Entretien de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, avec le "Talk Orange-Le Figaro" le 13 janvier 2009, sur l'appel au cessez-le-feu dans la bande de Gaza et les répercussions en France du conflit au Proche-Orient.

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Q - Bonsoir, bienvenue au "Talk Orange-le Figaro". Nous recevons ce soir Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères et européennes, et selon le dernier baromètre Ipsos-Le Point, toujours le plus populaire de nos ministres. Bonsoir, Bernard Kouchner.
R - Bonsoir.
Q - Première question : depuis le début de l'offensive israélienne à Gaza, depuis dix-huit jours, la France n'a pas ménagé ses efforts. Ses efforts ont-ils été utiles ? Portent-ils leurs fruits ?
R - Comment pouvez-vous en douter ? Ont-ils été décisifs ? Pas encore, mais ils ont été utiles. Nous sommes les seuls, avec les Turcs, à pouvoir parler à tous les protagonistes, à tous les pays avoisinants. Ce n'est un secret pour personne, tous ces pays jouent, hélas ou heureusement, un rôle dans ce conflit. Le cessez-le-feu a-t-il été obtenu ? Non. Est-il en vue ? Oui, je l'espère. Quand ? A un ou deux jours près, je ne le sais pas.
Q - Vous êtes malgré tout optimiste parce qu'on a l'impression qu'aujourd'hui les deux camps restent sur leurs positions, c'est-à-dire que, d'un côté, les tirs de roquettes continuent et, de l'autre, l'armée israélienne continue de progresser dans Gaza.
R - Je ne dirais pas forcément dans Gaza. Les tirs de roquettes continuent et atteignent maintenant un périmètre comprenant un million d'habitants israéliens. Dès le 30 décembre dernier, nous avons demandé avec le président Sarkozy et les vingt-sept pays de l'Europe un cessez-le-feu, disions-nous, humanitaire. Même s'il ne durait que quelques heures, même s'il ne durait que quelques jours. Néanmoins, il vaut mieux, évidemment, que ce soit un cessez-le-feu permanent, durable, contrôlé, mais nous n'en sommes pas là. Dès le 3 janvier, nous, l'Europe, la Troïka, étions présents sur le terrain. Le 4, le président de la République française a rencontré tous les protagonistes dont je parle. Cela suffit-il ? Non, encore une fois.
Il faut, tout d'abord, que ces tirs à partir de Gaza qui s'abattent sur la population civile en Israël cessent. Nous sommes attentifs à la situation de toutes les populations civiles, aussi bien israélienne que palestinienne. L'armée israélienne est entrée à la proximité, puis ensuite dans la bande de Gaza. Il faut que non seulement ces deux attaques cessent, mais aussi que le trafic d'armes cesse, que la pénétration des armes, des roquettes en particulier dans la bande de Gaza, cesse, et surtout que le blocus de Gaza soit levé. Je crois que c'est contre-productif, tous les blocus entraînent du trafic, de la frustration, de la colère, des réactions. Cela sera-t-il possible ? Je l'espère.
Q - Vous êtes raisonnablement optimiste ?
R - Toutes les guerres sont horribles. Du point de vue humanitaire, la France a fait beaucoup : nous envoyons des avions humanitaires, des équipes chirurgicales françaises sont présentes à Gaza, dont deux viennent d'entrer et deux autres attendent de le faire. Un bateau humanitaire a été proposé, pourquoi pas ? Le problème repose sur le fait que l'accès à ce bateau est difficile. Nous avons déjà un hôpital mobile que ni les Egyptiens ni les Israéliens n'acceptent pour le moment. On pourrait l'installer rapidement, mais il faudrait le faire dans la bande de Gaza. C'est ce qui concerne le volet humanitaire.
Par ailleurs, nous avons été présents sur le terrain, notamment le président de la République française, et parallèlement nous étions présents au Conseil de sécurité de l'ONU - nous avons la présidence de ce Conseil jusqu'à la fin du mois- où nous avons fait voter une résolution, qui n'avait recueilli la quasi-unanimité, puisque seuls les Américains se sont abstenus et ils ont, tout de même, soutenu cette résolution.
Q - Quand Mahmoud Abbas accuse Israël de vouloir anéantir le peuple palestinien, puisqu'ils n'acceptent pas le cessez-le-feu, qu'en pensez-vous ?
R - J'aime beaucoup Mahmoud Abbas, nous sommes avec lui en excellents rapports. Nous avons soutenu le processus de paix dont il était le protagoniste majeur du côté palestinien et, de l'autre côté, il s'agissait du Premier ministre israélien. Nous continuons de soutenir les Palestiniens, mais M. Mahmoud Abbas avec tout le respect et l'amitié que je lui porte, ne parle pas au Hamas. Il ne faut pas résumer ce conflit à une réponse de défense contre des roquettes qui, de façon inqualifiable et intolérable, tombaient sur Israël. Il y a aussi entre les factions palestiniennes une mésentente qui s'était annoncée. Le Hamas n'a pas voulu rencontrer le président de l'Autorité palestinienne en novembre dernier et à ce moment-là tout le monde a su que la crise se préparait. Nous ne pouvons pas en parler entre Palestiniens à leur place. Mais en effet, M. Abbas dit que la situation est terrible, notamment pour la population de Gaza, et je ne le néglige pas. Nous sommes, au contraire, inquiets pour cette population, c'est la raison pour laquelle nous demandons un cessez-le-feu.
Q - Comment arriver à ce que votre plan en trois points, qui passe en premier par la rencontre sur le terrain de tous les protagonistes, puisse réussir, alors qu'effectivement le Hamas et l'Autorité palestinienne ne peuvent pas se parler. Comment y parvenir ?
R - Le premier point c'est le cessez-le-feu, et non pas, comme certains le demandent, le retrait de troupes. Le cessez-le-feu, l'arrêt des tirs de roquettes, l'arrêt de l'avancée de l'armée israélienne. Je vous signale que la France a déjà obtenu, du moins son influence a été majeure pour que soit établie une trêve de trois heures, même si c'est insuffisant. Il faut dans un premier temps, obtenir le cessez-le-feu, ensuite, permettre la rencontre des protagonistes et envisager la façon dont on pourrait lever le blocus de Gaza en ouvrant des points de passage. Peut-être, faudra-il assurer une présence internationale, si elle est acceptée, à ce niveau-là. Mais il est nécessaire que le trafic d'armes cesse, il n'est pas question d'accepter que des roquettes pénètrent en permanence dans Gaza.
Q - Est-il un jour envisageable qu'il y ait des contacts officiels avec le Hamas ? Et si oui, à quelles conditions ?
R - Des contacts officiels, c'est assez simple. N'oublions pas que le Hamas a gagné les élections législatives. Il faut tout de même en tenir compte. Il conviendrait simplement qu'ils reconnaissent l'existence de l'Etat d'Israël comme l'a fait l'Organisation de libération de la Palestine et Mahmoud Abbas en particulier. Il faudrait qu'ils reconnaissent les accords signés par l'OLP, organe légitime de direction du peuple palestinien. Tout le reste, ensuite, irait de soi. La priorité est qu'ils cessent la violence ! Qu'ils acceptent l'existence de l'Etat d'Israël, qui nous est absolument indispensable à tous, dans le monde, et surtout qu'ils acceptent ce que l'OLP, ceux qui dirigeaient officiellement le peuple palestinien, a signé. A partir de ce principe tout serait possible. Enfin, il faut à côté d'Israël la création d'un Etat palestinien. Et la France y participe.
Q - Une question d'un internaute : "Quelle différence faites-vous entre le Hamas et les Taliban, que la France combat en Afghanistan ?"
R - Les Taliban veulent mettre le feu partout. Ils veulent installer un pouvoir islamique. Pour le moment, cette expression du peuple palestinien qui a été reconnue par les élections est complètement différente. Même si je ne retire rien à ce que j'ai dit à savoir la nécessité pour eux de cesser la violence, de reconnaître l'Etat d'Israël et d'accepter ce que l'OLP, l'Organisation de libération de la Palestine, a signé. Je pense qu'il y a des différences de contexte. Etre bloqué dans la bande de Gaza, cela ne peut pas être un avenir pour un jeune palestinien.
Il n'y a pas que des terroristes qui se ressembleraient. Je crois qu'il faut faire des nuances. Je sais aussi que les Israéliens ne réagiraient pas comme moi, je le comprends très bien.
Q - Le conflit au Proche-Orient a aussi des répercussions en France. On a vu qu'il y a eu des manifestations assez violentes. Il y a eu beaucoup d'actes antisémites, il y a eu un acte contre un jeune musulman. Cette résurgence des communautarismes oblige-t-elle la France à avoir une position équilibrée ?
R - Rien n'oblige la France à être la France, ni du côté de l'intervention en faveur du cessez-le-feu, ni dans le combat contre l'antisémitisme et contre le racisme en général. Pour ces deux raisons, nous sommes la France. Il n'est pas acceptable que se transpose, de façon mécanique et sans réflexion, un conflit qui n'a rien à voir avec nos communautés qui doivent et qui - d'ailleurs je le sais, je le vois, je le connais bien - sont en équilibre les unes par rapport aux autres ; même si je comprends que des manifestations aient lieu, même si on peut comprendre les indignations des deux côtés.
Q - Elles ont été assez violentes.
R - Je condamne la violence, mais le droit de manifester, je ne peux pas le condamner. Les populations civiles doivent être respectées des deux côtés : israélienne et palestinienne. Nous sommes pour l'existence d'un Etat d'Israël et nous nous battrons pour cela. Nous sommes pour l'existence d'un Etat palestinien et nous nous battrons pour cela.
Q - Il y a des questions d'internautes sur le sujet : vous avez nié dans un communiqué aujourd'hui les informations publiées hier par le site de Marianne, selon lesquelles, peu avant de devenir ministre en mai 2007, vous auriez facturé plusieurs rapports à certains Etats dont le Gabon, et vous vous seriez soucié du règlement de vos factures une fois au Quai d'Orsay. Cela dit, n'est-ce pas compliqué d'avoir été en quelque sorte prestataire de services auprès d'un pays et ensuite d'avoir des relations diplomatiques avec lui ?
R - Il y a d'autres sujets plus intéressants que ces petites affaires. J'ai, en effet, publié un communiqué. Maître Georges Kiejman, avocat au barreau de Paris, me représente, adressez-vous à lui.
Mais il me semble que l'actualité regorge de sujets plus intéressants, vous ne m'avez pas questionné par exemple sur l'arrêt des livraisons de gaz dans toute l'Europe. Ce matin, nous avons cru qu'il y aurait une reprise mais ce soir les livraisons sont à nouveau interrompues
Q - C'est également un sujet intéressant mais notre temps est limité. Merci, Monsieur le Ministre. Au revoir.
R - Merci.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 janvier 2009