Interview de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales, à RMC le 6 novembre 2008, sur la différence existant entre la vie politique en France et aux Etats-Unis et sur la mission des policiers sur le terrain.

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Texte intégral

J.-J. Bourdin.- Je vais vous demander - je sais que vous n'allez peut-être pas me répondre - mais j'essaie d'obtenir la libération de Santos Mirasierra, ce supporter de l'OM, qui est en prison aujourd'hui, à Madrid, ça fait plus d'un mois, il n'est toujours pas jugé. Il nie, il nie avoir frappé un policier espagnol. Allez-vous intervenir ?
 
Alors, un, je réponds toujours. Deux, je n'ai pas attendu de venir chez vous pour faire un certain nombre de démarches, simplement pour essayer, dans la mesure du possible d'accélérer. Qu'on ait une décision, positive ou négative, ça, je n'en sais rien, c'est la justice espagnole, je lui fais confiance. Et en tout état de cause, je n'interviens jamais dans des affaires de justice sur le fond. Simplement, c'est vrai que, je comprends que tout le monde ait besoin d'une décision.
 
Vous demandez donc à l'Espagne, à la justice espagnole, de prendre une décision rapide ?
 
Encore une fois, il y a eu des démarches qui ont été faites auprès du ministre homologue, en disant, en attirant leur attention, effectivement, pour qu'il puisse y avoir une décision. Ceci dit, je comprends que la justice espagnole ait aussi besoin, comme ça arrive à la justice française, de mener un certain nombre d'investigations pour savoir exactement ce qui s'est passé.
 
Cela dit, nous restons mobilisés sur RMC. Deuxième question : B. Obama élu, tout le monde s'est réjoui dans la classe politique française, j'ai vu ça. Et puis, qu'est-ce que je constate ? Je constate qu'au Parti socialiste, qui est en train d'essayer de recueillir la majorité auprès des militants, des hommes et des femmes politiques qui sont en politique depuis 20, 30, 40 ans, et puis, je constate que B. Obama, lui, a été élu sénateur en 2004, il y a quatre ans, et qu'aujourd'hui il est élu président des Etats-Unis ! À l'UMP aussi, c'est impossible en quatre ans de devenir comme ça, tout à coup, président de la République. Pourquoi est-ce que... ?
 
Encore une fois, le problème n'est pas celui des partis. C'est aussi le problème de la vie politique, de l'engagement en politique et de la réaction des Français.
 
Ce n'est pas un problème des partis ?
 
Non, ça n'est pas seulement le problème des partis, parce que dans les partis, vous avez aussi des gens qui arrivent très vite. Je vais vous donner... Si je prends mon exemple, eh bien je suis entrée dans un parti, et quatre ans après j'étais au Gouvernement. Ce sont des choses qui ont été faites, et souvent, c'est part les nominations que l'on arrive à aller très vite. Ensuite, il y a tout le problème de la reconnaissance par les électeurs. Et là, ce qui est important, c'est le fait que les électeurs, au sein d'un parti, mais vous savez les choix se font très largement aux Etats-Unis à l'intérieur des partis. Il y a eu un choix entre H. Clinton et B. Obama, ça a été fait là. Mais ensuite, ce sont effectivement les électeurs américains qui ont choisi.
 
Oui, mais je veux dire par là que la démocratie américaine est sans aucune doute plus vivante que la nôtre, parce que dans nos partis politiques, d'abord, on n'est jamais battus en politique en France, on revient toujours, c'est vrai. Trop d'élus, trop de cumuls des mandats, et la diversité... Où est-elle la diversité ?
 
Et si je posais la même question pour la presse, et notamment pour la presse radio ? Est-ce qu'on ne voit pas souvent toujours les mêmes ? Est-ce qu'il y a vraiment un renouvellement en la matière ?
 
Il y a sans aucun doute un renouvellement plus rapide que dans les partis politiques !
 
Parfois, je me demande d'ailleurs. Et donc, je pense qu'on peut toujours avoir un certain nombre de slogans comme ça. Il faut aussi savoir regarder la réalité ; les choix, ils sont faits par les électeurs. Et vous avez finalement, en France, un système beaucoup plus ouvert qu'aux Etats-Unis sur le choix des électeurs. Aux Etats-Unis, qu'aviez-vous ? Vous aviez deux candidats, et vous aviez, en dehors de ça, trois ou quatre petits candidats. Si vous regardez les dernières élections présidentielles, vous verrez qu'au moins au premier tour, vous aviez un choix qui était beaucoup plus large que celui qui a été fourni aux Américains.
 
Donc, il n'y a rien à réformer en France ?
 
Ce n'est pas ça. Je crois qu'il y a des choses à réformer, mais qui sont globales et pas simplement dans le monde politique. Je pense qu'il...
 
Dans la société civile, dans toute la société française ?
 
Dans l'ensemble de la société. Nous avons encore un certain nombre de stéréotypes. C'est vrai que, aujourd'hui, il est très difficile de réussir dans la vie, qu'elle soit économique, qu'elle soit politique ou administrative, sans être passé par un certain nombre de grandes écoles, sans avoir fait des filières qui soient finalement très classiques, les filières scientifiques, un certain nombre de filières de ce genre. Quand vous regardez ce qui se passe aux Etats-Unis, vous pouvez très bien avoir à la tête d'un très grand groupe industriel ou financier, quelqu'un qui va par exemple être un littéraire. Ce sont des choses qui ne se font pas en France. Et je pense que ce qui est important...
 
Ça veut dire que nous sommes conservateurs ? Trop conservateurs ?
 
Nous avons un certain nombre de stéréotypes, et finalement, je pense que la personnalité des personnes, en France, a tendance à disparaître un peu derrière des gages, en quelque sorte, qui sont donnés par des diplômes, qui sont donnés par telle ou telle place dans la société. De ce point de vue-là, les Américains effectivement, ont moins, peut-être, de préjugés.
 
B. Obama, qui n'a jamais revendiqué la couleur de sa peau, jamais, il n'a jamais mis cela en avant, à aucun moment.
 
Absolument, je pense que ça fait partie de sa personnalité, et c'est de même façon...
 
"L'Amérique d'abord", le drapeau d'abord, la nation d'abord...
 
Et l'action d'abord, ce que l'on propose réellement. Et là aussi, permettez-moi de vous dire comment j'ai ressenti les choses. La première fois...enfin, quand j'ai été élue présidente du RPR, c'était la première fois qu'une femme était à la tête d'un grand parti, j'ai été exaspérée au départ - ça a été d'ailleurs une des raisons des frictions que j'ai eues avec la presse politique à l'époque - j'ai été exaspérée de voir qu'on ne voulait me regarder que comme une femme ! Ce qui me paraissait plus intéressant, c'est ce que je voulais faire. Eh bien, c'est bien ce qu'a choisi de faire B. Obama, et j'espère pour lui effectivement que c'est comme cela qu'il sera jugé. Il a une personnalité formidable, quel qu'il soit, et maintenant, ce que nous allons voir, c'est ce qu'il va proposer et ce qu'il va faire, non seulement pour les Etats-Unis, mais compte tenu du poids des Etats-Unis, pour l'ensemble des problèmes qui se posent aujourd'hui au monde. Dieu sait s'ils sont nombreux, entre la crise financière, la crise économique, un certain nombre de conflits dans le monde, et la montée de risques très importants, que ce soit ceux du terrorisme ou de la grande criminalité.
 
Question directe : deux syndicats, pourtant de policiers, affirment que d'ici 2012, 10.000 postes de policiers seront supprimés. Vrai ou faux ?
 
Faux. D'ailleurs, je ne comprends pas très bien. Ce qui est prévu de supprimer c'est un peu plus de 4.000 postes...
 
4.000 postes d'ici 2012 ?
 
D'ici 2011, plus exactement, puisque nous travaillons sur trois ans. Et ce qu'il faut bien voir aussi c'est que, parmi ces postes, il y en a un grand nombre qui vont être remplacés, notamment par des postes de personnels civils dans des domaines de l'administration et du soutien. Parce que j'estime que quand on s'engage comme policier, c'est pour assurer la protection des Français, c'est pour être à l'extérieur, ce n'est pas pour faire des travaux administratifs. Or, aujourd'hui, vous avez trop de policiers, trop de gendarmes d'ailleurs aussi, qui font des actions qui ne sont pas des actions de police mais des actions administratives.
 
Vous voulez mettre des policiers et des gendarmes sur le terrain, un peu plus sur le terrain ?
 
Je veux les mettre que le terrain. Et donc, je vais créer un peu plus de 1.600 postes qui vont être destinés, justement, à mettre des personnels, dont la spécialité c'est de faire de l'administration ou c'est de faire l'accueil. Et ces policiers-là pourront aller sur le terrain. C'est cela, la réalité. Je ne comprends pas...
 
Oui, mais sur le terrain, j'ai eu plusieurs témoignages de policiers, j'ai eu plusieurs témoignages de citoyens, qui nous disent que les policiers, lorsqu'il y a des rodéos dans les quartiers, eh bien les policiers ont reçu l'ordre de ne pas engager de course-poursuite. Les policiers ont reçu l'ordre de ne pas engager de poursuite derrière les conducteurs de Quad, ou les conducteurs de scooters qui empoisonnent des quartiers, pour ne pas risquer la bavure ! C'est ce que j'ai entendu. C'est vrai ou faux ?
 
Alors, il est vrai que je ne veux pas de bavures, c'est évident.
 
Vous avez donné des ordres pour cela ?
 
Je donne des ordres pour que l'on ne mette pas en jeu la vie des personnes. Il faut intervenir...
 
Donc, les policiers ne poursuivent pas ?
 
Ce n'est pas ça, les policiers poursuivent. C'est-à-dire ils ne courent pas derrière, parce que, là, il y a effectivement un risque d'accident avec un risque de mort, non seulement pour ceux qui sont en cause mais également, éventuellement, pour des passants, cela s'est produit à plusieurs reprises. Mais en revanche, il y a des poursuites policières et judiciaires, c'est-à-dire qu'on identifie les responsables, et ils sont ensuite interpellés et déférés à la justice pour être sanctionnés. Les policiers ne sont pas des cow-boys dans l'Ouest américain, ce sont des gens qui font respecter la loi pour la protection de tout le monde. Il faut évidemment savoir qu'on n'agit pas d'une façon, comme ça, spontanée. Il faut faire très attention à ce qu'il n'y ait pas cet esprit, soit de vengeance, qui est totalement étranger aux policiers, étranger au ministère de l'Intérieur. Nous sommes là pour faire respecter une loi qui protège les gens. Mais il faut bien savoir la façon dont on la fait respecter. Et il n'est pas question, effectivement pour moi, de mettre en danger la vie des gens parce qu'il y a eu une contravention, même un délit qui a été fait. Notre rôle, encore une fois, c'est d'identifier, d'interpeller, de déférer à la justice pour que les gens soient punis.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 6 novembre 2008