Interview de M. Alain Richard, ministre de la défense, dans "Le Journal du Dimanche" du 4 avril 1999, sur le bilan de dix jours de raids aériens sur la Serbie, le stationnement de forces françaises en Macédoine pour une éventuelle intervention terrestre, et l'aide à l'accueil des réfugiés.

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Média : Le Journal du Dimanche

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« La pression va saccentuer sur Milosevic » Avant de superviser demain le départ dIstres dun Transall C160 chargé de fret humanitaire, le ministre de la Défense, Alain Richard, fait part au JDD de ses impressions, après dix jours dopération « Force alliée ».
Alain Richard, ministre de la Défense :
Nous dresserons un bilan lorsque le moment sera venu, lorsque lusage de la force aura conduit M. Milosevic à cesser les exactions en cours au Kosovo, à accepter le retour des réfugiés et le droit des Kosovars à vivre chez eux en sécurité. Pour lheure, nous poursuivons sans faiblir nos opérations, exactement comme nous lavions annoncé à M. Milosevic en lui disant à de multiples reprises quil sexposait à des actions coercitives sil refusait un accord politique équitable.
Au plan militaire, nous infligeons chaque jour des dégâts plus important au dispositif de répression serbe et à la structure militaire du régime. Nous contraignons M. Milosevic à faire, chaque matin, le bilan des équipements et des moyens quil a perdus, sans autre perspective que de voir cette destruction se poursuivre tant quil maintient son attitude actuelle.
On nous dit que la population est soudée derrière lui. Alors pourquoi ses médias diffusent-ils des rappels réguliers sur les peines de prison encourues par les déserteurs et les réfractaires, et pourquoi a-t-il instauré des cours martiales ? Pourquoi-a-t-i expulsé tous les médias indépendants qui pourraient rendre compte des sentiments réels des Serbes. Nous gardons notre détermination, et cest sur lui que la pression va saccentuer : par exemple, lorsque ses forces nauront plus de carburant.
Le Journal du Dimanche :
Les frappes aériennes sont-elles « la plus grande erreur depuis la guerre du Vietnam », comme la affirmé le rapporteur spécial de lONU pour les droits de lhomme en ex-yougoslavie ?
Alain Richard, ministre de la Défense :
Je laisse les formules chocs à leurs auteurs, qui se seraient sans doute tus si nous avions eu le cynisme dattendre, pour réagir, que M. Milosevic commence les opérations quil préparait au Kosovo. Car il faut tout de même se souvenir quentre lajournement de la réunion de Paris, le 19 mars, et les frappes quatre jours plus tard, M. Milosevic avait achevé de concentrer les forces de répression nécessaires au Kosovo au mépris de ses engagements, et avait commencé à les utiliser contre la population de son pays. Si nous lavions laissé faire, nous aurions aujourdhui et la faiblesse davoir cédé et la guerre au Kosovo.
Le Journal du Dimanche :
Quen est-il du déploiement de troupes terrestres ?
Alain Richard, ministre de la Défense :
Une intervention armée au sol pourrait être envisagée dans le cadre de la mise en uvre dun accord entre les parties. Cest dans ce contexte que des forces françaises sont stationnées en Macédoine : elles seraient renforcées en peu de temps pour constituer une force de sécurité internationale au Kosovo. Mais le préalable, cest que lautorité yougoslave cesse sa politique dexpulsion par la terreur. Pour atteindre cet objectif, les frappes aériennes sont plus rapides et plus efficaces que lenvoi dune force terrestre.
Le Journal du Dimanche :
La capture de soldats français modifierait-elle la participation de la France ?
Alain Richard, ministre de la Défense :
Tout est fait pour minimiser les risques, y compris celui de la capture dun pilote ou dun soldat, mais comment lécarter ? Vous comprendrez que je me refuse à me placer dans une telle perspective. Je veux saisir, en revanche, cette occasion pour saluer le courage et la détermination de nos pilotes, de nos soldats et de nos marins. Ils sont le fer de lance de notre détermination et ils doivent compter sur notre cohérence dans laction.
Le Journal du Dimanche :
Quel est votre sentiment à larrivée déléments de la flotte russe en Adriatique ?
Alain Richard, ministre de la Défense :
Nous constatons, depuis le début du conflit, que le gouvernement russe fait preuve dune attitude responsable et constructive. Les efforts de M. Primakov, cette semaine, ont échoué en raison de lintransigeance de M. Milosevic, mais ont montré une véritable volonté de progresser. Les Russes font partie du groupe de contact qui a fixé le cadre de Rambouillet ; ils sont toujours présents dans la Sfor, qui assure, dans le cadre de lOtan, mais avec dautres partenaires, la mise en oeuvre des accords de Dayton en Bosnie. Lannonce de larrivée dun de leurs bâtiments - non porteur darmements - en Adriatique doit être interprétée à la lumière de ces constantes. Dailleurs, la Russie est une démocratie et ses dirigeants savent que les citoyens russes napprouveraient pas un engagement militaire qui les isolerait et les exposerait gravement, tout cela pour soutenir M. Milosevic et sa politique dépuration ethnique.
Le Journal du Dimanche :
Une partition du Kosovo est-elle envisageable pour lAlliance ?
Alain Richard, ministre de la Défense :
Notre conception de lavenir politique du Kosovo est clairement énoncée dans le cadre fixé à Rambouillet : une autonomie renforcée et un cadre de vie pluriethnique, avec une sécurité garantie. Les modalités peuvent se discuter, les principes sont essentiels pour nous.
Le Journal du Dimanche :
Quelle aide la France peut-elle apporter aux Etats frontaliers et aux réfugiés ?
Alain Richard, ministre de la Défense :
Nous avons entamé, le 1er avril, une vaste opération humanitaire qui va se développer dans un cadre européen : cest en les aidant à accueillir les réfugiés dans de meilleures conditions que nous aiderons les gouvernements de Macédoine et dAlbanie à faire face. Nous acheminons environ trente tonnes de matériel par jour à Skopje ou à Tirana. Et en même temps, la volonté politique de la communauté internationale doit être de faire revenir les Kosovars chez eux.
Nous devons agir en respectant la souveraineté et les intérêts légitimes de la Macédoine et de lAlbanie, qui ne doivent pas pâtir de leur attitude coopérative. Quant au Monténégro, composante de la fédération de Yougoslavie, il a des droits vis-à-vis de lautorité serbe.
(Source http ://www.defense.gouv.fr, le 8 avril 1999)