Déclaration de M. Alain Joyandet, secrétaire d'Etat à la coopération et à la francophonie, sur l'aide au développement à l'Afrique dans le contexte de la crise financière internationale, à Doha le 1er décembre 2008.

Prononcé le 1er décembre 2008

Intervenant(s) : 

Circonstance : Déplacement à Doha (Qatar) à l'occasion de la Conférence internationale de suivi sur le financement du développement, chargée d'examiner la mise en oeuvre du Consensus de Monterrey, les 1er et 2 décembre 2008

Texte intégral

Monsieur le Ministre Trevor Manuel,
Monsieur le Président de la Commission de l'Union africaine,
Monsieur le Secrétaire exécutif de la Commission économique pour l'Afrique,
Monsieur le Président de la BAD,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Chers Amis,
Il me revient l'honneur d'apporter la réponse de l'Union européenne aux propos de M. Ban Ki Moon et de M. Jean Ping. Je le fais avec conviction et plaisir, car vous savez la place de premier rang occupée par l'Afrique dans la politique de coopération de l'Europe. A Tunis le 12 novembre, puis à Strasbourg le 17 novembre, devant de hauts responsables dont certains sont aujourd'hui présents, j'ai eu l'occasion de dire le souci de l'Europe d'entendre la voix de l'Afrique et de poursuivre son fort engagement à ses cotés.
La crise financière, précédée par la très forte hausse des prix des denrées alimentaires et de l'énergie, va se traduire par un ralentissement de l'économie mondiale qui ne pourra pas ne pas toucher l'Afrique.
Des mesures de sauvetage des systèmes bancaires et de relance des économies développées ont été adoptées pour que ce ralentissement ne se transforme pas en dépression, comme ce fut le cas lors de la crise de 1929, qui, rappelons-nous, a gravement affecté l'Afrique, deux ans après l'Occident. L'Afrique ne s'en est remise qu'après la seconde guerre mondiale.
Les mesures de relance adoptées au Nord doivent bénéficier au Sud.
Soutenir les banques au Nord, c'est éviter un assèchement de leurs filiales au Sud.
Soutenir l'emploi au Nord, c'est préserver les transferts des migrants.
Soutenir la conjoncture au Nord, c'est éviter un effondrement du cours des matières premières exportées par le Sud. C'est aussi dégager à terme les recettes qui permettront aux Etats de respecter leurs engagements en matière d'APD.
Ceci posé, il nous faut réfléchir ensemble à la réponse proprement africaine à la crise.
Mesdames et Messieurs, d'où partons-nous ?
La crise frappe une Afrique qui a repris le chemin de la croissance, qui a progressé dans l'assainissement de ses finances publiques, qui a bénéficié de fortes annulations de dettes et qui a reçu des investissements directs étrangers à un niveau historiquement record pour le continent.
Mais dans le même temps,
- cette croissance reste trop dépendante des exportations de matières premières,
- les investissements étrangers, qui ne représentent que 3% du total mondial, demeurent trop focalisés sur les industries extractives,
- l'effort de mobilisations de recettes fiscales reste à poursuivre : la dette intérieure a augmenté dans de nombreux Etats non pétroliers.
Si le principe du refus du protectionnisme a été réaffirmé et si les PMA africains ont d'ores et déjà des accès préférentiels aux principaux marchés du Nord, les APE du continent ne sont pas encore signés.
Enfin, la stratégie de réendettement de certains pays pose de vraies questions.
Or, l'immensité des besoins à satisfaire dans une Afrique qui tarde à réaliser sa révolution démographique interpelle.
Mesdames et Messieurs, quelles voies s'offrent à nous ?
A court terme, les pays africains auront besoin, comme les pays plus développés, de plans de relance.
Or nous savons tous que les Etats africains ont moins de marge d'action budgétaire. Le développement des marchés financiers nationaux ou régionaux doit être recherché. L'exemple de l'UEMOA, ou un marché régional significatif d'effets publics a été mis en place, est à saluer. Cette mobilisation de financements internes devra être complétée par d'importantes aides des banques multilatérales, en premier lieu la Banque Mondiale et la BAD. Tout ceci ne sera possible que dans le cadre de stratégies pertinentes de gestion de la dette, qui devront respecter les disciplines du cadre élaboré par la Banque Mondiale et le FMI. Par ailleurs, la fragilité des Etats face à des chocs exogènes doit être mieux prise en compte, pour prévenir les problèmes de demain. La France a innové en ce sens, en introduisant des "prêts très concessionnels contracycliques", dont le remboursement s'ajuste en fonction de la situation financière du pays. Et j'invite tous nos partenaires, et notamment les banques multilatérales de développement, à introduire des mécanismes flexibles permettant d'aider les pays à résister aux chocs.
Mais, fondamentalement, la réponse doit être structurelle.
L'Afrique a été touchée de plein fouet par la crise alimentaire, et la récente détente du prix des denrées ne doit pas nous faire oublier que le développement de l'agriculture est la première priorité économique du continent. Ce développement devra respecter la diversité des modèles agricoles et améliorer la sécurité alimentaire sans rechercher une autonomie complète, illusoire dans certains pays. Il devra donner toute sa place à une agriculture familiale modernisée. Ceci supposera notamment de répondre avec prudence aux offres de pays riches désireux de garantir leur propre sécurité alimentaire en achetant des terres au sud.
Ce développement agricole, coûteux en infrastructures de toutes sortes, requerra des ressources importantes. Je me félicite de l'engagement pris à Maputo par les pays africains de consacrer 10% de leurs budgets à l'agriculture. Parallèlement, l'APD devra être réorientée vers ce secteur , dont le financement a été réduit à la portion congrue ces dernières années. C'est dans cette logique qu'un million d'euros de financement par l'AFD sera consacré à l'agriculture au cours des quatre prochaines années. C'est également ce qui incite l'Europe à consacrer un million d'euros additionnel à la sécurité alimentaire. Enfin, les APE, c'est la position de l'Europe, devront être finalisés avec un souci de promotion de l'agriculture qui passe par le développement de marchés régionaux, protégés si besoin. C'est ce que j'appelle mettre de la Politique agricole commune en Afrique.
La constitution d'une demande solvable pour l'agriculture et l'absorption des centaines de milliers de jeunes qui arrivent sur le marché du travail supposent une diversification de l'économie urbaine. De beaux succès ont été enregistrés dans le secteur des services comme les télécommunications et les banques. Ils doivent être complétés par un effort de densification du tissus industriel, qui passera à la fois par la modernisation du secteur informel, par la création de PME et par l'accueil de grandes entreprises étrangères.
Je crois vraiment que l'actuelle redistribution des cartes internationales, caractérisée par un début de recentrage de l'économie chinoise sur son marché intérieur, offre des opportunités. Puisse l'Afrique en tirer partie !
L'aide étrangère devra joué un rôle catalyseur. C'est ce qu'a recherché le président Sarkozy en lançant au Cap en février dernier l'Initiative pour la croissance en Afrique. Cette initiative est novatrice par son ampleur, une dotation en capital de 800 millions d'euros, permettant de mobiliser 2,5 milliards d'euros. Cette initiative comprend notamment la création d'un fonds d'investissement et d'un fonds de garantie, de 250 millions d'euros chacun, destinés à stimuler l'orientation de l'épargne et des financements bancaires vers le secteur privé. C'est également ce que recherchent les pays européens en demandant à leurs agences de financement du commerce extérieur d'augmenter leur activité pour stimuler les exportations du Sud.
Le succès de ces efforts ne sera garanti que si l'environnement des affaires est amélioré.
Les immenses besoins d'infrastructure ne peuvent être satisfaits par le seul financement public. J'appelle à une relance, sur de nouvelles bases, des partenariats publics-privés, souvent perçus comme imposés dans le cadre des anciennes politiques d'ajustement structurel.
La crise a soumis certaines monnaies à rude épreuve. Avant elle, des pays asiatiques avaient expérimenté un dispositif de gestion en commun de leurs devises. La Zone franc, grâce à ses atouts permettant d'assurer la stabilité monétaire et financière, et plus généralement la crédibilité de ses politiques économiques, a démontré sa solidité. La piste de la constitution ou du renforcement d'unions monétaires est à explorer.
Enfin, je ne saurai passer sous silence la question démographique, dont je connais la sensibilité dans certains pays. L'expérience montre que l'on ne peut attendre passivement l'effet du développement sur la fécondité : des politiques de maîtrise des naissances, notamment par la promotion des femmes et la mise à disposition de contraceptifs, sont indispensables.
Mesdames et Messieurs,
Le message fondamental de cette conférence est celui de la recherche d'un meilleur partage des droits et des devoirs.
A Tunis l'Afrique a dit sa détermination à consolider la surveillance de ses institutions financières, à conduire des politiques macroéconomiques saines et des politiques de développement ambitieuses. Elle a demandé dans le même temps à avoir voix au chapitre.
L'Union Européenne a confirmé ses engagements en matière d'APD. Elle appelle à une prise en compte du développement dans l'élaboration de la nouvelle architecture financière internationale, et à une meilleure représentation de l'Afrique dans les organismes multilatéraux, à l'image de ce qui a déjà été fait au FMI et à la Banque mondiale.
A Washington, le G20 a réaffirmé l'importance des Objectifs du millénaire pour le développement et les principes agréés par la Conférence de Monterrey dont la présente réunion assure le suivi.
La prochaine étape majeure dans la réforme du système financier mondial sera, comme vous le savez, le sommet de Londres. Le président Sarkozy a demandé au premier ministre britannique M. Gordon Brown que l'Union Africaine soit invitée.
Je vous remercie.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 décembre 2008