Interview de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, à "France 2" le 5 novembre sur l'élection de Barack Obama comme Président des Etats-Unis, dans le contexte de crise financière internationale.

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Média : France 2

Texte intégral

R. Sicard.- Je reçois ce matin C. Lagarde, qui est certes, ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi, mais n'oubliez pas qu'elle a aussi dirigé un grand cabinet d'avocats aux Etats-Unis. J'ajoute que ce cabinet d'avocats, c'était le premier cabinet du monde, et qu'en plus, il était situé à Chicago, la ville de B. Obama. Et j'ajoute encore une chose, c'est que vous avez financé une des campagnes de B. Obama, ce qu'on ne sait pas.

Non, non, je ne l'ai pas financée...

Vous y avez participé.

J'y ai participé ; le cabinet avait participé un peu au financement de sa campagne sénatoriale pour son poste de sénateur de l'Illinois.

Donc, dès cette époque vous sentiez qu'il y avait quelque chose d'extraordinaire, de particulier dans ce personnage ?

Oui, oui, je crois que tous ceux qui l'ont connu dès ses débuts, ceux qui l'ont vu en 2004 lors de la convention des démocrates, le savaient ; il portait une espèce de charisme en même temps que de gravité, et puis c'était le visage d'une autre Amérique qui, tout d'un coup, surgissait.

En même temps, en France, en tout cas, on le connaît assez peu. Est-ce que c'est quelqu'un qui a les épaules pour devenir président des Etats-Unis, la première puissance de la planète ?

Vous savez, quand on voit la façon dont il a mené sa campagne, pendant près de deux ans, avec un professionnalisme, avec une rigueur, avec un enthousiasme, et avec une équipe qu'il a réussi à souder autour de lui comme il l'a fait, je pense que c'est quelqu'un qui a cette solidité, oui.

Je disais que vous connaissiez très bien les Etats-Unis, l'événement c'est évidemment que c'est pour la première fois un Président noir qui est élu ; c'est quelque chose qui était impensable il y a quelques années ?

Mais il y a seulement 40 ans, puisque les droits civiques pour tous, ça date d'à peu près 40 ans. Donc, c'est un événement extraordinaire, et ça montre un peu cette capacité des Etats-Unis à rebondir, à repartir, à prendre des nouveaux départs, et même dans une situation qui, aujourd'hui sur le plan économique est difficile, ils sont capables de cette espèce d'enthousiasme. C'était O. Wilde qui disait que "les Etats- Unis avaient la jeunesse pour tradition" ; cette espèce de résilience devant l'échec, c'est très américain.

Si on parle d'"événement historique" ce matin, c'est le mot juste ?

Moi, je crois. Je crois, pour tout un tas de raisons. D'abord, parce que ça met fin à une période qui a été longue et qui a été vécue laborieusement dans les dernières années ; c'est sur un fond de crise économique sans précédent et de crise financière sans précédent, venue des Etats-Unis. Et puis, c'est symboliquement extraordinaire de voir un représentant d'une minorité prendre les commandes d'un pays qui est la première puissance économique, la première puissance militaire au monde.

Vous avez le sentiment que c'est quelque chose qui pourrait se produire en France, quelqu'un qui représente une minorité, qui devient président de la République ?

Quelque part, ça, c'est un peu produit.

Pour quelles raisons ?

Le président de la République aujourd'hui, à plusieurs reprises, a indiqué qu'il était lui-même un représentant d'une minorité.

Alors, justement, N. Sarkozy parle ce matin d'"immense espoir". Est-ce que c'est le mot que vous emploieriez vous aussi ?

En écoutant son discours, son premier discours, ses premières 20 minutes de discours à Grant Park, à Chicago, on ne peut pas ne pas être ému d'abord, et ne pas comprendre qu'il a vraiment réveillé l'espoir aux Etats-Unis. Je crois que tous les visages des Américains, je ne connais bien Chicago, j'y ai vécu longtemps, j'habitais pratiquement sur Grant Park, c'était le signe de l'espoir.

Là, où est le QG de campagne de B. Obama...

Là, où ils viennent de faire cette belle fête.

Sur le plan économique, B. Obama a un programme. Avez-vous le sentiment que ce programme économique, c'est un programme qui peut changer la donne, relancer l'économie, nous faire sortir - les Etats-Unis, le monde - de la crise économique et financière ?

Il ne faut pas soulever trop d'espérance non plus. Il arrive avec une situation qui, sur le plan financier, sur le plan économique, est extrêmement détériorée. Et sur laquelle, tous ensemble, à l'initiative du président de la République française, en qualité de président de l'Union européenne, nous essayons de remettre de l'ordre, de réinstaurer de la régulation, de faire en sorte que la crise financière qui vient de se passer ne se reproduise pas. Et ça, c'est un premier chantier. Le deuxième chantier, il y aura la relance.

Mais vous avez le sentiment que, sur ce point justement, sur cette nouvelle régulation, B. Obama est d'accord ?

On va le savoir très vite, puisque très clairement, il va désigner autour de lui, certainement, comme c'est la tradition, ses conseillers principaux. On aura donc un conseiller financier, un conseiller économique, et avec eux nous devrons nouer le dialogue. Je serais très étonnée qu'il ne souhaite pas avancer dans la même direction que nous, c'est-à-dire, plus de supervision, des marchés organisés, pas de trous noirs, pas de produits financiers à risques, et puis, pas d'acteurs financiers qui opèrent n'importe comment et sans surveillance.

Le 15 novembre, il y a ce qu'on appelle un G20, c'est-à-dire un sommet avec les pays industrialisés et les pays émergents. Au fond, B. Obama ne sera pas encore président des Etats-Unis, ce ne sera qu'en janvier. Est-ce qu'il doit venir quand même à ce G20 ?

Ce sera à lui de... Enfin, ce sera aux deux, à la fois...

Ce serait quand même surréaliste qu'il ne soit pas là...

C'est le Président Bush qui invite les participants au sommet, donc il lui appartiendra d'inviter ou de ne pas inviter, ça, c'est son affaire. Et puis il appartiendra à B. Obama d'accepter ou non. Ce que j'espère, en revanche, c'est que ses conseillers, au moins, seront présents. Parce qu'il y a un problème de transition. Nous lancerons, je l'espère, une réflexion profonde qui donnera lieu ensuite à des travaux importants, à la fois sur la représentation de tous les Etats, sur la scène financière, sur ce que je vous disais tout à l'heure, la supervision, la régulation. Il faut que la transition s'organise bien, parce qu'il faut qu'on continue à travailler pendant et après.

Mais est-ce que ce matin vous êtes plus optimiste que vous ne l'étiez hier, par exemple ?

Je suis enthousiaste parce qu'on ne peut ne pas être enthousiaste et parce que je pense que les Etats-Unis ont cette espèce de force et de capacité de résilience et cette faculté d'espérer qu'il a su réveiller de manière absolument exceptionnelle. Donc cette force-là, on en a besoin en ce moment dans un monde où les valeurs, les repères, les principes doivent être retrouvés et où la morale doit être restaurée. C'est un point auquel le président de la République française tient particulièrement, la morale aux Etats-Unis, c'est une valeur qui est fortement respectée et qu'il incarne de manière beaucoup plus diverse et large que de nombreux prédécesseurs avant lui.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 6 novembre 2008