y a eu plus de grévistes déclarés qu'il y  aura de grévistes réels. Ils disent : "nous ferons grève" et finalement ils  viendront sans aucun doute. 
 
En quel sens pour détourner ? 
 
C'est-à-dire que du coup, ça oblige à organiser un service d'accueil  extrêmement sophistiqué donc qui, peut-être, n'aura pas besoin d'être. Il  s'agit de mettre en difficulté le dispositif. Ce que je constate cependant c'est  que dans l'immense... 
 
Un peu de mauvais esprit. 
 
Oui, il y a un peu de résistance. C'est un phénomène nouveau. Evidemment  ça crée de la résistance. Ce que je constate c'est qu'il y a beaucoup de villes,  y compris de villes de gauche d'ailleurs... 
 
Paris, j'imagine ? 
 
Paris, Caen, Blois. Et, finalement, a minima, Lille et Nantes. 
 
A contrario, je vous citerai Toulouse, par exemple. 
 
Toulouse est un peu le cas d'espèce. Je suis tout à fait surpris de voir que le  maire d'une grande ville dont une adjointe est une ancienne rectrice  d'académie considère que la loi c'est sans importance, que la loi votée on  peut lui marcher dessus. 
 
Elle dit qu'elle n'a pas les moyens. Ca ne peut pas s'entendre, c'est de  la blague ? 
 
Et comment font les autres ? C'est évidemment de la blague. J'espère que  vous ne croyez pas ça ? Les grandes villes ont évidemment les moyens de  mettre en place le service minimum. La preuve c'est qu'elles le font partout,  sauf à Toulouse. Toulouse n'est pas une plus grande ville que Bordeaux, que  Lille ou que Nantes. 
 
Donc en Seine Saint-Denis, c'est pareil pour vous ? 
 
Seine Saint-Denis ce sont des plus petites villes qui disent qu'ils ont un certain  nombre de difficultés. Et puis il y a aussi un point de vue politique qui  consiste à s'opposer à une mesure gouvernementale. Mais moi je dis à tous  ces maires : très bien, vous êtes bien gentils de vouloir nuire au  Gouvernement, mais il faudra vous expliquer auprès des familles parce qu'on  va voir donc des familles qui, aujourd'hui, trouveront une porte close et dont  les enfants seront sur le trottoir.
 
Oui mais ils vous répondent : c'était à l'Education nationale de mettre  en place un service minimum, pas à nous. 
 
Je ne vois pas comment l'Education nationale peut mettre un service  minimum en place lorsque ses fonctionnaires sont en grève. Je les  réquisitionne ? 
 
Je ne sais. On parle de service minimum. Après tout à la SNCF, ça  fonctionne. 
 
Vous pensez que ça aurait bien marché si je réquisitionnais... 
 
C'est une question. 
 
La loi est la loi. Elle a été votée, elle a été discutée, elle a été validée par le  Conseil constitutionnel, elle doit s'appliquer. L'Etat... 
 
Il y aura donc sanction ? 
 
Oui, j'ai demandé aux préfets d'être assez vigilants. Nous verrons comment  nous pourrons réagir et je réagirai. L'Etat joue son rôle, l'Etat finance le  service minimum d'accueil. L'Etat assure sa protection juridique à ceux qui  l'organisent. Les maires ont pour charge simplement de trouver des  personnes qui pourront le faire. Dans l'immense majorité des cas, ce service  minimum va s'organiser. Ceux qui ne le feront pas, le feront pour des raisons  politiques qui se détournent de l'intérêt des gens. 
 
Et ils en subiront éventuellement les conséquences, on vient de  l'entendre. 
 
Ils s'expliqueront auprès des familles. 
 
Je reviens d'un mot. Dans cette première partie, on en parlera plus  longuement dans la deuxième partie de cette interview sur la réforme  du lycée dévoilée par le Journal Du Dimanche, un tronc commun  jusqu'en terminale, plus de redoublement. Vous avez dit c'est faux,  c'est vraiment faux ? Il y a rien de vrai là dedans ? 
 
Ecoutez, repartons des fondements. Nous avons signé au mois de juin dernier  avec les organisations syndicales, avec les personnels et puis ensuite avec les  élèves, un protocole d'accord pour travailler ensemble. C'est ce que nous  faisons, nous travaillons ensemble. Il y a des hypothèses de travail. C'est une  maquette. 
 
C'est donc une hypothèse de travail ? 
 
C'est une hypothèse oui, comme tant d'autres qui ont circulé. Mais  aujourd'hui, rien de ce qui est publié n'est définitif et avéré. Et je pourrai aller  même plus loin, concernant par exemple la disparition supposée des  mathématiques ou de l'histoire et d'autres inventions, je nie absolument que  tout ceci soit arrêté. Non seulement nous ne l'avons pas arrêté, mais nous ne  voulons pas l'arrêter parce que nous souhaitons que les lycéens soient  associés le plus possible au processus. 
 
Mais l'idée d'arrêter l'omniprésence, l'omnipotence des maths ou des  sciences en première et en terminale, ça oui. Le Président Sarkozy  l'avait dit très clairement. 
 
Bien entendu, il faut retrouver des dominantes, il faut retrouver des sections,  des filières qui aient du sens. Aujourd'hui la filière littéraire par exemple est  extrêmement modeste, il y a de moins en moins d'élèves. La sélection se fait  surtout par les mathématiques. Il faut retrouver un équilibre. Mais de là à dire  que vont disparaître telles ou telles disciplines, de là à dire surtout que les  choses sont arrêtées, c'est un mensonge. Rien n'est arrêté. Nous sommes en  train de travailler, comme nous nous étions engagés à le faire. Et,  évidemment, on voit une fois de plus qu'un certain nombre de mauvais esprits  font en sorte de dénaturer le travail qui est accompli aujourd'hui, pour créer  de l'angoisse, pour créer de l'inquiétude. Rien ne se fera sans la clarté et  nous irons jusqu'au bout de la discussion dans l'intérêt des lycéens parce  qu'on nous dit toujours... 
 
C'est entendu, on va y revenir.
 
 Pourquoi fait-on tout cela ? C'est quand même pour défendre les lycéens.  Tous ces gens qui disent, il ne faut pas réformer le lycée, qu'est-ce qu'ils me  disent lorsque je leur rappelle qu'un bachelier sur deux au bout de trois ans  n'a aucun diplôme du supérieur ? Vous pensez vraiment que nous préparons  bien les lycéens à la suite de leurs études ? Bien sûr que non. Il faut réformer  le lycée. Nous en avons pris l'engagement. Nous sommes un gouvernement  réformateur et nous continuerons. 
 
Je vous rappelle les titres monsieur le ministre... On marque une pause  et on va continuer à discuter avec X. Darcos, le ministre de l'Education  nationale. On parlera crise. Il y a grève aujourd'hui à l'école, on en a  parlé. On va parler de la crise sociale qu'évoquait ce matin F.  Chérèque. C'était sur Canal+. Il est assez pessimiste le patron de la  CFDT comme si une crise risquait d'en cacher une autre. A tout de  suite. (...). On est toujours en compagnie de X. Darcos, le ministre de  l'Education nationale à qui nous allons soumettre les propos tenus par  les autres sur les autres antennes maintenant. D'un mot juste avant,  vous nous avez dit avant la pause, un que ceux qui aujourd'hui  n'appliqueraient pas le service minimum encourraient éventuellement  les conséquences et s'expliqueraient devant les familles. On retient ça  parce que c'est important. Et que d'autre part, sur la réforme du lycée,  il n'était pas question de supprimer des matières mais que vous  envisagiez éventuellement un tronc commun, jusqu'en terminale. Ca  c'est oui ? 
 
En tous les cas, il faut qu'il y ait des disciplines qui se retrouvent dans toutes  les filières, dans toutes les dominantes mais il faut que les élèves puissent  avoir un choix. Vous savez, quand on a 15 ans ou 16 ans, on peut s'être  lancé dans telle ou telle option et se rendre compte au bout d'un moment  qu'on n'était pas fait pour ça. On a droit à l'erreur, on a droit à un second  choix. Donc c'est plutôt comme ça que nous orientons, c'est de faire en sorte  que les élèves construisent leur parcours plutôt qu'ils ne subissent comme  dans des tuyaux dont ils ne sortent plus. Je le répète, rien n'est arrêté.  Discutons calmement, ne commençons pas à diffuser des bruits sur des  choses qui ne sont pas définitives. 
 
Vous connaissez le dicton : quand le dentifrice lycéen est sorti du tube,  il est difficile de le faire re-rentrer. 
 
Ce n'est pas encore le cas. Nous avons l'intention de parler avec les lycéens.  Je rappelle que les lycéens eux-mêmes, leurs organisations représentatives  ont signé un accord avec nous pour travailler là-dessus et donc il y a pas de  tension aujourd'hui particulière sur le sujet. 
 
C'est entendu. F. Chérèque, directeur général de la CFDT (sic), était  l'invité de la Matinale de Canal+ plus ce matin. Je crois qu'il est  secrétaire général F. Chérèque. Il parlait de la crise sociale à l'occasion  de la Journée sur le travail décent. 
 
F. Chérèque : Ce n'est pas une journée de grève, donc on n'est pas dans  une démarche de blocage de l'économie. La France va voir des difficultés  sociales dans les mois qui viennent mais imaginez ! Les pays qui sont déjà en  difficulté vont avoir encore plus de difficultés sociales. Donc le mouvement  syndical international, la Confédération syndicale internationale a décidé  d'exprimer ses craintes sociales pour faire en sorte que lorsqu'on défend un  travail décent, on le défende aussi quand c'est la crise. Il faut qu'on interpelle  les chefs d'Etat. On voit bien que chaque pays joue son propre jeu et il y a  pas de coordination suffisamment forte, malgré, je le dis, les efforts du  président de la République en France. 
 
Bon alors, un bon point pour le Président Sarkozy et par ailleurs un  vrai risque. Vous en tenez compte ? 
 
Monsieur Chérèque dit une chose qui va de soi, c'est que lorsqu'il y a une  crise financière, elle peut avoir des conséquences sur l'activité industrielle et  économique et donc avoir des conséquences sociales. Mais pour l'instant,  tout ceci ne se dessine pas de manière aussi nette. Ce que je retiens  cependant, c'est comme l'a dit monsieur Chérèque, heureusement que le  Président de l'Union européenne est N. Sarkozy. Imaginons que ce fut le  représentant d'un pays qui ait un peu moins d'aura, moins d'influence, moins  de détermination aussi que le Président. Dans quelle situation serions-nous ?  Depuis que la présidence française est commencée, nous avons quand même  eu une guerre en Géorgie et nous avons la plus grande crise internationale qui  soit. Et qui prend l'initiative ? Qui agit ? Le président de la République  française. Et je suis heureux qu'un homme comme monsieur Chérèque le  reconnaisse. 
 
Je vous fais entendre A. Minc ce matin, il parlait non pas de crise de  confiance comme certains de vos journaux - c'est le cas notamment du  Figaro et de La Croix - mais de crise de bon sens. C'était sur RTL. 
 
A. Minc : On vit une crise du bon sens, ce n'est même pas une crise de  confiance. Et je vais vous en donner un exemple. Quand la banque A qui est  sous garantie d'Etat refuse de prêter à la banque B qui est sous garantie  d'Etat, c'est qu'elle manque de bon sens. Et la Banque Centrale Européenne  se substitue à l'absence de bon sens de tout le monde en faisant comme la  Banque des Etats-Unis un boulot extraordinaire. Et ce qu'il faut dire, c'est  que c'est cela la différence avec 29. Si en 29 les pouvoirs publics et les  banques avaient fait ce qui avait été fait, il n'y aurait probablement pas eu  Hitler. 
 
Et c'est un propos qui est évidemment très fort. 
 
Oui. Moi j'ai une grande confiance dans l'intelligence et la connaissance d'A.  Minc sur ces sujets. Et je le rejoindrai assez. On sait très bien que dans cette  affaire, en particulier dans les mouvements de Bourse aujourd'hui, il y a une  grande partie d'irrationnel, une grande partie d'inquiétude, d'affolement. Les  choses iront dans un sens ou dans un autre. 
 
Mais ceux qui disent (que) les discours politiques les ont un peu  provoqués, ceux qui accusent N. Sarkozy notamment ? 
 
Oui mais en même, temps qu'aurait-on dit si le Président avait doré la pilule,  avait dit : "Ce n'est pas grave, dormez bonnes gens". Il fallait aussi prendre  conscience des choses mais ce qui est à retenir dans ce que dit A. Minc, c'est  que contrairement aux crises du début du XXème siècle, la grande différence  c'est aujourd'hui l'intervention de l'Etat. Et que cette idée qu'il y aurait une  espèce de marché dérégulé où personne ne ferait rien - je rappelle tout de  même que la plupart des banques dont il est question contiennent des  participations de l'Etat très importantes et même d'ailleurs que des systèmes  de fonds de garantie sont prévus pour que les épargnants ne puissent pas être  inquiétés - donc A. Minc a raison de dire qu'il y a là dedans un peu  d'irrationnel et surtout il a raison de rassurer les petits épargnants qui ne se  sentent évidemment à l'abri du risque. 
 
Apaisement mais prudence aussi du côté du patron de la Banque de  France. 
 
C. Noyer (Gouverneur de la Banque de France) : Je ne peux pas vous  dire ce qui se passera sur les Bourses malheureusement, je le regrette, parce  que je n'en sais rien. Ce que je peux vous dire, c'est qu'on n'a pas de raison  de penser que les Bourses doivent s'écrouler. Il n'y a aucune raison pour  cela. Les entreprises qui sont derrière sont des entreprises qui  fondamentalement sont solides, ont une activité qui va peut-être ralentir mais  qui est correcte, continueront à faire des bénéfices dans les années qui  viennent. Je ne vois pas pourquoi les Bourses s'écrouleraient. (...).  Vous voyez que, je ne suis pas C. Noyer, mais que nous retrouvons des  propos semblables. Il faut à la fois être extrêmement actif comme est le  président de la République, il faut faire l'union politique, il faut trouver des  solutions communes, il faut que l'Etat soit très présent pour compenser les  effets de la crise. Mais il ne faut pas affoler l'opinion, il ne faut pas croire que  nous sommes au bord de je ne sais quelle faillite. 
 
Merci d'avoir été notre invité ce matin à la fois comme ministre de  l'Education et comme observateur attentif des crises mondiales. Bonne  journée à vous. 
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 9 octobre 2008