Texte intégral
J.-M. Aphatie Bonjour, B. Thibault.
Bonjour.
Vous avez dit ceci en fin de semaine : N. Sarkozy a tendance à grossir l'impact de la crise financière pour s'exonérer d'un débat sur sa politique économique et sociale. Vous croyez vraiment que N. Sarkozy exagère ?
Je ne dis pas qu'il exagère. Je considère que le discours fait à Toulon participe d'attribuer à la crise financière internationale tous les maux ou toutes les conséquences sociales à terme dans notre pays ; alors que je considère qu'il y a dans l'ensemble des pays - ce n'est pas propre à la France - il y a aussi des orientations en matière économique et sociale au plan national qui peuvent contribuer à amplifier la crise que nous connaissons ou au contraire, essayer de l'atténuer.
Mais cette crise nous met-elle en danger ? Ne nécessite-t-elle pas qu'on lui accorde la priorité que tout découle de là ?
Mais bien sûr. Et d'ailleurs le mouvement syndical fait partie des mouvements les plus soucieux dans cette période. Parce que qu'est-ce qui est en jeu ? On n'en parle pas encore énormément. On se focalise - et on peut comprendre pourquoi ces derniers jours - sur la crise financière, sous-entendu l'état de santé des organismes financiers, des institutions financières, des banques, des organismes de crédit. Mais ce qu'il faut bien comprendre c'est qu'à terme, derrière, ce à quoi nous allons avoir à faire face : c'est une crise économique importante...
Une récession sans doute...
Oui, elle est déjà là. Je ne rentre pas dans la polémique avec le Gouvernement à ce propos ; et pour beaucoup de salariés, elle date déjà depuis plusieurs années : la rigueur au plan social et au plan économique. Ce sont les conséquences au plan social qui sont aussi examinées. Et on s'en dira sans doute un mot demain puisqu'il se trouve que nous avons une journée mondiale de mobilisation au plan syndical. Il serait fort de café que ça soit les salariés qui paient la facture à terme. Or, ces risques-là sont grands. Et ce que je reproche à monsieur N. Sarkozy, entre autres des responsables politiques nationaux, c'est de ne pas retenir le social comme étant un levier permettant de sortir de la crise.
Qu'est-ce que ça veut dire : retenir le social ? Qu'est-ce que vous attendriez aujourd'hui du Gouvernement en matière sociale ?
Je prends un exemple. Le Président français est le président en exercice de l'Union européenne. Je remarque que le développement social n'a pas été retenu parmi les quatre priorités de la présidence française de l'Union européenne, alors qu'il y a une attente et une exigence syndicale dans toute l'Europe : c'est que l'on fasse du social un élément de la croissance et du développement. Au contraire, c'est la crise d'un système économique, un système économique qui privilégie la reconnaissance du capital sur le travail humain. Une des questions consiste, d'une part, à savoir si ce système n'explose pas. On a une intervention en urgence des chefs d'Etat.
On a l'impression qu'elle est un peu en train d'exploser ! Oui.
Oui. Il faut dire aussi : ils ont du mal à admettre leurs moyens en partie limitée, ces chefs d'Etat. On ne peut pas à la fois confier l'économie globalement aux organismes de crédit en permanence et s'étonner que les chefs d'Etat en moment de crise, soient dépourvus de moyens d'intervention. On reparle d'intervention publique. On reparle d'intervention de l'Etat après des années où on nous a expliqués, où on a justifié toute une séquence de privatisations dans le secteur financier entre autres, mais aussi dans les services publics. Et on se réinterroge sur la manière dont les responsables politiques vont pouvoir intervenir sur les structures économiques alors qu'ils se sont dessaisis des moyens qu'ils avaient à leur disposition en son temps.
C'est dans ce contexte, B. Thibault, que demain - vous avez juste fait une allusion tout à l'heure - aura lieu une journée d'action. Alors, elle s'inscrit dans une journée mondiale de mobilisation pour un travail décent. Plusieurs services publics risquent d'être touchés demain en France. Mais quand même globalement, vous ne redoutez pas un "flop" pour cette journée ? Avez-vous l'impression qu'on a la tête à ça ?
Il y a un enjeu dans la journée de demain. Alors c'est vrai que cette journée de mobilisation qui est une première, puisque les syndicats d'une centaine de pays dans le monde, sur différents continents, ont choisi ce 7 octobre pour se mobiliser de manière coordonnée pour défendre le travail décent. Qu'est-ce que ça veut dire le travail décent ? Ca veut dire un salaire permettant de vivre décemment, de couvrir des besoins essentiels : travailler et avoir un salaire permettant de couvrir les besoins essentiels. Ca veut dire une protection sociale de haut niveau, aussi bien s'agissant de la Sécurité sociale - faire face à la maladie - qu'en termes de retraite. Et en termes de retraite dans notre pays, ça se dégrade comme dans beaucoup de pays. Et certains n'ont même pas de garantie de retraites. Ca veut dire une liberté de parole et un droit syndical respecté à travers le monde. Il y a bien des endroits où ça n'est pas le cas et en France, un salarié sur deux a peur à l'idée de se syndiquer pour sa carrière professionnelle ou son emploi. Et ça veut dire le droit à la négociation collective. En France notamment, vous avez remarqué que récemment une loi portant sur le temps de travail a été prise unilatéralement malgré l'opposition de tous les syndicats.
C'est dur quand même d'imaginer que demain, il pourrait y avoir, je ne sais pas, soit des écoles qui n'accueillent pas les enfants, soit des trains qui ne démarrent pas ? Dans le contexte c'est difficile à imaginer, non ?
Ecoutez, nous verrons bien. Il y a 87 manifestations demain d'organisées dans le pays. Je pense que c'est la première riposte syndicale coordonnée à l'échelle mondiale, à cette crise financière internationale.
Même si la journée a été décidée avant !
Bien sûr, elle a été décidée avant mais elle tombe à propos. L'un des enjeux, c'est de savoir : est-ce qu'on sauve le système pour que tout reparte comme avant ; ou est-ce que justement cette crise permet de prendre acte qu'il faut attribuer au social une autre valeur que celle qui existe aujourd'hui dans le fonctionnement des entreprises. Le président de la République va à Sandouville aujourd'hui. Le secteur automobile fait partie des secteurs où on privilégie aujourd'hui la rentabilité financière.
C'est bien que le Président aille à Sandouville ?
Si c'est le résultat que nous avons pour Gandrange après sa visite, je serais un salarié de Renault, je m'inquièterais.
Ca sert à rien qu'il y aille, alors ?
Toute la question est de savoir qu'est-ce qu'il va annoncer ? Quelle va être sa posture ? Il y va avec le PDG de Renault...
Il n'est pas patron de Renault, N. Sarkozy ?
D'accord mais s'il y va, c'est qu'il a quelque chose à dire. Et moi j'aimerais bien qu'il annonce que l'on va construire des automobiles sur d'autres bases que la recherche d'une rentabilité financière importante. Il n'y a pas de distinguo comme cherche à le faire le Président entre un capitalisme financier et un capitalisme de producteurs. Aujourd'hui, le système économique est global. Et d'ailleurs, l'industrie et l'industrie française singulièrement souffrent d'une exigence de rentabilité sur les capitaux trop élevés.
On suivra la visite du Président. Le Medef proposera aujourd'hui une limitation des parachutes dorés. C'est bien venu, B. Thibault ?
Ce que j'ai entendu c'est que le Medef s'apprêtait à faire des recommandations. Nous autres, quand nous franchissons des radars avec excès de vitesse, nous avons des sanctions.
Parce qu'il y a une loi. Il n'y a pas de loi sur les parachutes dorés.
Oui, les patrons jusqu'à présent peuvent se permettre des rémunérations de 300, 400 fois celles de certains de leurs salariés. Ca fait des années que la CGT et que les représentants syndicaux dans les conseils d'administration, les conseils de surveillance clament l'indécence à ce propos.
Il n'y a pas de parachute doré à la CGT ?
Oh non !
B. Thibault, pas de parachute doré, était l'invité de RTL ce matin. Bonne journée
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 14 octobre 2008