Texte intégral
J.-M. Aphatie.- N. Sarkozy a présenté, hier, plusieurs mesures susceptibles de mieux intégrer les jeunes issus des banlieues ou de milieux sociaux défavorisés. Quel est votre jugement global sur le discours du président de la République, hier ?
J'ai trouvé que N. Sarkozy proposait de ressusciter le vieux rêve français de l'émancipation portée par la République. L'idéal républicain redevient, avec ce discours, un projet politique, ce qui manquait depuis ces dernières années puisque l'ascenseur social républicain pour les populations issues de l'immigration semblait à bout de souffle. Et si ce plan fonctionne, et je le crois, je pense que la société française ne sera plus pareille parce que les mesures qu'il propose oscillent sur un spectre très large, de l'éducation à l'emploi dans la fonction publique aux médias. La République redevient un symbole de mouvements et de progrès ; et les Français, je pense, avec un tel projet de société, auront enfin les élites qu'ils méritent.
On pensait que l'un des objectifs de ce discours c'était de permettre une intégration meilleure qu'elle n'est aujourd'hui, de populations surtout issues de l'immigration des jeunes issus soit de famille venant du Maghreb, d'Afrique ou d'ailleurs... Et puis, là, en fait, l'accent est plutôt mis sur l'origine sociale des gens. Ce n'est pas un acte un peu manqué tout de même ?
Je ne pense pas, parce que la catégorie sociale englobe toutes les autres catégories et notamment ethniques. On va passer, au fond, avec ce plan de la République formelle à la République réelle comme il l'a dit, d'un modèle de reproduction sociale à un modèle de promotion sociale, c'est-à-dire ce que la République n'aurait jamais dû cesser d'être. Et au fond, en touchant les catégories sociales, on touche de facto les catégories ethniques, parce que la République c'est un projet émancipateur mais c'est aussi un projet rassembleur. Il est important que des critères sociaux soient intégrés dans les dispositifs qui concernent notamment des projets d'émancipation sociale, d'autant plus que les minorités elles-mêmes n'aiment pas être montrées du doigt et donc en englobant la problématique ethnique dans une problématique sociale, au fond, l'objectif est atteint.
La diversité des origines dans la société française, c'est peut-être un hasard, peut-être pas, fait beaucoup parler. N. Morano, secrétaire d'Etat à la Famille, a dit ceci : "On n'est pas protégé parce qu'on est issu d'une minorité, parce qu'on est d'origine maghrébine ou africaine. On a des devoirs, et ce devoir, c'est de réussir le travail qui vous est confié".
Je pense qu'au moment où N. Sarkozy fait des propositions pour améliorer la diversité dans notre pays, il ne faudrait pas en faire le procès parallèlement. Je pense qu'il est important de savoir que la diversité, c'est un élan, c'est un projet mais personne n'a jamais dit que cela ne supposait que des droits et absolument pas de devoirs. Personne n'a jamais dit ça. Et les minorités sont les premières à dire qu'elles ne veulent pas être montrées du doigt, qu'elles ne veulent pas être différenciées, qu'elles ne veulent pas être ghettoïsées. Moi j'ai passé ces dix-huit mois d'engagement gouvernemental à lutter contre tous ceux qui voulaient m'enfermer dans la case minorité. J'ai recherché presque une forme de banalisation, et je continue encore, une forme de banalisation pour être traitée comme mes collègues et être jugée sur mon travail, et pas sur des histoires d'apparence. Et je crois qu'aujourd'hui, quand on interroge les Français, d'ailleurs à ce sujet, de savoir qu'est-ce qu'ils retiennent le plus chez moi, ils retiennent davantage ce que je fais, plutôt que ce que je suis. Et pour moi, c'est une très grande fierté parce qu'on dépasse - comment dire ? - toutes ces questions d'apparence qui sont absolument inutiles, qui quelquefois sont infamantes, parce que juger les gens sur leur apparence simplement, je trouve que c'est absolument réducteur et qu'il faut juger les personnes dans leur emploi, dans leur engagement, uniquement sur leurs actions.
Vous avez - c'était lors du Grand Jury, le 7 décembre -, vous avez décidé de ne pas être candidate aux élections européennes, vous avez visiblement déçu beaucoup de vos amis. Alors, beaucoup de choses ont été écrites dans la presse. Par exemple, C. Estrosi qui est secrétaire général adjoint de l'UMP, a dit ceci de vous : "R. Yade existe parce que Sarkozy l'a fabriquée. On fait un placement, on le fait fructifier et au moment où on veut en tirer les bénéfices, voilà !".
Qu'est-ce que vous pensez de cette phrase ?
Je pense à toutes les femmes et je me dis qu'une femme n'est pas un investissement dont on doit tirer les bénéfices...
Ca vous blesse ?
...et à Monsieur Estrosi, s'il a prononcé ces propos, il doit les démentir en urgence parce que...
Les démentir, peut-être pas, vous voulez dire qu'il doit s'excuser ?
Il doit les démentir. Au moins, ce serait une première chose parce que, je pense...
Je crois qu'il les a dits, vous savez. C'était dans le Parisien de dimanche. C'est difficile de démentir quelque chose que l'on a dit...
*
Ah, si vous me dites qu'il les a dites - mais ce serait peut-être à C. Estrosi de le dire. Mais je crois qu'à travers cette formule, c'est toutes les femmes qui doivent se sentir concernées, parce qu'on ne considère pas qu'une femme est un investissement dont on doit tirer des bénéfices. C'est difficile, vous savez, quand je vous dis qu'au moment où N. Sarkozy formule des propositions pour la diversité, il y en a qui en font le procès. Effectivement, ce procès, il y en a qui n'ont jamais accepté cette diversité et qui n'acceptent pas le volontarisme de N. Sarkozy dans ce domaine, et donc les relents conservateurs remontent, reflets d'une certaine vision de la société. Et s'il n'y avait que ces gens, il ne se serait rien passé ni pour les droits des femmes, ni pour les minorités, ni pour les jeunes. Je pense que les Français peuvent juger sévèrement ce propos-là. Et je pense qu'en politique, il faut du respect, il faut de la dignité, tirer la politique vers le haut et pas vers le bas. Les Français nous observent et ce genre de propos n'est pas très honorable. Et c'est pour ça que je dis que si jamais ils ont été tenus, il faut les démentir.
Cette décision de ne pas être candidate aux élections européennes, vous la maintenez ?
Je me suis déjà expliquée là-dessus. Je crois que maintenant, on est passé à autre chose. Donc je ne vois pas quoi ajouter de plus et je crois qu'il est maintenant important de se tourner vers les Français.
On a dit que le président de la République vous en voulait beaucoup. C'est vrai ?
"On a dit..." Moi, je ne commente pas de propos anonymes. Moi, j'ai une relation avec le Président, vous savez, qui est très forte. C'est une relation de fidélité, de loyauté, d'admiration, et ça, ça ne changera pas.
Un commentaire public : celui de B. Kouchner qui a dit que votre secrétariat d'Etat était "une erreur"...
Là encore, mon ministre de tutelle s'en est expliqué. Il a le droit d'apporter un avis personnel. Je ne souhaite pas prolonger cette discussion parce qu'il s'en est expliqué. Maintenant, passons à autre chose. Tournons la page.
Beaucoup de choses dures et difficiles sont dites sur vous, R. Yade. Comment l'expliquez-vous ?
"On ne jette des pierres qu'à l'arbre qui porte des fruits", dit un proverbe créole. A moins que vous ne préfériez un proverbe africain, qui dit que "c'est en mer agitée qu'on reconnaît la qualité du bois du bâteau".
On va dire que c'est le mot de la fin...
Oui !
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 18 décembre 2008