Déclaration de M. François Fillon, Premier ministre, sur les mesures prises par le gouvernement pour endiguer la crise financière et économique, la mise en oeuvre du plan de relance et sur la gouvernance mondiale de l'économie, Asnières-sur-Oise le 6 décembre 2008.

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Circonstance : Entretiens de Royaumont à Asnières-sur-Oise, le 6 décembre 2008

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Je voudrais d'abord remercier Jérôme Chartier qui me donne l'occasion de m'exprimer à nouveau devant vous. Je veux le féliciter d'avoir relancé les entretiens de Royaumont qui ont toujours été un haut lieu du débat intellectuel français. Et le fait de se retrouver dans cet endroit chargé d'histoire, construit il y a près de 800 ans, est une façon de mieux embrasser les fulgurances de l'Histoire.
Permettez-vous aussi de souhaiter la bienvenue à Mohammed Yunus, prix Nobel de la Paix. C'est un grand honneur qu'il nous fait de venir s'exprimer dans notre pays, pour débattre avec nous. C'est d'abord un économiste. Il aurait pu avoir le prix Nobel d'économie. Mais comme on donne le prix de Nobel d'économie à des hommes qui se sont trompés toute leur vie, il a eu le prix Nobel de la Paix car on ne se trompe jamais en essayent de faire la paix.
Puisque je parle de ceux qui se sont trompés toute leur vie, je voudrais dire pour aborder le sujet qu'on m'a demandé d'aborder que, au fond, notre pays ne s'est jamais vraiment remis des chocs pétroliers des années 1970.
Et pourquoi ?
Parce qu'il a adopté des politiques économiques inadaptées et la plupart du temps à contre-courant de celles qui correspondaient aux évolutions du monde. Nous nous sommes réfugiés dans des solutions de court terme, marquées par le malthusianisme, par le conservatisme intellectuel, par la peur du changement. Avec pour conséquence le déclassement progressif sur la scène internationale, une perte de compétitivité, une dérive budgétaire, un chômage de masse, une paupérisation rampante et un délitement du lien social.
En 2007, il y a eu un débat politique. Les Français ont fait un choix, qui a été un choix de rupture. Nous avons engagé une politique volontariste pour répondre aux maux qui minaient notre pays. Ce sursaut national était destiné à nous arracher du passé et voilà que nous sommes brutalement projetés au coeur de la première crise financière et économique du XXIe siècle.
Cette crise constitue, à bien des égards, une césure historique.
Elle marque les limites d'un capitalisme financier jusque là triomphant ; elle témoigne d'une mondialisation qui est en quête d'une régulation enfin adaptée aux nouvelles puissances émergentes ; elle pousse l'Europe à se ressaisir ; elle réconcilie l'Etat et le marché ; elle réhabilite la légitimité du Politique. Bref, cette crise annonce, en tout cas j'espère, un monde nouveau.
Et notre défi, notre devoir, c'est de penser ce monde nouveau.
Ce n'est pas de le regarder s'installer en faisant fi de nos choix et de nos valeurs. C'est de le préparer, c'est de le construire dès maintenant, tout en répondant en même temps, jour après jour, au déchaînement de la crise. La violence de cette crise, son ampleur, sa complexité, nous ont placés dans une situation d'urgence.
C'est pour répondre à cette situation d'urgence que nous avons choisi de mettre en place une garantie de l'Etat, pour assurer la continuité du financement interbancaire. Nous avons choisi de renforcer les fonds propres des principales banques françaises pour que, dans ce contexte actuel où la perception du risque est accrue, les banques continuent de financer l'économie.
L'accord de la Commission européenne sur ce plan ne devrait plus tarder.
Je pense d'ailleurs qu'il est utile de dire que les hésitations de Bruxelles sur ce sujet sont significatives d'une difficulté que nos institutions en général rencontrent à comprendre ce que nous sommes en train d'affronter, à comprendre que nous sommes en face d'une rupture historique.
Je comprends parfaitement que dans le cas du sauvetage d'une entreprise, on prenne des mesures concurrentielles pour éviter qu'elle ne prenne des parts de marché à ses concurrentes qui elles ne sont pas aidées. Mais lorsqu'on est devant une crise aussi grave que celle que nous connaissons, lorsque la recapitalisation que nous voulons mettre en oeuvre est ouverte à tous et qu'elle a pour objet la progression du financement de l'économie, il me semble qu'il serait absurde de vouloir encadrer cette progression ; voire même, comme cela nous avait été un moment demandé, de baisser les encours de prêts pour satisfaire aux règles de la concurrence !
Ce que nous voulons éviter, c'est le scénario de la crise bancaire japonaise des années 90, avec des recapitalisations trop tardives, qui ont conduit les banques à différer les purges, à faire le gros dos, ce qui s'est traduit par une stagnation interminable. En même temps, nous savons faire la part des choses : en témoignent les conditions imposées à Dexia, qui a fait l'objet d'un sauvetage, dans laquelle l'Etat a pris une participation directe au capital.
Je pense que nous avons ainsi évité un effondrement du système de crédit qui est la première condition pour maintenir l'activité.
Parallèlement, nous avons mis en place des premières actions pour garantir le financement des entreprises et pour doper le secteur du logement.
Le soutien aux PME, le fonds stratégique d'investissement, l'exonération de taxe professionnelle sur tous les nouveaux investissements, le rachat par l'Etat de 30.000 logements neufs : là encore, il fallait agir vite et sans faire preuve de trop de dogmatisme.
Je n'ai pas manqué de relever qu'après le consensus initial qui a suivi le soutien accordé par l'Etat au secteur financier, progressivement, les mesures mises en oeuvre font l'objet de critiques de l'opposition. Je le regrette, mais c'est d'une certaine manière je pense que c'est le signe que nous avons sécurisé le système, que nous avons passé le cap où chacun craignait le crash.
Et, d'une certaine façon, je préfère le génie de l'esprit critique français à des citoyens tétanisés par l'angoisse de perdre leur épargne !
Mesdames et Messieurs,
Cette crise confirme la nécessité pour la France de rattraper son retard et ce retard ne date pas du mois de septembre dernier.
Un retard d'investissement, qui limite la croissance, en dehors même de la période de crise exceptionnelle que nous traversons.
Un retard de compétitivité, qui se traduit par un déficit commercial record et par l'affaiblissement de nombreuses industries.
Un retard dans l'adaptation de notre mode de développement, qui nous expose à la dépendance énergétique malgré les choix judicieux que nous avons faits dans le passé.
Bref, cette crise doit nous conduire à accélérer la transformation de notre pays.
Elle nous force à reconstruire les piliers de la croissance autour de la recherche, de l'innovation et du développement durable.
Le plan de relance que vient d'annoncer le président de la République, c'est un plan d'investissement. C'est un plan d'investissement, non seulement pour tenir le choc immédiat de la crise, mais c'est aussi un plan d'investissement pour préparer la France de demain. Nous avons choisi de conforter les entreprises, nous avons choisi d'accélérer la réalisation des infrastructures publiques, des infrastructures, nous avons choisi d'accroître l'effort de formation, d'innovation et de recherche.
Est-ce qu'il y avait une autre option ?
Franchement, je ne le crois pas !
A court terme, si nous avions choisi de ne rien faire, nous aurions pris le risque d'accumuler des dommages irrémédiables et de compromettre la croissance structurelle.
Et en particulier, si nous avions choisi ce que certains économistes d'une certaine façon nous suggéraient, de laisser le chômage augmenter trop, de laisser les stabilisateurs fonctionner au-delà d'un certain niveau, alors un nombre croissant de personnes auraient perdu du fait de l'augmentation de la durée du chômage, leur employabilité. Le chômage structurel, le chômage de longue durée auraient repris et tout serait alors à recommencer pour abaisser le taux de chômage, et cela nous aurait coûté beaucoup plus cher que les actions que nous conduisons aujourd'hui.
De la même façon, laisser disparaître de nombreuses entreprises à cause d'une récession brutale, ce n'est pas une « destruction créatrice », c'est une destruction tout court. Quand les entreprises disparaissent, non pas parce que leurs projets sont inadaptés, non pas parce que leurs dirigeants incompétents, mais simplement à cause de la pénurie de financement et de débouchés, alors c'est la valeur, c'est l'innovation, c'est la compétitivité de demain qui sont détruits.
C'est justement cela que nous avons voulu éviter. Nous avons pesé le pour et le contre, nous avons pris nos responsabilités.
Nous avons dû agir dans l'urgence. Quand on agit dans l'urgence, on peut commettre des erreurs. Mais je pense que l'erreur la plus grave, cela aurait été justement de ne pas agir, d'attendre, de regarder comment les autres bâtissaient leur propre plan de relance. Nous, nous avons estimé que la France ne pouvait pas avoir un comportement de « passager clandestin » de la relance de ses voisins. C'était une des formules qu'on nous suggérait. Au fond, il y a des pays qui avaient des réserves, qui pouvaient alimenter la croissance, et puis nous, nous avions juste à nous placer dans la roue de ceux-là, compte tenu de notre propre situation financière.
Ce n'était pas l'idée que nous nous faisions de la coordination de la politique européenne. Et nous pensons que cela n'aurait pas été à la hauteur de la situation.
Bien sûr, il y avait aussi la solution de facilité qui était celle de relancer la consommation. Il faut dire que nous avons un précédent, dont il n'est pas superflu de tirer les leçons : c'est la relance de 1981.
Elle a consisté à créer des dizaines de milliers d'emplois publics, à tenter de relancer l'activité en revalorisant les salaires et les prestations sociales, à réduire le temps de travail et l'âge de la retraite, et à nationaliser une partie de l'économie de notre pays.
Le résultat, on le connaît : le chômage a augmenté, le déficit extérieur s'est creusé, le déficit public a plongé, l'inflation n'a pas diminué et le franc s'est effondré.
En réalité, ce plan était en décalage avec les politiques menées par nos partenaires commerciaux. Le coût de ces mesures était trop élevé. Il a pénalisé l'emploi et il a écrasé la compétitivité des entreprises.
Deux ans plus tard, il a fallu conduire une politique inverse, une politique de rigueur. Et d'une certaine façon, cette politique de rigueur était de nouveau à contretemps par rapport à nos partenaires, avec à la clé, un gel des salaires, une hausse du chômage et des années de taux d'intérêt élevés pour soutenir la monnaie et pour contenir l'inflation.
Bref, cet épisode fut un égarement historique, qui a fait prendre à la France plusieurs années de retard, tandis qu'au même moment où nous agissions de cette façon, la plupart de nos partenaires réformaient et modernisaient leur pays, certains avec même beaucoup audace et beaucoup d'efficacité.
Pour éviter de reconduire ces erreurs, nous avons essayé de construire notre plan de relance autour de principes très clairs.
D'abord, les mesures doivent avoir un impact immédiat. Ensuite, aucune mesure ne doit compromettre l'avenir. Pas d'augmentation du SMIC qui plomberait l'emploi, pas de pseudo partage du travail, pas de créations massives d'emplois publics. Mais des mesures favorables à l'investissement, qui améliorent la compétitivité des entreprises sans déséquilibrer durablement les finances publiques.
Par ailleurs, nous voulons rester en phase avec les autres pays européens, nous avons donc décidé d'agir ensemble. Nous n'avons plus de problèmes de change, l'euro s'est déprécié et les politiques monétaires de la Banque centrale européenne et de la FED vont désormais dans le même sens. En un mot, nous sommes en train d'éviter, je le crois, tous les travers de l'épisode de 1981. Ce sont donc un peu plus de 26 milliards d'euros qui vont être injectés par l'Etat et par les entreprises publiques dans l'économie en 2009. Toutes les mesures de ce plan sont temporaires, elles sont réversibles, ou alors ce sont des accélérations de dépenses déjà programmées.
C'est pour cette raison, que je veux dire aujourd'hui devant vous, que nous pouvons, tout en réalisant ce plan, assumer le retour sur la trajectoire prévue des dépenses publiques en 2012.
Maintenir l'objectif d'assainissement des finances publiques est pour moi une nécessité absolue. Et je pense que procéder autrement reviendrait à renoncer à tout rétablissement durable de la confiance dans notre système économique. Ces investissements exceptionnels vont certes créer une augmentation de la dette à court terme, mais ils ne remettent pas en cause le retour à l'équilibre. Plus on relance, plus l'effort engagé depuis 18 mois pour réduire les frais de fonctionnement de l'Etat afin de dégager des moyens d'investissement doit être amplifié.
Désormais, notre priorité c'est de mettre en oeuvre très rapidement ce plan. Les procédures qui allongent les délais d'exécution des programmes publics vont être simplifiées pour accélérer les investissements ; 75 % des montants qui seront injectés dans l'économie auront un effet en 2009. Nous avons hier désigné un ministre, P. Devedjian pour mettre en oeuvre ce plan de relance et nous avons décidé qu'il disposerait d'un budget spécifique, d'une ligne budgétaire, rattaché au Premier ministre qui sera voté dans les tout premiers jours de janvier 2009.
Structurer la croissance, c'est d'abord exécuter ce plan et l'exécuter de manière exemplaire, mais structurer la croissance c'est aussi poursuivre nos réformes structurelles. Et au fond le mot d'ordre du Gouvernement, c'est la relance et la réforme. Nous avons en 18 mois déjà engagé un effort considérable pour réhabiliter le travail et je voudrais vous faire remarquer que, quels que soient les débats qu'on peut avoir sur l'efficacité de telle ou telle mesure on ne parle plus du travail dans notre pays de la même façon. Nous allons le réhabiliter à la fois comme valeur morale et comme facteur de croissance et de prospérité. Nous avons défiscalisé les heures supplémentaires, réformé le contrat de travail, engagé la fusion, tellement réclamée et jamais réalisée, de l'ANPE et de l'Assedic. Nous sommes en train d'édifier les principes d'une "flex sécurité" à la française et nous préparons pour 2009, cela d'ailleurs étant parfaitement lié, une réforme très profonde de la formation professionnelle. Il n'y aura pas de "flex sécurité", ni à la française, ni à la danoise sans une réforme radicale de la formation professionnelle. Puisque au fond "la flex sécurité" c'est quoi ? C'est que, entre deux périodes d'emploi, premièrement on est indemnisés suffisamment pour ne pas souffrir des inconvénients d'être sans emploi pour une durée illimitée, et deuxièmement on est pris en charge par un système de formation professionnelle extrêmement efficace qui permet de vous former aux métiers de demain. C'est ça "la flex sécurité" et c'est ce que notre pays jusqu'à maintenant n'a jamais réussi à réaliser. D'abord, parce qu'il ne voulait pas lier les deux sujets et deuxièmement, parce que la formation professionnelle est la propriété de toute une série d'institutions et d'organisations qui en ont fait leur bien propre et qui, parfois, ont oublié la vision globale de l'intérêt général qui doit présider à l'investissement considérable de + de 30 milliards que la nation fait dans la formation professionnelle.
Nous allons continuer à muscler notre économie en la débarrassant des multiples freins réglementaires qui la paralysent. Nous avons commencé avec la loi de modernisation de l'économie, reprenant d'ailleurs beaucoup des suggestions qui avaient été faites par J. Attali et par sa commission. Mais la réglementation économique française recèle encore des gisements inépuisables de simplifications et d'allégements au service de la concurrence, au service de la croissance et au service de l'emploi.
Nous avons entamé une véritable refondation de notre démocratie sociale qui était à bout de souffle, ce qui explique aussi beaucoup des difficultés que nous avons rencontrées. Et avec la loi du 20 août dernier, nous avons franchi une étape historique, puisque désormais c'est l'accord majoritaire qui va se mettre en place, la représentativité des syndicats va être mesurée de façon normale, par des élections et pas par des systèmes indirects dont on voit avec les élections prud'homales à quel point ils sont loin des préoccupation de nos concitoyens.
Dans la crise, je considère l'effort social comme des partenaires du changement, certainement pas comme des adversaires. Il n'y a pas, d'un côté, le combat pour l'économie, et de l'autre côté, le combat pour la solidarité, ces deux combats sont liés, et ils ne peuvent réussir que si ils sont menés de front.
Enfin, nous allons continuer à agir pour remettre la France en tête de la bataille mondiale de l'intelligence : 1 milliard d'euros de crédits budgétaires supplémentaires chaque année d'ici 2012 seront affectés à la recherche et à l'enseignement supérieure et l'autonomie des universités se met en place. Au 1er janvier, une douzaine d'universités françaises aura déjà fait ce choix de l'autonomie. Certains trouvent que c'est long, c'est vrai que c'est long, mais quand on voit d'où on vient, franchement je trouve que ça va assez vite puisque pendant près de 30 ans on s'est lamenté du statut de nos universités, autorisant de temps en temps quelques exceptions qui, dès qu'on pouvait constater qu'elles étaient réussies étaient immédiatement refermées et ramenées dans le rang. Je pense aux universités nouvelles, je pense à la formidable expérience de Compiègne i est tellement formidable qu'elle est restée quasiment unique. Pendant 30 ans on s'est ingénié à enfermer nos universités dans un système qui ne leur permettait pas d'exprimer leur génie propre, d'assumer leurs initiatives.
Nous sommes en train, peut-être doucement mais sûrement, de sortir de ce cartel de contraintes, et nous allons voir dans quelques mois les premières universités qui auront choisi le statut de l'autonomie atteindre des objectifs qui, ensuite, en tout cas c'est mon espoir, entraîneront l'ensemble de notre système.
Nous avons décidé d'affecter 5 milliards de crédits exceptionnels à "L'Opération Campus" pour que la France ait enfin des vrais campus modernes, capables d'attirer les étudiants et en particuliers les étudiants étrangers. Nous avons décidé de relancer la politique des pôles de compétitivité, nous avons fait une réforme radicale du crédit impôt-recherche qui, de l'avis unanime nous place désormais en tête de tous les pays de l'OCDE pour l'attractivité de notre système d'aide à la rechercher. En un mot, nous avons déjà beaucoup progressé.
Il nous reste devant nous la réforme de notre système de recherche, celle du lycée, pour continuer à moderniser notre système éducatif, il nous reste à poursuivre la réforme de l'Etat qui est évidemment loin d'être achevée et la réforme des structures des collectivités publiques.
Nous voulons confirmer le non remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, parce que c'est une des contraintes qu'il faut mettre sur le système pour l'obliger à se réformer. Nous voulons réformer la Fonction publique, réviser les politiques publiques et ouvrir le grand chantier de la réforme des niveaux de collectivité locale, dont l'enchevêtrement constitue un frein cent fois décrit, mais pourtant toujours renforcé, à chaque étape de la décentralisation.
Mesdames et Messieurs, la crise globale du capitalisme que nous vivons en ce moment nous invite à toute repenser. Elle nous invite à tout repenser, sans dogmes, sans frilosité et c'est tout le mérite de ces entretiens de Royaumont que d'y participer. Nous ne vivons pas, en tout cas de mon point de vue, une crise du "laisser faire" mais plutôt une crise du "laisser faire n'importe quoi". Le "laisser faire", ça n'est pas la loi de la jungle, "le laisser faire", c'est le refus du protectionnisme, ce qui n'est pas exactement la même chose. Le "laisser faire", c'est la dénonciation des barrières règlementaires arbitraires, injustes, inefficaces, contre-productives. Déjà, en 1752, l'économiste V. de Gournay recommandait de "libérer le commerce du blé entre les provinces" à une époque où les freins au commerce augmentaient les prix et affamaient les populations.
Le protectionnisme, c'est le repli sur soi, c'est justement une tentation que le monde doit à tout prix éviter aujourd'hui. Ce qui, dans les années 30 a transformé la crise de 29 en une dépression mondiale d'une décennie, c'est justement ce réflexe-là.
C'est d'ailleurs ce que condamnent aujourd'hui un très grand nombre d'économistes, à commencer par le dernier prix Nobel d'économie, Paul Krugman - pourtant par ailleurs keynésien et partisan d'une la relance de l'activité par l'Etat - quand il dénonce ce qu'il appelle la « pop economy », c'est-à-dire cette version relookée de la vieille doctrine mercantiliste.
En revanche, le "laisser faire n'importe quoi", lui, n'est plus de mise. Cela pose la question des modes de régulation à réinventer, au niveau national comme au niveau international.
A l'évidence, certaines réglementations et certaines autorités de régulation se sont révélées complètement défaillantes. Les normes juridiques et comptables, réglementations du système bancaire et des marchés financiers, y compris pour pouvoir réaliser de petites structures, comme vous l'appeliez à l'instant, monsieur le prix Nobel, de vos voeux, tout cela est à revoir.
Des dérives profondes du capitalisme sont aussi à corriger.
La dilution des responsabilités, le déséquilibre des contre-pouvoirs dans le gouvernement de l'entreprise, l'obsession du court terme, l'oubli de ce qui fait l'éthique même du capitalisme : tout cela, nous devons aussi, ensemble, tenter de le corriger.
C'est un travail de longue haleine. Mais, à l'initiative de la France, je pense que les premiers principes de ce travail ont été posés à Washington, lors de la réunion du G20 du 15 novembre dernier.
Il faut maintenant que le plan d'action adopté par les chefs d'Etat soit mis en oeuvre sans délais. Aucun acteur, aucun segment de marché, aucune juridiction ne doivent désormais échapper à la régulation ou à la surveillance internationales si nous voulons éviter de nous retrouver dans la situation que nous connaissons aujourd'hui.
Nous vivons la première grande crise de la mondialisation.
Les précédents chocs, celui par exemple de la crise asiatique de 1997, ont toujours eu des répercussions mondiales mais je pense que cette crise est la première qui se révèle réellement systémique.
Ce constat doit nous amener à réfléchir sur la gouvernance mondiale de l'économie.
Sur le rôle du FMI, sur le rôle de la Banque mondiale, sur le rôle du G8, de la place qu'il faut accorder aux superpuissances du Sud. Sur la nécessaire coordination des politiques économiques. Sur le rôle de l'Union européenne qui a montré, j'allais dire, à la fois ses forces et ses faiblesses dans cette crise. Sa capacité de réagir quand il y a un vrai leadership et que le danger est ressenti par tout le monde. Et puis, en même temps, cette façon de ne pas décider, lorsque j'évoquais à l'instant le délai pour la Commission pour approuver le plan de sauvetage français des banques.
Sur tous ces sujets, nous avons essayé d'ouvrir le débat. Et nous avons rencontré le plus souvent un très grand scepticisme, une très grande résistance. Il a fallu plus d'un mois pour convaincre les Etats-Unis d'organiser ce sommet. Et on ne peut pas dire que ce soit l'enthousiasme lorsque l'on évoque la nécessité de placer le FMI au coeur du dispositif. Il y a beaucoup de conservatisme, il y a beaucoup de réticences. Je pense qu'il y a encore beaucoup de gens qui n'ont pas complètement compris que le monde avait changé et que cette crise modifiait en profondeur les choses. Eh bien il faut continuer notre effort pour obtenir des réformes structurelles profondes de la gouvernance mondiale.
D'un côté, il faut éviter de reproduire au niveau mondial des méthodes et des organisations qui ont fait la preuve de leur échec au niveau des nations, justement parce qu'elles niaient les nécessités fondamentales de l'économie de marché.
Mais de l'autre, il faut incontestablement plus de coordination, plus de réciprocité. Dans une économie mondialisée, où les mouvements de capitaux sont libres, on ne peut pas accepter le dumping réglementaire et social.
La liberté de circulation des capitaux a été revendiquée dans un monde où le capitalisme était associé à la démocratie, et faisait face à une seule alternative, le développement ou le communisme.
Il était fondé sur des valeurs, et il était associé à un contrat social.
On ne reviendra pas sur la circulation des capitaux, sur la mondialisation, sur la sophistication de nos économies. Mais il nous revient de refonder une gouvernance économique et une régulation internationale. Pas pour brimer les initiatives et les progrès, mais simplement pour permettre à chacune de ces initiatives et à chacun de ces progrès de s'épanouir de manière soutenable.
Cette crise, ce n'est pas seulement celle des économies avancées, elle frappe aussi le monde en développement de plein fouet.
Cela soulève des problèmes géopolitiques majeurs pour les années qui viennent.
Nous ne pouvons pas accepter de laisser se volatiliser plusieurs décennies de progrès économique en Afrique, en Amérique du Sud ou en Asie.
La question du développement doit donc rester au coeur de nos agendas politiques.
A cet égard, je veux me réjouir à nouveau de la présence parmi nous de Muhammad Yunus, qui a si puissamment contribué à développer le concept du microcrédit dans le monde qui avait besoin de cet outil concret, pragmatique, simple, indispensable pour lutter contre la pauvreté.
L'action de monsieur Yunus montre qu'il y a des nouveaux chemins à emprunter si on veut surmonter la fatalité de la pauvreté.
En France, la loi de modernisation qui a été votée cet été va permettre, par l'une de ses dispositions qui n'a pas été la plus commentée, de débrider l'intervention des organismes de microcrédit habilités en permettant son refinancement par des acteurs bancaires.
L'Etat continuera à soutenir les initiatives qui se développent, au travers du fonds de cohésion sociale dont l'intervention se poursuivra en 2009.
D'une manière plus générale, nous souhaitons que le microcrédit soit l'un des éléments de réflexion dans l'effort que nous allons engager sur l'accès au crédit à la consommation.
Nous avons un système qui n'est pas satisfaisant. C'est un système qui entend protéger les emprunteurs mais qui, en réalité, aboutit à exclure une large population du crédit et en même temps, qui ne parvient pas à éviter complètement le surendettement.
Nous pensons que, nous pouvons trouver un meilleur équilibre - c'est l'objet des travaux que sont en train de mener en commun Christine Lagarde et Martin Hirsch. Et puisque je parle de M. Hirsch, et du prix Nobel - il n'a pas encore le prix Nobel, M. Hirsch, mais je suis sûr qu'il en meurt d'envie -, vous avez tout à l'heure, monsieur le prix Nobel, évoqué les freins du Welfare à la mise en place des dispositifs économiques que vous préconisez, c'est justement le coeur de la réforme que nous avons conduite avec Martin, en mettant en place le RSA. C'est-à-dire en faisant en sorte que désormais, le système ne fonctionne plus comme auparavant : c'est-à-dire vous êtes aidé, vous travaillez, parce que vous travaillez on vous retire les aides. Mais un système dans lequel on cumule progressivement les systèmes d'aide et les revenus du travail pour que le travail soit toujours un objectif intéressant pour l'ensemble de nos concitoyens. C'est une vraie révolution qui va se mettre en place au 1er juillet. Le 1er juillet, c'est loin, on aurait aimé, avec Martin, le faire plus vite, mais c'est compliqué. En tout cas, je pense que de toutes les réformes que nous aurons réalisées, celle-là est une des réformes qui marquera le plus la société française et son organisation.
Je pense aussi à la pensée et à l'action du Péruvien Hernando de Soto, qui a démontré que les pays pauvres détenaient un immense potentiel économique à travers ce qu'il appelle le "capital mort", de toutes ces possessions des plus démunis qui ne font pas l'objet de titres de propriétés officiels alors que leur reconnaissance institutionnelle permettrait d'activer des mécanismes vertueux d'entreprenariat, d'épargne, d'investissement et de croissance.
Je pense mesdames et messieurs, que la crise que nous traversons, prouve que le politique a plus que jamais un rôle majeur à jouer, que l'économie n'est pas un monde autonome, que les sociétés humaines ont un besoin vital d'instances légitimes chargées du long terme et de l'intérêt général.
Je pense que le XXIe siècle sera politique. La politique, c'est répondre de manière urgente et pragmatique aux crises qui menacent la survie même des nations et des peuples, en se libérant des "a priori" idéologiques qui deviennent hors sujet dans des circonstances exceptionnelles.
La politique, c'est bâtir une gouvernance mondiale.
La politique, c'est donner à l'Europe le pouvoir d'agir qui lui manque.
La politique, c'est avoir le courage d'investir sur l'avenir plutôt que de chercher sans cesse sanctuariser les habitudes du passé.
La politique, c'est concilier aujourd'hui le développement durable et la croissance.
La politique, c'est encourager les salariés à se saisir de leur propre destin économique.
C'est ce que nous essayons de faire en rénovant notre démocratie sociale. C'est ce que nous essayons de faire en la décentralisant au niveau des entreprises, là où les entrepreneurs et les salariés doivent nouer des relations consensuelles.
C'est ce que nous faisons aussi avec la participation. Avec la loi du 3 décembre 2008, qui est parue au Journal officiel avant-hier, nous élargissons les mécanismes d'intéressement, de participation et d'épargne salariale. Et ce faisant, nous replaçons l'économie au service du social et le social au service de l'économie.
Mesdames et Messieurs,
Je suis profondément convaincu et cela depuis très longtemps que la politique ne doit pas se réduire à la gestion quotidienne des crises.
La politique doit répondre à la question de la condition humaine.
Imaginer la condition humaine au XXIe siècle, au fond, c'est le défi que nous lance la crise à laquelle nous sommes confrontés.
Nous avons choisi d'y répondre en affirmant notre exigence d'une mondialisation maîtrisée, d'un progrès économique au service du progrès social, et d'un ordre international plus juste et plus efficace.
Bref, nous avons choisi de faire, plutôt que de subir. Mais nous avons maintenant, tous ensemble un travail considérable à mener pour que chacun, dans les grands pays développés, dans les pays émergents, unisse leurs efforts pour faire en sorte que le monde sorte de cette crise non pas découragé et affaibli mais plus fort et avec confiance dans l'avenir.
Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 11 décembre 2008