Déclaration de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, sur l'enjeu européen de l'innovation scientifique et technologique pour la société, Paris le 9 décembre 2008.

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Circonstance : Premières assises européennes de l'innovation à la Cité des Sciences et de l'Industrie à Paris : propos liminaires de Bernard Kouchner le 9 décembre 2008

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames, Messieurs,
Quel meilleur lieu que cette Cité des sciences et de l'Industrie pour tenir ces premières Assises de l'innovation ? Cité des Sciences et de l'Industrie, dont la mission est de rendre accessibles à tous les publics les savoirs scientifiques, techniques et industriels, ainsi que de présenter les enjeux de société liés à leur évolution. L'innovation est au coeur des activités de la Cité, et je suis persuadé que vos travaux vont bénéficier de ce cadre propice.
L'autre caractéristique de ces rencontres c'est la variété de vos origines, propice à un véritable dialogue et un "brainstorming" de qualité... et à des propositions "bottom up" comme le dit mon ami Claude Allègre. Ce beau mot de dialogue dont j'ai souhaité qu'il soit un label de la Présidence française, et que nous avons mis en œuvre dans les cas les plus difficiles (crise géorgienne, Union pour la Méditerranée, Syrie...). Vous êtes des acteurs de l'innovation venant de tous les pays d'Europe : chercheurs, universitaires, créateurs d'entreprises innovantes - grandes et petites - entreprises innovantes, acteurs de la culture scientifique, spécialistes de la propriété intellectuelle, responsables d'organismes de valorisation de la recherche, mais aussi responsables nationaux et régionaux, aussi bien politiques qu'administratifs. C'est le talent de Claude Allègre de vous avoir réunis tous ici aujourd'hui, je vous remercie d'avoir répondu présent pour ces premières assises dans des délais aussi brefs.
Grâce à vous, nous tenons aujourd'hui, et notamment avec la présence du président de la République cet après-midi, un des derniers grands rendez-vous "politiques" de la Présidence française avant notre dernier Conseil européen. Et nous avons souhaité qu'il soit consacré à l'innovation.
En cette fin de semaine, au Conseil européen, nous présenterons à nos opinions les mesures de relance pour répondre à la crise économique et financière. Ce plan de relance est ambitieux, il devrait être, en conjuguant les efforts entrepris par l'Union européenne, de l'ordre de 1,5% du PIB européen soit environ 200 milliards d'euros.
Le contenu de ce plan a autant d'importance que son volume : nous devons assurer la durabilité de cette relance et aussi veiller à ce que l'Europe, qui dispose encore aujourd'hui d'atouts considérables par rapport au reste du monde, voie son écart de compétitivité maintenu voire encore accru. Il n'y a qu'en investissant dans l'économie de la connaissance, dans l'innovation, la recherche et sa valorisation économique que nous pourrons répondre de manière ambitieuse et responsable à la crise. Le sentiment d'urgence qui nous anime donne, me semble-t-il, un relief particulier à l'approfondissement des politiques d'innovation au niveau européen.
Mais permettez-moi d'aller plus loin. Il ne s'agit pas seulement de répondre à la crise financière et de retrouver une croissance durable fondée sur la connaissance. L'innovation est un élément de réponse aux défis de l'Europe de demain, l'inégalité entre les territoires, la dégradation de l'environnement, les problèmes de santé publique tels que l'obésité ou les maladies liées au vieillissement de la population.
L'innovation est aussi un élément de réponse à la globalisation, aux défis mondiaux, défis pour lesquels l'Europe doit se situer en première ligne : la lutte contre le changement climatique, la maîtrise de la consommation d'énergie et de son impact environnemental, l'amélioration de l'efficacité énergétique, les énergies renouvelables, l'amélioration des transports, tout ce qui permet un développement durable, mais aussi la lutte contre les grandes épidémies, la réponse à la crise alimentaire, la gestion des grandes agglomérations, la sécurisation des réseaux informatiques sont des chantiers immenses que l'Europe ne peut éluder.
Dynamiser l'innovation en Europe et permettre une pleine liberté d'innover et sa capacité à répondre aux principaux défis du XXIe siècle, c'est aussi lui permettre de conforter sa place dans ce monde si compliqué et incertain.
Enfin, l'innovation, c'est aussi un état d'esprit, une démarche fondée sur la conviction que nos efforts peuvent améliorer et changer le monde, et le sort de chacun, que nous devons renoncer à la fatalité, dépasser les évidences, reléguer ce qui "est" dans le champ de l'histoire pour nous consacrer à préparer l'avenir : c'est ce dont tout le projet européen, cette utopie de l'après guerre, est fait. Alors qui mieux que l'Europe, peut innover ?
L'Europe n'a pas à avoir peur. Elle dispose de nombreux atouts qu'il lui appartient de développer : un niveau élevé d'éducation dans les domaines scientifiques et techniques, une attention des pouvoirs publics à l'éducation, des laboratoires de recherche de grande qualité, des entreprises performantes, un système bancaire plus solide que celui d'Outre-Atlantique, une grande tradition d'inventivité aussi bien sur le plan scientifique que technologique. Le tout appuyé sur une diversité de systèmes universitaires et industriels ayant chacun de grandes qualités.
Dès l'an 2000, la "stratégie de Lisbonne" a mis la connaissance au coeur du projet européen. Des progrès ont été enregistrés dans de nombreux domaines, notamment sous la Présidence française :
- je pense au "Small Business Act pour l'Europe" en faveur des PME européennes qui facilite leur accès au financement, allège leurs obligations administratives et leur permet de bénéficier pleinement des opportunités des marchés européens et internationaux. Ceci concerne 23 millions de PME européennes qui, au cours des dernières années, ont créé 80 % des nouveaux emplois dans l'Union européenne. Compte tenu de la contribution des PME à l'innovation, ces avancées méritent d'être soulignées.
- je pense au projet de société privée européenne et à la mise en place du brevet européen ;
- je pense à tout ce que nous pouvons faire pour favoriser l'émergence en Europe de clusters - ou de "pôles de compétitivité", comme nous les appelons en France - basés sur le triptyque recherche - entreprises-formation, capables d'affronter la concurrence internationale, en particulier dans le secteur des technologies de pointe. C'est un sujet que nous avons développé lors du dernier Conseil franco-allemand à l'Elysée le 24 novembre dernier : la coopération est engagée dans 50 pôles de compétitivité franco-allemands, par exemple dans le domaine de la biologie et de la santé Biovalley ou des transports ferroviaires (I-Trans et CNA Nuremberg). Nous devons étendre ces coopérations à toute l'Europe.
Mais de nombreuses faiblesses demeurent, nous attendons beaucoup de vos réflexions d'aujourd'hui. Nous devons en effet répondre ensemble à cette question : comment libérer le potentiel d'innovation en Europe ? En surmontant des inerties et en mettant fin à de mauvaises habitudes :
- d'abord la dissociation faite en Europe entre recherche fondamentale et appliquée, entre enseignements supérieurs et fondamentaux : c'est ce qu'ont su faire les Américains, nous devons y parvenir aussi ;
- ensuite en donnant aux entrepreneurs et aux jeunes le "goût de l'innovation", la volonté et les moyens d'investir. Le "small business act" est un élément de réponse pour les créateurs de start-ups mais nous devons aller plus loin ;
- en coordonnant mieux les politiques nationales de recherche et d'innovation, sachant que seuls 6 à 7 % des budgets européens transitent par le budget européen du "programme cadre de recherche et développement" ;
- enfin, en voyant comment répondre à la question du financement : un des objectifs de la stratégie de Lisbonne était notamment de porter l'investissement pour la recherche et le développement à 3 % du PIB pour 2010, l'investissement du secteur public devant atteindre 1 % et l'investissement du secteur privé 2 %. Aujourd'hui, nous savons que cet objectif ne sera pas atteint à l'échelle de l'Union européenne en partie à cause d'un financement de la R&D du secteur privé encore insuffisant.
L'Europe doit donc continuer à investir dans son avenir. Sa prospérité future est à ce prix. Nous devons réfléchir aujourd'hui à ce que pourrait être un plan européen pour l'innovation, en liaison avec la réflexion sur l'avenir de la stratégie de Lisbonne au-delà de 2010, embrassant toutes les conditions du développement durable et les principales technologies du futur (en particulier l'énergie, les technologies de l'information, les technologies spatiales et les services qui en découlent, les sciences du vivant).
Je suis certain que ces premières Assises européennes de l'innovation seront fructueuses et qu'avec le président de la République, ce soir, en conclusion de vos travaux, vous pourrez déboucher sur des propositions ambitieuses, concrètes et utiles pour surmonter la crise économique et garantir durablement la place de l'Europe dans la mondialisation.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 décembre 2008