Interview de M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, à France-Info le 16 octobre 2008, sur le risque dépendance et la perte d'autonomie et les mesures en faveur des personnes âgées dépendantes.

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Média : France Info

Texte intégral


 
 
 
R. Duchemin.- Bonjour X. Bertrand.
 
Bonjour R. Duchemin.
 
Merci d'être en direct avec nous, ce matin, sur France Info. Vous êtes là pour parler de ce que le Gouvernement a baptisé « Le 5ème risque », c'est le risque dépendance, c'est-à-dire la perte d'autonomie. On va y venir, bien sûr, dans un instant, mais d'abord, je voudrais votre analyse de la situation actuelle. On vient de parler des Bourses qui replongent, il y a un risque de récession qui est très fort en France, aux Etats-Unis également. On avait tous poussé un « ouf » de soulagement il y a quelques jours quand on avait vu les marchés grimper et quand le plan européen a été mis sur les rails ; on pensait en fait que le gros de la crise était passé, ce n'est pas le cas.
 
Vous savez, le retour à la confiance, à la confiance durable, notamment sur les marchés financiers, ça ne se fait pas du jour au lendemain. Et nous savons aussi que nous aurons, notamment sur le plan économique, des mois difficiles, des mois difficiles qui sont devant nous. Les choses ne peuvent pas reprendre leur cours tout de suite et les Bourses ne peuvent pas non plus reprendre leur cours tout de suite. Ce qu'il faut savoir, c'est qu'hier il y a eu une décision très importante, c'est que l'Europe des 27 a repris à son compte le sommet des 15 de l'Eurogroupe de dimanche dernier, c'était indispensable et on voit maintenant que le président N. Sarkozy est aujourd'hui investit d'une mission, c'est de voir le président Bush pour préparer un sommet mondial, parce qu'il y a les décisions...
 
Ça sera samedi, à Camp David.
 
... les décisions européennes, c'est important, et puis les décisions sur le plan mondial. C'est d'ailleurs pour cela, on le voit bien, la réaction des Bourses asiatiques, américaines, il faut aujourd'hui une autre stratégie, en matière monétaire, en matière financière, c'est ce que aujourd'hui le Président veut mettre en place.
 
Ça veut dire qu'il faut changer complètement les règles du capitalisme financier ?
 
Ah, le moins que l'on puisse dire c'est qu'il faut qu'il arrête de marcher sur la tête, il faut qu'on le remette sur ses pieds. Capitalisme de spéculateur pendant trop longtemps, on voit où ça nous a mené, il faut revenir à un véritable capitalisme d'entrepreneur, un capitalisme qui permet de créer des richesses pour le plus grand nombre, parce que c'est comme ça que l'on pourra partager les richesses et notamment relever les défis de demain, la dépendance par exemple. Mais c'est aussi avoir des règles, des règles comptables, qui nous permettent de savoir quel établissement est sérieux, quel établissement n'est pas sérieux, quel produit est sérieux, quel produit ne l'est pas ; les subprimes, ce n'était pas sérieux, ça faisait de l'argent à court terme, ça a plongé des milliers et des milliers d'Américains dans le désespoir et puis en plus ça a plongé, justement, des banques dans la quasi faillite ou la faillite comme Lehman Brothers. Il faut remettre les choses sur pied.
 
X. Bertrand, la grande crainte des Français aujourd'hui, c'est que cette crise ne touche l'économie réelle, c'est-à-dire l'emploi, qui est important pour les Français. Les chiffres de l'emploi, justement, ne sont pas bons. Qu'est-ce que vous allez faire, qu'est-ce que vous comptez faire, justement, pour les rassurer ?
 
La première des choses c'est que s'il y a un ralentissement économique, notamment aux Etats-Unis, il y aura un ralentissement économique aussi en Europe, parce que...
 
C'est prévu, pour le 3ème et 4ème trimestre.
 
Les économies aujourd'hui se pénètrent. Les économies avec la mondialisation sont toutes concernées, donc s'il y a un ralentissement quelque part, ça ne s'arrêtera pas aux portes de l'Atlantique, ça nous concernera aussi. Ce qui est important pour nous, c'est dans ces cas-là, à la fois d'anticiper au maximum et de pouvoir réagir à chaque fois quand c'est indispensable. Anticiper au maximum : quand l'Etat décide d'intervenir pour les logements, comme cela a été annoncé, c'est tout simplement pour éviter une crise du logement, grave. Quand il est décidé, notamment, de mettre 22 milliards d'euros dans le financement des PME, c'est pour que le robinet du financement ne se ferme pas, que l'économie ne s'arrête pas, mais nous voulons aussi avoir la garantie que ça se passe bien sur le terrain, qu'il y a des conventions pour que l'argent, justement, qui est mis à disposition des banques, aille bien aux PME. Quand il y a notamment un plan sur la voiture décarbonée, c'est aussi important parce que nous voulons que la voiture électrique, la voiture propre, elle se fasse en France, à partir de l'industrie française. Le plan numérique, qui sera annoncé lundi prochain, c'est la même logique : préparer aussi les emplois de demain. Pas d'après-demain, les emplois de demain.
 
Alors, vous parlez d'emploi, on pense aussi aux mesures de contrats aidés...
 
Aussi.
 
... qui vont a priori être augmentées en 2009, même si F. Fillon admet que ce n'est pas LA solution au problème du chômage. Est-ce qu'il y a une solution, d'abord ?
 
C'est l'une des solutions, c'est l'un des aspects de la lutte contre le chômage, mais il faut savoir aussi que l'on n'est pas resté sans rien faire depuis maintenant un an et demi ; l'action de C. Lagarde avec L. Wauquiez, ça a été aussi de mettre en place la fusion Unedic/ANPE pour que le demandeur d'emploi ait un seul interlocuteur, pour l'orienter, pour trouver la bonne formation pour retrouver un emploi, pour avoir celui qui va lui donner les bons renseignements sur l'indemnisation. Il y a eu aussi des offres raisonnables d'emploi qui ont été mises en place ; le RSA c'est la même logique du retour vers l'emploi. Moi-même, en terme de réglementation du travail, quand on permet d'avoir une rupture négociée à l'amiable entre le chef d'entreprise et le salarié, c'est pour lever des freins à l'embauche.  
 
Guigou vient de prendre la parole pour dire que le budget 2009 va aggraver les choses, car dans ce budget, dit-elle, les crédits accordés au logement et à l'emploi sont en baisse. Elle juge que les finances publiques sont rétamées. Vous contestez l'analyse ?
 
Eh bien j'aimerais bien entendre des propositions de la part des socialistes, ça nous changerait, ça les changerait. Non, je crois, vous savez, qu'en des moments comme ceux-là, on peut peut-être avoir juste une pause, juste une pause dans les polémiques, dans les polémiques stériles, ce n'est pas de cela dont on a besoin aujourd'hui et vous savez, ce n'est pas ça qui va permettre, je pense, aux socialistes, de retrouver la voie de la crédibilité. C'est difficile. C'est difficile pour l'ensemble des pays européens, c'est difficile dans le monde entier. Alors, bien évidemment, serrer les coudes, c'est mieux, mais en attendant, qu'il y ait une pause dans les polémiques, ce n'est pas mal.
 
Alors, en attendant cette pause, nous, on va parler de dépendance. La dépendance, on va essayer, évidemment, d'être concret : plus la population vieillit, plus le risque est grand qu'elle se retrouve demain, évidemment, à la charge des familles ou d'une structure. C'est ça le 5ème risque, schématiquement. Quelles solutions on a aujourd'hui ? A priori, ce n'est pas évident pour tout le monde, pour les Français, déjà, de comprendre ce risque de dépendance.
 
Déjà, merci à France Info, de faire preuve de pédagogie, sur un sujet comme celui-ci. La dépendance, quel est notre objectif en mettant en place ce 5ème risque ? C'est déjà qu'il y ait plus de places à domicile. Ce que nous voulons d'ici 2015, c'est qu'il y ait le doublement du nombre de personnes prises en charge à domicile, parce que quand on est dépendant, on veut pouvoir rester à son domicile le plus longtemps possible. Ce que nous voulons également c'est créer plus de places en maisons de retraite. 7 500 de plus par an. Et puis surtout, ce qui est très important, ce que je veux, c'est diminuer le reste à charge pour les familles, c'est-à-dire ce qui reste à la charge des familles. Quand un proche est en maison de retraite, il faut que ça ne les empêche pas de faire rentrer ce proche dans une maison de retraite. Un chiffre : aujourd'hui, en moyenne, quelqu'un qui est en maison de retraite, c'est 1 600 euros par mois. Tout le mode ne peut pas se payer cela.
 
C'est effectivement la moyenne des retraites, entre 1 200, 1 500 euros, aujourd'hui, pour les Français.
 
Mais si vous êtes en Ile-de-France, le reste à charge c'est 2 200, 2 300 euros en moyenne. Donc, moi, ce qui est important, c'est de penser, en priorité, de penser en priorité aux classes moyennes, parce que les plus riches peuvent toujours se prendre en charge eux-mêmes.
 
Ça veut dire que l'Etat va dégager des fonds, pour financer, justement, cette part ?
 
Les plus démunis seront toujours pris en charge par la solidarité nationale. Mais entre les deux, vous êtes trop riche pour être pris en charge, et pas assez pour vous prendre en charge. Et notre idée, c'est de diminuer de façon importante le reste à charge pour les familles. Donc, nous avons, avec V. Létard, présenté un pré-rapport, pour justement le soumettre au débat, à la discussion, c'est pour cela que la pédagogie est importante, et à partir de 2009, les choses vont bouger, les choses vont changer, mais il faut aussi bien voit qu'il y a un aspect quantitatif....
 
C'est-à-dire 2009, on va rentrer dans le concret...
 
Oui.
 
... avec des structures, avec de l'argent qui va être donné ?
 
Oh, avec des structures, avec de l'argent disponible, mais il y a aussi une autre chose qui est important. Je vous ai parlé de nombre de places, c'est bien, il y a aussi la qualité de prise en charge, et V. Létard l'a annoncé ce matin, nous voulons aussi qu'il y ait la meilleure prise en charge possible à l'intérieur des établissements, qu'il y ait aussi de la bien-traitance, et ce que nous allons faire, c'est changer notre logique sur les contrôles qui sont effectués dans les maisons de retraite. Aujourd'hui, un contrôle sur deux, on annonçait dans la maison de retraite que l'on allait venir. Bon, eh bien si les choses ne vont pas bien dans la maison de retraite, on a le temps de rectifier le tir. Il y aura maintenant 80 % des visites qui seront faites sans prévenir, sans prévenir, et il faudra aussi mettre de l'argent, c'est ce qui est aussi prévu, de façon à ce que l'on puisse mieux former les professionnels du secteur, 132 millions d'euros, pour mieux former à la bien-traitance, parce qu'il ne s'agit pas seulement d'avoir des établissements, il faut qu'il y ait du personnel, c'est vrai, mais il faut qu'il y ait du personnel bien formé pour bien prendre en charge.
 
Donc, la solution, elle viendra de l'Etat mais aussi des solutions individuelles, et peut-être aussi des entreprises ?
 
Aujourd'hui, tout est sur la table, il y a le Sénat qui a fait un gros travail. Le Sénat, justement, a parlé de la question du libre choix, moi j'adhère à cette question du libre choix. L'Etat a un rôle à jouer, bien évidemment, mais je pense qu'il est important de voir comment les Français veulent s'organiser. C'est l'affaire, c'est la responsabilité de l'Etat aussi. Quand il y a des Français qui aujourd'hui ont recours à l'assurance, il faut être sûr que les contrats qu'on leur propose sont sérieux et solides, mais encore une fois, la solidarité c'est notre affaire aussi.
 
Merci X. Bertrand, d'avoir été en direct, ce matin, sur France Info.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 16 octobre 2008