Interview de M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, à RTL le 6 octobre 2008, sur la crise économique et financière et la journée d'action pour le travail décent.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral


 
 J.-M. Aphatie  Bonjour, B. Thibault. 
 
Bonjour. 
 
Vous avez dit ceci en fin de semaine : N. Sarkozy a tendance à grossir  l'impact de la crise financière pour s'exonérer d'un débat sur sa  politique économique et sociale. Vous croyez vraiment que N. Sarkozy  exagère ? 
 
Je ne dis pas qu'il exagère. Je considère que le discours fait à Toulon  participe d'attribuer à la crise financière internationale tous les maux ou  toutes les conséquences sociales à terme dans notre pays ; alors que je  considère qu'il y a dans l'ensemble des pays - ce n'est pas propre à la France  - il y a aussi des orientations en matière économique et sociale au plan  national qui peuvent contribuer à amplifier la crise que nous connaissons ou  au contraire, essayer de l'atténuer. 
 
Mais cette crise nous met-elle en danger ? Ne nécessite-t-elle pas qu'on  lui accorde la priorité que tout découle de là ? 
 
Mais bien sûr. Et d'ailleurs le mouvement syndical fait partie des  mouvements les plus soucieux dans cette période. Parce que qu'est-ce qui est  en jeu ? On n'en parle pas encore énormément. On se focalise - et on peut  comprendre pourquoi ces derniers jours - sur la crise financière,  sous-entendu l'état de santé des organismes financiers, des institutions  financières, des banques, des organismes de crédit. Mais ce qu'il faut bien  comprendre c'est qu'à terme, derrière, ce à quoi nous allons avoir à faire  face : c'est une crise économique importante... 
 
Une récession sans doute... 
 
Oui, elle est déjà là. Je ne rentre pas dans la polémique avec le Gouvernement  à ce propos ; et pour beaucoup de salariés, elle date déjà depuis plusieurs  années : la rigueur au plan social et au plan économique. Ce sont les  conséquences au plan social qui sont aussi examinées. Et on s'en dira sans  doute un mot demain puisqu'il se trouve que nous avons une journée  mondiale de mobilisation au plan syndical. Il serait fort de café que ça soit les  salariés qui paient la facture à terme. Or, ces risques-là sont grands. Et ce  que je reproche à monsieur N. Sarkozy, entre autres des responsables  politiques nationaux, c'est de ne pas retenir le social comme étant un levier  permettant de sortir de la crise. 
 
Qu'est-ce que ça veut dire : retenir le social ? Qu'est-ce que vous  attendriez aujourd'hui du Gouvernement en matière sociale ? 
 
Je prends un exemple. Le Président français est le président en exercice de  l'Union européenne. Je remarque que le développement social n'a pas été  retenu parmi les quatre priorités de la présidence française de l'Union  européenne, alors qu'il y a une attente et une exigence syndicale dans toute  l'Europe : c'est que l'on fasse du social un élément de la croissance et du  développement. Au contraire, c'est la crise d'un système économique, un  système économique qui privilégie la reconnaissance du capital sur le travail  humain. Une des questions consiste, d'une part, à savoir si ce système  n'explose pas. On a une intervention en urgence des chefs d'Etat. 
 
On a l'impression qu'elle est un peu en train d'exploser ! Oui. 
 
Oui. Il faut dire aussi : ils ont du mal à admettre leurs moyens en partie  limitée, ces chefs d'Etat. On ne peut pas à la fois confier l'économie  globalement aux organismes de crédit en permanence et s'étonner que les  chefs d'Etat en moment de crise, soient dépourvus de moyens d'intervention.  On reparle d'intervention publique. On reparle d'intervention de l'Etat après  des années où on nous a expliqués, où on a justifié toute une séquence de  privatisations dans le secteur financier entre autres, mais aussi dans les  services publics. Et on se réinterroge sur la manière dont les responsables  politiques vont pouvoir intervenir sur les structures économiques alors qu'ils  se sont dessaisis des moyens qu'ils avaient à leur disposition en son temps. 
 
C'est dans ce contexte, B. Thibault, que demain - vous avez juste fait  une allusion tout à l'heure - aura lieu une journée d'action. Alors, elle  s'inscrit dans une journée mondiale de mobilisation pour un travail  décent. Plusieurs services publics risquent d'être touchés demain en  France. Mais quand même globalement, vous ne redoutez pas un "flop"  pour cette journée ? Avez-vous l'impression qu'on a la tête à ça ? 
 
Il y a un enjeu dans la journée de demain. Alors c'est vrai que cette journée  de mobilisation qui est une première, puisque les syndicats d'une centaine de  pays dans le monde, sur différents continents, ont choisi ce 7 octobre pour se  mobiliser de manière coordonnée pour défendre le travail décent. Qu'est-ce  que ça veut dire le travail décent ? Ca veut dire un salaire permettant de vivre  décemment, de couvrir des besoins essentiels : travailler et avoir un salaire  permettant de couvrir les besoins essentiels. Ca veut dire une protection  sociale de haut niveau, aussi bien s'agissant de la Sécurité sociale - faire face  à la maladie - qu'en termes de retraite. Et en termes de retraite dans notre  pays, ça se dégrade comme dans beaucoup de pays. Et certains n'ont même  pas de garantie de retraites. Ca veut dire une liberté de parole et un droit  syndical respecté à travers le monde. Il y a bien des endroits où ça n'est pas  le cas et en France, un salarié sur deux a peur à l'idée de se syndiquer pour  sa carrière professionnelle ou son emploi. Et ça veut dire le droit à la  négociation collective. En France notamment, vous avez remarqué que  récemment une loi portant sur le temps de travail a été prise unilatéralement  malgré l'opposition de tous les syndicats. 
 
C'est dur quand même d'imaginer que demain, il pourrait y avoir, je  ne sais pas, soit des écoles qui n'accueillent pas les enfants, soit des  trains qui ne démarrent pas ? Dans le contexte c'est difficile à  imaginer, non ? 
 
Ecoutez, nous verrons bien. Il y a 87 manifestations demain d'organisées  dans le pays. Je pense que c'est la première riposte syndicale coordonnée à  l'échelle mondiale, à cette crise financière internationale. 
 
Même si la journée a été décidée avant ! 
 
Bien sûr, elle a été décidée avant mais elle tombe à propos. L'un des enjeux,  c'est de savoir : est-ce qu'on sauve le système pour que tout reparte comme  avant ; ou est-ce que justement cette crise permet de prendre acte qu'il faut  attribuer au social une autre valeur que celle qui existe aujourd'hui dans le  fonctionnement des entreprises. Le président de la République va à  Sandouville aujourd'hui. Le secteur automobile fait partie des secteurs où on  privilégie aujourd'hui la rentabilité financière. 
 
C'est bien que le Président aille à Sandouville ? 
 
Si c'est le résultat que nous avons pour Gandrange après sa visite, je serais un  salarié de Renault, je m'inquièterais. 
 
Ca sert à rien qu'il y aille, alors ? 
 
Toute la question est de savoir qu'est-ce qu'il va annoncer ? Quelle va être sa  posture ? Il y va avec le PDG de Renault... 
 
Il n'est pas patron de Renault, N. Sarkozy ? 
 
D'accord mais s'il y va, c'est qu'il a quelque chose à dire. Et moi j'aimerais  bien qu'il annonce que l'on va construire des automobiles sur d'autres bases  que la recherche d'une rentabilité financière importante. Il n'y a pas de  distinguo comme cherche à le faire le Président entre un capitalisme financier  et un capitalisme de producteurs. Aujourd'hui, le système économique est  global. Et d'ailleurs, l'industrie et l'industrie française singulièrement  souffrent d'une exigence de rentabilité sur les capitaux trop élevés. 
 
On suivra la visite du Président. Le Medef proposera aujourd'hui une  limitation des parachutes dorés. C'est bien venu, B. Thibault ? 
 
Ce que j'ai entendu c'est que le Medef s'apprêtait à faire des  recommandations. Nous autres, quand nous franchissons des radars avec  excès de vitesse, nous avons des sanctions. 
 
Parce qu'il y a une loi. Il n'y a pas de loi sur les parachutes dorés. 
 
Oui, les patrons jusqu'à présent peuvent se permettre des rémunérations de  300, 400 fois celles de certains de leurs salariés. Ca fait des années que la  CGT et que les représentants syndicaux dans les conseils d'administration, les  conseils de surveillance clament l'indécence à ce propos. 
 
Il n'y a pas de parachute doré à la CGT ? 
 
Oh non ! 
 
B. Thibault, pas de parachute doré, était l'invité de RTL ce matin.  Bonne journée
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 14 octobre 2008