Interview de M. Eric Besson, secrétaire d'Etat chargé de la prospective, de l'évaluation des politiques publiques et du développement de l'économie numérique, à Europe 1 le 9 janvier 2009, sur la conférence de Paris "pour un nouveau capitalisme", un nouveau prêt de l'Etat aux banques et sur le prochain remaniement ministériel.

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Texte intégral

J.-P. Elkabbach.- La conférence de Paris "pour un nouveau capitalisme" se termine tout à l'heure, en fin de matinée. T. Blair, plus A. Merkel, plus N. Sarkozy, plus M. Rocard, plus F. Fillon égale ? Eh bien égale quoi ?
 
Egale un grand hymne à la régulation du capitalisme financier. Pas jeter le capitalisme avec l'eau du bain. N. Sarkozy a dit clairement hier : "c'est une crise du capitalisme financier, c'est une crise de cette dérive, de la sophistication excessive des produits financiers"...
 
Il l'avait déjà dit, on le sait. En quoi c'est nouveau, et ça aboutit à quoi ? Quel est le chemin, quel est l'objectif ?
 
Mais il dit "je veux remettre le capitalisme sur ses pieds et donc recréer un capitalisme d'entrepreneurs". Ce qui est intéressant, c'est de voir la convergence d'esprit non seulement des Européens, ce qu'a dit hier A. Merkel, en disant "je suis d'accord pour la régulation du capitalisme, je propose un conseil économique comme il existe un Conseil de sécurité à l'ONU".
 
Et T. Blair avait dit ici hier : "Il faut une gouvernance mondiale"...
 
Absolument. Donc du côté des Européens, il y a un accord général. Ce qui était intéressant hier et qui va l'être encore ce matin, c'est de constater l'état d'esprit des Indiens, des Brésiliens, des Américains. Beaucoup d'économistes américains...
 
Des Africains, des Chinois, etc...
 
Etc. Comme si la crise avait joué le rôle de catalyseur. Oui, il y a aujourd'hui un consensus pour dire : nous devons - entre guillemets - "sauver le capitalisme" en le remettant sur ses pieds, nous devons réguler la finance mondiale. C'est un pas très important.
 
Mais il faudrait y associer le prochain Messie, B. Obama...
 
B. Obama, évidemment, c'est un espoir pour beaucoup d'entre nous. J'ai lu et écouté ce qu'il a dit en campagne électorale, j'ai entendu le discours de la régulation. Je dois vous dire d'ailleurs pour l'anecdote que j'ai cherché à faire venir un représentant de son administration, ils ont failli venir, et puis le principe a été édicté : pas de représentant de Obama avant le 20 janvier.
 
S'il y a un colloque numéro 2 à Paris l'an prochain, il viendra peut-être...
 
Je ne sais pas, j'aimerais beaucoup. En tout cas j'essaierai.
 
C'est un hymne en tout cas au premier vainqueur de la crise, l'Etat. L'Etat français va une nouvelle fois prêter à 8 %, 10,5 milliards d'euros supplémentaires aux banques qui sont exsangues. Vous entendez la rue : "encore les banques ! Encore les banques !".
 
C'est absurde ce "encore les banques". Ce n'est pas tant la rue, c'est l'opposition, et c'est son droit de le dire. Les 350 milliards qui ont été apportés comme garantie potentielle, c'est pour sauver l'épargne des Français, c'est pour sauver l'argent des déposants, heureusement que ça a été fait. Vous avez vu qu'il n'y a pas eu de panique, de mouvement de panique en France, c'est justement parce que, à Toulon, d'entrée, le président de la République a dit : "je garantirai tous les dépôts".
 
Mais l'argent ne circule pas assez, vous le savez.
 
L'argent ne circule pas assez, il faut davantage de crédits.
 
Mais 10,5 milliards en mars 2009, plus 10,5 milliards en 2008 ça fait 21 milliards. Est-ce qu'il ne faudrait pas que les banques concernées soient, même partiellement, nationalisées, comme ça se fait en ce moment à Berlin ?
 
Mais elles pourraient l'être si elles étaient en faillite ou en très grande difficulté. À partir du moment où ce sont des prêts, il n'y a pas de raison particulière que l'Etat entre dans leur capital. Par ailleurs, il ne leur fait pas de cadeau. Prêter à 9 % actuellement - 8 et quelque chose, presque 9 -, ce n'est pas un cadeau. Cela veut dire même que l'Etat réalise, en la circonstance, une bonne opération financière.
 
Ce matin, dans le Parisien, D. de Villepin se fâche ; il dit : "la France n'a pas besoin de plans de relance qui creusent les déficits, mais d'un plan pour moderniser l'économie". Et il dénonce deux miroirs aux alouettes du sarkozysme : la rupture et les réformes dispersées et tous azimuts.
 
D'abord la rupture, quand on regarde sur une longue durée, la France était objectivement en train de décliner. Je fais un exercice de prospective "France 2025", je regarde les indices depuis 20 ans et je me projette dans l'avenir, la place relative de la France était en train de décliner, il fallait bouger, il fallait se réformer, c'était une question vitale.
 
Mais il a raison ou pas ?
 
Il a raison dans sa première phrase, sauf que c'est ce que nous faisons. Quelle a été la réponse du Gouvernement, N. Sarkozy et F. Fillon...
 
Pourquoi le fait-il ?
 
Il a dit : infrastructures, éducation, transport...
 
Pourquoi D. de Villepin se lâche-t-il ainsi maintenant ?
 
Je ne sais pas, je l'ai entendu l'autre jour chez M.-O. Fogiel répondre à ses questions, j'ai cru déceler - mais je ne suis pas très bon psychologue, vous l'avez noté en introduction - un petit peu d'amertume, mais peut-être que je me trompe.
 
De l'amertume... Vous allez bientôt succéder à B. Hortefeux au ministère de l'Immigration. Êtes-vous prêt ?
 
D'abord ça, c'est vous qui le dites, c'est la presse qui le dit. Les choses ne valent que lorsque le président de la République dit quelque chose.
 
Le président de la République ne vous l'a pas soufflé encore ?!
 
Vous savez, l'histoire des remaniements, c'est du ressort exclusif du président de la République et du Premier ministre. Et deuxièmement, ça se décide au tout dernier instant.
 
Est-ce que B. Hortefeux a réussi ?
 
Oui, il a réussi. Il a réussi, il a fait un excellent travail. La preuve, les propositions françaises en matière d'immigration, c'est-à-dire, cette espèce d'équilibre "fermeté et humanité", a été adoptée, cette position française, par les 27 pays de l'Union européenne...
 
D'accord, mais que reste-t-il à faire de nouveau ?
 
...excusez-moi, droite et gauche confondues. Cela veut dire que les gouvernements de gauche de l'Union européenne ont accepté la position française. Ce n'est pas rien.
 
Que reste-t-il à faire ?
 
Il reste beaucoup de choses à faire pour B. Hortefeux peut-être, qui est de dire... il a travaillé beaucoup sur les questions d'immigration, il a dit lui-même, je l'ai entendu l'autre jour que, en matière d'intégration notamment, il fallait faire beaucoup plus.
 
Vous avez vécu au Maroc jusqu'à l'âge de 17 ans, vous êtes un peu "maghrébin". Est-ce que, si vous êtes ministre, vous garderez "ministre de l'Identité nationale" aussi ?
 
D'abord, ça ne dépend pas de moi, vous le savez...
 
Mais votre proposition, si on vous le propose ?
 
Mais "l'identité nationale", de toute façon, je n'ai pas besoin de me projeter dans l'avenir pour vous dire, d'ores et déjà, que la question de l'identité nationale n'est pas une honte. Vous parliez tout à l'heure de B. Obama, qu'est-ce qu'il a inventé si ce n'est l'identité américaine, si ce n'est l'histoire américaine, la fierté d'être Américain ? On lui disait : "vous êtes noir, vous êtes métis", il disait "non, je suis d'abord américain, fier d'être américain !". Pourquoi les Américains auraient le droit d'être fiers et pas nous ?
 
Nous aussi, on est fiers d'être Français !
 
Et bien voilà. L'identité nationale, c'est d'abord de l'identité républicaine, c'est une histoire de citoyen.
 
Est-ce que vous demanderez à être jugé vous aussi en fonction des 25.000 clandestins expulsés chaque année ?
 
Ecoutez, laissons le président de la République et le Premier ministre dire ce que seraient le Gouvernement et le remaniement, et je vous promets que, si j'étais concerné, je répondrais à vos questions. Mais n'anticipons pas.
 
Quelle prudence !
 
Mais non ! Je lutte, en matière régulation, je lutte contre la spéculation, je ne vais pas moi-même me prêter à la spéculation.
 
Il paraît que N. Sarkozy confie : "ce Besson, il est bon", mais il y a beaucoup d'autres, même dans la majorité disent : "ce Besson, qu'est-ce qu'il est malin !".
 
Je ne sais pas. J'essaie de faire mon travail, je laisse les jugements. Je crois que j'ai travaillé sur les questions qui m'ont été données : sur le développement de l'économie numérique, sur la prospective, sur l'évaluation. J'essaie de faire mon boulot, le jugement est libre.
 
Il paraît que vous trouvez une différence - vous me direz si c'est vrai ou pas - entre "une transgression et une trahison". Laquelle ?
 
Je ne sais pas. Là aussi, ce sont des propos qui me sont prêtés. Oui, je vois une différence. Enfin, je ne vais pas me lancer - ça va agacer vos auditeurs, et je vois que M.-O. Fogiel regarde la montre - dans une dissertation sur le sujet.
 
Je ne demande pas une dissertation, je demande votre avis ou la confirmation de ce que vous avez dit.
 
Mon avis, c'est tout simple : j'étais un réformiste de gauche qui croyait au mouvement, qui croyait à la réforme. Il se trouve simplement que je suis dans un Gouvernement où le président de la République s'est emparé des thèmes auxquels je crois : le multilatéralisme, l'Union pour la Méditerranée, la régulation, la flexsécurité. Qui aujourd'hui porte sur la scène européenne et la scène mondiale le discours de régulation que je tenais et qui m'a fait entrer en politique ? C'est aujourd'hui N. Sarkozy.
 
Ça veut dire que vous l'amenez vers la social-démocratie ?
 
Mais non, je ne l'amène nulle part, il n'a besoin d'être amené par personne. Simplement, son évolution dans le regard qu'il porte sur ce qui est crucial, sur ce que vous avez dit tout à l'heure, c'est-à-dire, au fond, les Etats-nations, l'Etat protecteur, l'Etat assureur en dernier ressort, l'a fait évoluer sur un certain nombre de points.
 
Faut-il poursuivre la politique d'ouverture vers le centre et la gauche ?
 
À titre personnel, j'en serais ravi, mais vous imaginez bien qu'il y a une question d'équilibre. C'est quand même l'UMP qui porte cette majorité, sans la majorité UMP à l'Assemblée nationale et au Sénat - enfin, au Sénat, c'est un peu complexe -, il n'y a pas de lois, il n'y a pas de réformes.
 
On dit que vous allez être nommé secrétaire général-adjoint de l'UMP avec X. Bertrand. Est-ce que vous serez à l'aise si c'est le cas ?
 
Mais je suis déjà dans la majorité présidentielle. La question est : à quel poste je joue ? Et vous savez que je suis...
 
Mais ça ne vous choquerait pas d'être un des responsables de l'UMP ?
 
À partir du moment où je suis en confiance "avec le coach" comme on dit en football maintenant, avec l'entraîneur, j'accepte de jouer à la place qu'il croit utile que j'occupe pour servir la majorité présidentielle à laquelle j'appartiens.
 
Dernière remarque pour être précis : est-ce que l'avenir d'un ministre d'ouverture, c'est de finir à la direction de l'UMP ?
 
Je ne sais pas. Et encore une fois, si la question se pose je vous y répondrai. Je suis dans la majorité présidentielle, je m'y sens bien. La question c'était "stop ou encore ?". Est-ce que j'étais là pour une courte durée, j'avais fait un passage à la suite de mon clash de 2007, je m'y sens bien, j'adhère au mouvement de réformes portées par le président de la République et le Premier ministre, et j'ai envie d'y prendre toute ma place.   
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 9 janvier 2009