Déclaration de M. Jean-François Copé, président du groupe parlementaire UMP à l'Assemblée nationale, sur le plan européen de sauvegarde du système financier, l'unité de l'Union européenne face à la crise et sur sa critique de l'abstention du PS sur le vote de l'engagement de la garantie de l'Etat pour soutenir les banques françaises, à l'Assemblée nationale le 14 octobre 2008.

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Circonstance : Déclaration du gouvernement à l'Assemblée nationale, préalable au Conseil européen des 15 et 16 octobre 2008

Texte intégral

Monsieur le Président, Monsieur le Premier ministre, Chers collègues,
Au coeur d'une crise se révèlent bien souvent les grandeurs et les faiblesses d'une époque. Dans la tourmente qui frappe en ce moment l'économie mondiale, les masques tombent et les tempéraments s'affirment.
D'un côté, les excès et les peurs. De l'autre, la mesure et la détermination.
D'un côté, des institutions financières dont on disait qu'elles menaient le monde et qui se sont trouvées paralysées par une panique irrationnelle.
De l'autre, des responsables politiques européens qu'on décrivait inutiles ou, pire, nuisibles, et qui sont à la manoeuvre, engagés avec sang froid, dans une action courageuse. Avec un seul but : rétablir la confiance.
A travers notre histoire, c'est toujours la même chose : qu'il s'agisse de tensions diplomatiques ou de catastrophes sanitaires, de bouleversements sociaux ou de séismes économiques, à chaque fois, quand tout vacille, quand tout chancelle, des responsables politiques se lèvent pour faire leur devoir. Pour assumer en dernier ressort la responsabilité que d'autres fuient. C'est tout l'honneur du politique d'être celui qui tient dans la tempête.
Et c'est exactement ce qui se passe en ce moment, alors que nous vivons une véritable crise systémique, qui ne menace pas seulement nos banques mais tout l'équilibre de notre économie.
Dans un tel marasme, le premier réflexe est souvent pour chaque pays de jouer la carte du repli. Du chacun pour soi. C'est ce qui s'était passé en 1929, avec le retour du protectionnisme. C'est ce que nous pouvions craindre après les premières réactions de certains de nos partenaires. Mais l'Europe de 2008 a voulu conjurer la malédiction de 1929 !
I. L'Europe, pour une fois, vole au secours du monde. Quelque chose d'incroyable est en train de se produire : pour la 1ère fois depuis bien longtemps, ce n'est pas l'Amérique qui vient au secours de l'Europe ; c'est l'Europe qui vole au secours du monde en injectant de la confiance dans un système bloqué par la peur !
Sans préjuger de l'issue de cette crise, pour la première fois devant un péril de cette nature, les gouvernements européens, sous l'impulsion de la Présidence Française, ont proposé une réponse coordonnée et d'une ampleur massive : au total un plan de près de 1 500 milliards d'euros à l'échelle européenne, annoncé dans tous les pays de l'Eurogroupe, avec une parfaite simultanéité et une grande lisibilité !
Je veux rendre hommage à nos amis européens, rassemblés dimanche à Paris. Nous avons mis de côté ce qui nous sépare pour faire avancer ce qui nous rassemble.
C'est cette Europe que nous aimons. Une Europe qui propose des solutions et fait tout pour répondre aux attentes des Européens. Une Europe qui se fixe un but et s'appuie sur les Etats pour l'atteindre. Une Europe qui s'affirme comme une force politique, plutôt qu'une machine technocratique...
II. Il faudra tirer les conséquences de cette crise pour nos institutions et notre fonctionnement européens. Dans la gestion de la crise économique, nous devons la dynamique européenne historique à une sacrée mobilisation de talents et de tempéraments :
- La détermination et la force de conviction de Nicolas Sarkozy
- L'imagination de Gordon Brown
- L'expérience de Jean-Claude Juncker
- Le pragmatisme d'Angela Merkel, de José-Luis Zapatero, de Silvio Berlusconi et de tous nos partenaires européens.
- La mobilisation totale de Jean-Claude Trichet
- Le soutien de Dominique Strauss-Kahn
Un moment de rassemblement exceptionnel pour faire face à des circonstances extraordinaires ! D'accord.
Mais je le dis ici à la veille du Conseil européen : qu'en sera-t-il lorsque l'on va quitter l'extraordinaire pour retrouver l'ordinaire ? Une fois la crise dénouée, chacun reprendra-t-il ses habitudes ? Phares blancs et fromages lyophilisés pour tout le monde ? Non, rien ne devrait plus être comme avant.
Je pense d'abord à nos règles européennes de gouvernance politique ! Pour ce plan européen, on a commencé à 4, puis 16, puis 27. C'est une méthode à méditer.
Et ceux qui ont milité contre le traité simplifié ont peut-être ressenti un petit remord en voyant les problèmes liés à une présidence de l'Union limitée à 6 mois.
Inventer une gouvernance économique qui soit à la hauteur des nouveaux enjeux de la planète, voilà le défi incroyable qui est devant nous. La crise que nous affrontons aujourd'hui peut servir d'accélérateur.
C'est ce que laisse penser l'action européenne ces derniers jours. Depuis des années, nous parlions de politique économique européenne, face à la Banque Centrale Européenne. Mais les obstacles semblaient insurmontables. Et voilà que ce qui apparaissait impossible il y a peu paraît à portée de main aujourd'hui.
D'ailleurs, avant cette semaine, le dialogue avec la BCE était interdit. Maintenant, il est acquis. Ce doit être une nouvelle hygiène de vie, dans le respect de l'autonomie de chacun.
Il faut donc avancer, battre le fer tant qu'il est chaud. Je pense notamment à la nécessité de mettre sur pied une surveillance bancaire européenne. Notre continent compte plus de 8 000 banques ; les échanges dépassent les frontières, il est évident que les règles nationales ne peuvent plus suffire.
Cela nous permettra de lutter contre le moins-disant réglementaire.
Nous devons remettre la responsabilité au coeur de l'économie de marché. C'est la contrepartie de la liberté. Il faut également recréer la relation proportionnée entre le risque et la rémunération. Il n'est pas normal que quelqu'un qui prend peu ou pas de risque personnel puisse toucher une rémunération ou des gains sans limites !
Nous devons aussi remettre de la transparence à tous les étages. Je pense par exemple aux paradis fiscaux qui brouillent le jeu impunément. Ou aux « dark pool », ces plates-formes de transaction alternatives qui permettent d'échanger des paquets de titres dans une totale opacité.
Nous devons enfin mieux encadrer les mécanismes qui ont accéléré la déstabilisation de notre économie. A commencer par les normes comptables ou les systèmes de notation des risques. Mais aussi toute une série d'instruments aujourd'hui complètement dévoyés. Voici 2 exemples :
* La vente à découvert est légitime lorsqu'elle sert de couverture pour les risques. Elle est intolérable lorsqu'elle devient un outil de mise à mort de nos entreprises fragilisées. Il n'est pas moralement acceptable que des spéculateurs s'enrichissent dans des proportions complètement extravagantes en profitant des mises en faillite qu'ils déclenchent.
* La titrisation est un outil intéressant pour améliorer le financement de l'économie. C'est une plaie lorsqu'elle permet aux banques de se défausser de leurs responsabilités. Il faudrait par exemple obliger ceux qui émettent des crédits titrisés à en garder 15% à 20% et à les inscrire dans leur bilan pour les obliger à en supporter la responsabilité..
Nous, les députés UMP, nous comptons prendre toute notre part à cette réflexion. José Manuel Barroso a confié à Jacques de la Rosière le pilotage d'un groupe de travail sur la gouvernance économique européenne. Je souhaite que nous, les députés français, nous y soyons pleinement associés.
Pour être plus efficaces, nous souhaitons proposer des solutions en lien avec nos homologues des 27 parlements européens. Voilà pourquoi je vais solliciter tous les membres du « club des 27 » qui rassemblent les présidents des groupes de droite et de centre-droit des parlements nationaux pour les inviter à travailler ensemble à ce sujet.
III. Un impératif à présent : aller au devant des Français pour les rassurer
Nous qui sommes au contact permanent de nos concitoyens, nous savons bien que les Français suivent de très près la crise économique. Dans nos permanences, dans nos rencontres sur le terrain, les questions sont nombreuses.
Les Français expriment leurs peurs, pour leurs économies, pour leur niveau de vie. Pour leur emploi. Certains s'inquiètent pour l'appartement qu'ils veulent vendre, d'autre pour le prêt qu'ils n'arrivent pas à obtenir... Les chefs d'entreprise de nos circonscriptions sont aussi très vigilants. Qu'il s'agisse de fonds de roulement à alimenter ou d'investissements à financer, nos PME sont dépendantes des banques !
Ces inquiétudes sont légitimes. Pour y répondre, nous devons aller aux devants des Français et leur dire la vérité. Sans fard. Sur la crise, sur ses conséquences, sur les mesures que nous mettons en place contre l'assèchement du crédit, notamment pour les entreprises. Sur les réponses que l'Europe doit à présent apporter et sur les changements que cela rend nécessaire.
Nous devons être d'autant plus clairs avec nos concitoyens que d'autres essayent de les embrouiller.
Comme toujours dans les périodes de crise, les faux prophètes et les révolutionnaires de tous bords profitent de la situation pour fourguer leur camelote. Ils prédisent la fin du monde chaque semaine. Ils se complaisent dans la caricature et la chasse aux boucs émissaires. Ils font l'apologie de systèmes que l'Histoire a condamnés pour leur bilan sanguinaire. A la démagogie, nous devons opposer la pédagogie. Inlassablement.
Combien dans ce contexte le choix du groupe socialiste de s'abstenir - je dis bien s'abstenir - sur ce projet de loi m'a consterné !
* consterné parce que l'image d'une Europe unie commandait celle d'un Parlement français rassemblé,
* consterné parce que les occasions de clivages, de débats, de polémiques ne manquent pas tandis que nous avons cet après-midi un rendez-vous d'unité nationale. Exiger pour voter ce texte des garanties sur le pouvoir d'achat et l'emploi en faisant semblant d'oublier que, sans ce texte, c'est l'ensemble de notre économie qui s'écroule, c'est une hypocrisie et pour tout dire une dérobade.
* consterné par ce que l'abstention, c'est la négation de l'engagement politique. S'abstenir, c'est admettre qu'on est d'accord mais qu'on ne veut pas voter avec la droite. Belle image de modernité ! J'aurais préféré que vous votiez non en proposant autre chose... Au moins, cela aurait eu du sens.
Vis-à-vis des Français, c'est désolant.
En chinois, l'idéogramme pour exprimer « la crise » est lui-même composé de deux idéogrammes, l'un signifie « danger », l'autre « opportunité ».
* Aujourd'hui, le danger, c'est de ne rien faire, de laisser notre économie étouffer par manque de liquidités. Voilà pourquoi nous allons voter sans réserve ce plan d'action pour rétablir la confiance en Europe.
* L'opportunité, c'est de profiter de cette crise pour lancer dès à présent une large initiative européenne et poser les bases d'un nouveau capitalisme. Mieux régulé. Plus responsable. Plus respectueux de l'homme.
Ne laissons pas passer cette opportunité ! Nos concitoyens attendent de nous de l'audace et le courage. Ouvrir de nouvelles voies pour l'économie européenne, c'est notre devoir. C'est notre mission. C'est notre honneur.
Merci.
Source http://www.ump.assemblee-nationale.fr, le 15 octobre 2008