Déclaration de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, sur les défis à relever par le Parti socialiste dans le contexte de la crise internationale actuelle, et sur la nouvelle équipe à mettre en place au sein du parti, Reims le 14 novembre 2008.

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Circonstance : Congrès du Parti socialiste à Reims du 14 au 16 novembre 2008

Texte intégral

Chers camarades, à mon tour de remercier et de saluer Adeline Hazan et les militants de la fédération de la Marne qui nous accueillent pour notre Congrès.
Ils ont pris un risque, le savaient-ils ? Et nous, nous avons pris une responsabilité. Nous avons fait le choix de la ville de Reims, nous avions tant de sollicitations, parce que c'était la ville sans doute la plus emblématique de nos victoires du mois de mars dernier, cette ville où il n'y avait jamais eu un maire socialiste, donc nous voulions saluer cette victoire parmi toutes les autres, et rappeler que nous sommes aujourd'hui le premier parti de France au niveau de nos élus sur le territoire de notre République.
Je veux intervenir dès l'ouverture de notre Congrès pour situer les enjeux qui nous attendent. Il s'agit certes pour nous de régler les questions de direction de notre parti pour les trois ans à venir, d'en fixer la stratégie, l'orientation, c'est légitime, c'est plus que légitime, c'est nécessaire. Mais il s'agit aussi, surtout, devant les Français de prendre collectivement la mesure de ce qui se produit dans le monde, en Europe et en France et de livrer ensemble nos réponses.
Nous devons nous placer à la hauteur des défis dans une période exceptionnelle, celle que nous traversons, et offrir collectivement à notre pays un outil politique efficace, crédible pour porter le changement et incarner l'espoir.
Notre congrès se tient au moment où le monde vit une accélération de l'histoire. Le capitalisme connaît une nouvelle crise, ce n'est pas la première. Ces crises ont même tendance à s'enchaîner depuis vingt ans. 1987, crise boursière, 1997, crise asiatique, 2000 la crise technologique, et c'est sans doute l'une des crises, et pas la pire que le capitalisme connaît, si l'on songe à 1929. Mais elle a ceci de spécifique, c'est que c'est la plus globale : elle est à la fois financière, monétaire, économique, écologique et sera sociale. Ce qui suppose d'y répondre dans toutes ses dimensions, pas seulement en provoquant un G20 aujourd'hui, pas seulement en évoquant un nouveau Bretton Woods, il le faudra mais en prenant une nouvelle organisation de la planète et un nouveau pilotage de l'économie et de la finance.
Cette crise est la plus révélatrice des excès du capitalisme. Elle est le produit de trois déséquilibres fondamentaux qui la rendaient d'ailleurs inévitable. Le premier de ces déséquilibres, c'est que le taux de rendement du capital, qui était exigé par les actionnaires depuis plusieurs années, dépassait de très loin le taux de croissance de l'économie et des gains de productivité.
Le second déséquilibre, c'était que l'augmentation des valeurs boursières ces vingt dernières années, n'avait plus rien à voir avec l'augmentation des bénéfices des entreprises.
Le troisième déséquilibre, c'était que la part des profits liée à la finance s'était faite au détriment de la part des profits liés à la production. Songeons même que des sociétés industrielles avaient même été capables d'inventer des entreprises sans usine. La logique de ce système supposait des innovations financières de plus en plus déconnectées avec l'économie réelle.
Si on ajoute à ces trois déséquilibres, la rémunération des dirigeants qui s'étaient éloignés de toute logique de performance, avec une course au bonus sans lien avec les intérêts de l'entreprise, où les PDG du Cac 40 en France touchent en un jour ce que leurs salariés mettent un an à gagner. On comprend que les tensions étaient là et que le krach était inévitable.
La réalité s'est donc vengée sur les agents qui avaient organisé, propagé, ouvert ces dérives, c'est-à-dire les banques elles-mêmes, lesquelles viennent de prendre en otage les Etats en les sommant de les sauver au risque sinon d'un effondrement général. Cette crise signe donc l'échec du libéralisme, du tout-marché, de la dérégulation, de la privatisation, de la concurrence. Incontestablement, disons-le, personne ne le dira à notre place, cette crise valide les thèses des socialistes et des sociaux-démocrates qui depuis des années, dénonçaient l'économie de casino, le déséquilibre entre capital et travail, les dangers de l'autorégulation des marchés.
Nous-mêmes nous serions frileux pour constater, certes nul privilège, à avoir raison trop tôt, pour dire que par rapport à la bataille idéologique que François Fillon voulait encore livrer ces derniers mois et qu'il pensait même avoir gagné au nom du libéralisme, cette bataille idéologique-là avec la crise, ce sont les sociaux-démocrates et les socialistes qui l'ont hélas emportée.
Aujourd'hui, le rôle de l'Etat est réhabilité, et voilà même qu'on vient le chercher comme le sauveur suprême des établissements financiers, comme le prêteur en dernier ressort des entreprises. On en voit qui hier critiquaient l'intervention publique, demander la protection de l'Etat, sa garantie, sa tutelle. Les plus beaux esprits, souvent bien rémunérés, oublient les contraintes de l'endettement public, qui l'ont rappelé, comme incontournables, ou encore le pacte de stabilité pour mieux demander à bénéficier de la prodigalité de l'Etat, voire même de son contrôle.
Songeons bien que, pour la première fois de leur histoire, le Trésor public des Etats-Unis vient de prendre des participations dans le capital des banques. Nicolas Sarkozy n'avait pas osé le faire, même George Bush finissant a fini par y consentir.
Méfions-nous néanmoins de cette soudaine reconnaissance, de cette subite conversion, elle n'est pas le fruit d'un retournement idéologique. Nul ne va nous faire croire que Nicolas Sarkozy a lu les motions du Parti socialiste, encore que, parfois, moi-même, parfois je m'interroge. Elle n'est pas non plus le fruit d'un pragmatisme, comme on nous le dit souvent, mais le résultat d'un cynisme à peine dissimulé et qui consiste à aller chercher l'État, non pas pour protéger les plus faibles, les plus démunis ou pour permettre de sortir de la crise économique, non, d'aller chercher l'Etat pour socialiser les pertes comme hier on lui demandait de laisser privatiser les profits. Voilà la logique nouvelle qui est en marche.
Il ne s'agit pas pour moi ici, pour vous, de nier l'urgence des plans de sauvetage qui se sont généralisés à l'échelle de la planète pour venir en aide au secteur financier, 2500 milliards de dollars, rien que cela, mais il nous revient de faire apparaître que ces plans-là ne suffiront pas pour juguler la crise, et même pour prévenir la suivante.
Le G20 convoqué aujourd'hui ne porte que sur les symptômes du mal financier. Dans le meilleur des cas, je ne veux rien insulter, les réponses qui en sortiront sont les agences de notation, les normes comptables, le contrôle des fonds spéculatifs ou la réglementation des banques et ne touchent en rien aux causes même de cette crise. C'est pourquoi nous, ici, dans notre congrès, nous devons faire entendre notre voix.
Il y a trois principes que nous devons poser pour sortir l'économie mondiale de la crise qui la frappe. D'abord, la stabilité. Face à la volatilité de tous les marchés, il faut redonner de la confiance. Cela vaut pour le système monétaire international avec des marges de fluctuation pour les monnaies. Cela vaut pour les matières premières dont les prix doivent être maîtrisés en fonction des ressources naturelles, cela vaut pour le commerce mondial qui doit respecter les normes sociales et environnementales, cela vaut aussi pour la finance, que j'appelle « noire » sur les paradis fiscaux et les fonds spéculatifs.
Le deuxième objectif, c'est la croissance. Face à la récession généralisée, des plans de soutien de l'activité sont nécessaires. Ils doivent être concertés dans toute l'Europe. Ils doivent porter sur les grands travaux d'infrastructure, l'énergie, la recherche, pas simplement pour répondre aux besoins de la conjoncture mais pour élever le potentiel de croissance de demain. C'est pourquoi nous demandons que l'Europe lance un grand emprunt, au moins 200 milliards d'euros pour financer précisément les plans d'infrastructure, d'économie d'énergie et de recherche.
Enfin, le troisième objectif, c'est la répartition des efforts face aux conséquences sociales de cette crise qui arrive, chômage, précarité, pauvreté, c'est l'ensemble des mécanismes de la répartition de la valeur ajoutée, c'est-à-dire la part réservée aux salaires qui doit être revue comme des mécanismes de la redistribution.
En ce sens, je le dis ici, le paquet fiscal voté il y a un an et demi, est dans le contexte d'aujourd'hui une monstruosité économique, sociale, fiscale dès lors qu'il encourage les rentiers plutôt que les investisseurs et incite à faire travailler davantage ceux qui sont déjà dans l'emploi plutôt que de favoriser l'embauche de ceux qui n'y sont pas.
Nous devons être d'autant plus ambitieux dans nos propositions que le monde ne charrie pas que de mauvaises nouvelles. Il porte aussi des messages d'espoir.
La victoire de Barack Obama a montré qu'en définitive le meilleur était possible, que l'Amérique, en finissant avec huit ans de Bush, en plaçant à la Maison-Blanche son exact contraire, c'est-à-dire un démocrate, noir, opposé depuis le premier jour à la guerre en Irak, cette victoire-là a déclenché une espérance qui va bien au-delà des Etats-Unis d'Amérique.
Elle donne d'abord confiance à la démocratie et notamment dans les pays qui en sont privés, elle ouvre un nouveau temps pour les négociations y compris au Proche-Orient. Elle donne de la fierté à l'Afrique et rappelle la nécessité de son développement. Elle ouvre la possibilité d'un monde multipolaire, de la reconnaissance de l'ONU, des institutions internationales, les droits de l'Homme. Elle permet pour l'Europe de saisir une occasion formidable. Mais, en même temps, soyons aussi lucides, Barack Obama sera d'abord le président des Etats-Unis d'Amérique soucieux de ses intérêts, attentif aux attributs de la puissance, protecteur de ses entreprises comme de son économie.
Mais pour les progressistes que nous sommes l'élection de Barack Obama, conjuguée à l'ébranlement provoqué par la crise qui est née outre-Atlantique, nous offre plusieurs opportunités, l'émergence d'abord d'un monde multipolaire, l'affirmation d'une conscience mondiale et la nécessité d'une Europe politique. Je veux insister là-dessus : elle est apparue à la mesure des divisions et de ses retards, mais face à la crise financière cette Europe qui a juxtaposé les plans nationaux, qui est restée face à la récession impuissante, cette Europe-Là est apparue encore une fois nécessaire mais absente, dépourvue d'un traité institutionnel, l'Europe sous présidence française a multiplié les réunions pour découvrir finalement qu'elle ne disposait pas d'un gouvernement économique. Au point que Nicolas Sarkozy qui a horreur du vide, et qui est toujours prêt à se dévouer, à déclaré vouloir en prendre la présidence pour le restant de son mandat.
Là encore, prenons l'initiative dans ce congrès, faisons avec les socialistes européens des élections du mois de juin prochain une grande confrontation démocratique avec la droite sur le sens que nous voulons donner à l'union des 27.
Je le sais, le Parti des socialistes européens est bien imparfait. Nos homologues socio-démocrates n'épousent pas toutes nos thèses, loin s'en faut, mais c'est la seule force, je dis bien la seule à l'échelle de l'Europe sur laquelle nous pouvons compter. C'est notre seul instrument pour peser au Parlement aujourd'hui et dans les gouvernements européens demain.
C'est notre seul outil pour porter ensemble des politiques. Et si nous voulons rallumer la flamme européenne que la droite et le libéralisme de la commission ont contribué à éteindre, chers amis, chers camarades, faisons confiance, mais militons aussi pour le Parti des socialistes européens. Car je vous avertis, si nous n'affirmons pas un socialisme européen, c'est l'Europe d'abord et le socialisme ensuite qui en seront les victimes parce que le sort du socialisme et le sort de l'Europe sont intimement liés et que toute crise européenne crée une crise dans le socialisme. Et toute crise dans le socialisme aboutit à une crise européenne.
Le second défi que nous avons à relever est ici en France et il est de porter l'alternative à Sarkozy. Un an et demi après son élection, le constat est implacable. Aucun des engagements de campagne n'a été tenu. Il voulait être le président du pouvoir d'achat, il est celui de son recul, les salaires, les retraites, les prestations sociales ont moins progressé que l'inflation et ont donc diminué en valeur réelle. Il voulait être le président du plein emploi, il est celui du retour du chômage. Sa hausse est continue depuis six mois. Et voilà que le Président de la République nous demande de travailler le dimanche alors que les chômeurs voudraient tout simplement pouvoir travailler la semaine.
Et que dire de la retraite à 70 ans quand les plus de 55 ans sont systématiquement chassés de leur entreprise et interdits du droit de travailler ? Il voulait être le Président de la baisse des impôts, il est celui de l'injustice fiscale. Non seulement les prélèvements se sont multipliés, au moins dix nouveaux depuis un an, mais le bouclier fiscal va exonérer les plus favorisés de tout effort supplémentaire quoiqu'il arrive pour le reste de la législature.
Et enfin le creusement des déficits publics et la montée de l'endettement public à un niveau record, sans doute 70 % de la richesse nationale en 2011, renverra sur les années futures la charge des remboursements.
Et si la France apparaît plus désemparée, plus brouillonne dans la gestion des conséquences de la crise, c'est parce qu'elle est dépourvue de toute marge de manoeuvre. Le déficit public a dépassé les limites depuis longtemps du pacte de stabilité, le déficit commercial atteint un niveau record.
Bref, l'économie française est aujourd'hui à l'arrêt, et j'apprends comme vous ce matin le communiqué de gloire du gouvernement car la récession aurait été conjurée. Le chiffre a été publié, il mérite toute notre attention : pour le troisième trimestre, 0,14. Ce qui est essentiel est après la virgule. On reprend notre souffle, la récession n'est pas là, nous serions les seuls. Nous avons une croissance zéro. Hier, ils appelaient encore la croissance négative, mais le pays est non seulement en récession, mais il est en régression car les Français vivent un déclassement général, tout est devenu précaire, le salaire, la retraite, la protection sociale, le droit du travail et même les crédits.
Et ce n'est pas un plan de sauvetage de plus aujourd'hui qu'il nous faut, mais un plan de revitalisation économique. Il doit conjuguer effort d'investissement, privé comme public, soutien au pouvoir d'achat, et notamment les salaires, garantie de crédits à travers un fonds national de cautionnement mutuel, présence de l'État au capital des banques et mobilisation nationale de l'épargne à travers des livrets directement affectés au financement de l'économie.
Mais il faut être aussi conscient et je mets en garde que la crise fragilise les résistances, émousse le combat social, suscite le repli sur soi, la peur du lendemain et sans doute le sauve qui peut individuel. C'est le calcul de Nicolas Sarkozy, tenté lui aussi par un « vive la crise » si elle lui permet de s'exonérer de sa propre responsabilité et de se protéger derrière un brouillard idéologique De la défaillance de son système de pensée.
Et surtout si elle lui permet de concentrer encore davantage son pouvoir, les institutions puisqu'il est président et même ministre de tout, pas un fait divers sans un nouveau projet de loi annoncé par lui, pouvoir dans l'économie puisque Nicolas Sarkozy est actionnaire de tout, pouvoir dans les médias puisque Nicolas Sarkozy est ami de tous, et que dire de l'UMP puisque son président, Patrick Devedjian, a considéré qu'il ne pouvait plus jouer le rôle parce que c'était Nicolas Sarkozy qui décidait de tout.
Bref, il a compris là le destin qu'il s'est choisi, il veut être maître de tout, seul en scène, acteur unique de la France avec le souci d'effacer tout le reste, le Parlement, la majorité et même j'allais dire et surtout l'opposition.
Voilà le défi dont nous devons prendre la mesure. Il s'est produit ces derniers mois une mutation institutionnelle et politique majeure. Nous ne sommes pas devant n'importe quel président et n'importe quelle droite. Jamais, depuis la Ve République, un chef de l'État n'a accumulé autant de pouvoirs, jamais les droites n'ont été aussi soumises, hiérarchisées, dominées, mais unies sous une même autorité. Fini les trois familles de la droite, écartée l'extrême droite, absorbé l'ensemble des sensibilités. Il n'y a qu'un chef, qu'une droite et, dès lors, et je reviens à l'enjeu de notre congrès pour terminer, le Parti socialiste, dans ce contexte mondial, européen, français, est le seul à pouvoir porter l'alternative. Le Parti socialiste n'est pas le seul dans l'opposition, il y a d'abord nos partenaires de gauche, mais leur avenir est le nôtre, de notre capacité à porter ensemble un projet dépend la dynamique du rassemblement de la gauche et Les Verts.
Il y a l'extrême gauche dont la radicalité trouve écho dans les colères qui montent dans la société. Mais elles ne débouchent sur rien d'autre qu'une affirmation protestataire dès lors que la Ligue communiste aujourd'hui ou demain le NPA ne veut nouer aucune alliance électorale avec le Parti socialiste. Et d'ailleurs je préviens ceux qui auraient un doute, quelle que soit sa future direction, quelle que soit sa future stratégie ou orientation, ce n'est pas avec tel ou tel que l'extrême gauche ne veut pas discuter, c'est avec le Parti socialiste.
Parlons avec les électeurs, sachons nous adresser à eux, ils verront aussi qui peut produire le changement et nous sommes les seuls à pouvoir l'organiser.
Enfin, il y a le MoDem, il est dans l'opposition. Mais il est dans l'opposition autant à la droite qu'à nous-mêmes, il est dans une compétition avec nous et nous dans une concurrence avec lui.
Il n'espère encore aujourd'hui qu'en nos faiblesses, qu'en nos divisions, qu'en nos contradictions. Il cherche même à instrumentaliser nos débats de congrès. S'il n'y a pas de doute sur notre rapport avec lui, il ne peut pas jouer le premier rôle, il ne sera, si un jour il le veut, qu'une force d'appoint.
Dès lors, l'alternance, la marche du progrès, les avancées économiques et sociales ne passent que par le Parti socialiste. Et c'est notre enjeu, qu'avons-nous à faire ? Et ce n'est pas facile, j'en conviens, et nous sommes tous en recherche de la meilleure solution. Nous n'en sortirons pas si nous n'avons pas deux exigences que nous devons nous adresser à nous-mêmes : une exigence de cohérence sur les réponses à la crise, sur la stratégie, sur nos comportements, sur notre identité. Nous devons être en cohérence et si demain, comme hier, c'est la discordance, c'est l'irrespect, c'est le manquement qui l'emportent par rapport à cette première nécessité, oubliez les échéances à venir.
La seconde exigence, c'est d'être capable de cohésion sur les choix qui sont faits par les militants ou les décisions prises par nos instances : à chaque manquement, à chaque défaut, c'est le parti lui-même, quel que soit l'avenir que nous voulons lui donner, qui est ainsi affaibli.
Nous sommes fiers d'être le parti du débat. Ce n'est pas facile dans une société médiatisée comme elle l'est d'assumer les contradictions, les débats d'idées, y compris les enjeux de personnes. Ce n'est pas facile de tenir même un congrès avec plusieurs motions. Ah, ce n'est pas comme avant où il n'y avait qu'une chaîne de télévision et où on ne passait pas. Aujourd'hui, si on veut passer à la télévision, et ce n'est pas facile en période ordinaire, le congrès est une bonne affaire, et pas simplement pour notre bien. Mais en même temps nous assumons ce que nous sommes, un parti de débat. Moi, je préfère être dans ce parti-là, le Parti socialiste, le mien, plutôt que dans le parti où on me dit ce qu'il faut penser. Et celui qui me le dit est celui qui est au sommet et qui ne demande rien, ni à ses militants, ni à ses responsables, ni à ses ministres, ni à son Premier ministre.
Je préfère être dans ce Parti socialiste, le mien, plutôt que dans un autre où le président du Parti se confond avec le militant et où il n'y a aucune instance, aucun débat, où ils sont tous partis. C'est peut-être une solution pour avoir la paix.
Je préfère être dans mon Parti socialiste que dans un certain nombre d'autres où on ne connaît même pas les patronymes de ceux qui siègent dans les instances. Il faut être fier d'avoir été capable de mener le débat, il est long, trop long, il n'y a que nous pour inventer les contributions, les motions et mettre plusieurs mois.
Et quand on demande de raccourcir le délai il s'en trouve toujours un parmi nous pour dire : « La démocratie est en cause. » Si seulement.
Il n'y a que nous pour écrire autant de pages et je ne demande pas qu'on les lise toutes, on pourrait même parfois les intervertir, il n'y a que nous qui faisons cela.
Mais ne nous plaignons pas de ce que nous sommes, si nous sommes le Parti socialiste avec cette volonté de délibérer, de choisir, de décider, c'est parce que si un jour, parce qu'il faudra quand même s'y mettre une bonne fois, nous revenons aux responsabilités, c'est pour gouverner et pour présider autrement avec le souci de faire vivre le Parlement et de mobiliser la société, ce que nous faisons ici. Nous sommes capables de le vouloir pour l'ensemble du pays.
Cela suppose d'avoir un certain nombre de règles entre nous. Oui au parti du débat, oui au parti du vote, oui au parti du respect, du débat et du vote, du respect de la décision prise et nul ne peut s'en exonérer. Et si, dans toutes les motions, ce sursaut peut exister, tant mieux. Mais n'attendez pas d'être majoritaires pour le réclamer. Même les minorités doivent assumer le respect du vote, et d'ailleurs le respect du vote est aussi de respecter les minorités. Donc faisons en sorte, chers amis, chers camarades, d'être le parti du débat, mais celui de la décision, je n'ose pas dire de la discipline. On viendrait me chercher querelle.
Alors, nous avons pris un chemin difficile, celui de la démocratie, six motions, il y avait un risque. Nous avons un ordre d'arrivée, il est clair. Aucune motion n'est majoritaire à l'entrée du congrès, c'est un fait et nous devons donc mettre un terme à cette fragmentation et il aurait mieux valu commencer par là où nous allons finir, c'eût été plus clair devant les militants.
Et nous devons donc mettre un terme à cette fragmentation pour donner du sens et de la constance, de la clarté, de la stabilité, l'exercice est périlleux, j'en conviens et chacun est devant ses responsabilités : les porteurs de motions, c'est normal, les délégués du congrès, c'est votre rôle. Qu'avons-nous à faire ? Quel est finalement l'objet de notre congrès ?
Trouver une majorité, voire une synthèse sur une orientation, une stratégie, une gouvernance du Parti socialiste. Voilà ce qui est à notre agenda, ce qui nous est posé comme questions tout au long de ces deux jours. Comment s'y prendre ?
La motion qui est arrivée en tête a la légitimité pour proposer le rassemblement. Les autres motions doivent lui répondre loyalement sur toutes les questions posées : l'orientation, les alliances, la conception du parti, la stratégie, mais les autres motions ont aussi la responsabilité de chercher d'autres solutions. C'est le débat de congrès. Mais, là encore, ne craignons rien, si nous cherchons en vérité la cohérence, le congrès en sera saisi après la commission des résolutions, les délégués auront à se prononcer et, quoiqu'il arrive, les militants auront le dernier mot pour désigner jeudi mon successeur à la tête du Parti socialiste. Et moi je fais confiance toujours aux militants du Parti socialiste. Je leur fais confiance, mais ce que nous allons faire aujourd'hui est important pour leur propre prise de responsabilité. Nous leur demandons de faire un choix, à nous de l'éclairer.
Je tiens à vous livrer mon état d'esprit au moment où je vais quitter la responsabilité de premier secrétaire. Pendant plus de dix ans, dans cette fonction, j'ai connu toutes les situations, des périodes paisibles, notamment pendant le gouvernement de Lionel Jospin, mais aussi des moments plus éprouvants : 2002, après le premier tour, 21 avril, nous n'étions pas nombreux à tenir bon, mais nous étions beaucoup à nous poser la question même de notre avenir.
2005 : après l'échec du référendum sur le Traité constitutionnel européen qui nous avait séparés, il fallait nous retrouver coûte que coûte et ce fut le congrès du Mans et la synthèse que je ne regrette pas personnellement. Elle était nécessaire pour nous retrouver ensemble dans la préparation de l'échéance présidentielle qui arrivait.
J'ai connu aussi des moments éprouvants après 2007, après une campagne qui nous avait tant fait espérer et où nous avions des élections législatives qui corrigeaient mais qui, en même temps, ne nous donnaient pas la majorité.
Dans ces instants, j'ai toujours été, quoiqu'il m'en ait coûté personnellement, soucieux de l'unité du Parti socialiste.
L'unité du Parti socialiste, je n'en fais pas une figure rhétorique ou une posture commode de congrès, je nous fais confiance pour cela, je suis lucide, tout le monde est pour l'unité, je ne connais personne pour la division, mais plutôt l'unité autour de lui-même ou autour de la position que chacun défend et l'unité ne doit pas non plus être un prétexte pour ne pas décider, mais l'unité est une obligation si l'on veut, au bout du processus, donner une perspective et une espérance. Nous avons nos différences entre nous, quelquefois nous les exagérons, quelquefois nous faisons semblant de ne pas les voir. Elles sont respectables, elles portent sur la définition du socialisme, voire de la sociale démocratie, sur les questions électorales, la rénovation du parti, c'est un thème permanent et qui succèdera aux rénovateurs. Et les questions des personnes qui servent parfois de prétexte, mais, en même temps, trêve d'hypocrisie, les questions de personnes ont aussi leur place et elles nous taraudent depuis tellement d'années.
L'élection présidentielle en est la cause et la justification principale, nous n'allons pas abroger l'élection présidentielle, donc nous devons en tenir compte sans pour autant être perpétuellement soumis à cette préparation.
Tout cela embrume sans doute nos choix et je vous le dis aussi par rapport à ces questions de personnes qui ne sont pas nouvelles, qui reviennent rituellement dans notre organisation. Un parti ne peut pas être dans le tous pour où, dans le tous contre, un parti doit être dans le tous ensemble une fois qu'on a pris la décision collectivement.
Nous savons aussi, chers camarades, sans pour autant y être assez vigilants, mais je l'ai été pendant dix ans, nous savons qu'il n'y a pas de bien plus précieux que le Parti socialiste. Je le connais bien, trop bien diront certains, c'est une force irrésistible que la nôtre quand nous sommes en mouvement et que nous incarnons le changement, nous l'avons encore montré à l'occasion des élections municipales et cantonales, succès historiques.
Mais nous sommes aussi un appareil racorni quand nous ne représentons que des féodalités, des conflits d'intérêts ou des compétitions de personnes. Je sais aussi nos faiblesses, nous sommes un mouvement qui a encore tellement à faire pour s'élargir, pour s'ouvrir à tous les mouvements de la société, pour représenter plus fidèlement notre électorat dans toute sa diversité. Et j'ai senti quand même le souffle de l'élection de Barack Obama parce que nous aurions tant encore à faire pour permettre à tous ceux qui se sentent citoyens de la République, mais pas nécessairement à part entière responsables de la République.
Mais nous sommes aussi un parti tellement influent dans tous les domaines de la vie sociale locale et nationale et nous n'avons jamais été aussi présents sur le territoire. Je vous le dis tout nettement et je ne me reconnais pas dans une distinction que vous voudrez établir entre le vieux parti et le nouveau. Où serait d'ailleurs la frontière ?
Entre certaines fédérations et d'autres ? Il faudrait alors la définir et la regarder de plus près.
Entre les anciens ministres et ceux qui aspirent à l'être ? Je ne sais pas quel est le groupe le plus nombreux ?
Entre les quinquagénaires et les quadragénaires ? J'attendrai, leur tour viendra.
Entre les élus et les militants ? Comme si les militants ne voulaient pas être élus et comme si les élus n'étaient pas toujours, cela peut arriver, des militants.
Entre les archaïques et les modernes ? Le mot archaïque porte chance dans notre parti, méfions-nous, ne vous laissez pas accaparer.
Moi, je ne connais qu'un seul Parti socialiste avec toutes ses générations, tous ses talents, tous ses territoires, toutes ses traditions, toutes ses innovations, toutes ses cultures, toutes ses couleurs de peau, je ne fais aucune distinction entre les socialistes et je ne connais pas un vieux parti ou un nouveau, je ne connais que le Parti socialiste d'aujourd'hui et qui doit être différent encore demain et qui porte le même idéal, qui a la même ambition et qui ne fait pas le tri.
Évitons ici les exclusives, pas celui-là, pas celle-là, les stigmatisations ou les suspicions, ou alors nous ne finirons pas nombreux parce que, en termes de vérification de la marque déposée, qui est vraiment socialiste ? Qui l'est au fond du coeur ? Qui n'a pas changé ?
Ne faisons pas de travail historique sur les positions de chacun, je ne veux pas entrer dans ces querelles. Si nous voulons tourner les pages, il vaut mieux pas forcément regarder tout le livre.
Ce qu'il faut, c'est écrire les nouvelles pages ensemble et avoir le souci de nouveau de nous porter avec le projet, les équipes et la fierté d'être ensemble. L'unité, je vous l'ai dit, c'est le respect des idées, des personnes, des décisions et des votes.
Comme premier secrétaire, je n'ai que trois mots à laisser à mon successeur : la volonté, car il en faut pour ne jamais renoncer, pour tenir bon, pour avoir la ténacité indispensable, pour surmonter les épreuves, parce qu'il y en aura, pour préparer les victoires parce qu'elles ne seront jamais faciles.
La volonté, il en faudra pour convaincre, pour montrer que nous sommes le changement, la volonté pour rassembler la gauche parce que, sans la gauche, nous ne sommes rien et sans le Parti socialiste il n'y a pas de gauche victorieuse.
Oui, il faut de la volonté, de la volonté aussi de nous adresser aux autres et de ne rien céder.
Il faut de la sincérité car nous nous connaissons aussi, que de textes de congrès, que de motions écrites et aussitôt oubliés, que de positions changeantes ! Faisons un effort, les uns et les autres, y compris dans ce congrès, commençons pour écrire vraiment ce que nous pensons, pour être sincères avec nous-mêmes et construire un rassemblement qui soit authentique.
Et puis le troisième mot, la troisième valeur, le troisième principe que je veux lui laisser, c'est la lucidité.
C'est facile, en ce moment, d'additionner les revendications, de porter toutes les propositions à la fois, d'ouvrir grand le catalogue de ce que nous allons répondre à toutes les demandes qui nous sont adressées.
Je préfère vous dire la vérité telle qu'elle est. En 2012, lorsque nous serons en face de notre adversaire, l'état des finances publiques sera délétère, délabré, la conjoncture économique ne sera pas véritablement revenue vers la croissance, ce sera à nous de la faire.
Moi, je vous conseille d'avoir la lucidité de bien promettre, d'aller à l'essentiel sur l'éducation, la santé, la réforme fiscale et l'égalité des territoires. Oui, je vous demande de ne pas vous disperser, de donner des priorités qui soient lisibles, que les Français sachent bien ce qu'on va faire et qu'on ne pourra pas tout faire, qu'on n'est pas là pour porter toutes les espérances, toutes les désillusions.
Il ne s'en trouvera ici aucun pour dire qu'il n'est pas ancré à gauche. On l'est tous. Mais être ancré à gauche, cela suppose de gouverner à gauche quand on est aux responsabilités.
C'est sur ce principe-là que je veux dire à mon successeur, quel qu'il soit ou quelle qu'elle soit : moi, je ferai en sorte que tu réussisses, que tu sois soutenu, que tu sois en solidarité avec les socialistes, que pas un ne manque à l'appel les jours du combat électoral et que nous soyons derrière celui ou celle que les militants auront choisi. Ce sont ces principes-là et seulement ces principes-là qui permettront de faire de notre congrès un moment de vérité et, quelle que soit l'issue de ce congrès, je vous le dis, la route est longue et nous la ferons ensemble, tous ensemble jusqu'au bout de nos forces.
Mais ce que je sais, pour l'avoir éprouvé, et dans tous les cas de figures, c'est qu'il n'y a pas de victoire possible, en 2012, sans un Parti socialiste fort, convaincant et uni. Alors, soyons unis.
Source http://www.parti-socialiste.fr, le 20 novembre 2008