Interview de M. Eric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, à "Radio Classique" le 20 octobre 2008, sur le limogeage de directeurs à la Caisse d'Epargne, l'intervention de l'Etat pour le sauvetage des banques, et les prévisions budgétaires dans un cadre maintenu de réforme de l'Etat.

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Circonstance : Après 600 millions d'euros perdus sur les marchés par la Caisse d'Epargne, démision du président Charles Milhaud, du directeur général Nicolas Mérindol et de Julien Carmona, en charge des finances et des risques.

Média : Radio Classique

Texte intégral

J.-L. Hees.- E. Woerth, bonjour et merci d'avoir trouvé le temps de nous rendre visite à Radio classique.

Bonjour.

J'imagine que l'emploi du temps d'un ministre du Budget ces temps-ci est plutôt serré. Je voudrais d'abord avoir votre commentaire sur ce qui s'est passé donc à la Caisse d'Épargne ; trois dirigeants s'en vont. Il fallait envoyer un signal fort ?

Ecoutez, la Caisse d'Épargne a tiré les conséquences de ce qui s'était passé, c'est-à-dire de traders visiblement qui ont perdu beaucoup d'argent sur le compte de la société et qui n'ont pas respecté les consignes internes de leur banque, si j'en crois ce qui est dit. Donc, les dirigeants, compte tenu de l'ampleur de la perte, tirent toutes les conséquences et s'en vont. Donc, c'est une bonne chose.

Ça veut dire que c'est fin de partie, dans les banques maintenant on ne spécule pas comme on a pu le faire au cours des années précédentes ?

C'est-à-dire qu'à partir du moment où notamment les pouvoirs publics viennent en soutien des banques, offrent leurs garanties, où les banques centrales réinjectent des liquidités, enfin où la puissance publique monte au créneau pour que le système bancaire ne s'effondre pas, et que donc la liquidité, comme on dit, c'est-à-dire l'argent et les crédits continuent à circuler, évidemment les erreurs majeures de gestion ne peuvent être que sanctionnées et les responsables, par principe, en tirent les conséquences. C'est-à-dire qu'à partir du moment où souvent les responsables ont été largement intéressés à la réussite de leur banque, ils sont aussi intéressés, entre guillemets, aux échecs de leur banque. C'est ce que souhaitait le président de la République, et puis plus globalement, je crois aussi c'est ce que souhaitent les Français, les actionnaires, c'est normal.

Ca semble assez logique ! Alors, j'en profite pour que vous nous aidiez à comprendre un petit peu la quadrature du cercle, parce que je crois que beaucoup de gens n'ont toujours pas compris comment l'Etat pouvait trouver un gros, gros, gros paquet de milliards d'euros alors que le déficit nous guette.

C'est vrai que c'est difficile à comprendre, et pourtant il faut le ré-expliquer sans cesse. C'est que d'un côté, vous avez les affaires budgétaires, c'est-à-dire l'argent qui est... les dépenses qui sont financées par de l'impôt ou par du déficit public, qu'on combat avec beaucoup de persévérance ; et puis, deuxième point, vous avez l'ensemble de ce plan de sauvetage du secteur financier qui est financé, lui, non pas par de l'argent budgétaire, non pas par les impôts, mais strictement par de l'emprunt, avec deux modalités : d'un côté on met de l'argent dans le capital des banques, lorsqu'elles le souhaitent ou lorsque c'est nécessaire. A ce moment-là, en face de cet argent, il y a des titres, des participations, une valeur, et cette valeur elle est appelée, je l'espère en tout cas à prospérer, le tissu bancaire français et un bon tissu bancaire, donc à terme ça peut être des plus-values pour le contribuable. Donc, en face d'une dépense, il y a une recette, il y a un patrimoine. Donc, ce n'est pas de la dépense publique. Et puis, deuxième point, il y a des garanties qui sont données sur les 320 milliards d'euros. Donc c'est une enveloppe, c'est un plafond, c'est pas une dépense immédiate, c'est une enveloppe, un plafond qui est fait pour être utilisé si nécessaire, qui peut aussi ne pas utilisé si jamais le système bancaire considère que ce 'est pas nécessaire. Et s'il est utilisé, ce sera utilisé uniquement dans le cadre de crédits à moyen terme, pour faciliter le crédit aux ménages ou pour faciliter le crédit aux entreprises. Et ça, c'est emprunté, c'est emprunté par une société que l'Etat crée, en liaison avec le monde bancaire, donc il y a une participation au capital à la fois des banques et à a la fois un contrôle de l'Etat, c'est emprunté. Et en face de cet emprunt, il y a des garanties, et des garanties qui sont payantes, évidemment payantes, donc les banques paient. Alors, ce qui peut coûter, parce qu'il y a toujours, évidemment, un risque, mais la crise est un risque, il y a toujours un risque, c'est éventuellement que la garantie soit appelée, c'est-à-dire qu'un prêt ne soit pas remboursé. Alors, évidemment, il faut que ceux qui les délivreront le fassent avec beaucoup de prudence, et en même temps osent le faire, parce que c'est fait pour faire circuler de l'argent. Et puis, deuxième point, il y a des intérêts qui courent sur les emprunts, ça c'est une charge, et elle est compensée à la fois par le coût, les rémunérations de la garantie.

Alors, deuxième mystère pour un gros tas de Français, je crois, c'est comment on fait pour équilibrer un budget dans une période comme celle-ci ? Comment on fait pour être rigoureux et précis, puisqu'on n'a pas beaucoup de visibilité sur la croissance, notamment ?

Le mot est exact, le mot « précis », et on ne l'emploie pas suffisamment d'ailleurs. Et donc, le budget de l'Etat français pour 2009 c'est un budget qui prend en compte évidemment le ralentissement économique, donc il n'est pas caduc comme je l'entends ici ou là, mais il est soumis aux mêmes incertitudes que le monde. Le monde est volatil, les marchés sont volatils, le budget est donc soumis à beaucoup d'incertitudes. Pas tellement sur la dépense, un budget c'est de la dépense et puis c'est de la recette ; pas tellement sur la dépense parce que la dépense est très tenue, on l'a tient comme jamais on l'a tenue, elle diminue, elle est sur les trois ans prochains programmée et elle n'augmentera pas, même pas au niveau de l'inflation, donc c'est vraiment quelque chose de très tenue et moi j'y tiens beaucoup parce que dans un monde incertain, la dépense, elle, on sait à peu près, enfin en tous cas on en est complètement responsable. Donc, c'est un travail sur la dépense publique qui est considérable et ce travail nous l'avons mené depuis maintenant un an et demi. Et puis, de l'autre côté, ce sont des recettes. Et ces recettes, elles varient selon la croissance. Alors, on a prévu 1 % de croissance, ça peut être considéré comme beaucoup aujourd'hui, certains disent que ce sera moins, les Allemands ont estimé que ce sera moins, le Fonds monétaire international l'a estimé aussi, bon, écoutez, si c'est moins, et je l'ai déjà dit et je le redis, et je le redirai tout à l'heure à la tribune de l'Assemblée en présentant le budget, nous prendrons en compte la réalité des choses. Si c'est moins, et si on voit que cette croissance elle n'est pas au rendez-vous, et que les recettes sont un peu inférieures à ce que nous attendions, à ce moment-là, on rectifiera évidemment les recettes. Mais ce qui est important, c'est ce qu'on fait de ça, en fait ? S'il y a moins de recettes fiscales, qu'est-ce qu'on fait ? C'est ça qui est important dans le budget. Le budget c'est une action publique. Alors, nous avons décidé, le Président et le Premier ministre l'ont confirmé, évidemment si les recettes rentrent moins bien parce que la croissance serait inférieure à 1%, nous n'augmenterions pas d'une manière artificielle les recettes pour compenser le manque à gagner, donc on n'augmentera pas les impôts, pour faire clair et court.

Mais alors, E. Woerth, ça veut dire quand même quelque chose parce que vous avez le sens de la formule aussi, enfin en gros vous dites « mourir en bonne santé c'est peut-être pas une bonne idée », et donc là je pense au déficit. Il y a peut-être un moment aussi où on voit qu'être réaliste, c'est laisser filer hors des critères de Maastricht.

C'est-à-dire que dans ce Traité de Maastricht, qui lie les Européens, il y a la possibilité de tenir compte de circonstances exceptionnelles et, franchement, si la période qu'on vit n'est pas une circonstance exceptionnelle, on se demande ce que ça peut être une circonstance exceptionnelle. Donc, ça permet de desserrer un peu l'étau de règles extraordinairement contraignantes mais qui sont de bonnes règles en situation normale et qui deviennent compliquées à tenir dans une situation anormale. Mais ça ne veut pas dire qu'on doit utiliser cette possibilité, on peut l'utiliser. Donc, ça veut dire que s'il y a des recettes en moins sur le plan budgétaire, il y aura du déficit en plus, puisqu'on ne compensera pas, il y aura du déficit en plus, c'est évident, enfin on peut tout à fait le dire sans aucun tabou. Mais ce déficit il sera évidemment, à ce moment-là, financé par de l'endettement supplémentaire et ça c'est tout à fait clair. Par contre, ce qui est très important, c'est pas qu'il y ait du déficit en plus par un excès de dépenses, s'il y a un excès de dépenses ça c'est beaucoup plus grave, si le déficit il vient tout simplement du fait que la croissance est moins importante parce qu'il y a une crise dans l'ensemble du monde et que la France n'est pas une île isolée du monde, à ce moment-là, bien évidemment, ce déficit il sera amené à être réduit dès que la croissance repartira. Et si on a su faire les réformes, je crois que le Président est clair là-dessus, on doit utiliser cette période pour faire plus de réformes et si on a su faire les bonnes réformes, comme on a commencé à le faire depuis maintenant près de dix-huit mois, on doit continuer à un rythme plus élevé, à ce moment la France elle sera capable de reprendre le train de la croissance plus fort qu'auparavant et les déficits diminueront. Vous savez, très sincèrement, le cercle vertueux, quand on tient bien la dépense et que la croissance revient, se remet en marche en réalité très vite, aussi vite qu'une crise comme celle que nous venons de voir, mais là c'est en négatif, aussi vite en positif.

Par exemple, E. Woerth, vous dites aussi : pendant la crise les travaux continuent, je pense aux travaux de réformes de l'Etat. Est-ce qu'au fond c'est bien le moment ? Est-ce que c'est possible socialement ?

Oui, c'est le moment. La réforme de l'Etat c'est la réforme des dépenses publiques, c'est la réforme du service public, c'est finalement l'argent des Français, c'est de savoir comment il est utilisé et l'utiliser au mieux dans une société française qui est attentive à la qualité du service public. Donc, l'idée c'est de ne pas brader le service public, c'est de rendre un service public plus justement, enfin juste sur le plan économique, donc efficient. Et ça, nous devons continuer à le faire, au contraire la crise nous pousse à le faire de plus en plus. La seule certitude qu'on a dans une économie mondiale tourneboulée, c'est la dépense publique sur le plan budgétaire, et donc de limiter nos dépenses et de les limiter à un juste emploi, à faire en sorte que quand on prend un euro dans la poche des Français, qu'il soit correctement utilisé. Donc, on a fait un travail énorme de révision de politique publique, on a beaucoup, beaucoup travaillé, et on en voit les premiers fruits dans le budget 2008, on a divisé par deux le rythme d'évolution de croissance de la dépense publique et on doit continuer année après année. Ce qui compte, ce n'est pas de faire ça pendant un an, c'est de maîtriser la dépense publique année après année, sur toutes les années qui viennent. On réduit le nombre de fonctionnaires, par exemple, et c'est quelque chose de difficile mais c'est quelque chose de possible, et en même temps on renvoie vers les fonctionnaires une partie du fruit de cette réduction. Donc, les fonctionnaires seront au fur et à mesure du temps mieux payés et en même temps il y aura moins de fonctionnaires.

Oui, la politique c'est aussi une suite d'évènements, la preuve non prévue, et je pense aux annonces du président de la République, un plan d'aide pour l'industrie automobile, il va bien falloir aussi aider l'emploi, donc que dit le ministre du Budget dans ces cas-là ?

Le ministre du Budget, il dit que s'il y a des coups de pouce à donner pour réagir en face de la crise, évidemment il faudra le faire. Aujourd'hui, je n'ai pas à prévoir dans le budget 2009 des coups de pouce qui n'ont pas été prévus, en tout cas ceux qui ont été annoncés par le Président ils sont financés. Sur le logement, sur le crédit aux PME, c'est financé par l'activation de trésorerie un peu dormante ici ou là, donc ça n'est pas de la dépense budgétaire, c'est du bon emploi de trésorerie qui est une trésorerie normale dans une période normale mais qui est une trésorerie qui doit être activée dans une période comme celle-là. Et puis, sur le plan de l'industrie automobile, c'est de la recherche et le Président a annoncé un plan de 400 millions d'euros sur la recherche dans ce secteur industriel très très important qui est l'automobile et qui est financé tout simplement par les crédits recherche qui existent. Aujourd'hui, c'est de l'orientation de crédits déjà existants vers un objectif précis qui est précisé par le Président, par le politique.

Que vous disent vos antennes, pour conclure, monsieur le ministre du Budget, sur cette crise qu'on connaît depuis un mois et est-ce que les problèmes personnels de quelqu'un comme D. Strauss-Kahn, ça tombe vraiment mal ?

Donc, par ailleurs, sur la dépense il y a d'autres éléments ou d'autres initiatives à prendre, parce qu'elles sont utiles à un moment donné, on les intègrera. Je crois que dans un budget 2009 où l'incertitude est majeure sur le plan économique, il faut savoir s'adapter et évidemment on le fera. Alors, moi, ce que je crois c'est que évidemment le ralentissement économique il est très fort, et que pendant encore quelques mois, on subira cela. Il faut utiliser cette période pour remettre de l'ordre à la fois dans le système financier et puis aussi pour essayer de construire plus d'unité en Europe sur le plan économique, c'est très important. Enfin, sur le FMI...

... est-ce que embarrassant pour vous ?

C'est une affaire privée, tout le monde le dit, et en France, on est très attentifs, et ça c'est très important...

... Oui, mais nous on est Français, eux sont Américains, et ils regardent les choses différemment.

Oui, mais, là c'est un Français qui vous répond, un Américain vous répondrait peut-être autrement, mais c'est une affaire privée, donc qui n'engage que la vie privée du directeur du FMI. Et par ailleurs, je crois qu'il y a une enquête, donc j'espère que cette enquête elle fera évidemment la clarté sur cela et que...bon, D. Strauss-Kahn est un bon directeur du FMI, on a besoin d'une direction forte du Fonds monétaire international, il a été parfait durant cette crise, il doit continuer à l'être. Donc, je crois qu'il faut le soutenir.

On respecte tous sa vie privée mais c'est simplement parce que j'ai le souvenir que N. Sarkozy avait beaucoup insisté et tordu quelques bras pour que ce soit D. Strauss-Kahn qui soit nommé au FMI.

Non, mais c'est vrai que toute la France s'est battue pour que ce soit un Français, D. Strauss-Kahn, mais sa valeur professionnelle n'est pas en cause.

Je vous remercie, monsieur le ministre, et bonne journée devant l'Assemblée.

Merci.


Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 20 octobre 2008