Interview de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, à "Europe 1" le 20 octobre 2008, sur les réponses française, européenne et internationale à la crise financière, les prévisions budgétaires pour 2009, ainsi que sur les sanctions à l'encontre des dirigeants de la Caisse d'épargne.

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Circonstance : Après 600 millions d'euros perdus sur les marchés par la Caisse d'Epargne, démision du président Charles Milhaud, du directeur général Nicolas Mérindol et de Julien Carmona, en charge des finances et des risques.

Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach Merci d'être là, quand on pense au nombre de voyages que vous faites, et en si peu de temps ! Vous étiez, en effet, à Camp David ; le principe d'un sommet a été retenu, un sommet ou un cycle de sommets ?

Un premier grand sommet suivi certainement d'autres réunions importantes, puisque la matière est immense, et qu'il s'agit de réguler, réorganiser le financement du capitalisme.

Alors, c'est fin novembre pour le premier ; New York, Washington ?

Ce qui a été convenu c'est après les élections américaines, c'est-à-dire, après le 4 novembre, et avant la fin du mois. Donc, c'est quelque part entre le 4 et le 30.

Et participeront sans doute à ce sommet des collaborateurs du nouveau Président des Etats-Unis, soit McCain soit Obama. Et quels sont les missions, les objectifs pour ce sommet ?

Les objectifs sont à la fois simples et extraordinairement ambitieux, ils ont été expliqués par le président de la République, N. Sarkozy, à G. Bush. Il s'agit de refonder..."le capitalisme", c'est un grand mot, mais en tout cas, de poser les principes du financement du capitalisme pour, tout simplement, que des excès, tels que ceux que nous avons vécus au cours des dernières semaines ne se reproduisent plus.

Et il y a accord entre les Français et les Américains là-dessus ?

Le président de la République a été extraordinairement convaincant. Il faut savoir que les Etats-Unis n'étaient pas vraiment...ne souhaitaient pas véritablement ce type de réunion il y a seulement un mois, et qu'évidemment, les évènements et l'insistance des Européens, à l'initiative du président de la République, les ont amenés à devoir admettre, un, qu'il fallait revoir ; deux, qu'il fallait le faire vite, avant l'élection du nouveau Président des Etats-Unis ; et trois, que ce devait être un sujet large avec des travaux de fond, sur la régulation, la gouvernance, l'organisation des marchés, la supervision.

Vous étiez là quand ils se parlaient, tout le temps ?

Oui, bien sûr.

Alors, est-ce que les deux Présidents, Bush et Sarkozy, ont parlé de D. Strauss-Kahn ?

Pas le moins du monde.

Et aujourd'hui, ce matin, est-ce que les autorités françaises soutiennent le directeur actuel du Fonds monétaire international, D. Strauss-Kahn ?

Il est à la tête d'une organisation internationale, par essence, il est basé à Washington. Je considère que la vie privée on en prive les autres, et ce que j'espère c'est que dans cette affaire, il conservera tout son talent, toute son aura, toute sa réputation, parce qu'il est tout simplement indispensable qu'à la tête du FMI, on ait quelqu'un de fort et de solide, et de reconnu comme il l'est.

Donc Bercy le soutient ou la France le soutient, à travers ce que vous dites ?

Ce n'est pas une question de soutenir ou pas soutenir, c'est je vous le redis, la vie privée on en prive les autres, de mon point de vue, chacun son affaire. Et pour le reste, on a besoin d'un FMI solide, et on a besoin de quelqu'un de fort à sa tête.

Les Caisses d'épargne : on avait entendu la colère du président de la République, la vôtre, avant justement d'aller à Camp David. Trois têtes tombent, dont celle de C. Milhaud, qui avait réussi la mutation des Caisses d'épargne. C'est une banque mutualiste particulière, l'Etat peut réclamer les têtes des responsables, il les obtient. Qu'est-ce que ça apporte, qu'est-ce que ça règle de couper des têtes ?

D'abord, j'espère que ça permet à la Caisse d'épargne, qui est une belle et grande maison mutualiste de surcroît, qui garde l'épargne des Français, il y a 27 millions de Français qui ont un Livret A, ça va lui permettre de repartir sur de nouvelles bases en tournant une page, et que ça rassurera l'ensemble, les 50.000 salariés des Caisses d'épargne, point numéro un. Point numéro deux : je constate que les dirigeants ont pris leurs responsabilités, c'est une bonne chose, c'est ce qu'on attendait d'eux, et je crois que ça sanctuarise le principe de la responsabilité jusqu'au plus haut niveau. C'est-à-dire qu'on entre maintenant dans un monde, en particulier dans la finance, où, un, on n'a pas le droit à l'erreur, et deux, la discipline doit être la rigueur absolue, le contrôle systématique, la supervision toujours, et que chaque fois qu'il y a mou, du laxisme, de la flexibilité, ça coûte, et ça coûte jusqu'au sommet de l'organisation.

Quelle garantie vous donnez ce matin aux épargnants ?

Les épargnants n'ont pas l'ombre de la moitié d'un risque ; les Livrets A sont totalement protégés, ils sont soumis à la garde de la Caisse des Dépôts et Consignation. Vous savez que quand on va déposer son épargne sur un Livret A, l'épargne des Livrets A remonte à la Caisse des Dépôts et Consignation, qui est le bras financier armé de l'Etat sous le contrôle du Parlement. Donc il n'y a pas l'ombre d'une inquiétude sur les Livrets A.

Et ce matin, est-ce que vous encouragez le projet avancé de fusion Caisses d'épargne-Banque populaire ?

Oui, tout à fait. D'abord parce que je crois que ce phénomène de consolidation est une bonne chose, et que c'est un projet qui est bon pour la finance. Et j'espère que ce qui vient de se passer au cours des trois derniers jours ne remettra pas en cause, ni le projet ni son calendrier que j'espère rapide.

On entend dans les manifestations : "l'Etat vient au secours des banquiers", l'Etat, c'est-à-dire le contribuable. Quel est l'intérêt du citoyen contribuable ? Ne prend-il pas, ou ne lui faites-vous pas prendre des risques ?

L'Etat ne vient pas au secours des banquiers. Les banquiers savent très bien s'occuper de leurs affaires, je constate qu'ils prennent maintenant leurs responsabilités, ce qui est bien. L'Etat vient au secours du financement de l'économie. Ce qui se passe aujourd'hui - ça commence à s'améliorer -, ce qui se passe aujourd'hui, c'est que l'économie est bloquée parce que l'argent ne circule plus ; les banques ne se font pas confiance, ne se prêtent pas entre elles. Du coup, les banques ne prêtent pas aux entreprises, ne prêtent pas aux ménages, ne prêtent pas aux collectivités locales. Et il faut absolument que ce système soit débloqué pour que l'économie fonctionne, pour que les entreprises investissent, pour que les ménages achètent de l'immobilier, du prêt à la consommation, et que les collectivités locales puissent réaliser leurs projets.

Mais l'Etat aide les banques, mais il n'agit pas gratuitement, ou il agit gratuitement ?

Alors, l'Etat répare le financement interbancaire. On n'aide pas les banques, parce que les banques vont payer, il ne s'agira pas d'aider gratuitement. Le service de l'Etat n'est pas gratuit, ce n'est pas un cadeau, on va le facturer, puisque c'est la garantie de l'Etat, elle vaut, elle coûte, mais nous allons facturer ce service, et les banques devront le payer.

C'est aujourd'hui que s'installent les deux outils que l'Etat a créés pour sauver les banques : la société de refinancement présidée par M. Camdessus, et le deuxième outil, la société qui prend à hauteur de 40 milliards d'euros des participations dans le capital des banques fragiles...

La SPPE.

Voilà, autant le dire. Les Américains et les Anglais ont vu leurs banques nationalisées et sécurisées par les Etats. Pour éviter en France une concurrence déloyale et des préjudices, est-ce que l'Etat ne sera pas finalement obligé de faire comme eux et, lui aussi, d'entrer dans le capital et le conseil d'administration des banques ?

C'est possible qu'on entre au capital, et probablement à un degré légèrement inférieur. Mais j'observe que si les Etats-Unis et si la Grande-Bretagne ont dû nationaliser des banques, c'est probablement qu'elles allaient mal, c'est certainement parce qu'elles allaient mal, et elles allaient plus mal que les établissements bancaires français. Donc si on doit participer au capital, ce sera pour remettre un peu d'équilibre par rapport à leurs concurrentes, ce n'est pas parce qu'elles vont mal.

Dès aujourd'hui, vous présentez le budget 2009. Je suppose que c'est un casse-tête... Les prévisions sont passées en quelques mois de + 1,5 % à 1%, et maintenant autour de 0. Quand le budget sera-t-il révisé ?

Il n'y a pas que cette prévision-là, vous savez. Je regardais nos paramètres hier, on a tablé notre budget sur un baril de pétrole à 100 dollars ; aujourd'hui, il est à 70. On vit dans une période de grande volatilité.

Mais à la pompe, on ne sent pas la différence.

Ah si, si, si !

Pas encore !

Si, si, si, si !

Est-ce que vous allez demander qu'on la sente ?

Si, si ! Vous savez, je regarde les compteurs tous les vendredis, et il y a véritablement une corrélation entre baisse du baril et baisse à la pompe. Alors, ce n'est pas exactement au même moment, parce que vous avez forcément, un, les coûts de transport ; deux, la baisse de l'euro aussi, qui vient diminuer l'impact de la baisse du pétrole. Mais je reviens au budget : beaucoup de paramètres bougent pratiquement à la semaine. Donc les prévisions que nous avons faites il y a maintenant deux mois, très clairement, elles sont fragilisées par la crise financière qui est venue heurter le système. Donc, je présenterai cet après-midi des prévisions de croissance qui feront état d'un 1 %, puisque c'est comme ça que le budget a été bâti, en indiquant que, très probablement, le 15 novembre, lorsque nous aurons le chiffre du T3, c'est-à-dire troisième trimestre 2008, eh bien là nous réexaminerons et éventuellement, nous procéderons à une révision à la baisse.

Donc le vrai budget 2009 est pour fin novembre-décembre ?

Non, le vrai budget 2009, on le discute cet après-midi, parce qu'il y a deux principes intangibles : c'est, un, on n'augmentera pas les impôts, et deux, on tiendra la dépense. Donc, ça veut dire que s'il y a un écart, il se retrouvera dans le déficit.

Mais il faudra changer un certain nombre de choses. De la crise financière à la crise économique, est-ce que vous allez soutenir des industries ou des secteurs qui sont déjà touchés ou menacés, pour les réactiver en quelque sorte ? Je ne vous parle pas de relance, mais pour les réanimer ?

Il y a une première chose que l'on fait très lourdement, c'est le financement des PME. On a mis sur le marché, 22 milliards d'euros pour que les PME soient financées parce que ce sont elles qui vont pousser l'économie, ce sont elles qui sont source d'emploi, on le sait.

Donc, un, les PME. Deux, le secteur de l'automobile, par exemple ?

Non, deux, le secteur du logement : vous savez que l'Etat va racheter 30.000 logements. Et puis, nous allons examiner, filière par filière, quelles sont les difficultés, et si en matière, notamment de formation professionnelle, de soutien particulier, notamment dans la transition de l'emploi, on doit faire des efforts supplémentaires.

Donc, il y aura plus d'emplois aidés, sans doute ?

Ça, c'est probable, mais ce n'est pas que ça. C'est aussi la transition professionnelle, c'est la formation professionnelle qui est le grand chantier de la réforme pour ce qui me concerne, avec L. Wauquiez, en 2009.

Et chaque pays le fait comme il peut ou il y a une action européenne concertée ?

Il y a une énorme concertation européenne, à l'initiative du président de la République comme Président de l'Union européenne, qui a su rallier autour de lui tous les pays de l'Union européenne, avant d'aller convaincre les Etats-Unis.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 20 octobre 2008