Interviews de M. Alain Richard, ministre de la défense, à France 2 et France-Info le 25 mars 1999, sur l'intervention des forces de l'OTAN au Kosovo.

Prononcé le

Circonstance : Lancement de l'offensive de l'Otan au Kosovo, le 24 mars 1999

Média : France 2 - France Info - Télévision

Texte intégral

ENTRETIEN A FRANCE 2 :
Françoise Laborde
Monsieur le ministre, pouvez-vous faire un premier bilan ? Y a-t-il eu des pertes ? Certaines sources, notamment russes et serbes, ont dit que deux avions de lOTAN auraient été abattus.
Monsieur Alain Richard
Il faut dabord partir du principe quil sagit dun pays qui nest pas démocratique, et qui a en conséquence fermé toutes les sources dinformation non pluralistes. En outre, lagence de presse détenue par lEtat sest rendue célèbre durant cette décennie pour sa désinformation. La réalité est que tous les avions qui ont participé cette nuit à des raids sur les objectifs militaires sont rentrés.
Françoise Laborde
Combien davions de lOTAN ont participé à ces frappes aériennes ? Combien davions français ?
Monsieur Alain Richard
Il est convenu entre les partenaires de la coalition que nous ne donnerons pas ces informations tant que nous serons en conflit : certaines informations pourraient être une aide pour les Serbes. Les moyens étaient importants et la contribution européenne était voisine de la moitié des moyens engagés.
Françoise Laborde
Lenvoi de missiles Tomahawk fut bien la première des deux phases ?
Monsieur Alain Richard
Il avait été décidé et programmé quil y aurait à la fois des atteintes contre les sites antiaériens les plus dangereux situés sur le sol serbe, et des attaques sur des sites qui doivent être neutralisés pour donner la liberté du ciel aux forces alliées. Cela sest fait de façon presque concomitante entre les attaques par missiles et celles par missiles aéroportés.
Françoise Laborde
Comment caractériseriez vous cette intervention : est-ce une frappe massive, une première frappe... ?
Monsieur Alain Richard
Les pays de lAlliance se sont entendus pour neutraliser les moyens antiaériens de la Serbie et de la République de Yougoslavie, et pour définir un certain nombre dobjectifs qui seront atteints dans peu de jours.
Françoise Laborde
Assistera-t-on à dautres raids aériens durant la nuit ou la journée ?
Monsieur Alain Richard
Il sagit de détruire les capacités dattaque antiaérienne de la Serbie : cest lobjectif des alliés. Cest le premier moyen damener ce pays à limiter ses interventions agressives contre sa propre population.
Françoise Laborde
Il peut donc y avoir plusieurs autres vagues dans les jours qui viennent, tant que Slobodan Milosevic refusera de reprendre les négociations ?
Monsieur Alain Richard
Le Président de la République la exprimé hier avec une grande clarté. Il est important de ne pas faire apparaître quil puisse y avoir une quelconque incertitude. Lobjectif que nous poursuivons est de faire adhérer la Serbie au principe du règlement politique équitable, qui a été fixé pour la situation de la communauté kosovare de deux millions de personnes à qui a été refusé tout droit à lexistence depuis dix ans par ce régime. Je pense que cest un objectif dans lequel tous les Européens démocrates se reconnaissent. Notre continent est un espace où se trouvent des Etats démocratiques qui reconnaissent des droits à leurs minorités. La Serbie y fait exception et emploie la violence depuis des années contre une minorité. On reprocha à dautres moments aux Européens de tarder à agir, notamment face à monsieur Milosevic. Il serait intéressant que lon note aujourdhui que lon ne tarde pas.
Françoise Laborde
Si jamais les frappes aériennes sont insuffisantes pour remplir les objectifs que vous venez de définir, peut-on imaginer une intervention terrestre ?
Monsieur Alain Richard
Elles seront suffisantes.
Françoise Laborde
Pas dintervention terrestre ?
Monsieur Alain Richard
Certainement pas.
Françoise Laborde
Certains ont souligné que lOTAN intervenait sans véritable mandat de lONU ?
Monsieur Alain Richard
Il sagit de quelque chose que la presse a pu constater en temps réel depuis trois mois :
deux résolutions de lONU ont été adoptées, sans opposition au sein du Conseil de Sécurité. Rappelons que la Russie y a participé, ainsi quaux négociations qui se sont tenues à Paris jusquà la semaine dernière, en poursuivant les mêmes objectifs que nous. Les objectifs sont partagés. Ces résolutions fixaient des obligations précises au pouvoir serbe qui les a violées avec des moyens militaires croissants. Cela nous donne donc un titre pour neutraliser ces moyens militaires employés contre sa propre population.
Françoise Laborde
Il ny avait donc pas besoin de nouvelles résolutions de lONU pour intervenir ?
Monsieur Alain Richard
Non.
Françoise Laborde
Quand les Russes disent que lon prépare un nouveau Vietnam, que veulent-ils dire exactement ?
Monsieur Alain Richard
Ils ne peuvent pas faire autre chose que dire cela. La Russie a été très coopérative et, jinsiste, sest comportée en partenaire de lEurope depuis ces dernières années, notamment en Bosnie, où nous avons combattu monsieur Milosevic. Nous avons dû imposer par la force la fin de ses agressions et de sa volonté de nettoyage ethnique. Les Russes sont nos partenaires en Bosnie.
Françoise Laborde
Ils disent donc cela pour que lopinion publique leur reste favorable ?
Monsieur Alain Richard
Je ne le sais pas. Mais cela nempêchera pas la Russie de rester notre partenaire, comme cela nempêche pas lEurope dêtre un partenaire important de la Russie, qui est le premier soutien du redressement économique de ce pays.
Françoise Laborde
Y a-t-il a encore des Français qui se trouvent à Belgrade ?
Monsieur Alain Richard
Il y a encore les représentants des participants à quelques organisations non gouvernementales, et naturellement des représentants de la presse. Mais il ny a plus de services représentant les autorités françaises.
Françoise Laborde
Combien de temps monsieur Slobodan Milosevic peut-il tenir sous le feu de lOTAN ?
Monsieur Alain Richard
Nous sommes en train dagir : il nest donc pas logique démettre des hypothèses sur laction que nous menons. Elle est simplement calculée. Lensemble des chefs dEtat et de gouvernement de lUnion Européenne la soutient. Comparée à toutes les décisions, notamment celle de laisser se perpétuer les massacres que poursuit méthodiquement monsieur Milosevic contre sa propre population, cette solution maîtrisée, qui limite laction des alliés, notamment des Européens et des Américains, sur des objectifs militaires, nous paraît être la seule qui soit rationnelle et équitable pour revenir à une situation acceptable pour les Européens.
Françoise Laborde
On a le sentiment quil y a eu une grande nervosité, cette nuit, à Belgrade et à Pristina
?
Monsieur Alain Richard
Pour une raison simple : ils ne sy attendaient pas. La tactique de monsieur Milosevic est de compter sur notre irrésolution. Cela sest passé ainsi depuis des années : entre 1993 et 1994, nous lui avons donné raison. En 1995, en grande partie sous limpulsion française, nous avons décidé de mettre en uvre les moyens pour contrer monsieur Milosevic : il a dû se rétracter et laisser sétablir en Bosnie une coexistence entre les communautés. La même action va être poursuivie mais on ne peut pas prévoir les résultats dans leurs détails. Nous avons vu monsieur Milosevic changer sa position face à une résolution. Il ne connaît que cela, ce qui est le contraire dun démocrate.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 26 mars 1999)
ENTRETIEN A FRANC-INFO :
Patrick Boyer
Alain Richard, bonsoir. Quel premier bilan peut-on tirer 24 heures après le démarrage de loffensive de lOTAN en Yougoslavie ?
Alain Richard
Les forces, qui se sont organisées avec la décision des gouvernements, se sont fixées un certain nombre dobjectifs pour réduire et détruire les capacités aériennes de la République Fédérale de Yougoslavie. Ces objectifs sont en train dêtre atteints.
Patrick Boyer
Peut-on envisager quune deuxième vague dassaut aérien frappera la Yougoslavie avant la nuit ?
Alain Richard
Oui. Les objectifs seront progressivement atteints.
Patrick Boyer
Y aura-t-il une progression graduée ou cette vague sera-t-elle de la même ampleur que celle de la nuit dernière ?
Alain Richard
Je ne donnerai pas de détails. Des atteintes seront progressivement portées à ces matériels militaires. On évaluera ensuite à quel niveau ils ont été détruits et on en tirera les conséquences.
Patrick Boyer
Les forces françaises aériennes participeront-elles à de nouveaux assauts ?
Alain Richard
Oui. Les décisions politiques ont été prises. Pendant des mois, lensemble des pays européens ont indiqué à la Yougoslavie que, si elle nentrait pas dans le processus de négociation et de règlement équitable pour le Kosovo, il y aurait des menaces militaires, qui ont été émises et approuvées par les gouvernements. Nous sommes au moment où nous les appliquons avec énormément de mesure afin de natteindre que les objectifs militaires du régime yougoslave.
Patrick Boyer
Laviation alliée sest heurtée la nuit dernière à des sorties de MIG-29 serbes.
Laviation serbe est-elle encore à redouter la nuit prochaine ?
Alain Richard
Oui. Elle ne sera pas détruite en deux jours.
Patrick Boyer
Cela veut-il dire que, pour linstant, les premiers objectifs nont pas permis de mettre à mal les dispositifs aériens serbes ?
Alain Richard
Lobjectif est dabord politique. Il ne sagit pas dintenter à la sécurité de la population serbe, qui est en grande partie lotage de la dictature de Milosevic. Nous sommes donc obligés de procéder lentement et avec beaucoup de précautions. Nous ne désirons pas écraser la Yougoslavie sous un tapis de bombes : ses forces armées devront donc être détruites de façon progressive.
Patrick Boyer
Ne craignez-vous pas que, dans un premier temps, ces bombardements ne ressoudent davantage la population autour de son leader nationaliste ?
Alain Richard
Moi, je crois que la population serbe est démocratique : elle connaît un peu le monde extérieur malgré les énormes obstacles posés par Milosevic à la libre information. Il a déjà commencé à faire de la désinformation. Il ferme progressivement toute possibilité de contrôle aux médias internationaux mais, malgré tout, la population serbe conserve une capacité de critique et de compréhension de tout ce qui se passe. Quand on comprendra à quel point Milosevic a emmené son peuple dans limpasse en dépeçant la Yougoslavie à force datteintes brutales vis-à-vis de ses partenaires, jespère, même si ce nest pas lobjectif premier, bien quil soit tout à fait imaginable à terme, que lopinion démocratique des Serbes se manifestera dune manière ou dune autre.
Patrick Boyer
Un simple appel de Slobodan Milosevic au secrétaire de lOTAN Javier Solana pourrait-il interrompre les frappes ?
Alain Richard
Non, Milosevic fut un partenaire de mauvaise foi. Il a déjà fallu se battre en 1994-95 pour rétablir un début de paix et de cohabitation entre plusieurs communautés en Bosnie. Le chef de lEtat la dit hier à Berlin : nous nous arrêterons lorsque lautorité yougoslave sadressera aux négociateurs du Groupe de contact en vue de signer laccord. Soutenir le contraire serait évidemment une mauvaise tactique.
Patrick Boyer
Doit-il donner des gages ?
Alain Richard
Il faut quil manifeste ses options politiques en tenant compte des réalités internationales.
(Source http ://www.defense.gouv.fr, le 29 mars 1999)