Texte intégral
ENTRETIEN AVEC RTL :
Q - Ce matin, la presse française parle de ses inquiétudes et de ses interrogations sur la guerre en Europe, le mot vous paraît excessif ?
R - Le mot me paraît excessif parce que cest plutôt une action de coercition internationale qui est entreprise, étant donné que tous les efforts diplomatiques et politiques, pour apporter une solution, ont échoué. Je crois quil faut se rappeler les exigences extrêmement fortes du Conseil de sécurité dans ses résolutions 1199 et 1203 de septembre et octobre derniers. Et je crois quil faut se rappeler le travail inlassable et incessant des négociateurs, des médiateurs, du Groupe de contact, le soutien apporté à ce travail depuis des mois et des mois, et auquel malheureusement, les autorités de Belgrade et notamment le président yougoslave, ont constamment apporté un refus total, sans aucune perspective. Donc, aujourdhui, il faut penser à tout ce qui a été tenté avant, cest-à-dire tout ce qui était possible.
Q - Mais ces bombardements ont eu lieu sans quil y ait eu un nouveau débat au Conseil de sécurité de lONU. La Russie, comme la Chine dailleurs, et des députés français aussi, jugent que cette action est illégale au regard du droit international.
R - Je crois que le Secrétaire général des Nations unies la jugée légitime tout en souhaitant que le Conseil de sécurité soit plus associé et, naturellement, on ne peut que partager ce souhait. Mais je rappelle que la crise du Kosovo, cette tragédie, na pas commencé il y a quelques jours et que justement, à lautomne dernier, je le rappelais, quand nous étions à la veille là aussi dune immense catastrophe humanitaire, le Conseil de sécurité avait adopté des résolutions qui étaient très fermes, au titre de ce quon appelle le chapitre VII. Dans le cadre de la Charte des Nations unies, le Chapitre VII est celui qui régie le recours à la force. Les exigences - qui est un terme très fort dans le langage de lONU -, du Conseil de sécurité étaient extrêmement élevées à lépoque. Les demandes aussi, on ne va pas les reprendre point par point, mais aucune des exigences na été satisfaite. Donc, je ne crois pas quon puisse dire que ce soit sans base.
Je dirais dautre part quil y a une légitimité politique qui était extrêmement forte. Le Groupe de contact depuis un an, les Quinze de lEurope, à de très nombreuses reprises, tous les autres pays de lEurope en dehors des Quinze, lensemble des pays voisins, la Yougoslavie qui avait demandé une intervention depuis extrêmement longtemps, un très grand nombre de responsables politiques dans le monde sont arrivés à la conclusion, certainement à regret, la mort dans lâme même, quil ny avait pas dautre moyen pour conjurer des drames plus grands encore.
Q - Peut-on craindre une réaction violente de la Russie ?
R - Violente, je ne pense pas. Je pense que nous assistons à une protestation extrêmement vive de la Russie qui est placée dans une contradiction extrêmement pénible à vivre. Dun côté la Russie a participé pleinement aux efforts du Groupe de contact. Elle a appelé à plusieurs reprises le président Milosevic à accepter les accords de Rambouillet dans leur volet politique et dans leur volet militaire. Les Russes étaient même prêts à participer à une garantie militaire internationale au sol, dans des conditions à préciser. Ils ont été aussi loin quils le pouvaient compte tenu de leur histoire, de leur opinion publique, de leur parlement - la Douma -, compte tenu de leur lien historique avec les Serbes - la solidarité slave ou orthodoxe si lon veut. Ils ont été le plus loin possible.
Aujourdhui, devant le caractère inéluctable du passage à la force, il y a un sursaut, une protestation, une indignation quon peut comprendre de leur point de vue, avec leurs propres contraintes. Mais je ne crois pas que les dirigeants russes remettent en cause laxe fondamental de la politique russe depuis des années, qui est dinsérer la Russie dans le concert mondial et de développer des relations beaucoup plus étroites avec les pays occidentaux et les Européens. Par contre, cela donnera sans doute un coup darrêt pendant un certain temps aux relations entre lOtan et la Russie.
Q - Les opérations actuelles reposent ou font le pari que Milosevic va céder. Cest un pari osé, risqué ?
R - Ce nest pas véritablement un pari. Quelle serait la situation dans lautre cas ? Dans quelle situation nous trouverons nous si les pays européens, les Etats-Unis, enfin lensemble des Européens, étaient arrivés à la conclusion quils étaient impuissants devant ce qui se préparait au Kosovo après avoir employé tous les moyens politiques et diplomatiques ?
Il y avait un choix difficile. Dun côté, une intervention, cest toujours pénible davoir à recourir à la force à un moment donné, cest pour cela quon a tellement utilisé dautres pistes et dautres moyens. Mais de lautre, il y a quoi ? Labstention ? La passivité ? Voir se produire ou se reproduire les grands massacres ? Déjà, à lautomne, on avait réussi à conjurer la grande catastrophe humanitaire. Naturellement, il ny a pas de solution parfaite mais il fallait choisir, et la plupart des responsables européens et américains ont choisi cette option pour empêcher une tragédie plus grande et plus globale encore dans la région.
Q - Mais face à un tel homme qui peut sentêter, comment peut-on être sûr que jamais il ny aura nécessité denvoyer des soldats au sol en Serbie, des soldats de lOtan, des Français particulièrement ?
R - Lhypothèse denvoi de soldats au sol est à envisager dans le cadre dun accord. Ce qui se joue en ce moment, cest une sorte de démonstration, de détermination et de conviction de la communauté internationale pour que les autorités yougoslaves comprennent que, au bout du compte, cest absurde de sopposer totalement, comme ils lont fait depuis des semaines et des mois, à toute solution politique raisonnable au Kosovo. Lobjectif politique na pas changé. Nous sommes obligés demployer, dans cette phase actuelle, des moyens différents, des moyens de coercition. Mais lobjectif est toujours le même, il consiste à imposer, dune façon ou dune autre, une coexistence possible entre les Kosovars et les Serbes. Donc à un moment ou à un autre, il faudra en effet reprendre ce fil.
Q - Les Kosovars craignent, par exemple, quen représailles, les Serbes se lancent à une gigantesque opération dépuration ethnique au Kosovo et là, que ferions-nous ?
R - Ce qui a déjà commencé dêtre fait, cest-à-dire que laction menée vise à casser la capacité de répression à grande échelle de larmée yougoslave. Une armée a besoin pour fonctionner de centres de commandements, de télécommunications, de dépôts de munitions, de moyens de transport, etc. Laction qui est menée a une logique militaire technique qui consiste à réduire, et si possible, comme je le disais, à casser la capacité de répression à grande échelle quon a vu fonctionner, malheureusement, il y à quelques années, à dautres moments des guerres issues de la désintégration de lex-Yougoslavie. Il faut comparer cette action à léventuelle inaction.
Q - Après ces premières frappes, y aura-t-il une pause pour tenter de reprendre le fil des discussions avec les Serbes ?
R - Comme la dit le président Clinton, ainsi que le président Chirac et les autres responsables, le président Milosevic peut à tout moment, à tout moment, encore maintenant envoyer un signe. Il peut, par une déclaration, montrer que son pays est prêt à reprendre la discussion sur la base des accords qui ont été présentés, dont je rappelle quils sont équitables, puisquils combinent le maintien de la souveraineté de la Yougoslavie et, dautre part, la demande des Kosovars à avoir la sécurité et une autonomie importante. Il peut intervenir nimporte quand.
Q - Il ny aura pas de pause, tant quil naura pas donné ce signal ?
R - La pause serait déclenchée instantanément par ce signal de Belgrade.
Q - Mais sans signal, il ny a pas de pause ?
R - Il y a forcément une pause à un moment donné. Simplement, vous me permettrez de ne pas rentrer dans ces détails.
ENTRETIEN AVEC FRANCE 2 :
Q - En direct de Berlin, M. Hubert Védrine, ministre des Affaires étrangères. Monsieur Védrine, bonsoir. Sommes-nous dans une guerre, une logique de guerre ? Peut-on utiliser ces termes ?
R - Il y avait déjà au Kosovo une sorte de guerre et lintervention qui a été finalement décidée après quon ait épuisé tous les moyens politiques et diplomatiques pour contenir une tragédie encore plus grande, est une action qui vise à prévenir cette aggravation. On ne peut donc pas dire que la guerre ait commencé avec ces actions. Il sagit de donner un coup darrêt à une tragédie encore plus grande et de réduire au maximum et si possible de casser la capacité de répression de larmée yougoslave que lon ne connaît que trop.
Mais cela dit, au-delà de cette phase, où malheureusement cest toujours regrettable, nous avons dû employer des moyens de contrainte, lobjectif na pas changé : on veut toujours imposer, trouver un mode de coexistence entre les Kosovars et les Serbes. Il a fallu en passer par là parce que tout ce qui a été tenté depuis très longtemps - je vous rappelle que ce drame du Kosovo couve depuis dix ans et quil a explosé il y a un an -, tout ce qui a été tenté a échoué.
Q - Alors justement, en préparant ce journal, nous avons vu quil y a une chronologie diplomatique depuis 97 et puis on arrive à une épreuve de force. Ce soir, on vient de lapprendre, les Serbes rompent leurs relations diplomatiques avec quatre pays dont la France. Est-ce que quand même on nest pas dans une logique daffrontements de plus en plus violents ?
R - Cest forcément un affrontement à partir du moment où les exigences du Conseil de sécurité, exprimées à lautomne dernier, dans lequel celui-ci exigeait que la répression sarrête, que les forces soient retirées, exigeait que les négociations politiques soient menées avec la volonté daboutir. Etant donné que tout cela na pas abouti malgré tous les efforts, les médiateurs, les visites à Belgrade et à Pristina, malgré la conférence de Rambouillet, malgré tout cela, à un moment donné, nous avons dû nous résoudre encore une fois à employer des moyens de contrainte. On passe évidemment par un affrontement mais il sagit de comparer laffrontement par lequel nous passons avec la situation dans laquelle nous serions si nous avions démissionné de nos responsabilités et accepté dassister passivement à ce qui se serait produit sans cela. Cest à cela quil faut penser aujourdhui.
Q - Cest une action qui est menée en Europe par les Européens mais avec quand même le sentiment que nous faisons avec lOTAN le jeu des Américains.
R - Non, cest une action combinée. De toute façon lOTAN nest pas un pays extérieur ou un organe indépendant. Dans lOTAN, ce sont des pays membres qui prennent des décisions dagir ou de ne pas agir. Donc si lOTAN aujourdhui, - le Secrétaire général au niveau politique et le général qui commande lOTAN au niveau militaire - ont agi, cest parce que les pays membres dont les Etats-Unis, dont des pays européens, ont donné instruction dagir. Ce nest pas un organe militaire qui sest mis en mouvement tout seul. Tout cela a été précédé des efforts politiques et diplomatiques dont je vous parle et notamment depuis un an de réunions très nombreuses du Groupe de contact qui a toujours donné la ligne politique à la recherche dune solution - que nous avons appelé lautonomie substantielle -, qui reste dailleurs lobjectif même si nous passons aujourdhui par une phase de contrainte. Malheureusement, à aucun moment, depuis des mois - pour ne pas dire des années -, les dirigeants de Belgrade nont su saisir les possibilités qui leur étaient offertes dune solution équitable. Maintenant, il y a un affrontement. Il faut penser à ce vers quoi il nous permettra de déboucher après. Mais nous avons pris nos responsabilités.
Q - Monsieur Védrine, que fait-on si M. Milosevic persiste dans son attitude ? Jusquà quel point, jusquà quel nombre de morts, de victimes y compris civiles allons-nous continuer à bombarder ? Quelle est la durée envisageable ?
R - Je crois que cest à lui quil faut poser la question en premier lieu. Il peut à tout moment, en exprimant une ouverture par rapport aux accords qui étaient proposés à Rambouillet, interrompre ce processus, revenir sur le terrain politique qui naturellement a toujours été notre préférence et qui demeure notre objectif. Ce que nous demandons na rien dexcessif, na rien dextraordinaire. Nous demandons quil accepte une autonomie substantielle pour le Kosovo avec une garantie internationale militaire pour que la sécurité des Kosovars soit enfin garantie, sécurité quil a non seulement été incapable de garantir mais à laquelle il a constamment porté atteinte.
Est-ce une demande extravagante dans le monde actuel ? Il y a tellement de pays qui vivent avec des autonomies substantielles qui sont tout à fait admises. Voilà lexigence. Voilà par rapport à quoi le pouvoir de Belgrade sest braqué, on se demande vraiment pourquoi et on voit aujourdhui les conséquences regrettables, absurdes de cette obstination. Les pays membres de lOTAN, les pays membres du Groupe de contact mis à part les Russes qui ne veulent pas participer aux frappes et qui condamnent les frappes mais qui ont complètement accepté le volet politique, lensemble des pays de lUnion européenne, tous les pays voisins de la Yougoslavie ont tous accepté cette idée. Une fois quon a épuisé tous les moyens de convaincre sur le plan politique, comme on ne peut pas passivement laisser se poursuivre cet engrenage et laisser saggraver les tensions et les massacres, il faut, à un moment donné, prendre ses responsabilités et casser cette machine de répression. Mais cest pour revenir sur le terrain politique dès que ce sera possible. Le président Milosevic peut hâter ce moment sil le veut.
(Source http ://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 mars 1999)
Q - Ce matin, la presse française parle de ses inquiétudes et de ses interrogations sur la guerre en Europe, le mot vous paraît excessif ?
R - Le mot me paraît excessif parce que cest plutôt une action de coercition internationale qui est entreprise, étant donné que tous les efforts diplomatiques et politiques, pour apporter une solution, ont échoué. Je crois quil faut se rappeler les exigences extrêmement fortes du Conseil de sécurité dans ses résolutions 1199 et 1203 de septembre et octobre derniers. Et je crois quil faut se rappeler le travail inlassable et incessant des négociateurs, des médiateurs, du Groupe de contact, le soutien apporté à ce travail depuis des mois et des mois, et auquel malheureusement, les autorités de Belgrade et notamment le président yougoslave, ont constamment apporté un refus total, sans aucune perspective. Donc, aujourdhui, il faut penser à tout ce qui a été tenté avant, cest-à-dire tout ce qui était possible.
Q - Mais ces bombardements ont eu lieu sans quil y ait eu un nouveau débat au Conseil de sécurité de lONU. La Russie, comme la Chine dailleurs, et des députés français aussi, jugent que cette action est illégale au regard du droit international.
R - Je crois que le Secrétaire général des Nations unies la jugée légitime tout en souhaitant que le Conseil de sécurité soit plus associé et, naturellement, on ne peut que partager ce souhait. Mais je rappelle que la crise du Kosovo, cette tragédie, na pas commencé il y a quelques jours et que justement, à lautomne dernier, je le rappelais, quand nous étions à la veille là aussi dune immense catastrophe humanitaire, le Conseil de sécurité avait adopté des résolutions qui étaient très fermes, au titre de ce quon appelle le chapitre VII. Dans le cadre de la Charte des Nations unies, le Chapitre VII est celui qui régie le recours à la force. Les exigences - qui est un terme très fort dans le langage de lONU -, du Conseil de sécurité étaient extrêmement élevées à lépoque. Les demandes aussi, on ne va pas les reprendre point par point, mais aucune des exigences na été satisfaite. Donc, je ne crois pas quon puisse dire que ce soit sans base.
Je dirais dautre part quil y a une légitimité politique qui était extrêmement forte. Le Groupe de contact depuis un an, les Quinze de lEurope, à de très nombreuses reprises, tous les autres pays de lEurope en dehors des Quinze, lensemble des pays voisins, la Yougoslavie qui avait demandé une intervention depuis extrêmement longtemps, un très grand nombre de responsables politiques dans le monde sont arrivés à la conclusion, certainement à regret, la mort dans lâme même, quil ny avait pas dautre moyen pour conjurer des drames plus grands encore.
Q - Peut-on craindre une réaction violente de la Russie ?
R - Violente, je ne pense pas. Je pense que nous assistons à une protestation extrêmement vive de la Russie qui est placée dans une contradiction extrêmement pénible à vivre. Dun côté la Russie a participé pleinement aux efforts du Groupe de contact. Elle a appelé à plusieurs reprises le président Milosevic à accepter les accords de Rambouillet dans leur volet politique et dans leur volet militaire. Les Russes étaient même prêts à participer à une garantie militaire internationale au sol, dans des conditions à préciser. Ils ont été aussi loin quils le pouvaient compte tenu de leur histoire, de leur opinion publique, de leur parlement - la Douma -, compte tenu de leur lien historique avec les Serbes - la solidarité slave ou orthodoxe si lon veut. Ils ont été le plus loin possible.
Aujourdhui, devant le caractère inéluctable du passage à la force, il y a un sursaut, une protestation, une indignation quon peut comprendre de leur point de vue, avec leurs propres contraintes. Mais je ne crois pas que les dirigeants russes remettent en cause laxe fondamental de la politique russe depuis des années, qui est dinsérer la Russie dans le concert mondial et de développer des relations beaucoup plus étroites avec les pays occidentaux et les Européens. Par contre, cela donnera sans doute un coup darrêt pendant un certain temps aux relations entre lOtan et la Russie.
Q - Les opérations actuelles reposent ou font le pari que Milosevic va céder. Cest un pari osé, risqué ?
R - Ce nest pas véritablement un pari. Quelle serait la situation dans lautre cas ? Dans quelle situation nous trouverons nous si les pays européens, les Etats-Unis, enfin lensemble des Européens, étaient arrivés à la conclusion quils étaient impuissants devant ce qui se préparait au Kosovo après avoir employé tous les moyens politiques et diplomatiques ?
Il y avait un choix difficile. Dun côté, une intervention, cest toujours pénible davoir à recourir à la force à un moment donné, cest pour cela quon a tellement utilisé dautres pistes et dautres moyens. Mais de lautre, il y a quoi ? Labstention ? La passivité ? Voir se produire ou se reproduire les grands massacres ? Déjà, à lautomne, on avait réussi à conjurer la grande catastrophe humanitaire. Naturellement, il ny a pas de solution parfaite mais il fallait choisir, et la plupart des responsables européens et américains ont choisi cette option pour empêcher une tragédie plus grande et plus globale encore dans la région.
Q - Mais face à un tel homme qui peut sentêter, comment peut-on être sûr que jamais il ny aura nécessité denvoyer des soldats au sol en Serbie, des soldats de lOtan, des Français particulièrement ?
R - Lhypothèse denvoi de soldats au sol est à envisager dans le cadre dun accord. Ce qui se joue en ce moment, cest une sorte de démonstration, de détermination et de conviction de la communauté internationale pour que les autorités yougoslaves comprennent que, au bout du compte, cest absurde de sopposer totalement, comme ils lont fait depuis des semaines et des mois, à toute solution politique raisonnable au Kosovo. Lobjectif politique na pas changé. Nous sommes obligés demployer, dans cette phase actuelle, des moyens différents, des moyens de coercition. Mais lobjectif est toujours le même, il consiste à imposer, dune façon ou dune autre, une coexistence possible entre les Kosovars et les Serbes. Donc à un moment ou à un autre, il faudra en effet reprendre ce fil.
Q - Les Kosovars craignent, par exemple, quen représailles, les Serbes se lancent à une gigantesque opération dépuration ethnique au Kosovo et là, que ferions-nous ?
R - Ce qui a déjà commencé dêtre fait, cest-à-dire que laction menée vise à casser la capacité de répression à grande échelle de larmée yougoslave. Une armée a besoin pour fonctionner de centres de commandements, de télécommunications, de dépôts de munitions, de moyens de transport, etc. Laction qui est menée a une logique militaire technique qui consiste à réduire, et si possible, comme je le disais, à casser la capacité de répression à grande échelle quon a vu fonctionner, malheureusement, il y à quelques années, à dautres moments des guerres issues de la désintégration de lex-Yougoslavie. Il faut comparer cette action à léventuelle inaction.
Q - Après ces premières frappes, y aura-t-il une pause pour tenter de reprendre le fil des discussions avec les Serbes ?
R - Comme la dit le président Clinton, ainsi que le président Chirac et les autres responsables, le président Milosevic peut à tout moment, à tout moment, encore maintenant envoyer un signe. Il peut, par une déclaration, montrer que son pays est prêt à reprendre la discussion sur la base des accords qui ont été présentés, dont je rappelle quils sont équitables, puisquils combinent le maintien de la souveraineté de la Yougoslavie et, dautre part, la demande des Kosovars à avoir la sécurité et une autonomie importante. Il peut intervenir nimporte quand.
Q - Il ny aura pas de pause, tant quil naura pas donné ce signal ?
R - La pause serait déclenchée instantanément par ce signal de Belgrade.
Q - Mais sans signal, il ny a pas de pause ?
R - Il y a forcément une pause à un moment donné. Simplement, vous me permettrez de ne pas rentrer dans ces détails.
ENTRETIEN AVEC FRANCE 2 :
Q - En direct de Berlin, M. Hubert Védrine, ministre des Affaires étrangères. Monsieur Védrine, bonsoir. Sommes-nous dans une guerre, une logique de guerre ? Peut-on utiliser ces termes ?
R - Il y avait déjà au Kosovo une sorte de guerre et lintervention qui a été finalement décidée après quon ait épuisé tous les moyens politiques et diplomatiques pour contenir une tragédie encore plus grande, est une action qui vise à prévenir cette aggravation. On ne peut donc pas dire que la guerre ait commencé avec ces actions. Il sagit de donner un coup darrêt à une tragédie encore plus grande et de réduire au maximum et si possible de casser la capacité de répression de larmée yougoslave que lon ne connaît que trop.
Mais cela dit, au-delà de cette phase, où malheureusement cest toujours regrettable, nous avons dû employer des moyens de contrainte, lobjectif na pas changé : on veut toujours imposer, trouver un mode de coexistence entre les Kosovars et les Serbes. Il a fallu en passer par là parce que tout ce qui a été tenté depuis très longtemps - je vous rappelle que ce drame du Kosovo couve depuis dix ans et quil a explosé il y a un an -, tout ce qui a été tenté a échoué.
Q - Alors justement, en préparant ce journal, nous avons vu quil y a une chronologie diplomatique depuis 97 et puis on arrive à une épreuve de force. Ce soir, on vient de lapprendre, les Serbes rompent leurs relations diplomatiques avec quatre pays dont la France. Est-ce que quand même on nest pas dans une logique daffrontements de plus en plus violents ?
R - Cest forcément un affrontement à partir du moment où les exigences du Conseil de sécurité, exprimées à lautomne dernier, dans lequel celui-ci exigeait que la répression sarrête, que les forces soient retirées, exigeait que les négociations politiques soient menées avec la volonté daboutir. Etant donné que tout cela na pas abouti malgré tous les efforts, les médiateurs, les visites à Belgrade et à Pristina, malgré la conférence de Rambouillet, malgré tout cela, à un moment donné, nous avons dû nous résoudre encore une fois à employer des moyens de contrainte. On passe évidemment par un affrontement mais il sagit de comparer laffrontement par lequel nous passons avec la situation dans laquelle nous serions si nous avions démissionné de nos responsabilités et accepté dassister passivement à ce qui se serait produit sans cela. Cest à cela quil faut penser aujourdhui.
Q - Cest une action qui est menée en Europe par les Européens mais avec quand même le sentiment que nous faisons avec lOTAN le jeu des Américains.
R - Non, cest une action combinée. De toute façon lOTAN nest pas un pays extérieur ou un organe indépendant. Dans lOTAN, ce sont des pays membres qui prennent des décisions dagir ou de ne pas agir. Donc si lOTAN aujourdhui, - le Secrétaire général au niveau politique et le général qui commande lOTAN au niveau militaire - ont agi, cest parce que les pays membres dont les Etats-Unis, dont des pays européens, ont donné instruction dagir. Ce nest pas un organe militaire qui sest mis en mouvement tout seul. Tout cela a été précédé des efforts politiques et diplomatiques dont je vous parle et notamment depuis un an de réunions très nombreuses du Groupe de contact qui a toujours donné la ligne politique à la recherche dune solution - que nous avons appelé lautonomie substantielle -, qui reste dailleurs lobjectif même si nous passons aujourdhui par une phase de contrainte. Malheureusement, à aucun moment, depuis des mois - pour ne pas dire des années -, les dirigeants de Belgrade nont su saisir les possibilités qui leur étaient offertes dune solution équitable. Maintenant, il y a un affrontement. Il faut penser à ce vers quoi il nous permettra de déboucher après. Mais nous avons pris nos responsabilités.
Q - Monsieur Védrine, que fait-on si M. Milosevic persiste dans son attitude ? Jusquà quel point, jusquà quel nombre de morts, de victimes y compris civiles allons-nous continuer à bombarder ? Quelle est la durée envisageable ?
R - Je crois que cest à lui quil faut poser la question en premier lieu. Il peut à tout moment, en exprimant une ouverture par rapport aux accords qui étaient proposés à Rambouillet, interrompre ce processus, revenir sur le terrain politique qui naturellement a toujours été notre préférence et qui demeure notre objectif. Ce que nous demandons na rien dexcessif, na rien dextraordinaire. Nous demandons quil accepte une autonomie substantielle pour le Kosovo avec une garantie internationale militaire pour que la sécurité des Kosovars soit enfin garantie, sécurité quil a non seulement été incapable de garantir mais à laquelle il a constamment porté atteinte.
Est-ce une demande extravagante dans le monde actuel ? Il y a tellement de pays qui vivent avec des autonomies substantielles qui sont tout à fait admises. Voilà lexigence. Voilà par rapport à quoi le pouvoir de Belgrade sest braqué, on se demande vraiment pourquoi et on voit aujourdhui les conséquences regrettables, absurdes de cette obstination. Les pays membres de lOTAN, les pays membres du Groupe de contact mis à part les Russes qui ne veulent pas participer aux frappes et qui condamnent les frappes mais qui ont complètement accepté le volet politique, lensemble des pays de lUnion européenne, tous les pays voisins de la Yougoslavie ont tous accepté cette idée. Une fois quon a épuisé tous les moyens de convaincre sur le plan politique, comme on ne peut pas passivement laisser se poursuivre cet engrenage et laisser saggraver les tensions et les massacres, il faut, à un moment donné, prendre ses responsabilités et casser cette machine de répression. Mais cest pour revenir sur le terrain politique dès que ce sera possible. Le président Milosevic peut hâter ce moment sil le veut.
(Source http ://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 mars 1999)