Interview de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, à "Europe 1" le 6 janvier 2009, sur la consommation des ménages, les choix de relance économique du gouvernement par l'investissement et sur l'approvisionnement et le prix du gaz.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach.- Bonne année 2009, d'abord bonjour C. Lagarde.
Bonjour J.-P. Elkabbach, et bonne année.
Bonne année 2009, c'est le refrain du moment. Pour un ministre de l'Economie, en temps de crise, de morosité, de sinistrose, qu'est-ce qu'une bonne année 2009 ?
Une bonne année 2009 ce serait une année où la confiance se serait rétablie, une année où on arriverait à éliminer un certain nombre des excès dont on a souffert pendant l'année 2009...
... 2008.
...2008, pardon, et où on arriverait à remettre un petit peu de mesure dans nos comportements. Et puis, ce serait une année plus solidaire à la fois entre l'ensemble des acteurs politiques et de manière plus générale vis-à-vis de tout le corps social.
Vous voyez le job que vous avez tous ! Pour les Français, une bonne année 2009 c'est un emploi, l'école, l'hôpital, l'industrie, le transport, la télévision qui fonctionne avec des moyens adaptés. Est-ce que vous pouvez le leur garantir ?
Tout ça, vous voyez, ça se rejoint tout à fait avec ce que je vous disais. Pour l'ensemble de ces souhaits, il faut de la confiance, il ne faut pas d'excès, il faut de la mesure et il faut que tout le monde s'y mette. On a clairement une situation qui est difficile, on aura en 2009 une situation difficile à gérer et on n'arrivera à surmonter ces obstacles que si nous le faisons ensemble avec détermination et en explorant tous les petits coins de notre économie où il peut y avoir des zones de ralentissement, de, de... Vous savez, c'est un peu comme un moteur une économie, il faut absolument y travailler.
Oui, oui, c'est de la psychologie mais est-ce que ça fait une stratégie pour s'en tirer ?
La stratégie elle est très simple aujourd'hui, elle est absolument de préserver au maximum les emplois actuels et puis d'avoir une vision de moyen terme, parce qu'on va en sortir de la crise, et il faut évidemment que le pays en sorte renforcé...
... quand, quand, quand, quand ?
Quand ? C'est très difficile de dire quand de toute façon, vous savez les augures...
...alors, pourquoi vous nous dites qu'on va en sortir ?
Mais parce qu'on en sortira, on est sortis de toutes les crises. Ce qu'il faut c'est que notre pays en sorte renforcé et qu'en particulier un certain nombre de filières industrielles, notamment propices à l'environnement et à une croissance durable, en sortent renforcées.
Alors, sur le fond, aujourd'hui, 6 janvier, C. Lagarde, est-ce que vous connaissez les tendances des comportements des Français pendant les fêtes de fin d'année ? Est-ce qu'ils ont vraiment acheté, est-ce qu'ils ont dépensé pour les cadeaux, les loisirs, les vacances ? Est-ce que vous avez des indications précises chiffrées ?
Oui, on a des indications très précises et je vais vous en donner une : c'est le nombre de retraits bancaires qui sont effectués pendant des périodes particulières, et entre notamment le 23 et le 28 décembre, on a des indications très claires, on a eu exactement autant de retraits bancaires que l'année dernière, et on a eu des retraits pour pratiquement le même montant, autour de 97 euros en moyenne par retrait. Donc, ça, c'est l'indication que les Français ont continué à utiliser leur carte de crédit, utiliser leur carte de crédit pour faire des retraits et pour consommer. Deuxième chiffre dont on dispose, qui est le chiffre de la consommation en novembre, vous savez qu'on a fait +0,3 %, donc les Français ont continué à consommer et les indications qu'on a sur le mois de décembre sont plutôt favorables si on compare décembre 2008 à décembre 2007. Donc, la consommation elle a tenu. Il y a un autre indicateur qui est intéressant, qui ne concerne pas tout le monde évidemment, les stations de sports d'hiver ont fait le plein absolu pendant les vacances de Noël.
Le problème c'est qu'est-ce qui va se passer après. Alors, les soldes démarrent demain, les passionnés ont déjà repéré leurs achats. Il y a trois départements de l'est de la France qui ont commencé leurs soldes plus tôt. Quelles indications donnent-ils ?
De bonnes indications. Le premier jour des soldes dans ces trois départements, le vendredi, a été absolument exceptionnel. Cela s'est un peu tassé le lendemain, le samedi, le temps n'était pas propice, mais on a aussi un autre indicateur, ce sont les sites Internet qui vont pratiquer à partir de demain, dans les mêmes délais que les magasins, des soldes, où là le nombre de visites est aussi en croissance importante. On attend une augmentation des soldes sur Internet de l'ordre de 20 %.
Qu'est-ce que veut dire ou qu'est-ce que ça voudrait dire et est-ce qu'il n'y a pas le risque après les soldes que les Français n'aient plus les moyens de consommer ?
Ecoutez, chaque chose en son temps. On a eu les fêtes de Noël qui se sont plutôt bien passées pour la consommation, d'ailleurs la grande distribution s'en est fait l'écho. On a des soldes qui semblent bien se présenter. J'ajoute que le mauvais temps qui est épouvantable pour un certain nombre de cas, en particulier les gens qui sont isolés ou qui sont sans abri, du point de vue des soldes, le mauvais temps c'est une aubaine parce qu'évidemment quand on a 12°, on n'a pas forcément envie de craquer pour un manteau, s'il fait -3, on se dit que le manteau ça vaut la peine.
Pour que tous ces commerces fonctionnent, C. Lagarde, il faut que ceux qui veulent acheter puissent acheter. Est-ce que vous allez aider dans vos plans de relance une fois la consommation ?
Le plan de relance, vous savez, on l'a lancé au mois de décembre dans des délais très rapides, on a pris une optique qui avait été déterminée, arrêtée en accord avec le président de la République, c'est l'investissement. Les mesures fiscales elles sont déjà passées. Ca va commencer à fonctionner dès maintenant et en particulier les entreprises vont recevoir toutes les dettes qu'avait l'Etat à leur égard - l'impôt sur les sociétés, le crédit impôt recherche - tout ça va commencer à se dégorger, si j'ose dire, et on va mettre les compteurs à zéro.
D'abord, est-ce que vous pouvez nous dire si vous allez aider à la consommation ? Vous avez peut-être entendu J.-M. Ayrault, tout à l'heure, avec M.-O. Fogiel, le Parti socialiste n'a pas l'intention de voter votre plan de relance.
Ils ont tort, ils ont vraiment tort parce que un plan de relance c'est déterminé...
... parce qu'il manque un volet pouvoir d'achat de ceux qui en ont besoin.
Mais oui, mais un plan de relance c'est déterminé pourquoi ? Pour soutenir l'économie.
Pourquoi ils ont tort ?
Pour nous assurer que les emplois vont être maintenus dans le meilleur des cas et dans le plus grand nombre de cas, que les entreprises vont continuer à investir. C'est quoi l'économie ? Ca fonctionne sur trois moteurs : l'exportation, la consommation, les investissements. Aujourd'hui, on sait que le moteur qui est le plus faible c'est le moteur investissement. Si les entreprises n'investissent pas aujourd'hui, clairement elles vont être amenées à se séparer de salariés, à faire des licenciements.
Donc, vous dites il n'y aura pas d'effort sur le pouvoir d'achat et la consommation.
Il faut impérativement que nous soutenions l'investissement.
Vous ne pouvez pas marcher sur deux jambes, comme disait Mao Tsé-Toung, non, vous ne pouvez pas ?
Mais on marche sur deux jambes économiquement, ça c'est tout à fait évident. Je vous dis que d'une part la consommation tient puisqu'elle fait +0,3 % en novembre, que les consommations sont plutôt bonnes en décembre, et qu'on soutient l'investissement qui lui est faible.
Est-ce que vous pouvez dire ce que vous donnez, quel est le montant global de l'aide pour la relance parce qu'on voit que la Chancelière Merkel et la coalition CDU/CSU-SPD sont en train de négocier un plan pour la mi-janvier d'environ 50 milliards d'euros avec des allègements d'impôts. Elle a mis du temps sans doute à se décider Madame Merkel, mais est-ce que son effort n'est pas plus important que vos 26 milliards d'euros ?
Alors, deux choses : premièrement, ça n'est pas seulement 26 milliards d'euros. On a fait une première grosse mesure de 22 milliards d'euros pour le financement des petites et moyennes entreprises et des collectivités locales.
Donc, vous voulez dire que le total c'est 48.
Et deuxièmement, une relance de 26, ça fait 22+26, vous avez raison, c'est 48, premièrement.
Oui, mais pourquoi vous le dites... si c'est vrai, pourquoi vous ne le dites pas ?
Vous me le faites dire, c'est formidable ! Vous voyez, 22+26... simplement, par rapport à nos amis Allemands, et vous l'avez noté...
...alors, encore un effort pour représenter comme les Allemands quand ils le feront.
... on a commencé un petit peu avant les Allemands, et tant mieux. Moi, je me réjouis que Madame la Chancelière Merkel puisse négocier avec sa coalition un plan de relance de 50 milliards d'euros, on en aura tous besoin. Deuxième chose que je voulais vous dire, vous parlez de fiscalité, on a pris des mesures en matière de fiscalité, on a pris des mesures en matière de fiscalité pour la baisser : exonération de taxes professionnelles, crédit impôt recherche, facilités pour les redevables de l'ISF d'affecter leur impôt au financement des petites et moyennes entreprises.
Oui, mais quand on entend le président de la République...
... mais c'est un allègement très important.
Madame Lagarde, quand on entend le Président de la République dans ses voeux du 31 décembre dire et reconnaître que 2009 sera difficile, etc. et qu'il se dit prêt à faire davantage contre la crise, on voit bien que c'est déjà jugé par vous, l'exécutif, insuffisant.
Essayez de bien me comprendre, on a fait 22 milliards, puis 26 milliards, total 48, ça entre en vigueur dès que le texte est voté, on est au Parlement demain après-midi pour ce faire.
Oui, le texte sera voté vers la fin du mois, donc est-ce que cela ne peut pas aller plus vite que février et... ?
Ah ben, si l'opposition au Parlement est raisonnable, solidaire et comprend qu'il est important pour toute l'économie française et nos entreprises de faire ce plan de relance, et s'ils sont intelligents dans le débat et s'ils votent le plan, ça ira très vite. Mais ce que je voulais vous dire aussi c'est que nous ferons ce que nous devrons faire et je crois que c'est le sens du message du Président de la République.
Ca veut dire vous allez en faire davantage.
Si c'est nécessaire, on fera ce qu'il faudra.
Vous le saurez quand si c'est nécessaire ?
Il faut d'abord faire que ça marche, c'est-à-dire que le premier plan de 22, puis le deuxième plan de 26 fonctionnent bien et que l'argent circule dans les tuyaux, que les entreprises soient encouragées à investir, et que les dettes de l'Etat à leur égard soient payées.
Madame Lagarde, toute la zone euro va être touchée par le chômage. En Espagne, en un an, le nombre de chômeurs a augmenté de 900.000. En Grande-Bretagne, on nous dit 600.000 licenciements sont prévus en 2009. Est-ce que la France va connaître de tels chiffres épouvantables ?
Sans doute pas dans les mêmes proportions, Monsieur Elkabbach, pourquoi ? Parce que d'abord nous avons une espèce...
... non, non, mais quel montant, quelle proportion ?
... un matelas d'amortissage qui correspond à la fonction publique. Deuxièmement, parce que nous avons des courbes de population qui font qu'un certain nombre des baby boomers sont en train de devenir des papy boomers et vont sortir des effectifs tout simplement parce qu'ils vont prendre leur retraite. Et puis, ensuite, parce qu'on a un système de chômage et de soutien des populations qui sont affectées par une perte d'emploi qui est extrêmement efficace, bénéficiaire et beaucoup plus que par exemple le système britannique.
Madame Lagarde, on vient d'apprendre que les Russes, Monsieur Poutine et Monsieur Medvedev, viennent d'arrêter les livraisons pour quatre pays et pour Les Balkans, en matière de gaz. Est-ce que on est menacés par ces mesures qui peuvent concerner une partie de l'Europe de l'Ouest et la France ?
J'ai reçu Monsieur Medvedev qui est le n° 2 de Gazprom, qui m'a assuré hier que l'ensemble des livraisons à destination notamment de la France ne seraient pas affectées par les difficultés rencontrées entre Gazprom et l'Ukraine.
Donc, on est protégés. Est-ce que vous baissez le prix du gaz ?
Ce n'est pas à l'ordre des discussions immédiates, Monsieur Elkabbach.
Si ce matin nous étions le 6 janvier 2010, c'est ma dernière question...
... on fêterait les rois.
Oui ! Est-ce que vous nous parleriez toujours des risques, des conséquences sociales de la crise et vous nous diriez : « on est sortis de la crise » ?
Je l'espère. En tout cas ce que nous allons faire pendant toute l'année 2009, et autour de moi toute mon équipe évidemment, et nous sommes tous soudés derrière le Premier ministre et le Président de la République...
... d'accord, ça on comprend, on comprend, c'est nécessaire, mais...
... c'est lutter pour le bénéfice de chacun des concitoyens.
Mais en 2010 vous nous direz pas « c'est fini », on ne saura toujours pas.
Mais c'est impossible de vous dire aujourd'hui « ça sera fini ». On va tout faire pour que ce soit le moins douloureux possible et pour mettre le pays en ordre de marche pour prendre le vent de la croissance et du rebond dès qu'il se produira.
Bonne journée, et merci d'être venue.
Merci.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 6 janvier 2009