Texte intégral
L. Bazin.- Saluons X. Darcos, bonjour. Merci d'être avec nous.
Bonjour.
Ministre de l'Education nationale. En ce jour de grève, et donc jour que vous souhaitez jour de service minimum appliqué, on l'imagine. Un mot d'abord de ce qui s'est passé à Massy, on vient de voir l'image. La seule question qu'on se pose ce matin -pour le reste on ne peut pas juger en l'état - est-ce qu'on peut laisser une femme qui revient de dépression et qui visiblement est encore perturbée, reprendre le travail ? Est-ce qu'il y a suffisamment de contrôles de ce point de vue ?
D'abord elle le souhaitait pour autant que j'ai compris et d'autre part, précisément, au moment de ce drame, elle se rendait auprès du psychologue qui devait l'accompagner dans cette reprise de travail. C'est un drame privé sur lequel je ne peux guère épiloguer, ne connaissant pas d'ailleurs les détails des antécédents. Enfin c'est un drame privé qui évidemment traumatise la communauté éducative, c'est une douleur pour nous tous.
La grève, est-ce que vous craignez que ce soit rude, très suivi ?
Ecoutez d'abord il y a pas de mouvement de grève nationale à proprement parler puisque les syndicats ont laissé des appels de grève départementaux. Donc il y a des disparités considérables. Il y a des endroits où nous avons très peu de grévistes de prévu. Il y a des endroits, au contraire, où nous avons des chiffres importants. Mais nous savons que pour détourner le service minimum d'accueil dans certains endroits, il y a eu plus de grévistes déclarés qu'il y aura de grévistes réels. Ils disent : "nous ferons grève" et finalement ils viendront sans aucun doute.
En quel sens pour détourner ?
C'est-à-dire que du coup, ça oblige à organiser un service d'accueil extrêmement sophistiqué donc qui, peut-être, n'aura pas besoin d'être. Il s'agit de mettre en difficulté le dispositif. Ce que je constate cependant c'est que dans l'immense...
Un peu de mauvais esprit.
Oui, il y a un peu de résistance. C'est un phénomène nouveau. Evidemment ça crée de la résistance. Ce que je constate c'est qu'il y a beaucoup de villes, y compris de villes de gauche d'ailleurs...
Paris, j'imagine ?
Paris, Caen, Blois. Et, finalement, a minima, Lille et Nantes.
A contrario, je vous citerai Toulouse, par exemple.
Toulouse est un peu le cas d'espèce. Je suis tout à fait surpris de voir que le maire d'une grande ville dont une adjointe est une ancienne rectrice d'académie considère que la loi c'est sans importance, que la loi votée on peut lui marcher dessus.
Elle dit qu'elle n'a pas les moyens. Ca ne peut pas s'entendre, c'est de la blague ?
Et comment font les autres ? C'est évidemment de la blague. J'espère que vous ne croyez pas ça ? Les grandes villes ont évidemment les moyens de mettre en place le service minimum. La preuve c'est qu'elles le font partout, sauf à Toulouse. Toulouse n'est pas une plus grande ville que Bordeaux, que Lille ou que Nantes.
Donc en Seine Saint-Denis, c'est pareil pour vous ?
Seine Saint-Denis ce sont des plus petites villes qui disent qu'ils ont un certain nombre de difficultés. Et puis il y a aussi un point de vue politique qui consiste à s'opposer à une mesure gouvernementale. Mais moi je dis à tous ces maires : très bien, vous êtes bien gentils de vouloir nuire au Gouvernement, mais il faudra vous expliquer auprès des familles parce qu'on va voir donc des familles qui, aujourd'hui, trouveront une porte close et dont les enfants seront sur le trottoir.
Oui mais ils vous répondent : c'était à l'Education nationale de mettre en place un service minimum, pas à nous.
Je ne vois pas comment l'Education nationale peut mettre un service minimum en place lorsque ses fonctionnaires sont en grève. Je les réquisitionne ?
Je ne sais. On parle de service minimum. Après tout à la SNCF, ça fonctionne.
Vous pensez que ça aurait bien marché si je réquisitionnais...
C'est une question.
La loi est la loi. Elle a été votée, elle a été discutée, elle a été validée par le Conseil constitutionnel, elle doit s'appliquer. L'Etat...
Il y aura donc sanction ?
Oui, j'ai demandé aux préfets d'être assez vigilants. Nous verrons comment nous pourrons réagir et je réagirai. L'Etat joue son rôle, l'Etat finance le service minimum d'accueil. L'Etat assure sa protection juridique à ceux qui l'organisent. Les maires ont pour charge simplement de trouver des personnes qui pourront le faire. Dans l'immense majorité des cas, ce service minimum va s'organiser. Ceux qui ne le feront pas, le feront pour des raisons politiques qui se détournent de l'intérêt des gens.
Et ils en subiront éventuellement les conséquences, on vient de l'entendre.
Ils s'expliqueront auprès des familles.
Je reviens d'un mot. Dans cette première partie, on en parlera plus longuement dans la deuxième partie de cette interview sur la réforme du lycée dévoilée par le Journal Du Dimanche, un tronc commun jusqu'en terminale, plus de redoublement. Vous avez dit c'est faux, c'est vraiment faux ? Il y a rien de vrai là dedans ?
Ecoutez, repartons des fondements. Nous avons signé au mois de juin dernier avec les organisations syndicales, avec les personnels et puis ensuite avec les élèves, un protocole d'accord pour travailler ensemble. C'est ce que nous faisons, nous travaillons ensemble. Il y a des hypothèses de travail. C'est une maquette.
C'est donc une hypothèse de travail ?
C'est une hypothèse oui, comme tant d'autres qui ont circulé. Mais aujourd'hui, rien de ce qui est publié n'est définitif et avéré. Et je pourrai aller même plus loin, concernant par exemple la disparition supposée des mathématiques ou de l'histoire et d'autres inventions, je nie absolument que tout ceci soit arrêté. Non seulement nous ne l'avons pas arrêté, mais nous ne voulons pas l'arrêter parce que nous souhaitons que les lycéens soient associés le plus possible au processus.
Mais l'idée d'arrêter l'omniprésence, l'omnipotence des maths ou des sciences en première et en terminale, ça oui. Le Président Sarkozy l'avait dit très clairement.
Bien entendu, il faut retrouver des dominantes, il faut retrouver des sections, des filières qui aient du sens. Aujourd'hui la filière littéraire par exemple est extrêmement modeste, il y a de moins en moins d'élèves. La sélection se fait surtout par les mathématiques. Il faut retrouver un équilibre. Mais de là à dire que vont disparaître telles ou telles disciplines, de là à dire surtout que les choses sont arrêtées, c'est un mensonge. Rien n'est arrêté. Nous sommes en train de travailler, comme nous nous étions engagés à le faire. Et, évidemment, on voit une fois de plus qu'un certain nombre de mauvais esprits font en sorte de dénaturer le travail qui est accompli aujourd'hui, pour créer de l'angoisse, pour créer de l'inquiétude. Rien ne se fera sans la clarté et nous irons jusqu'au bout de la discussion dans l'intérêt des lycéens parce qu'on nous dit toujours...
C'est entendu, on va y revenir.
Pourquoi fait-on tout cela ? C'est quand même pour défendre les lycéens. Tous ces gens qui disent, il ne faut pas réformer le lycée, qu'est-ce qu'ils me disent lorsque je leur rappelle qu'un bachelier sur deux au bout de trois ans n'a aucun diplôme du supérieur ? Vous pensez vraiment que nous préparons bien les lycéens à la suite de leurs études ? Bien sûr que non. Il faut réformer le lycée. Nous en avons pris l'engagement. Nous sommes un gouvernement réformateur et nous continuerons.
Je vous rappelle les titres monsieur le ministre... On marque une pause et on va continuer à discuter avec X. Darcos, le ministre de l'Education nationale. On parlera crise. Il y a grève aujourd'hui à l'école, on en a parlé. On va parler de la crise sociale qu'évoquait ce matin F. Chérèque. C'était sur Canal+. Il est assez pessimiste le patron de la CFDT comme si une crise risquait d'en cacher une autre. A tout de suite. (...). On est toujours en compagnie de X. Darcos, le ministre de l'Education nationale à qui nous allons soumettre les propos tenus par les autres sur les autres antennes maintenant. D'un mot juste avant, vous nous avez dit avant la pause, un que ceux qui aujourd'hui n'appliqueraient pas le service minimum encourraient éventuellement les conséquences et s'expliqueraient devant les familles. On retient ça parce que c'est important. Et que d'autre part, sur la réforme du lycée, il n'était pas question de supprimer des matières mais que vous envisagiez éventuellement un tronc commun, jusqu'en terminale. Ca c'est oui ?
En tous les cas, il faut qu'il y ait des disciplines qui se retrouvent dans toutes les filières, dans toutes les dominantes mais il faut que les élèves puissent avoir un choix. Vous savez, quand on a 15 ans ou 16 ans, on peut s'être lancé dans telle ou telle option et se rendre compte au bout d'un moment qu'on n'était pas fait pour ça. On a droit à l'erreur, on a droit à un second choix. Donc c'est plutôt comme ça que nous orientons, c'est de faire en sorte que les élèves construisent leur parcours plutôt qu'ils ne subissent comme dans des tuyaux dont ils ne sortent plus. Je le répète, rien n'est arrêté. Discutons calmement, ne commençons pas à diffuser des bruits sur des choses qui ne sont pas définitives.
Vous connaissez le dicton : quand le dentifrice lycéen est sorti du tube, il est difficile de le faire re-rentrer.
Ce n'est pas encore le cas. Nous avons l'intention de parler avec les lycéens. Je rappelle que les lycéens eux-mêmes, leurs organisations représentatives ont signé un accord avec nous pour travailler là-dessus et donc il y a pas de tension aujourd'hui particulière sur le sujet.
C'est entendu. F. Chérèque, directeur général de la CFDT (sic), était l'invité de la Matinale de Canal+ plus ce matin. Je crois qu'il est secrétaire général F. Chérèque. Il parlait de la crise sociale à l'occasion de la Journée sur le travail décent.
F. Chérèque : Ce n'est pas une journée de grève, donc on n'est pas dans une démarche de blocage de l'économie. La France va voir des difficultés sociales dans les mois qui viennent mais imaginez ! Les pays qui sont déjà en difficulté vont avoir encore plus de difficultés sociales. Donc le mouvement syndical international, la Confédération syndicale internationale a décidé d'exprimer ses craintes sociales pour faire en sorte que lorsqu'on défend un travail décent, on le défende aussi quand c'est la crise. Il faut qu'on interpelle les chefs d'Etat. On voit bien que chaque pays joue son propre jeu et il y a pas de coordination suffisamment forte, malgré, je le dis, les efforts du président de la République en France.
Bon alors, un bon point pour le Président Sarkozy et par ailleurs un vrai risque. Vous en tenez compte ?
Monsieur Chérèque dit une chose qui va de soi, c'est que lorsqu'il y a une crise financière, elle peut avoir des conséquences sur l'activité industrielle et économique et donc avoir des conséquences sociales. Mais pour l'instant, tout ceci ne se dessine pas de manière aussi nette. Ce que je retiens cependant, c'est comme l'a dit monsieur Chérèque, heureusement que le Président de l'Union européenne est N. Sarkozy. Imaginons que ce fut le représentant d'un pays qui ait un peu moins d'aura, moins d'influence, moins de détermination aussi que le Président. Dans quelle situation serions-nous ? Depuis que la présidence française est commencée, nous avons quand même eu une guerre en Géorgie et nous avons la plus grande crise internationale qui soit. Et qui prend l'initiative ? Qui agit ? Le président de la République française. Et je suis heureux qu'un homme comme monsieur Chérèque le reconnaisse.
Je vous fais entendre A. Minc ce matin, il parlait non pas de crise de confiance comme certains de vos journaux - c'est le cas notamment du Figaro et de La Croix - mais de crise de bon sens. C'était sur RTL.
A. Minc : On vit une crise du bon sens, ce n'est même pas une crise de confiance. Et je vais vous en donner un exemple. Quand la banque A qui est sous garantie d'Etat refuse de prêter à la banque B qui est sous garantie d'Etat, c'est qu'elle manque de bon sens. Et la Banque Centrale Européenne se substitue à l'absence de bon sens de tout le monde en faisant comme la Banque des Etats-Unis un boulot extraordinaire. Et ce qu'il faut dire, c'est que c'est cela la différence avec 29. Si en 29 les pouvoirs publics et les banques avaient fait ce qui avait été fait, il n'y aurait probablement pas eu Hitler.
Et c'est un propos qui est évidemment très fort.
Oui. Moi j'ai une grande confiance dans l'intelligence et la connaissance d'A. Minc sur ces sujets. Et je le rejoindrai assez. On sait très bien que dans cette affaire, en particulier dans les mouvements de Bourse aujourd'hui, il y a une grande partie d'irrationnel, une grande partie d'inquiétude, d'affolement. Les choses iront dans un sens ou dans un autre.
Mais ceux qui disent (que) les discours politiques les ont un peu provoqués, ceux qui accusent N. Sarkozy notamment ?
Oui mais en même, temps qu'aurait-on dit si le Président avait doré la pilule, avait dit : "Ce n'est pas grave, dormez bonnes gens". Il fallait aussi prendre conscience des choses mais ce qui est à retenir dans ce que dit A. Minc, c'est que contrairement aux crises du début du XXème siècle, la grande différence c'est aujourd'hui l'intervention de l'Etat. Et que cette idée qu'il y aurait une espèce de marché dérégulé où personne ne ferait rien - je rappelle tout de même que la plupart des banques dont il est question contiennent des participations de l'Etat très importantes et même d'ailleurs que des systèmes de fonds de garantie sont prévus pour que les épargnants ne puissent pas être inquiétés - donc A. Minc a raison de dire qu'il y a là dedans un peu d'irrationnel et surtout il a raison de rassurer les petits épargnants qui ne se sentent évidemment à l'abri du risque.
Apaisement mais prudence aussi du côté du patron de la Banque de France.
C. Noyer (Gouverneur de la Banque de France) : Je ne peux pas vous dire ce qui se passera sur les Bourses malheureusement, je le regrette, parce que je n'en sais rien. Ce que je peux vous dire, c'est qu'on n'a pas de raison de penser que les Bourses doivent s'écrouler. Il n'y a aucune raison pour cela. Les entreprises qui sont derrière sont des entreprises qui fondamentalement sont solides, ont une activité qui va peut-être ralentir mais qui est correcte, continueront à faire des bénéfices dans les années qui viennent. Je ne vois pas pourquoi les Bourses s'écrouleraient. (...). Vous voyez que, je ne suis pas C. Noyer, mais que nous retrouvons des propos semblables. Il faut à la fois être extrêmement actif comme est le président de la République, il faut faire l'union politique, il faut trouver des solutions communes, il faut que l'Etat soit très présent pour compenser les effets de la crise. Mais il ne faut pas affoler l'opinion, il ne faut pas croire que nous sommes au bord de je ne sais quelle faillite.
Merci d'avoir été notre invité ce matin à la fois comme ministre de l'Education et comme observateur attentif des crises mondiales. Bonne journée à vous.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 9 octobre 2008