Déclaration de M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'Etat à la défense et aux anciens combattants, sur l'initiative d'échange entre les jeunes élèves officiers européens sur le modèle d'Erasmus, à Paris le 13 novembre 2008.

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Circonstance : Ouverture du Séminaire sur l'initiative d'échange des jeunes officiers inspirée d'Erasmus, à Paris le 13 novembre 2008

Texte intégral


MM. les officiers généraux,
Mesdames et Messieurs les recteurs d'académie,
Mesdames et Messieurs les commandants d'écoles de formation d'officiers,
Mesdames et Messieurs,
C'est très volontiers que j'ai accepté, à la demande d'Hervé Morin, de prononcer quelques mots à l'occasion de votre séminaire sur l'initiative d'échange entre les jeunes élèves officiers dont le principe est connu sous le nom d'ERASMUS.
Je tiens, en tout premier lieu, à remercier l'ensemble des délégations européennes présentes. Ce séminaire s'inscrit dans le cadre d'un projet ambitieux de la présidence française : mettre l'accent sur la dimension humaine de la Politique européenne de sécurité et de défense en mettant en place un programme d'échanges entre les académies militaires destiné aux jeunes officiers en formation initiale.
Hervé Morin avait prévu d'intervenir personnellement en ouverture de ce séminaire mais il a été retenu par d'autres obligations. Il m'a donc demandé d'être son interprète pour vous dire combien il regrette de ne pas pouvoir être parmi nous aujourd'hui. Vous savez combien cette idée lui tient à coeur puisqu'il est à l'origine de cette initiative de la présidence française. Dans cet esprit, il rencontrera, le 16 décembre, aux Ecoles de Saint-Cyr Coëtquidan, en Bretagne, les délégations d'élèves-officiers de l'ensemble des Etats membres pour débattre avec eux et recueillir leurs attentes.
Nous sommes au coeur de l'Ecole militaire qui me semble un lieu particulièrement bien choisi pour abriter vos réflexions puisque, dès 1751, ce lieu a eu vocation à former des officiers. A la fin du XVIII° siècle, soit un demi-siècle après sa création, l'école militaire de Paris avait déjà servi de modèle à la création d'académies militaires en Autriche, en Russie, en Bavière, à Naples et en Angleterre. A l'époque il n'était évidemment pas concevable d'y pratiquer des échanges visant à former des officiers ressortissants d'autres puissances européennes, puisque la défiance et la guerre entre les nations constituaient la normalité de l'époque, à travers toute l'Europe.
Aujourd'hui les choses ont heureusement bien changé. Nous accueillons à Paris des stagiaires venant de plus de 100 pays. Il en va de même pour nos officiers français qui étudient dans les écoles et les académies militaires des cinq continents. Que tous ces pays d'accueil, et en particulier les pays de l'union européennes soient, aujourd'hui, remerciés.
Car cette ouverture de la formation est non seulement un bienfait, c'est surtout une nécessité qui fait écho à l'évolution constante des opérations militaires.
En effet, les interventions militaires dans un cadre strictement national ont vécu. Les opérations multinationales conduites sous l'égide d'organisations internationales au premier rang desquelles les Nations-Unies, l'OTAN et l'Union européenne se multiplient
Le cadre d'emploi opérationnel de nos forces armées devient donc de plus en plus fréquemment multinational ; de plus en plus européen également, au fur et à mesure que les opérations décidées et conduites dans le cadre de la Politique européenne de sécurité et de défense se multiplient. Pour répondre au besoin de cohérence et d'efficacité de ces engagements multinationaux, l'interopérabilité des matériels fait légitimement l'objet d'une attention croissante, avec plus ou moins de réussites.
Mais qu'en est-il de l'interopérabilité des hommes ?
Comment prépare-t-on nos jeunes officiers à ces nouveaux défis opérationnels qui s'imposeront à eux dans des termes comparables ? Comment attendre d'eux qu'ils soient, dès leur première partie de carrière, à l'aise dans les opérations multinationales et j'allais dire « interopérables sur le plan intellectuel » ; qu'ils aient des réflexes tactiques compatibles et solidaires, si leur cursus militaire et académique est encadré uniquement par des instructeurs et des professeurs de leur pays d'origine et possédant un référentiel culturel exclusivement national?
La cohésion des ensembles est un facteur de succès indispensable. La qualité et la solidité du « système d'hommes » compte d'avantage encore que la disponibilité et la technicité des systèmes d'armes. L'interopérabilité d'unités multinationales est à juste titre présentée comme la condition essentielle de leur fonctionnement et de leur efficacité.
Il faut certes entendre par là une certaine standardisation des structures, des équipements et des procédures logistiques ainsi qu'une meilleure compatibilité des systèmes d'information et de commandement ; mais il faut y voir aussi la capacité des chefs militaires à accorder en toutes circonstances leurs intentions tant au niveau tactique, qu'opératif ou stratégique et à coopérer efficacement, spontanément et naturellement, j'allais même dire instinctivement, sur le terrain.
Cette qualité mentale et intellectuelle ne peut se développer sans mettre, au plus tôt, les jeunes officiers en contact direct et prolongé avec la diversité culturelle et sans faire effort sur les connaissances linguistiques. Seul un esprit ouvert à la différence pourra appréhender la complexité des enjeux multinationaux et en réaliser aisément la synthèse.
Transformer le handicap de la multinationalité en un atout est un vrai défi pour les chefs de demain. C'est aussi une formidable opportunité d'enrichissement humain, d'élargissement de « la culture générale » qui, comme le disait le général de Gaulle, « est la véritable école du commandement ».
Depuis 1987 et le lancement du programme Erasmus, plus d'1,7 million d'étudiants civils ont participé à des échanges universitaires entre pays européens, se sont adaptés à une culture nouvelle, ont appris à maîtriser une autre langue au quotidien, ont appris à vivre avec des citoyens de toute l'Europe. Aujourd'hui, un jeune diplômé travaille sans la moindre difficulté avec un homologue d'un autre pays européen.
Nous voulons aujourd'hui offrir des opportunités du même ordre aux jeunes officiers des armées de terre, des marines et des armées de l'air des Etats membres de l'Union européenne. L'ambition poursuivie est qu'un élève-officier puisse, de la même manière qu'un étudiant civil, s'affranchir des frontières lors de sa formation initiale militaire et académique.
Etre Européen, et vous MM les recteurs, directeurs d'établissement et professeurs d'université l'avez clairement assimilé, ce n'est pas seulement bénéficier de la liberté de circulation des biens, des personnes et des capitaux. C'est aussi - et je souhaite que l'on s'en donne véritablement les moyens - former les chefs militaires de demain à comprendre, apprécier, aimer et défendre ce que nous avons en commun, comme ce qui nous distingue. C'est enfin, en leur permettant de vivre au quotidien et de s'imprégner d'autres traditions, d'autres cultures, d'autres mentalités, d'autres langues, que nous leur permettrons de décloisonner les esprits, d'ouvrir les portes d'une nouvelle fraternité d'armes et d'élargir l'esprit de corps à l'échelle du continent.
Car, ce n'est qu'en multipliant les contacts dans un cadre clairement formalisé que les jeunes élèves officiers de l'Union européenne se rapprocheront, constateront leurs ressemblances et leurs différences, évalueront leur complémentarité et seront les acteurs des évolutions indispensables des organisations et des systèmes militaires. Ces rapprochements doivent présenter un relief particulier, dépassant en profondeur et en densité, le niveau des formes actuelles de coopérations dans le cadre des alliances, des coalitions ou même des forces multinationales.
Les soldats de différentes nationalit??s européennes peuvent à tout instant être impliqués dans des actions de combat meurtrières. Il est important d'en être toujours conscient. Cette communauté de destin, cette notion de sacrifice suprême pour une cause et pour la défense de valeurs communes constituent l'essence même de l'engagement militaire. Elles fondent la fraternité d'arme qui unit nos soldats. Au-delà de l'aspect pratique d'un rapprochement à des fins d'interopérabilité, je dirais qu'il s'agit là de la dimension éthique de ce projet.
Car il faut bien constater que le sentiment d'appartenance nationale, empreint d'histoire et de tradition militaire, l'emporte encore très largement aujourd'hui dans les esprits sur un sentiment d'identité européenne encore en devenir.
En s'appuyant sur les vertus d'une pratique quotidienne de l'ouverture aux autres, en permettant de relativiser les différences de perception et de jugement, en donnant accès à la connaissance intime d'un système différent de son propre modèle national, les échanges de jeunes élèves-officiers peuvent et doivent renforcer ce sentiment d'engagement commun pour des valeurs partagées.
A ce jour, ce sentiment naissant, manque encore de références et de légitimité. Si l'Union européenne peut s'appuyer sur des valeurs partagées, l'identité collective des Européens ne suffit pas encore
- à sublimer les repères historiques, politiques, culturels et symboliques de l'état et de la nation qui fondent l'acceptation même de l'engagement du militaire servant sous l'uniforme,
- à défendre, par les armes et au péril de sa vie, un idéal et un intérêt qui lui sont supérieurs.
Le pari est donc, entre autres, de favoriser, à l'échelle européenne, une dynamique de prise de conscience individuelle de nos diversités et de nos convergences, sans chercher à imposer un quelconque modèle pédagogique ou à inculquer un quelconque enseignement didactique harmonisé, mais en mettant un nombre croissant de bénéficiaires de ces échanges dans une situation personnelle d'immersion dans la diversité de nos systèmes. Cette approche qui s'inspire de ce que j'appellerai la philosophie du programme universitaire Erasmus leur permettra de se forger par eux-mêmes des repères communs.
Vous aurez cerné toute l'importance de ce séminaire. C'est une première occasion de pousser concrètement et ensemble la réflexion sur ce projet en devenir, maintenant qu'une décision politique a été prise par l'ensemble des Etats membres. Je tiens d'ailleurs à saluer l'accueil favorable que l'ensemble des ministres de la défense de l'UE ont réservé à cette initiative, à Deauville les 1er et 2 octobre ainsi que la déclaration sur l'initiative européenne pour les échanges de jeunes officiers adoptée lundi, à Bruxelles.
Il vous revient à présent de mettre ce projet en ordre de marche et je ne doute pas un seul instant que de nombreux résultats en découleront.
Il faut réfléchir aux modalités d'exécution, préparer de nouvelles décisions visant à multiplier rapidement les échanges, à encourager la coopération multilatérale entre établissements de formation militaire européens et à soutenir la transparence et la reconnaissance académique des études supérieures et des qualifications.
Des résultats concrets pourraient être obtenus dès 2009, à commencer par la définition d'un module commun de formation sur la défense européenne. Il faudrait aussi s'atteler, sans tarder, au lancement de consultations entre académies et écoles militaires pour l'établissement et la reconnaissance mutuelle d'équivalences entre divers modules de la formation des officiers.
Mesdames, messieurs, vous l'avez bien compris, ce n'est pas seulement comme secrétaire d'Etat à la Défense que je m'exprime devant vous, mais aussi comme européen convaincu.
La construction de l'Europe a toujours été un moteur dans ma vie. Aujourd'hui, nous devons ajouter une nouvelle pierre à notre maison commune.
L'avenir de la défense européenne, passe, nous en sommes tous persuadés, par le renforcement des échanges entre nos jeunes officiers. Bien sûr, ce projet est ambitieux et nécessitera beaucoup d'efforts, nous en sommes tous conscients. Mais souvenons-nous d'Erasme, ce grand humaniste de la Renaissance qui vécut les dernières années de sa vie à Bâle et qui a donné son nom au programme d'échanges universitaires de la Commission. Il était l'un de ces précurseurs qui, au-delà des connaissances, des croyances et des règles de son temps, eût l'audace et le courage de proposer plus, de chercher plus et de découvrir plus.
C'est bien en ce sens qu'il affirmait, je cite : « peu de gens comprennent l'immense avantage qu'il y a à ne jamais hésiter et à tout oser ». Toutes proportions gardées, nous nous trouvons aujourd'hui devant le même défi d'oser pour en tirer, à terme, le meilleur avantage.
Je souhaite qu'au cours de ce séminaire, qui constitue une nouvelle étape vers la concrétisation de cette belle idée d'un Erasmus militaire, que vos réflexions et vos échangent soient fructueux, francs et ouverts. Je vous souhaite d'excellents travaux et vous remercie de votre attention.
Source http://www.defense.gouv.fr, le 27 novembre 2008