Déclaration de M. François Hollande, premier secrétaire du parti socialiste, sur ses propositions de sortie de la crise financière, Paris le 21 octobre 2008.

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Circonstance : Premier forum public des partis de gauche et écologistes, sur le thème "Quelle alternative politique dans la mondialisation"

Texte intégral

Je veux d'abord me féliciter de ce forum. Certes, il était prévu dans un contexte qui était celui d'une réflexion sur la mondialisation, et voilà que la crise vient frapper, et c'est une mondialisation de la crise qui est sous nos yeux, ou une crise de la mondialisation, mais en tout cas, nous ne pouvons pas dissocier la mondialisation de la crise. La question qui nous est posée est de savoir si nous avons, nous, la gauche, en France et en Europe, une voie de sortie, non pas de la mondialisation, elle est là, mais de la crise. Si nous savons ou pas créer ensemble une architecture, une organisation qui permette aux hommes et aux femmes qui vivent dans ce monde d'avoir un avenir et de retrouver confiance.
Partons d'abord de nos analyses, qui ne sont pas différentes. Le capitalisme produit des crises, il en a toujours produit. Le fait nouveau est que ces crises se rapprochent et que leur récurrence devient de plus en plus fréquente, de bulle en bulle. Deuxième constat : ces crises, et notamment la dernière, sont une conjugaison entre la déréglementation, l'autorégulation, la libéralisation des marchés. Mais elle se conjugue avec une économie d'endettement, qui finalement a utilisé le marché pour se diffuser, pas seulement aux États-Unis mais partout dans le monde. Troisième constat : la crise n'est pas simplement financière, elle est globale. C'est une crise financière, économique et écologique, sans qu'il soit d'ailleurs facile de savoir quel est le point de départ, si c'est la finance ou si c'est l'organisation du capitalisme. Autre constat : dans ce moment particulier de crise, le débat entre la droite et la gauche n'est plus sur l'État mais sur la conception que l'on a de État. La droite, ce qui n'est pas nouveau, veut utiliser État comme un pompier, c'est-à-dire venir sauver le système. Mais nous, nous ne devons pas concevoir l'État simplement comme le rempart ou le protecteur, nous avons fait en sorte qu'il puisse être le régulateur, à la fois pour prévenir, guérir et organiser.
Je veux donc organiser mon propos autour de deux idées. La première sur la crise financière elle-même et ce qu'elle appelle comme solutions, et la deuxième sur la possibilité d'un pacte de croissance. D'abord, concernant la crise financière, les plus optimistes diront qu'on en est déjà sorti, les plus inquiets diront que le pire est à venir car nul ne sait ce que sera véritablement l'état des banques, des finances, et peut-être les cours de bourse. Mais il est vrai qu'à force d'avoir injecté autant de liquidités, mis autant de moyens, on peut penser, comme le disait Madame Lagarde toujours fort opportunément il y a un mois, que le gros de la crise est derrière nous. C'était absurde il y a un mois, je me contrôle dans l'utilisation de cette formule aujourd'hui, mais je pense que pour l'essentiel, c'est assez vrai.
Donc, ce qu'il nous faut aujourd'hui, c'est réfléchir à une nouvelle architecture. On A dit qu'il fallait un nouveau Bretton Woods. Oui, il faut non pas des parités fixes, mais malgré tout des marges de fluctuation entre les principales monnaies. Dans un sens comme dans un autre, nous nous plaignons toujours, en France et en Europe, du dollar. Quand il est bas, nous accusons les États-Unis de dumping, non sans raison, et quand il est haut, nous considérons que c'est finalement plus cher d'acheter nos matières premières. Ce qui est vrai, c'est que c'est la fluctuation qui est insupportable, c'est la volatilité. Le cours du dollar a pris 20 % en quelques semaines, et nul ne sait ce qu'il en sera demain. Ce qu'il faut, c'est un système monétaire international qui encadre la fluctuation des monnaies, et pas simplement le dollar mais aussi l'euro par rapport au dollar, ou l'euro par rapport au yen.
A côté de ce système monétaire, il faudra sans doute avoir un système financier qui soit lui-même régulé. Là aussi, le consensus s'établit, pas simplement ici, mais partout, sur les normes comptables, sur les agences de notation, sur le hors bilan, sur les fonds spéculatifs, sur les paradis fiscaux. Ne nous plaignons pas que la prise de conscience soit là. Ne la laissons pas passer, car je ne sais pas ce que sera exactement la lucidité dans quelques mois.
Il y a un paradoxe à voir Nicolas Sarkozy demander toutes affaires cessantes à George Bush d'organiser un sommet pour savoir ce que sera le système monétaire et le système financier international. Je ne vois pas l'utilité de cette proposition, car je ne vois pas George Bush aujourd'hui, dans l'état où il est, dans la fin de mandat qui est la sienne, pouvoir prendre la moindre décision. En revanche, je veux espérer que l'élection d'Obama, si elle survient, sera un moment fort pour organiser ce système international, monétaire comme financier.
J'en arrive à la sortie de la crise financière et l'organisation d'un autre système financier en France. D'abord, sur le sauvetage, il était nécessaire que l'Europe, non sans mal, ainsi que la France, dégagent des fonds qui permettent de donner de la liquidité et de la solvabilité. C'est une décision attendue, qui d'ailleurs a été longue à prendre, dix à douze jours qui ont coûté cher sur les marchés.
En ce qui concerne la mise en oeuvre, il y a non seulement politiquement une critique à apporter mais aussi une proposition alternative à formuler. Que nous disent madame Lagarde et le gouvernement ? Dix milliards et demi d'euros pour soutenir les fonds propres des banques sans aucune contrepartie, ni présence au capital, au conseil d'administration, ni dividendes prioritaires, rien ! C'est la conception du pompier, du sauveur, mais en aucune façon on envisage de permettre à l'État, s'il est sollicité, et il l'est pour recapitaliser un certain nombre de banques, d'y rester, et d'y rester en situation d'y peser.
Nous avons en France des instruments financiers qu'il faut renforcer. Nous avons d'abord la Caisse des dépôts, qui peut devenir, si on veut en faire l'instrument financier de la puissance publique, le pôle public, non pas bancaire comme si c'était une banque comme les autres, mais qui peut être la banque d'investissement de l'État et intervenir durablement non pas uniquement dans le système financier mais également dans les entreprises stratégiques. Il faut faire de la Caisse des dépôts cet instrument-là en lui donnant tous les moyens de lever encore davantage l'épargne. La Banque postale, celle-là même qu'il était prévu de privatiser, peut, dans certaines conditions, être aussi une banque qui permet, et ça ne sera pas inutile dans la période, à tous les citoyens de pouvoir accéder à un compte, à un crédit, et d'être en capacité de pouvoir nourrir des projets personnels.
Nous avons aussi à réfléchir sur des normes qui peuvent être opposées à l'ensemble du système bancaire national. Sur la conception même de l'endettement, il y a un débat à avoir avec la droite. Il y a encore peu de temps, pendant la campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy prétendait que les Français n'étaient pas suffisamment endettés, et il proposait des formules à peu près comparables à celles qui ont été mises en oeuvre aux États-Unis à travers les crédits hypothécaires, en disant lui-même qu'il fallait adosser les crédits non plus tellement sur les revenus des emprunteurs mais sur leur valeur patrimoniale, ce qui aboutit d'ailleurs, quand la valeur diminue, à rendre ces emprunteurs incapables de pouvoir rembourser leurs crédits, comme cela s'est produit aux États-Unis. Il y avait donc bien la conception de l'endettement, et nous, nous ne devons pas nécessairement aller dans ce sens, et à cet égard, ce que disait M. Aglietta me paraît très juste : soit on a des salaires qui correspondent à la productivité et qui permettent de consommer, d'emprunter et de rembourser, soit on est dans une logique d'endettement à laquelle il ne faut pas céder.
Le deuxième point de mon intervention porte sur le pacte de croissance. La question de savoir si on doit simplement gérer la faible croissance ou si l'on peut développer, pour les prochaines années, une politique de relèvement des taux de croissance. Je considère qu'aujourd'hui ce n'est possible qu'avec une politique européenne, mais aussi dans un cadre national. La politique européenne que nous devons promouvoir est en train, progressivement, de se dessiner par la crise. D'abord, l'idée d'un emprunt européen, qui jusqu'à présent était combattue, y compris par nos adversaires, devient une évidence. La BEI va emprunter 30 milliards d'euros pour les resservir à l'économie. C'est dérisoire par rapport à l'ampleur des besoins, notamment des petites et moyennes entreprises, des infrastructures ou de l'écologie, qu'il faut nécessairement renforcer. Ce qu'il faudrait, c'est au moins dix fois plus, mais nous devons porter, ensemble si c'est possible, cette demande d'un grand emprunt européen.
Ce qui a été dit sur la Banque centrale européenne est vrai : elle ne peut plus aujourd'hui s'ériger en institution indépendante quand elle a été, d'ailleurs, par les circonstances, soumise à la nécessité d'intervenir. De ce point de vue, il va falloir, non seulement sur la quantité de crédit mais surtout sur le coût du crédit, avoir un dialogue un peu plus ferme que celui qui existait jusque-là. Il faut savoir que les différentiels de taux d'intérêt entre l'Europe et les Etats-Unis sont de l'ordre de trois points.
Quant à la coordination des politiques économiques, Jean-Pierre Chevènement nous disait son accord. C'est important, et si Jean-Pierre Chevènement est d'accord, d'autres peuvent l'être, car la coordination des politiques économiques est une obligation. Comment faire ? Il faut avoir la coordination des politiques budgétaires, et sans doute le pacte de stabilité, aujourd'hui, est nécessairement dépassé, puisqu'il est culbuté par la réalité. Monsieur Woerth disait, il y a quelques semaines, répondant à M. Guaino : « Il faut garder le pacte de stabilité ». Aujourd'hui, il dit lui-même qu'il ne peut pas contrôler son déficit et qu'il sera ce que les erreurs de prévision en feront, c'est-à-dire que si la croissance est plus faible, elle le sera compte tenu de la politique économique qui est menée, et nous aurons sans doute 3,5 %, peut-être 4 % de déficit par rapport à la richesse nationale.
Dès lors, il faudrait coordonner les politiques budgétaires, parce qu'il y a des pays qui sont encore assez loin des 3 %. Ce sont ceux-là qu'il faut mobiliser. Et c'est vrai que la France n'est pas toujours la mieux placée, car quand on est déjà en contravention, il n'est pas facile de dire aux autres : « Allez-y ! » Je crois que nous devons proposer cette coordination des politiques économiques, politiques budgétaires, politiques de recherche, politiques industrielles, tout cela devant se construire dans un pacte de croissance européenne.
J'en arrive à la France. Il y a une responsabilité, et d'ailleurs, si nous ne parlions pas de la responsabilité nationale, nous commettrions une faute majeure. Cela voudrait dire que Nicolas Sarkozy et ceux qui sont au pouvoir depuis six ans pourraient s'exonérer de toute responsabilité dans la situation du pays. Qu'avons-nous à faire au plan national ? Premièrement, permettre l'accès au crédit. Il est vrai que le crédit a été facilité entre les banques, et c'est tant mieux. C'est vrai que la Banque centrale s'est retrouvée prêteuse en dernier ressort, et ne le pouvant plus, c'est l'État qui est maintenant prêteur en dernier ressort, mais sans que nous soyons sûrs que les ménages ou les entreprises pourront accéder au crédit. Les seuls qui sont privés de la garantie, ce sont les acteurs économiques. Nous devons donc proposer un fonds national de garantie, un système de caution mutuelle qui permette aux entreprises accéder au crédit.
Deuxièmement, la crainte que nous pouvons avoir, c'est qu'il y ait une chute de l'investissement. Pas simplement de la consommation, tous les projets sont retenus aujourd'hui. Il nous faut là aussi, pacte de croissance, contractualiser avec les entreprises. De ce point de vue, je considère que l'on peut baisser l'impôt sur les sociétés pour les sociétés qui investissent, réinvestissent leurs bénéfices, leurs profits, et en revanche, relever l'impôt sur les sociétés pour les entreprises qui distribuent aux actionnaires, ce qui n'est pas aujourd'hui la priorité. Troisièmement, il faut de l'investissement public. On pourrait regarder ensemble quels sont les grands travaux d'infrastructures, mais nous avons besoin de plus de politiques de logement, nous avons besoin de plus de politiques pour les équipements locaux, nous avons besoin de plus d'investissements pour la recherche, pour l'enseignement supérieur. C'est là que se trouvent les marges de la croissance future.
J'en arrive à la question du pouvoir d'achat. Sans doute faudrait-il une grande négociation salariale. Je ne la vois pas arriver, il nous faut donc faire des propositions. Nous avons des exonérations de cotisations sociales qui sont aujourd'hui sans conditions puisque les 35 heures sont détricotées. Il faut donc conditionner les exonérations de cotisations sociales, qui représentent près de 30 milliards d'euros, à la conclusion d'accords salariaux ou à de l'embauche. De la même manière, il n'est pas possible de ne pas donner aujourd'hui un coup de pouce au pouvoir d'achat par le relèvement d'un certain nombre d'allocations ou de prestations, notamment d'allocations familiales, car pour les familles, c'est extrêmement difficile aujourd'hui.
On me dira : comment financer cela ? Je suis désolé d'être répétitif, mais le paquet fiscal n'a plus aucune raison d'être, y compris sur le plan économique. Allez expliquer qu'avec une déduction fiscale sur les intérêts d'emprunts il sera possible d'accéder plus facilement à la propriété aujourd'hui, alors que tout est gelé. Comment expliquer que l'on va pouvoir accorder de nouveaux avantages pour les droits de succession ? Et que dire des heures supplémentaires, dont on voit bien que les exonérations vont tuer l'intérim ? Aujourd'hui, on voit bien que cela coûte moins cher pour les entrepreneurs de recourir aux heures supplémentaires plutôt que d'embaucher, et même par la voie de l'intérim.
Je termine sur le budget, parce que là aussi, il nous faut faire des propositions. Le budget, aujourd'hui, tel qu'il est présenté, et je ne parle pas simplement de ses hypothèses fantaisistes, est totalement à contre-emploi par rapport à l'analyse que l'on peut faire de la conjoncture et peut-être de la difficulté structurelle de l'économie française. Nous n'échapperons pas, et c'est à la gauche de le faire, à une grande réforme fiscale, à une grande redéfinition de tous nos instruments de l'intervention publique, sans pour autant tomber dans je ne sais quelle économie administrée. Ne nous laissons pas faire là-dessus. Autant il nous faut parler de l'État, montrer qu'il y a des politiques économiques qui peuvent être pertinentes, mais ne sombrons pas dans je ne sais quel contrôle étatique, parce que c'est la droite qui est en train de le faire, c'est la droite qui est en train d'inventer des systèmes qui sont extrêmement scabreux à côté duquel l'encadrement du crédit, il y a quelques années, était une plaisanterie. L'État veut sauver son système, nous, nous devons faire vivre l'autre système, ce qui est une approche tout à fait différente.
Il est vrai que nous sommes à un moment important, et de cette crise peut sortir le meilleur ou le pire. Le pire, ce serait finalement ce que décrivait Michel Aglietta, c'est-à-dire le scénario de la croissance faible, de l'inflation forte et du chômage élevé. Le pire, ce serait en définitive une droite qui pourrait utiliser la crise pour se défausser de ses propres échecs. Le meilleur, c'est à nous de le construire. Comme dans toute crise, il y a heureusement des révélateurs. Le libéralisme en a quand même pris un coup. Quand je pense qu'il y a quelques semaines, François Fillon fanfaronnait en disant que la bataille idéologique avait été remportée par la droite. Il n'y a pas encore si longtemps, Nicolas Sarkozy était à New York ou Washington, et disait que son modèle était le modèle américain. Il en a pris un coup, son modèle ! Dans ce moment-là, c'est à la gauche de définir pour la France et pour l'Europe un modèle alternatif. Si nous ne le faisons pas, la crainte du fatalisme et de la résignation peut se trouver avérée. Merci.
Source http://www.parti-socialiste.fr, le 4 novembre 2008