Interview d'Hervé Morin, ministre de la défense, sur BFM le 7 novembre 2008, notamment sur la réforme des armées et sur l'industrie d'armement.

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Média : BFM

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Hedwige Chevrillon : Je m'adresse tout d'abord au président du Nouveau Centre. Lorsque vous voyez les résultats du Parti socialiste vous vous dites que c'est aussi dur de recomposer les Socialistes que les Centristes ?
Hervé Morin : Ce qui est évident, c'est que les scores de cette nuit démontrent qu'il n'y a pas de voix, qu'il n'y a pas de message au PS, pas de stratégie politique, ni de doctrine politique. Entre Benoît Hammon, représentant la gauche du PS, qui fait 20%, Ségolène Royal qui fait 30% et les deux autres, on constate que le PS ne sait toujours pas où il est deux ans après.
L'autre élément qui mérite d'être signalé c'est que de toute évidence, ceux qui représentent le passé n'ont pas fait les scores que l'on attendait d'eux : les accords soutenus par Jospin, Hollande, tous ceux qui sont dans la vie politique depuis dix, quinze ou vingt ans, sont ceux qui ont échoué.
Hedwige Chevrillon : C'est le coup de vieux donné par la nouvelle génération Barack Obama et la crise économique qui ont donné un petit coup de virage à gauche ? Les militants, visiblement, ont quand même « plébiscité » Benoît Hammon, qui a fait un très bon score...
Hervé Morin : Oui, on voit quelqu'un qui n'existait pas il y a quelques mois faire 20% des voix. Ca montre aussi à quel point le Parti socialiste n'a pas de doctrine politique, parce qu'entre Delanoë qui parle de socialiste libéral et Martine Aubry, Ségolène Royal et Benoît Hammon, on voit bien qu'il n'y a aucune stratégie politique.
Un parti, d'abord et avant tout, doit être capable de désigner et de déterminer une ligne. Est-ce que l'on est dans la sociale démocratie ou au contraire, est-ce que l'on continue à pencher vers la gauche.
Hedwige Chevrillon : Ce n'est pas très facile non plus de recomposer le Centre ?
Hervé Morin : C'est un travail.
Hedwige Chevrillon : A propos de Barack Obama, hier vous avez évidemment salué sa victoire, comme beaucoup. Vous connaissez le nom ou vous avez des hypothèses sur qui sera votre homologue américain ?
Hervé Morin : Je n'ai absolument aucune idée. La dernière fois que je suis allé à Washington, on me disait que mon homologue Robert Gates avait une telle image qu'il était capable de faire partie de ceux qui pourraient être dans une Administration démocrate. Je vous parle de cela il y a plusieurs mois et donc je n'en ai aucune idée. Cela dit, il me disait que pour lui la vie politique était terminée parce que sa femme ne le supporterait plus.
Hedwige Chevrillon : Discussion à l'Assemblée nationale de votre budget, dans un contexte extrêmement difficile. Hier ca a été un peu l'heure de vérité, avec les déclarations de Christine Lagarde et d'Eric Woerth. Croissance très difficile, 0,2 à 0,5% en 2009, déficit public qui augmente à plus de 3%. Est-ce que ca va avoir des conséquences sur votre budget ? Vous avez dit que non, mais c'est vrai que maintenant on est un peu dans l'heure de vérité ?
Hervé Morin : Le budget de la Défense, d'une part, participe à l'activité économique. Il faut avoir en tête qu'à travers les programmes comme celui de l'infrastructure, soit 1 200 000 000 d'euros par an, ce sont des entreprises de bâtiment, de travaux publics. Que l'industrie de défense c'est 350 000 emplois et que c'est un des fleurons industriels français, c'est une pointe de diamant. C'est un secteur industriel avec des conséquences sur l'activité civile. Il faut donc d'abord voir quelles sont les conséquences économiques du budget de la Défense et pas simplement l'équipement des forces, il y a toute une industrie derrière.
D'autre part, nous faisons une réforme absolument majeure et considérable dont une des conséquences -qui m'a été assez reprochée- est de supprimer 54 000 postes en l'espace de six ans. Mais c'est parce que nous faisons un effort colossal que nous sommes capables en même de temps de pouvoir équiper, moderniser nos forces et mener un plan d'amélioration de la condition du personnel extraordinaire.
Donc, notre budget a été construit sur l'idée que par l'effort que nous effectuons, nous étions capables de pourvoir dégager des marges de manoeuvre. J'estime donc que notre budget pourrait être à la marge comme tous les budgets de la République, éventuellement, grignoté sur tel ou tel point parce que la situation budgétaire économique du pays l'obligerait en 2009, mais pour l'instant, il n'en est pas question.
Hedwige Chevrillon : Pour l'instant il n'en est pas question, mais vous vous y préparez ?
Hervé Morin : Je n'estimerais pas scandaleux si la croissance était vraiment extrêmement mauvaise l'année prochaine, que le budget de la Défense soit exceptionnellement mis à contribution pour participer à l'effort général.
Hedwige Chevrillon : On va rappeler que le budget de la Défense prévoit 185 milliards d'investissements sur six ans. Donc vous pourrez grignoter, la marge serait de combien ?
Hervé Morin : Je ne suis pas du tout dans cette hypothèse. C'est simplement pour dire les choses telles qu'elles sont. J'ai fait partie de ceux qui, depuis des années en politique, considèrent que le retour à l'équilibre budgétaire, l'obligation de réformer l'Etat, étaient des obligations impératives pour ceux qui arriveraient au pouvoir en 2007.
Hedwige Chevrillon : Supprimer 54 000 postes, étant donné la conjoncture avec la dégradation du chômage, est-ce qu'on ne peut pas repousser ?
Hervé Morin : Là aussi c'est sur six ans. On est donc dans le cadre d'une réforme majeure. Nous avons mis en place toute une série d'éléments d'accompagnement social, indemnité de départ volontaire, plan à la mobilité, reconversion dans la fonction publique, 1100 postes par an. J'ai signé une vingtaine de conventions avec de grands groupes qui ont encore des perspectives d'embauche, avec des entreprises comme Suez, qui à des perspectives d'embauche de 9000 personnes à partir de 2010. Les militaires, c'est une ressource humaine qui est appréciée, parce qu'ils ont une compétence, parce qu'ils savent ce que c'est qu'une mission, parce qu'ils savent ce que c'est qu'une hiérarchie.
Donc à travers les moyens que nous avons mis en interne, les capacités de reconversion dans la fonction publique et enfin les accords avec les entreprises, ce n'est pas le plus grand problème.
La réforme des cartes des casernes est finalement mieux passée que la réforme de la carte judiciaire.
Je ne cherche pas à me comparer avec quiconque.
Hedwige Chevrillon : Je vois quand même un sourire de satisfaction...
Hervé Morin : C'est un sourire de satisfaction parce que depuis 2005 les armées réclamaient une réorganisation de nos unités. Rappelez-vous que nous sommes sur 471 implantations, tout ca a donc un coût considérable de soutien, de fonctionnement, et que l'on disait que c'était impossible à faire, qu'il y aurait une révolte. Mais j'observe que grâce à un travail considérable de concertation, de discussion, de réflexion, de pédagogie, on est capable de mener une réforme que tout le monde différait parce que personne n'osait la faire. Je l'ai faite et ca s'est bien passé.
Hedwige Chevrillon : Il y a deux anciens directeurs de la gendarmerie qui critiquent le projet de loi...
Hervé Morin : La gendarmerie c'est le ministère de l'Intérieur.
Hedwige Chevrillon : Oui, mais justement, qui estiment que cela met en danger les libertés publiques. Je cite « le rattachement de la gendarmerie au ministère de l'Intérieur est fondamentalement dangereux pour les libertés publiques »...
Hervé Morin : Vous me donnerez les explications parce que je ne vois pas en quoi le fait, non pas de rattacher les gendarmes puisqu'ils conservent leur statut militaire, mais de tirer les conséquences du rattachement de l'autorité fonctionnelle des gendarmes au ministère de l'Intérieur. Depuis 2003, le ministre de l'Intérieur a autorité sur les gendarmes, dans leur vie quotidienne, leur travail quotidien. Donc, en toute cohérence, on met le budget de la gendarmerie au ministère de l'Intérieur.
Hedwige Chevrillon : Et répartition du budget police/gendarmerie ?
Hervé Morin : Ce n'est pas la question. Vous comprenez que dans un département, il est tout de même cohérent que le ministre de l'Intérieur puisse dire que pour telle situation c'est plutôt chez les gendarmes qu'il faut plus de moyens, pour une autre c'est plutôt chez les policiers, pour avoir une action politique cohérente.
Hedwige Chevrillon : Vous vous êtes mis d'accord sur ce qu'on appelle les Opex ou c'est toujours un bras de fer entre les Finances et la Défense, les opérations et le financement des opérations extérieures ?
Hervé Morin : Une partie de plus en plus importante est dans notre budget, donc en quelque sorte, l'exercice de sincérité d'inscrire dans la loi de finance ce que vont coûter les Opex, les opérations extérieures, c'est fait. Pour le solde, le président de la République a admis l'idée, tout du moins a décidé, que désormais il y aurait un financement interministériel pour ce qui est entre le budget et ce que cela coûte vraiment.
Par ailleurs, nous menons un travail de réflexion sur l'ensemble de nos opérations extérieures, pour voir celles où nous pourrions limiter notre engagement ou le supprimer.
Hedwige Chevrillon : Ca concernerait combien de terrains militaires ?
Hervé Morin : On va voir, on effectue ce travail. A la fois on a un travail de réorganisation de nos implantations en Afrique. Nous allons nous limiter à trois implantations, une sur la côte Atlantique, une à Djibouti et peut-être encore quelques éléments au Gabon. Nous nous implantons dans un endroit absolument stratégique qui est la base interarmées aux Emirats arabes unis, qui va nous donner un positionnement, une implantation majeure dans cette région stratégique du monde.
Mais nous allons déjà réorganiser l'ensemble de ces implantations, les réduire sur le continent africain notamment, et par ailleurs, sur chaque Opex, on va regarder l'utilité ou non d'y demeurer. Par exemple, nous avons depuis 1980 des forces au Sinaï, il faut donc voir si ca a toujours du sens.
Hedwige Chevrillon : En revanche, est-ce que la France pourrait intervenir en République démocratique du Congo, lorsque l'on voit tout ce qui se passe ?
Hervé Morin : Il y a une force des Nations-Unies qui s'appelle Monuc, il y a 18 000 hommes dont 16 000 militaires, c'est une force qui a 86 aéronefs, et donc il me semble qu'avant d'envoyer des forces européennes, il faut d'abord et avant tout que l'ONU organise ses forces pour qu'elles soient opérationnelles et assurent la sécurité des populations.
Hedwige Chevrillon : On va parler d'industrie aéronautique, parce qu'il se passe beaucoup de choses. On va commencer par l'A400M peut-être, puisque lundi vous aviez dit que vous alliez en parler avec vos homologues européens. Il faut faire une croix dessus pendant combien de temps ?
Hervé Morin : Il faudra le demander au président gallois.
Hedwige Chevrillon : Mais qu'en pense le ministre de la Défense que vous êtes ?
Hervé Morin : Ce qui est certain c'est que cet avion, nous en avions absolument besoin, nos Transalls sont vieillissants et nous avons besoin de nouveaux avions de transport. Et il n'y a pas que nous, les Britanniques aussi par exemple.
Hedwige Chevrillon : Les Allemands également ?
Hervé Morin : Non, ils peuvent attendre plus que nous. Les Espagnols en besoin de façon urgente comme les Britanniques. Ce que j'ai dit au président gallois est que le retard de l'A400M était lié à un montage industriel très compliqué.
J'ai dit que j'étais prêt à regarder la problématique des pénalités puisque le contrat en prévoit des considérables en cas de retard, que j'étais prêt à revoir les spécifications de l'avion puisque l'industrie explique qu'ils ont essayé de faire un appareil d'un tel niveau de spécifications que c'est très compliqué. Je lui ai fait observé que c'est quand même Airbus qui a signé le contrat, donc en connaissance de cause.
Hedwige Chevrillon : Les pénalités seront de combien ?
Hervé Morin : On va voir. Dès lors qu'Airbus sera en mesure de nous dire clairement quand ils seront capables, à partir éventuellement d'une modification des spécifications de l'avion, quand on sera en mesure de l'avoir. Donc mon souhait c'est que les Européens aient une position commune, qu'on ait un peu de souplesse industrielle, et qu'en revanche l'industriel s'engage sur un programme et un plan extrêmement sûr pour un avion dont nous avons besoin.
Hedwige Chevrillon : Premier son de cloche, vous avez l'impression que les Britanniques et les Allemands sont un peu seuls à être sur la même longueur d'ondes ?
Hervé Morin : Les Britanniques et les Espagnols sont sur la même longueur d'ondes que nous. Mon collègue Allemand a été pour l'instant un peu plus ferme à l'égard d'Airbus Industrie.
Hedwige Chevrillon : Mais vous ne désespérez pas de trouver un accord ?
Hervé Morin : C'est ce que l'on va regarder.
Hedwige Chevrillon : Puisque Nicolas Sarkozy a eu Barack Obama, est-ce que vous savez s'il a évoqué le fameux contrat du siècle et des avions ravitailleurs qui avaient emporté EADS ou pas encore ?
Hervé Morin : Honnêtement je n'en sais rien, je n'ai pas le contenu de leur conversation, mais je ne pense pas que pour le premier contact que vous puissiez avoir avec le président des Etats-Unis, vous commenciez à évoquer le contrat des ravitailleurs. On aura le temps de le revoir.
Hedwige Chevrillon : Est-ce que la France, va essayer, est-ce que vous allez essayer de pousser ce dossier là ?
Hervé Morin : C'est un dossier que l'on a déjà beaucoup poussé.
Hedwige Chevrillon : Restructuration du capital de Thalès, est-ce que l'Etat Français a une préférence (Alcatel Lucent, dans le cadre de sa restructuration et l'arrivée de nouveaux dirigeants cède ses 20%) ? Dassault s'était porté candidat, mais EADS a surenchérit. Le résultat des courses c'est quand ?
Hervé Morin : Pour l'instant, nous attendons de voir exactement quelles sont les propositions et l'Etat, à partir de ces propositions, examinera les choses.
Hedwige Chevrillon : Ca veut dire quoi ?
Hervé Morin : Ca veut juste dire que pour l'instant, si je replace ca au-delà de la problématique de la partie du capital de Thalès qui appartenait à Alcatel, je souhaite que nous nous engagions dans une vraie restructuration, une vraie recomposition des paysages industriels français et européens. J'ai demandé aux industriels d'engager des conversations avec un certain nombre de partenaires européens. On ne peut pas continuer à dépenser beaucoup moins d'argent que les Américains. En termes d'équipement, les Européens font deux fois et demi de moins que les Américains. En termes de recherche et développement, c'est-à-dire à l'avenir de capacités industrielles sur le long terme, on fait six fois moins que les Américains. On ne peut donc pas continuer avec de tels volumes budgétaires, à être en concurrence permanente et à se faire la guerre sur un certain nombre de marchés à l'export.
Donc compte tenu notamment de la qualité du budget français et les perspectives des industriels français, je leur ai demandé d'engager des conversations avec un certain nombre de partenaires, soit au niveau national pour des recompositions de contours, soit au niveau européen pour que nous participions à la recomposition du paysage naval, que nous participions à la recomposition du paysage de l'armement terrestre. Bref, il nous faut absolument engager des conversations pour que nous ayons des bureaux d'études communs sur un certain nombre de sujets, puisque dans beaucoup d'entre eux, nous sommes à la limite de la rupture, c'est-à-dire que si nous ne nous unissons pas, nous perdrons des conséquences, nous perdrons les capacités de faire tel ou tel équipement. Par ailleurs, il faut que nous regardions comment on peut mener des programmes communs et être ensemble sur des marchés à l'export.
Hedwige Chevrillon : Vous avez dit le mot clé, « clarification des contours » entre EADS, Dassault et Thalès, c'est ce que vous demandez ?
Hervé Morin : Ca fait partie des choses.
Hedwige Chevrillon : Est-ce que cette participation Dassault peut être une contre-partie à l'arrêt des Rafales ?
Hervé Morin : Non. La France est le dernier pays à être capable de faire un avion de combat.
Hedwige Chevrillon : Il faut un avion européen...
Hervé Morin : Oui, en Europe. C'est un effort de plusieurs décennies qu'a fait la France pour avoir cette pointe de diamant que représente l'industrie de défense. Nous avons et j'ai pris des arbitrages dans notre programmation pour maintenir les bureaux d'études. Si la France ne fait pas cet effort-là, les Européens ne seront plus capables de pouvoir construire un avion de nouvelle génération.
Donc on voit bien que dès lors que l'on a cette position, on est en mesure de pouvoir discuter avec les Britanniques, les Allemands et les Espagnols, pour recomposer les choses. On est en position de force, et je demande à chacun d'aller tendre la main aux autres, pour voir comment on peut participer à cette recomposition industrielle européenne.
Source http://www.le-nouveaucentre.org, le 20 novembre 2008