Déclaration de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, sur les nouvelles politiques en faveur de l'innovation axées sur la recherche développement mais aussi sur le marketing, Paris le 9 décembre 2008.

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Circonstance : Premières assises européennes de l'innovation, à Paris le 9 décembre 2008

Texte intégral

Messieurs les ministres, (Bernard Kouchner, Claude Allègre)
Mesdames et Messieurs,
Il n'y a guère un rapport sur la mondialisation - rapport Morand, rapport Védrine, rapport Cohen-Tanugi... - qui ne conclue sur la nécessité de l'innovation dans l'économie du XXIe siècle, généralement baptisée « économie de la connaissance » ou « économie virtuelle ».
Il faut tout de même rappeler que l'innovation n'est pas une nouveauté. Elle a toujours été la clé du succès d'un pays dans un univers mondialisé, que ce soit la Chine du Moyen-Âge inventant les écluses, la poudre à canon, le compas et le cerf-volant ; que ce soit l'Europe du XIXe siècle avec la machine à vapeur, l'électricité et le télégraphe ; que ce soit les États-Unis des années 70 avec la Silicon Valley...
La grande nouveauté, pour les gouvernements, ce n'est donc pas de prendre au sérieux l'innovation : ce qui est plus nouveau, c'est (I) de considérer l'innovation au-delà du champ purement scientifique, (II) d'agir de manière coordonnée au sein de l'Union européenne et (III) de traduire les priorités politiques en mesures concrètes.
Voilà, à mon sens, le triptyque dans lequel pourraient s'inscrire ces premières Assises européennes : ouverture, coopération, action.
Dans le cadre de la mission que vous a confiée le président de la République, vous avez déjà mené, cher Claude Allègre, de vastes consultations, avec ce souci de sortir des schémas préconçus et d'aboutir à des préconisations concrètes. Je suis persuadée que les travaux de ces Assises seront animés du même esprit.
(I) L'innovation n'est pas seulement de nature scientifique
L'innovation n'est pas réservée aux blouses blanches. Schumpeter, qui l'a théorisée le premier, la divisait en 5 catégories : fabrication de biens nouveaux, conception de nouvelles méthodes de production, ouverture d''un nouveau débouché, utilisation de nouvelles matières premières, ou mise au point d'une nouvelle organisation du travail.
Beaucoup de scientifiques émérites sont présents aujourd'hui. J'espère qu'ils me pardonneront d'avance de ce qui pourrait être perçu comme une petite provocation, mais une R&D sans un marketing et un management imaginatifs, c'est un peu comme un bateau sans voile !
La mission sur la mesure de l'innovation que j'ai confiée à l'ESCP-EAP et à son directeur général, Pascal Morand, va d'ailleurs dans ce sens d'une perception plus large de l'innovation.
L'étude qui a été réalisée au niveau européen montre que pour les dirigeants d'entreprises, l'innovation ne peut être limitée à la recherche et développement, loin de là. Certes, la R&D est un facteur essentiel, mais il s'agit d'un ingrédient au même titre que le design des produits et services, le marketing qui permet de les faire adopter par le marché, la création et la créativité, une organisation complexe de gestion des projets, et de nombreux autres facteurs.
Il importe donc d'intégrer cette dimension plurielle dans les nouvelles politiques en faveur de l'innovation.
(II) La préparation de l'après-Lisbonne
Il y a maintenant huit ans, à Lisbonne, l'Europe établissait une stratégie économique axée sur l'innovation. Cette stratégie a donné des résultats que l'on peut juger plus ou moins satisfaisants, mais elle a en tout cas placé l'innovation au centre de tous les débats. Aujourd'hui, il est temps de renouveler cette stratégie et de penser au post-Lisbonne.
Cette réflexion arrive-t-elle au bon moment, alors que l'économie mondiale se débat dans une crise d'une grande violence ? Oui car, aussi étrange que cela paraisse, nous devons d'ores et déjà nous préparer pour l'après-crise. L'Europe doit être prête le jour où les vents de la croissance mondiale se lèveront de nouveau.
Cette réflexion a-t-elle lieu au bon niveau ? Oui, car il n'est plus possible aujourd'hui de réfléchir au seul niveau national. Face à la crise, l'Europe a fait ses preuves, que ce soit pour stabiliser le secteur financier, pour engager la coordination internationale, ou pour définir une stratégie de relance économique. Ce principe de coordination prend tout son sens en matière de réformes structurelles.
C'est pourquoi nous avons réuni vendredi dernier à Paris, avec le président Barroso et le vice-président Verheugen, le groupe des « coordinateurs de Lisbonne ». Le diagnostic sur les défis auxquels l'Europe est aujourd'hui confrontée me semble faire largement consensus :
- l'accélération de la mondialisation, avec une interdépendance accrue des économies à l'échelle mondiale et l'émergence de nouveaux acteurs ;
- le besoin d'assurer la cohésion sociale et d'augmenter le taux d'emploi ;
- le vieillissement de nos populations européennes - même si la France, d'une certaine manière fait un peu mieux que les autres pays européens s'agissant du taux de fécondité (2 enfants par femme) ;
- le changement climatique et l'accès aux ressources naturelles ;
- la nécessité d'être à la pointe en matière de nouvelles technologies pour être compétitif.
Nul besoin aujourd'hui de disserter davantage sur l'importance de l'innovation : il faut agir. Les discussions en ateliers ce matin et dans les tables rondes de cet après-midi permettront certainement de dégager des propositions concrètes. Permettez-moi de vous suggérer quelques pistes de réflexion, s'inspirant de quelques actions déjà entreprises, aux niveaux européen et français.
(III) L'action en Europe et en France
Le programme de la journée est riche, je me concentrerai donc sur les sujets qui me tiennent le plus à coeur.
1. Financement des startups
Un atelier de ce matin portera sur les moyens de faciliter l'accès au financement pour les startups - les jeunes entreprises innovantes en bon français. Assurément, beaucoup des innovations marquantes, les plus en rupture, viennent d'une idée, portée par un homme, une femme, ou quelques uns, qui ont pu trouver les financements, les relais, parfois le simple conseil vers la transformation de cette idée en un nouveau service, un nouveau produit.
En ces temps de crise, avec mes collègues européens, nous avons eu très tôt le souci de ne pas tarir cette source de croissance. C'est pourquoi dès les 12 et 13 septembre, au conseil Ecofin de Nice, nous nous sommes mobilisés avec la Banque européenne d'investissement (BEI) pour garantir le financement des PME.
Mais au-delà du conjoncturel, il faut aussi agir, encore et toujours, sur le structurel. Sous la houlette d'Hervé Novelli, le Conseil Compétitivité des 1er et 2 décembre a posé les fondements d'un Small Business Act à l'européenne, qu'il faudra faire vivre et amplifier dans les prochains mois.
Les États ne doivent pas hésiter à aller plus loin. Ainsi, au niveau national, la loi de modernisation de l'économie permet désormais de réserver aux jeunes entreprises innovantes 15 % des marchés publics de R&D.
On connaît le rôle qu'a joué la commande publique aux États-Unis pour faire émerger des entreprises innovantes. Nous devons aussi jouer cette carte.
2. Propriété industrielle et brevets
Il est un autre domaine où l'Europe a vocation à agir, c'est celui de la propriété industrielle. La présidence française a tenté de faire progresser la mise en oeuvre d'un brevet communautaire et d'un système juridictionnel performants.
Malheureusement, il faut reconnaître qu'il n'existe pas aujourd'hui un consensus politique entre tous les États membres. Nous sommes d'accord pour mettre l'innovation au coeur de notre stratégie économique. Mettons-nous enfin d'accord sur les moyens de protéger efficacement, et donc d'encourager, l'innovation.
Le processus lancé aujourd'hui avec ces premières Assises européennes permettra, je l'espère, de faire progresser ce consensus.
3. Transferts vers le monde économique
La force des pays qui ont su traduire la volonté de miser l'innovation en une réalité économique est d'avoir su rapprocher entreprises, enseignement supérieur, centres de recherche. À l'origine du processus d'innovation, on trouve souvent cette alchimie complexe, cette catalyse des outils, des idées, des hommes.
On ne pourra jamais forcer le rapprochement. Mais on peut l'aider, l'encourager. Je pense notamment à la politique des clusters, avec ses modèles historiques de la Silicon Valley, mais aussi, en Europe, de Sophia Antipolis.
En France nous venons de confirmer la dynamique des pôles de compétitivité. L'État s'est engagé à y investir 1,5 Md euros sur les trois prochaines années. Je me félicite que l'Union européenne, tirant les leçons des expériences de chacun des États membres, vient d'adopter une stratégie européenne en faveur des clusters (Conseil Compétitivité des 1er et 2 décembre).
Je crois savoir, cher Claude Allègre, que ces Assises ne sont pas la conclusion d'un processus, mais qu'elles ont vocation à initier une dynamique qui fera de 2009 l'année de l'Innovation en Europe. Je suis sûre que nous posons aujourd'hui les fondations d'une réflexion ambitieuse qui contribuera à définir l'agenda européen pour les années à venir.
Source http://www.minefe.gouv.fr, le 11 décembre 2008